Code de Nuremberg

Code de Nuremberg

Le « code de Nuremberg » est une liste de dix critères contenus dans le jugement du « procès des médecins » de Nuremberg (1946-1947)[1]. Ces critères indiquent les conditions que doivent satisfaire les expérimentations pratiquées sur l'être humain pour être considérées comme « acceptables »[2]. C'est sur ces critères que le tribunal condamna les 16 accusés sur 23, convaincus d'avoir pratiqué ou participé à l'organisation d'expériences médicales illicites dans des conditions atroces, notamment sur les prisonniers des camps de concentration. La liste des critères de licéité des expérimentations médicales, tirée de la section « Expériences acceptables » du jugement, circula rapidement en anglais sous le nom de « Nuremberg Code ».

Le « code de Nuremberg » n'est nullement le point de départ de la réflexion éthique et juridique sur l'expérimentation humaine : il récapitule des principes connus et acceptés très antérieurement au jugement, depuis au moins le début du XXe siècle[3] ; le tribunal n'a pas jugé sur des règles qui auraient été inventées spécialement pour le procès (ce qui aurait été contraire à tous les principes du droit pénal).

Le « code de Nuremberg » eut peu d'effet direct sur les pratiques d'expérimentation après la guerre[4] : elles furent plus sensibles à la déclaration d'Helsinki de 1964[5] et plus encore à sa révision en 1975, lors du Congrès de Tokyo (qui disposait que les recherches sur les sujets humains qui ne respecteraient pas la Déclaration ne devraient plus être publiées). Mais le « code de Nuremberg » reste incontestablement le texte séminal d'un nouvel ordre normatif international en matière de recherche sur l'être humain, que les textes internationaux ultérieurs n'ont cessé de consolider[6].

Sommaire

Le « procès des médecins » à Nuremberg (1946-1947)

Le « procès des médecins » ne doit pas être confondu avec le procès des dignitaires nazis qui se tint en 1945-1946 devant le Tribunal militaire international (TMI) de Nuremberg. Le « procès des médecins » eut lieu devant un tribunal militaire américain (et non pas international), mais qui agissait dans le cadre de dispositions internationales et pour le compte des forces alliées[7]. C'est pourquoi les jugements du Tribunal militaire américain (TMA) sont, comme ceux du TMI, des jurisprudences internationales[8].

Formation du « code de Nuremberg »

La liste des critères définissant les expériences médicales acceptables a été établie par le Tribunal de Nuremberg à partir du rapport de deux experts de laccusation : le Dr Leo Alexander (en) (qui revendiqua ultérieurement la paternité du « code ») était attaché aux services du procureur (il colligea une grande partie des témoignages et des preuves contre les accusés)[9] ; le Pr Andrew Ivy (en), désigné en raison de ses compétences en matière de recherche par lAssociation médicale américaine[10]. Ces expertises avaient été requises par le tribunal qui constatait que le serment dHippocrate ne constituait pas une base normative suffisante pour établir le caractère criminel ou non des expérimentations nazies. La défense sétait efforcée avec succès de mettre en doute sa validité universelle, de même quelle déstabilisait laccusation en produisant les publications dexpérimentations pratiquées par les nations alliées, quelle tentait dassimiler aux expériences incriminées[11].

Travaillant séparément, les deux experts sont amenés par les procureurs de la poursuite à produire des rapports convergents sur les conditions dans lesquelles les expérimentations humaines étaient admises depuis la fin du XIXe siècle par la morale médicale. Les scandales qui émaillèrent lhistoire de lexpérimentation médicale indiquent quil était parfaitement compris au début du XXe siècle que le consentement des sujets dexpérience était la condition première à remplir[12].

Les expériences médicales acceptables : « code de Nuremberg »

La traduction moderne de référence[13] du « code de Nuremberg », faite depuis le texte du jugement, est la suivante pour les 10 articles :

  1. Le consentement volontaire du sujet humain est absolument essentiel. Cela veut dire que la personne concernée doit avoir la capacité légale de consentir ; quelle doit être placée en situation dexercer un libre pouvoir de choix, sans intervention de quelque élément de force, de fraude, de contrainte, de supercherie, de duperie ou dautres formes sournoises de contrainte ou de coercition ; et quelle doit avoir une connaissance et une compréhension suffisantes de ce que cela implique, de façon à lui permettre de prendre une décision éclairée. Ce dernier point demande que, avant daccepter une décision positive par le sujet dexpérience, il lui soit fait connaître : la nature, la durée, et le but de lexpérience ; les méthodes et moyens par lesquels elle sera conduite ; tous les désagréments et risques qui peuvent être raisonnablement envisagés ; et les conséquences pour sa santé ou sa personne, qui pourraient possiblement advenir du fait de sa participation à lexpérience. Lobligation et la responsabilité dapprécier la qualité du consentement incombent à chaque personne qui prend linitiative de, dirige ou travaille à, lexpérience. Il sagit dune obligation et dune responsabilité personnelles qui ne peuvent pas être déléguées impunément.
  2. Lexpérience doit être telle quelle produise des résultats avantageux pour le bien de la société, impossibles à obtenir par dautres méthodes ou moyens détude, et pas aléatoires ou superflus par nature.
  3. Lexpérience doit être construite et fondée de façon telle sur les résultats de lexpérimentation animale et de la connaissance de lhistoire naturelle de la maladie ou autre problème à létude, que les résultats attendus justifient la réalisation de lexpérience.
  4. Lexpérience doit être conduite de façon telle que soient évitées toute souffrance et toute atteinte, physiques et mentales, non nécessaires.
  5. Aucune expérience ne doit être conduite lorsquil y a une raison a priori de croire que la mort ou des blessures invalidantes surviendront ; sauf, peut-être, dans ces expériences les médecins expérimentateurs servent aussi de sujets.
  6. Le niveau des risques devant être pris ne doit jamais excéder celui de limportance humanitaire du problème que doit résoudre lexpérience.
  7. Les dispositions doivent être prises et les moyens fournis pour protéger le sujet dexpérience contre les éventualités, même ténues, de blessure, infirmité ou décès.
  8. Les expériences ne doivent être pratiquées que par des personnes scientifiquement qualifiées. Le plus haut degré de compétence professionnelle doit être exigé tout au long de lexpérience, de tous ceux qui la dirigent ou y participent.
  9. Dans le déroulement de lexpérience, le sujet humain doit être libre de mettre un terme à lexpérience sil a atteint létat physique ou mental la continuation de lexpérience lui semble impossible.
  10. Dans le déroulement de lexpérience, le scientifique qui en a la charge doit être prêt à linterrompre à tout moment, sil a été conduit à croiredans lexercice de la bonne foi, de la compétence du plus haut niveau et du jugement prudent qui sont requis de luiquune continuation de lexpérience pourrait entraîner des blessures, linvalidité ou la mort pour le sujet dexpérience.

Réception du « code de Nuremberg »

Réception aux États-Unis

Aux États-Unis, le « code de Nuremberg » glissa sur une communauté médicale qui ne se sentait pas concernée. « Le point de vue dominant était que [les accusés] étaient dabord et avant tout des nazis ; par définition, rien de ce quil firent et aucun code établi en réponse à cela nétaient pertinents pour les États-Unis », indique lhistorien D. Rothman[14]. « Cétait un bon code pour les barbares, mais un code inutile pour les médecins normaux », résume J. Katz[15]. Le « code de Nuremberg », de ce fait, nempêcha pas des recherches sur lêtre humain qui enfreignaient parfois gravement les principes (étude de Tuskegee sur la syphilis, par exemple).

Réception et déformations en France

Les versions antérieures en français du « code de Nuremberg » proviennent de deux sources : le texte du Dr François Bayle, un observateur français au « procès des médecins », issu de la synthèse du procès publiée en 1950[16] ; un texte dorigine inconnue (probablement une autorité déontologique nationale), publié en 1984 en annexe de lavis du Comité consultatif national déthique (CCNE) sur la recherche sur lêtre humain[17] et repris par le rapport du Conseil dÉtat préparatoire à la loi de 1988 sur les recherches biomédicales[18]. La traduction de Bayle donne la partie du jugement de Nuremberg qui ne sappelle pas encore « code de Nuremberg ». Cette version, qui fit longtemps référence, contient de nombreuses inexactitudes et approximations[19]. Elle est le fait dun médecinBayle était un psychiatre de la Marinepeu au fait des questions et de la terminologie juridiques. Bayle a tenté de corriger des formulations qui paraissent abruptes du point de vue dun déontologue français : ainsi, lexpression « human subject » est traduite non par « sujet humain », mais par « sujet qui sert à lexpérience » ; le bien de la « société » (que doit poursuivre lexpérience) est transformé en bien de « lhumanité ». La traduction de Bayle a été corrigée sur ces points dans la version publiée par C. Ambroselli dans son « Que sais-je ? » sur lEthique médicale[20].

Le texte du CCNE, publié sans source, est une adaptation déontologique simplifiée du « code de Nuremberg », destinée aux médecins expérimentateurs. Le « sujet humain » est remplacé par « le malade ».

Le « code de Nuremberg » a été très régulièrement pris pour un texte déontologique ou éthique. Il sagit, en réalité, dun texte juridique : le procès des médecins nétait pas un congrès déthique, mais un procès pénal international.


Notes et références

  1. (en) Trials of War Criminals Before the Nuernberg [Nuremberg] Military Tribunals Under Control Council Law No. 10, vol. II, Washington, DC, U.S. Government Printing Office, 1949-1953 [lire en ligne (page consultée le 15 août 2011)], p. 181-183 .
  2. Trials, op. cit. « Permissible Medical Experiments », p. 181.
  3. Philippe Amiel, Des cobayes et des hommes: Expérimentation sur lêtre humain et justice., Paris, Belles Lettres, 2011, 340 p. (ISBN 978-2-251-43024-9) [présentation en ligne], p. 37 .
  4. David J. Rothman, Strangers at the bedside. A history of how law and bioethics transformed medical decision making, Basic Books, 1991, p. 62-63.
  5. World Medical Association Declaration of Helsinki : Ethical Principles for Medical Research Involving Human Subjects, 1964
  6. Amiel, Cobayes, op. cit., p. 100.
  7. «Control Council, Law n° 10. Punishment of persons guilty of war crimes, crimes against peace and against humanity », in Control Council and Coordinating Committee, Allied Control Authority, Germany, vol. I, s.l., Legal Division of Military Government for Germany (US), 1945 ; p. 306-311. — Texte et fac-simile en ligne : http://www.yale.edu/lawweb/avalon/imt/imt10.htm. Voir aussi : Telford Taylor, Nuremberg Trials War Crimes and International Law, p. 124-241 in Final Report to the Secretary of the Army on The Nuernberg War Crimes Trials Under Control Council Law No.10, Washington DC, US Government Printing Office, 15 Aug. 1949.
  8. Michel Bélanger, Droit international de la santé, Paris, Economica, 1983 ; p. 44.
  9. Ulf Schmidt, Justice at Nuremberg: Leo Alexander and the Nazi doctorstrial. Basingstoke, Palgrave Macmillan. 2004.
  10. Advisory Committee on Human Radiation Experiments, Final Report of the Advisory Committee on Human Radiations Experiment (1995), New York, Oxford, Oxford University Press, 1996, p. 93.
  11. Amiel, Cobayes, op. cit., p. 89-91.
  12. Susan Lederer, Subjected to science. Human experimentation in America before the second world war, Baltimore (Ma, USA), The John Hopkins University Press, 1997.
  13. Philippe Amiel, François Vialla, La vérité perdue du « code de Nuremberg » : réception et déformations ducode de Nurembergen France (1947-2007), Rev. dr. sanit. et soc. RDSS 2009;4:673-687.
  14. David J. Rothman, Strangers at the Bedside, op. cit., p. 62-63.
  15. Jay Katz, « The Consent Principle of the Nuremberg Code », p. 227-239, George J. Annas, Michael A. Grondin, The Nazi Doctors and the Nuremberg Code. Human Rights in Human Experimentation, New York, Oxford, Oxford Univ. Press, 1992, p. 228
  16. Bayle F, Croix gammée contre caducée. Les expériences humaines en Allemagne pendant la Deuxième Guerre Mondiale, Neustadt, Commission scientifique des Crimes de guerre, 1950.
  17. Comité consultatif national d'éthique pour les sciences de la vie et de la santé, Avis sur les essais de nouveaux traitements chez l'homme. Réflexions et propositions, avis [et rapport] n° 2, 9 oct. 1984.
  18. Conseil dÉtat, Sciences de la vie. De léthique au droit, Paris, Documentation française (Notes et études documentaires 4855), 1988 (fév.) ; deuxième éd., oct. 1988, p. 167. On parle du « rapport Braibant », du nom du conseiller Guy Braibant (1927-2008) qui en dirigea lélaboration.
  19. Amiel et Vialla, op. cit.
  20. Claire Ambroselli, L'éthique médicale, PUFQue sais-je ?»), 1988, p. 104-105.


Voir aussi



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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Code de Nuremberg de Wikipédia en français (auteurs)

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