La Véritable Histoire de Ah Q

La Véritable Histoire de Ah Q
La Véritable Histoire de Ah Q
Auteur Lu Xun
Genre nouvelle
Version originale
Titre original Ā Q Zhèngzhuàn
Éditeur original Nouvelles du matin (Chenbao)
Langue originale chinois vernaculaire
Pays d'origine Chine
Lieu de parution original Chine
Date de parution originale du 4 décembre 1921 au 12 février 1922
Version française
Traducteur J.-B. Kyn Yn Yu (Jing Yinyu)
Éditeur Europe
Date de parution mai et juin 1926

La Véritable Histoire de Ah Q (chinois traditionnel : 阿Q正傳 ; chinois simplifié : 阿Q正传; pinyin : Ā Q Zhèngzhuàn) est une nouvelle longue de l'écrivain Lu Xun, initialement parue en feuilleton hebdomadaire dans Nouvelles du matin du 4 décembre 1921 au 12 février 1922. Écrite après le mouvement du 4 mai 1919, elle est une satire de la société chinoise et de la révolution inachevée de 1911.

Sommaire

Présentation

La Véritable Histoire de Ah Q est une longue nouvelle divisée en neuf chapitres. Dans le premier (« Préface ») le narrateur expose les difficultés qu'il rencontre lorsqu'il envisage d'écrire la biographie de son personnage, obscur représentant du petit peuple, habitant le village de Weizhuang. La première diificulté est celle d'établir à quel genre traditionnel rattacher la biographie : le narrateur passe en revue avec ironie les multiples variantes du genre. La biographie de Ah Q ne peut être une biographie officielle (le président de la République n'ayant rien demandé), ni une biographie non officielle (il faudrait qu'il en existe une officielle), etc. Passant outre la tradition, le narrateur choisit un titre emprunté aux conteurs des rues, correspondant à son langage, « celui des colporteurs et des tireurs de pousse-pousse[1] ». La deuxième est de savoir quel est le nom du personnage. Alors que le fils de l'Honorable Zhao, notable du village, vient d'être promu bachelier, Ah Q célèbre publiquement l'événement, au prétexte d'une origine familiale commune. Ah Q est convoqué dès le lendemain par l'Honorable Zhao et reçoit de ce dernier une gifle. Depuis lors plus personne au village ne mentionne le nom de famille de Ah Q. La troisième difficulté est due à l'incapacité du narrateur de déterminer quel caractère utiliser pour noter le prénom de Ah Q, « Quei ». Par défaut, il l'abrège en « Q », utilisant une lettre de l'alphabet latin (lettre que l'on retrouve donc dans le titre chinois de l'œuvre : 阿Q正傳). La dernière difficulté est l'ignorance de son lieu d'origine. La seule certitude porte sur le « Ah » de Ah Q. Il s'agit d'un préfixe courant dans la Chine du Sud, placé avant le prénom[2],[3].

Les chapitres deux (« Aperçu sur quelques victoires de Ah Q ») et trois (« Encore des victoires ») narrent une série d'épisodes illustrant « le système de revanche psychologique » de Ah Q. Plus la défaite dans la réalité est grande, plus la « revanche psychologique » est importante. Ainsi, un jour qu'il a « la malchance de gagner » au jeu, une dispute éclate, Ah Q est assommé et volé. « Cette fois, il ressentait quelque chose comme l'amertume de la défaite. Mais par un brusque revirement, il la transforma en victoire ; levant la main, il se gifla par deux fois de toutes ses forces. [...] et bientôt il fut persuadé qu'il avait battu un autre [...]. Content de sa victoire, il s'allongea et s'endormit. »

Les chapitres suivant (IV « La tragédie d'amour », V « Le problème du bol de riz », VI « Grandeur et décadence ») relatent les heurs et malheurs divers de Ah Q jusqu'au chapitre VII : « La révolution ». Il s'agit de la Révolution de 1911, qui met fin à la dynastie des Qing. Des rumeurs font état de l'arrivée prochaine des révolutionnaires au village. Ah Q parcourent les rues en criant « Rébellion ! Rébellion ! », provoquant l'effroi des habitants de Weizhuang. Satisfait de son effet, il part se coucher. Le lendemain, il apprend que l'Honorable Zhao et le faux diable étranger Qian[4], autre notable, ont rallié le parti révolutionnaire. Sans lui. Ah Q va donc demander au faux diable étranger la permission de devenir révolutionnaire, mais il est chassé sans ménagement. « Monsieur l'Étranger ne lui permettait pas de faire la révolution. » Au cours de la nuit, des pillards s'en prennent à la demeure de l'Honorable Zhao, au grand dépit de Ah Q, que l'on n'a pas invité à prendre sa part de butin. Ainsi se finit le chapitre VIII, « Défense de faire la révolution ».

La nouvelle se clôt sur « Le grand finale » (chapitre IX). Quelques jours après le vol à la demeure des Zhao, « une escouade de soldats, une de miliciens, une de gendarmes et cinq policiers », renforcés d'une mitrailleuse, viennent arrêter de nuit Ah Q. Il est conduit en ville, au tribunal. On lui demande de signer un document. N'y comprenant rien, ne sachant pas écrire, tenant un pinceau pour la première fois de sa vie, Ah Q s'efforce de tracer un beau rond en guise de signature. Par malheur, sa main tremble, le rond n'est pas si rond. Sans le savoir, il vient de signer sa condamnation à mort. Le lendemain, tiré de sa cellule, il est conduit à travers les rues de la ville jusqu'au terrain d'exécution, où il est fusillé. La foule est déçue : les exécution par les armes sont moins spectaculaires que les décapitations du temps de l'Empire. « Et quel condamné ridicule ! On l'avait promené fort longtemps par les rues et il n'avait pas poussé le moindre air d'opéra[5]. C'était bien la peine de s'être dérangé ! »

Analyse et commentaires

La nouvelle la Véritable Histoire de Ah Q parait en feuilleton hebdomadaire dans Nouvelles du matin du 4 décembre 1921 au 12 février 1922. Elle est d'abord destinée à une nouvelle rubrique « Humour », mais passe dans la rubrique « Nouvelle littérature » dès le deuxième chapitre[6].

Que le nom de Ah Q ne soit pas connu n'était pas un fait hors du commun dans la Chine d'alors. En 1926, Lu Xun évoque Ah Chang, la gouvernante qui l'a élevé enfant : « Par chez nous, personne n'avait Chang pour nom de famille ; et puisque qu'elle était noiraude, grassouillette et petite, Chang (qui signifie grand) n'était donc pas un surnom. Et ce n'était pas non plus son prénom. [...] Et je n'ai jamais connu son nom de famille[7]. »

La nouvelle s'inscrit dans le courant progressiste, né au début du XXe siècle, qui cherchait à comprendre les raisons des malheurs de la Chine[8], et qui à l'origine du Mouvement du 4 mai 1919. Dans le préface (le premier chapitre), Lu Xun parle de son langage, qu'il revendique, « celui des colporteurs et des tireurs de pousse-pousse ». Ce langage est le baihua, la langue parlée, que Lu Xun avait le premier utilisé dans une œuvre littéraire moderne (Le Journal d'un Fou, publié en 1918 dans la revue Nouvelle Jeunesse, fondée par Chen Duxiu), à la suite du manifeste de Hu Shi, qui appelait à l'abandon du chinois littéraire, manifeste publié par la même revue en 1917. C'est des partisans de la tradition, favorable au chinois littéraire, dont Lu Xun se moque, cherchant parmi les innombrables sous-genres (biographie officielle, non officielle, grande, petite, familiale...) du genre biographique celui qui correspondrait le mieux à la biographie qu'il veut écrire. Lu Xun s'oppose d'autant plus à la tradition que sa biographie n'est pas celle d'un personnage d'importance, mais celle, littéralement, d'un anonyme. La lettre Q représenterait en outre la tête du Chinois, avec sa natte, symbole de soumission des Hans aux Mandchous[9]. À la fin du premier chapitre, Lu Xun vise nommément Hu Shi, qui, après avoir été l'un des principaux initiateurs du mouvement réformiste, en était devenu l'un des principaux critiques.

La Véritable Histoire de Ah Q est aussi une satire de la révolution ratée (dans l'optique de Lu Xun) de 1911, révolution à laquelle il a assisté, et participé, dans sa ville natale de Shaoxing. De ces événements, il écrit en 1926 : « En apparence, tout avait changé, mais sous la surface, tout continuait comme avant[10]. » Les mêmes notables, les Zhao et les Qian de la nouvelle, et la même administration sont toujours en place. Lu Xun revient aussi sur sa nouvelle pour dénoncer, dans les années 1920, une réalité qui a empiré : « J'ai cru à un moment que j'avais exagéré et je ne le crois plus. Si je me mettais à décrire tels quels des événements qui se produisent aujourd'hui en Chine, ils apparaîtraient grotesques aux gens des autres pays ou à ceux d'une Chine à venir, meilleure[11]. » À un critique lui reprochant la présence, « par trop exagérée », d'une mitrailleuse lors de l'arrestation de Ah Q, Lu Xun répond : « Selon les nouvelles, des étudiants voulurent faire une pétition auprès des autorités, mais celles-ci en avaient été averties et elles envoyèrent des renforts à la Porte de l'Ouest et firent placer deux mitrailleuses à la Porte de l'Est [...]. Mais voilà qu'on place maintenant deux mitrailleuses, une seule ne suffisant pas[12]. »

Dans le personnage singulier de Ah Q s'incarnent les traits collectifs du peuple chinois, au point d'avoir donné naissance à un nom commun, l'« ahqisme », mélange « d'astuce et de bêtise, d'arrogance et de couardise, de suffisance et de servilité, de cynisme et de naïveté, d'obscurantisme et de sagesse, d'abjection et de fierté ». Le choix d'un ouvrier agricole se justifie par la volonté d'incarner un type d'humanité le plus large possible, les vices du personnage étant tout autant, sinon plus, ceux de l'élite que ceux du prolétariat[8]. Sans illusion sur la révolution et ses perspectives, Lu Xun est pris dans la contradiction désespérée entre la nécessité de celle-ci et le doute sur sa possibilité[13]. En ce sens, et dans la mesure où Ah Q a aussi des jumeaux européens (Chvéïk, Don Quichotte), l'interrogation de Lu Xun « sur les apories d'une démocratisation sans peuple » a une portée universelle[14].

La Véritable Histoire de Ah Q a fait l'objet de traductions du vivant de Lu Xun, dès 1926 en anglais, et en français (dans Europe, la revue fondée par Romain Rolland), puis en russe, japonais, esperanto[15]. La traduction en français de 1926 est une traduction partielle et abrégée, faite par un Chinois étudiant de l'Institut franco-chinois de Lyon, Jing Yinyu[16].

Prolongements

Au cinéma, la Véritable Histoire de Ah Q, de Cen Fan, a fait partie de la sélection officielle du Festival de Cannes en 1982[17].

Notes et références

  1. Les citations de La Véritable Histoire de Ah Q sont extraites des Œuvres choisies, vol. I
  2. Œuvres choisies I, p. 107, note 2.
  3. Marquant une certaine familiarité, ce préfixe pourrait se traduire en français par « le petit Untel » ou « le père Untel ».
  4. Les Européens étaient communément appelés « diables étrangers ». Les Chinois imitant les manières occidentales étaient par conséquent de « faux diables étrangers ».
  5. Les condamnés à mort en route vers le lieu de l'exécution avaient coutume de chanter un air d'opéra.
  6. « Comment a été écrite La Véritable Histoire de AhQ », Œuvres choisies II
  7. « Ah Chang et le Livre des monts et des mers », Œuvres choisies I
  8. a et b Simon Leys, « Ah Q vit-il encore ? », Essais sur la Chine, p. 511.
  9. Michelle Loi, Luxun, Histoire d'A Q : véridique biographie, p. 21
  10. « Fan Ainong », Œuvres choisies I
  11. « Comment a été écrite la Veritable Histoire de Ah Q », Œuvres choisies II
  12. « Réflexions impromptues I », Sous le dais fleuri
  13. Simon Leys, « Ah Q vit-il encore ? », Essais sur la Chine, p. 512.
  14. Sébastien Veg, « Fiction et démocratie : nouvelles lectures de Lu Xun et de Lao She », p. 289.
  15. Michelle Loi, Luxun, Histoire d'A Q : véridique biographie, pp. 118-121
  16. Biographie de Jing Jinyu et couverture de la revue Europe de mai 1926, sur le site de la bibliothèque municipale de Lyon.
  17. Fiche sur festival-cannes.com

Voir aussi

Bibliographie

Lu Xun, Le Journal d'un fou, suivi de La Véritable histoire de Ah Q, Stock, collection « Bibliothèque cosmopolite », 1981.

Luxun, La Véritable Histoire d'Ah Q, traduction de Michelle Loi, illustrations de Jean-Michel Charpentier, Elytis, collection « Grafik », 2010.

Luxun, Cris, nouvelles traduites par Joël Bellassen, Feng Hanjin, Jean Jouin et Michelle Loi, Albin Michel, coll. « Les Grandes Traductions », 1995.

Luxun, Sous le dais fleuri [Les luttes idéologiques en Chine durant l'année 1925], traduit par François Jullien, Alfred Eibel Éditeur, 1978.

Lu Xun, Œuvres choisies, Éditions en langues étrangères, Beijing.

Vol. I : Nouvelles, Poèmes en prose, Souvenirs, 1981.

Vol. II : Essais (1918-1927), 1983.

Simon Leys, « Ah Q vit-il encore ? », Le Point, 2 février 1976, repris dans Images brisées, Robert Laffont, 1976 (puis dans les Essais sur la Chine).

Michelle Loi, Luxun, Histoire d'A Q : véridique biographie, Presses universitaires de France, Études littéraires, 1990.

Sébastien Veg, « Fiction et démocratie : nouvelles lectures de Lu Xun et de Lao She » , Études chinoises, vol. XXIV, pp. 286-299, 2005.


Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article La Véritable Histoire de Ah Q de Wikipédia en français (auteurs)

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