Boumediene Qadiri Boutchich

Boumediene Qadiri Boutchich

Sidi Boumediene Qadiri Boutchich (1873-1955), fils de sidi al-Menwar, fils de sidi Mokhtar Qadiri Boutchich le Grand ou le Second (m. vers 1852), cousin germain de sidi Mokhtar Qadiri Boutchich (1853-1914), troisième du nom, est au lieu dit Tarharabt, dans la zone de Taghjirt, au nord-est du Maroc, à proximité de la frontière algérienne. Il a fait sa scolarité à Madagh et y a pris lenseignement Qadiri des mains de son cousin, Sidi Mokhtar le troisième, dans le courant des années 1900. Il était à ses côtés en 1907, dans la résistance contre la pénétration de larmée française dirigée par le maréchal Lyautey. Cest auprès de Sidi Hamza al Qâdiri al Boutchichi, cheikh actuel de la tarîqa, quil faut recueillir les prémices de sa quête :

« Sidi Boumediene sétait contenté, pendant de nombreuses années, dune pratique du culte, certes fort intense, mais qui restait sur le plan extérieur. Il appartenait à une ligne prestigieuse de saints et de fondateurs de zawiya. Il était de plus shérif, descendant du Prophète. Il pensait donc quil navait à sen tenir quà cette voie des anciens. Il navait pas à chercher ailleurs. Il avait pris lhabitude cependant de rendre assez régulièrement visite à des fûqaras darqawa (en) de la région de la zawiya de Sidi al-Häbri. Il ne pensait pas trouver un quelconque enseignement chez eux mais il était touché par leur hospitalité, la générosité de leur accueil. Il les a fréquenté ainsi pendant de nombreuses années. La plupart dentre eux étaient des illettrés, mais il devenait de plus en plus attentif à leur conversation qui contenait des sens très subtils sur la réalité de lÊtre. Un jour, il prit soudainement conscience du sommeil dans lequel il était enveloppé (...) Il naurait plus de cesse que de trouver un maître de la Voie qui pouvait lintroduire dans cette connaissance (…) Il a longtemps cherché. Il ne lui arrivait pas de penser quun homme pouvait porter en lui une telle sagesse sans quil se mette spontanément à son service ne prêtant aucune attention au prestige social dont il jouissait lui et sa famille(…). »

Sidi Boumediene, refusa le conformisme des pratiques de ses ancêtres et résolut de trouver un éducateur vivant, doté du secret spirituel. Il rencontra en fait plusieurs personnes et ces rencontres successives lui valurent de recevoir ce secret ainsi que lautorisation denseigner à son tour.

Quatre personnages se présentèrent dans son cheminement. Tous lui apportèrent une connaissance particulière, mais deux le marquèrent vraiment : Sidi al-Mahdi BelAriane et Sidi Mohammed Lahlû.

Sidi al-Mahdi Belariane navait pourtant pas les attributs extérieurs quon pouvait sattendre à remarquer provenant dun homme si désiré par son futur disciple. Au contraire, il avait plutôt la réputation dun plaisantin, voire dun homme infréquentable. Cest en fait grâce à une tierce personne que Sidi Boumediene put le rencontrer sous son vrai jour, car il le connaissait déjà mais naurait évidemment jamais attribué un quelconque degré de sagesse à un tel homme.

Sidi al-Mahdi BelAriane était en fait ce que lon nomme dans le soufisme un malamati. Un de ces sages de Dieu qui se cache au regard des hommes par des comportements saugrenus voire répréhensibles dans une société musulmane. Il vivait dans la montagne des Béni-Snassen près du village de Ahfir et était rattaché à la confrérie Tidjaniyya. Sidi Boumediene dit à propos de lenseignement de ce cheikh quil aurait très bien pu arrêter ses recherches tellement le don de cet homme était grand. Cest avec lui que Sidi Boumediene fit lexpérience du fana’*, lanéantissement en Dieu, telle que lexpriment les soufis. Sidi Boumediene reprit cependant sa recherche et rencontra son second maître à Fez.

Sidi Mohammed Lahlou était artisan tanneur. Il vivait du travail de ses mains et était en même temps le responsable (Amine) dune corporation appelée Dar Dabagh . Lui non plus nétait pas un cheikh connu publiquement si ce nest de quelques personnes. Dobédience Chadhili, son maître était Sidi benAli de Marrakech, lui-même ayant été disciple de Moulay al-‘Arbi ad-Darqawi (1743-1823). Dès la première rencontre, Sidi Mohammed Lahlou vit tout de suite que son visiteur avait atteint le fanasans quil le sache lui-même, mais quil lui fallait à présent intégrer et « conscientiser » cet état spirituel pour aller encore au-delà et accomplir son destin de futur cheikh. Il lui donna donc un dhikr (invocation) dont la pratique provoqua des réactions physiques que Sidi Boumediene ne comprit pas. Il écrivit à Mohammed Lahlou au sujet de ces phénomènes extatiques et de la perplexité quils lui causaient. Son maître lui répondit :

« En ce qui concerne les tremblements et les tressaillements corporels qui te surviennent (…) ainsi que lextase (…). Ceci est laffaire des amants lorsquon leur parle de leur bien-aimé, que dire alors lorsque entre eux le voile se lève ! »

Son maître emprunte ici à un poème (Qassida) dun autre Boumediene, Abou Madyane (m. en 1198). Un exemple qui souligne la permanence dun enseignement anhistorique dans son essence et chaque fois réactualisé par les différents maîtres de la voie. Rassuré sur lorigine de ces « états », Sidi Boumediene poursuivit encore sa quête, notamment auprès de deux autres maîtres.

Lun, Mohammed ben Mousa de la Tidjaniyya lui légua un ensemble dinvocations (Wird) et lautre, le cheikh Tayyib Chergui, lui permit dopérer la synthèse des enseignements antérieurs en revenant à lascèse et la discipline de soi .

Ainsi se trace symboliquement la spirale ascendante du soufi vers la réalité divine, vis-à-vis de laquelle tout le reste nest que relatif, se poursuivant dans une redescente vers la « matérialité », pour se conclure dans un équilibre entre la Vérité transcendante et la Loi du monde (haqiqa et charia).

Ses pérégrinations achevées, Sidi Boumediene revint sinstaller à Bouyahyi, le cheikh sidi Mokhtar (1853-1914) vivait avant larrivée des français, avant qu'il ne construisent sa zaouiya à Madagh. C'est encore à Bouyahyi que reposent certains membres anciens de la famille et en particulier son père, Sidi al-Mnawar. Devenu lui-même un véritable maître spirituel, détenteur du Sirr, son influence ne tardera pas à faire ressortir la voie de ses ancêtres Boutchich de létat de latence dans lequel elle demeurait depuis plusieurs décennies pour la ramener vers une voie vivante (hayya).

Au cours de l'entre-deux guerres, isolé dans les montagnes des Béni-Snassen, Si Boumediene consacrait tout son temps à la pratique de linvocation et à linitiation dune poignée de disciples triés sur le volet. Il commençait alors à acquérir une réputation dascète et de sainteté qui trouvait même des échos au-delà de la frontière, vers Maghnia, et dans les tribus proches du massif des Béni-Snassen. Ses qualités de cheikh étaient alors, dit-on, reconnues par ses pairs et allaient même se répandant auprès des disciples de la Boutchichiyya, dont il n'est, il faut le rappeler, guère éloigné généalogiquement.

Cest par le biais du bouche à oreille que se fera la réunion des deux branches de la famille. Sidi Boumediene entendit dabord parler de Sidi Hamza al Qâdiri al Boutchichi quil invita chez lui pour vérifier les éloges quil recueillait déjà des vieux fûqaras de la zaouïa de Madagh. Cest peu de temps après, à loccasion des funérailles dune des sœurs de Sidi Hamza, que le destin du vieux cheikh (il avait alors près de soixante dix ans) se noua définitivement avec celui de ceux qui seront ses successeurs : SidiAbbas Qadiri Boutchich et son fils, Sidi Hamza.

Sidi Hamza raconte cet évènement dans les termes qui suivent :

« 1942 est lannée durant laquelle mon père et moi avons pris Sidi Boumediene comme maître spirituel. Mon père ma précédé dun mois dans la pratique de léducation spirituelle. Durant les quatorze années nous sommes restés près de notre maître, nous nous sommes consacrés aux actes de dévotion, principalement à la lecture du Coran et à linvocation (dhikr). Nous avons ainsi, en compagnie de Sidi Boumediene, traversé les différentes étapes de la voie spirituelle

La tarîqa Bûtchichiyya renouvelée par Sidi Boumediene va évoluer sous son autorité vers un certain élitisme rigoriste. Une parole est à ce propos fort éclairante :

« Ce Sirr, jai souffert pour en hériter et je ne le partagerais quavec ceux qui en sont digne »

SidiAbbas, qui en avait éminemment conscience, fut à ce point bouleversé par la rencontre avec son cheikh quil exigea de lui quil sinstalle chez lui, dans la zawiya de Madagh, et dispose de tous ses biens et richesses. Sidi Boumediene ira même jusquà épouser une des jeunes filles de son hôte, Lalla Zyneb.

Le renouveau de la Bûtchichiyya passe donc par une nouvelle lignée qui recoupe cette fois celles de différents maîtres de la voie soufie correspondant aux voies Tidjaniyya et Darqawiyya. Ce qui fait que lappartenance spirituelle de cette famille est homologue à toutes autres familles maraboutiques (George Drague).

Laustérité du cheikh la dispute à la difficulté de saisir lévolution de la confrérie de 1942 à la fin des années cinquante. Précisons encore une fois que lascétisme de cet homme est tel quune grande méticulosité recouvre tous les gestes de son quotidien. Il veille, par exemple, à laver et repriser lui-même ses vêtements, à ne pas accepter de nourriture provenant dinconnus, à ce que chacun de ses disciples portent la barbe, etc.

De la même façon que la voie avait quittée les sentiers balisés de la lignée Bûtchich pour pouvoir renaître par dautres branches de la famille, à son tour, Si Boumediene se refusa à choisir parmi ses fils un continuateur de son enseignement. Cest donc Sidi alAbbas Qadiri Boutchich qui se verra investi de la tâche de guide spirituel de la confrérie. ce dernier lexplique dailleurs lui-même dans son testament spirituel daté de 1968 :

« Une des plus importantes discussions que jai eu avec Sidi Boumediene fut à propos de la responsabilité du dépôt ainsi que léducation spirituelle dont il ma chargé. Malgré son insistance, jai refusé et je me suis excusé auprès de lui en lui indiquant une autre personne plus apte que moi. Il a, que Dieu ait son âme, décliné ma proposition en signe de confiance en moi, ainsi je ne pouvais faire autrement que dassumer cette responsabilité de gré ou de force; je me suis tu par convenance. »

Sidi Boumediene mourut le 15 avril 1955 après avoir transmis son enseignement à Sidi al-HajjAbbas et à Sidi Hamza. Il fut enterré à Madagh.


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Boumediene Qadiri Boutchich de Wikipédia en français (auteurs)

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