- Abduction (Épistémologie)
-
Abduction (épistémologie)
Pour les articles homonymes, voir Abduction.L'abduction (du latin « abductio » : emmener) est un type de raisonnement d'abord mis en évidence par Aristote : il s'agit d'un syllogisme dont la prémisse majeure est certaine et dont la mineure est seulement probable : la conclusion n'a alors qu'une probabilité égale à celle de la mineure [1].
Selon le sémioticien et philosophe américain Charles Sanders Peirce (1839-1914), fondateur du courant pragmatiste en sémiologie, l'abduction constitue ainsi une troisième forme de raisonnement, différente de la déduction et de l’induction.
Afin de comprendre un phénomène surprenant, on introduit une règle à titre d'hypothèse afin de considérer ce phénomène comme un cas conforme à cette règle. En d’autres termes : dans le cas d’une déduction on tire la conclusion « q » d’une prémisse « p » alors que le raisonnement abductif consiste à expliquer « q » par « p », considéré ici comme une hypothèse explicative. Le sémioticien Umberto Eco a appelé ce procédé la « méthode du détective ».
Contrairement à l'induction et à la déduction, l'abduction est selon Peirce le seul mode de raisonnement par lequel on peut aboutir à des connaissances nouvelles.
Sommaire
Abduction, Déduction et Induction comme mode de recherche
Si l'on considère le mode de recherche et d'obtention de connaissances nouvelles comme un processus de conception, le discours sur la méthode scientifique est en lien avec les modèles des sciences cognitives et les allers et retours en confrontations entre le projet de concevoir et sa réalisation doivent ainsi permettre d'enrichir une « épistémologie de l'invention » selon l'expression de Deledalle [2]. La science n'est donc plus l'analyse et l'anatomie de ce qui existe positivement et donc nécessairement car de même que l'art et la technique elle invente de nouvelles réalités.
Comme l'écrit Jean-Louis Le Moigne [3], « Auguste Comte pouvait clamer que l'imagination ne devait jouer qu'un rôle absolument subalterne dans la recherche scientifique chaque chercheur dans son for intérieur convenait que son talent reposait sur sa capacité à imaginer, à inventer, à concevoir ». Ainsi les formes logiques naissent de la pratique de la recherche mais aussi de l'inscription du chercheur dans le processus expérientiel et cognitif qui est lié à son immersion au sein des environnements.
Depuis Peirce et les avancées de la philosophie pragmatiste qui a amorcé d'une certaine façon le développement des sciences cognitives l'étude du processus de recherche est de plus en plus largement perçue comme une étude du processus cognitif. Il y a ainsi une constante volonté d'intégrer et de dépasser la dualité expérience factuelle / logique active et l'émergence d'une pensée unifiée qui selon des temps différents va prendre des formes différentes qui ne seraient plus en opposition mais en interaction. Ces considérations bouleversent la façon traditionnelle d'appréhender la recherche scientifique qui de ce fait ne peut plus se placer strictement dans une démarche hypothético-déductive ou inductive.
En effet comme l'indique Habermas [4], la réflexion pragmatiste sur les formes de l'inférence ne s'inscrit pas dans la question traditionnelle de l'acquisition par déduction de propositions analytiquement justes mais dans celle de l'obtention d'énoncés synthétiquement plausibles. Ainsi la conception de l'objet est indissociable de la méthode de la fixation de la croyance et du critère de sens qui en découle. Dans un premier temps et du point de vue des méthodes réelles de la recherche c'est-à-dire selon une vision expérimentale du processus de conception de l'inférence, l'induction et la déduction ne sont pas en opposition mais en relations réciproques, elles sont en effet des phases coopératives d'un processus unique de résolution de problème. Dans un deuxième temps ces deux phases, d'induction et de déduction du processus de conception sont complétées par une troisième que Peirce nomme l'abduction. La méthode de recherche peut être alors modélisée selon l'enchaînement élémentaire : [ ( abduction – induction – déduction) ].
Dans cette perspective, l'abduction (warranted assertion) est le processus de formation d'une hypothèse générale sans l'assurance qu'elle réussisse et est ainsi de l'ordre de la priméité. La priméité dans la conception triadique du modèle mental initié par Peirce est la catégorie du sensible, de l'expérience sensible.
C'est la conception de l'être placé dans la généralité et l'indétermination de la situation perçue, c'est le phénomène en tant qu'il est vu et perçu par le sujet lui-même. L'abduction concerne la formation de l'hypothèse qui est sujette à une certaine normativité induite par un arrière plan par une conception que l'on cherche à éprouver et qui est orientée par la résolution d'un problème. C'est la suggestion d'une idée, pour Mirowski [5], l'abduction revêt explicitement un caractère herméneutique dans le sens où elle tente une interprétation immédiate et sensible du phénomène.
Cette approche signifie que « quelque chose » se comporte probablement d'une certaine manière – phase d'abduction – que « quelque chose » se comporte effectivement d'une certaine manière – phase d'induction et enfin – phase de déduction – nous établissons que « quelque chose » se comporte d'une certaine manière.
En ce sens, l'induction renvoie aux opérations établissant des généralisations de conception et aux mises à l'épreuve des conséquences tirées des hypothèses posées et est de l'ordre de la secondéité. La secondéité est la catégorie de la réaction, de l'existence, de la rencontre du sujet avec la sensation de la singularité. C'est la perception de l'être relatif à quelque chose d'autre où il y a rencontre avec le concret, c'est la catégorie de l'actualisation.
La déduction tire des conséquences , construit des relations actualisées, elle est de l'ordre du troisième principe peircéen celui de la tiercité. La tiercité est la catégorie de la médiation qui met en relation et construit du sens sans quoi les objets du système ne seraient qu'une juxtaposition arbitraire et non médiatisée. La déduction c'est l'opérateur de la généralité.
L'abduction, hypothèse créatrice et l'induction matérialisent le lien entre les observations expérientielles et la formulation d'hypothèses elles assurent une mise à l'épreuve. La déduction traduit la pensée réfléchie et structurante en ce qu'elle engendre des habitudes interprétatives comme disposition mentale. Dans cette perspective l'abduction produit des idées et des concepts à expliquer, l'induction participe à la construction de l'hypothèse abductive en lui donnant de la consistance et la déduction à partir de cette construction formule une explication prédictive.
En ce sens la déduction est certaine et décrit des « objets idéaux », l'induction quant à elle infère des phénomènes semblables alors que l'abduction infère des phénomènes différents c'est le choix des hypothèses. L'abduction rend compte de la spécificité du raisonnement qui va vers l'hypothèse, sa logique est celle de la créativité de l'interprétation et de l'innovation et elle permet en fonction de la flexibilité du concepteur par rapport à ses présupposés d'introduire des idées nouvelles.
L'abduction est décrite par Peirce comme un aperçu créatif (a creative insight) pour résoudre un problème surprenant, une expérience qui déçoit une anticipation ou qui entame une habitude. Si l'induction va du cas, de l'expérientiel vers la règle selon une logique [(cas) vers (règle)], l'abduction a une logique inverse de la règle vers le cas selon une logique [(règle) vers (cas)].
L'abduction éclaire ainsi le faillibilisme pragmatique au sens où celle-ci s'éprouve dans la capacité à accueillir de nouvelles hypothèses, l'induction elle ne peut mettre à l'épreuve que ce qui lui est soumis. Distinguer induction et abduction permet d'introduire le changement. Si l'abduction repose sur des habitudes d'inférence qui évoluent comme manifestation de l'intelligence et de la progression de connaissance c'est sur l'induction que repose le progrès scientifique car elle donne une valeur scientifique à la pratique c'est-à-dire à l'expérience en effet la mise à l'épreuve constitue le seul moyen pour tenter d'approcher la certitude et déduire une vérité comme idéal et objet de construction théorico-pratique. Le processus de recherche modélisé comme une ensemble de boucles [(abduction – induction – déduction)] laisse dès lors une place à l'intuition et à l'imagination.
Règle formelle de raisonnement associée à l'abduction
On peut associer à l'abduction une règle de raisonnement sous la forme suivante:
autrement dit, si on a le fait b et si on sait que alors on peut inférer a. Cette règle ne fait pas partie des règles déduction de la logique mathématique et à ce titre n'est pas valide, mais la formulation sous cette forme permet de comprendre le processus mis en œuvre par l'abduction.
Références
- ↑ Voir Premiers Analytiques, II, 25 sqq.
- ↑ G. Deledalle, Lire Peirce aujourd'hui, Éditions Universitaires -DeBoeck Universités, Bruxelles 1990, 217 pages
- ↑ « Intelligence et conception » in Jean-Louis Le Moigne, Intelligence des mécanismes, mécanismes de l'intelligence : intelligence artificielle et sciences de la cognition Fayard/ Fondation Diderot Paris 1986, 367 pages.
- ↑ Connaissance et intérêt, Trad. de l'éd. de 1968, Paris, Gallimard, 1976, 386 pages.
- ↑ The Philosophical Basis of Institutional Economics, Journal of Economic Issues, Vol. XXI, no 3, Septembre 1987, pp 1001 – 1038).
Voir aussi
- Concepts logiques
- Logique d'Aristote
- Syllogisme
- Exploration de données
- Raisonnement
- Concepts logiques
- Portail de la logique
- Portail de la philosophie
Catégories : Raisonnement mathématique | Philosophie de la connaissance
Wikimedia Foundation. 2010.