- Jobelin
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Le jobelin est un jargon médiéval comportant un double sens homosexuel. Il naît en Picardie à la fin du XIII° siècle.
Les Picards, grands amateurs de jeux de mots et de rébus[1], l’emploient dans les chansons et les poèmes[2]. Mais c’est la Normandie puis la région parisienne qui lui donneront ses lettres de noblesse en l’introduisant dans les farces[3], monologues comiques ou moralités. Le jobelin engendra un nouveau genre littéraire : la Sottie. Cette forme iconoclaste, phallique et délirante domine le théâtre de foire des années 1460-1525[4]. Le jobelin est donc le jargon attitré des Sots et des Fols, qui pouvaient tout se permettre puisqu’ils se prétendaient fous. Pour la plus grande joie du public, les rôles « féminins » (les Sottes et les Folles) étaient tenus par des travestis armés d’une marotte phallique[5].
La poésie en jobelin se distingue du théâtre en ce qu’elle est plus descriptive. Plus travaillée aussi, car elle s’adresse à un public lettré et non au peuple. Les conventions théâtrales des Sotties induisent un nécessaire antagonisme entre les sodomites actifs et leurs victimes passives, sans lequel il n’y aurait pas d’action dramatique. Dans la poésie, l’antagonisme de convention disparaît, et les actes sexuels ne sont pas très éloignés de ceux qui émaillent la poésie gay moderne[6].
Le jobelin s’apparente un peu au brief langaige, un argot dont usaient les prostitués pour tromper la police et les clients. Les Ballades en jargon de François Villon[7] sont écrites en bref langage. Fondé sur la « double entente » chère aux Grands Rhétoriqueurs, le jobelin permettait les pires écarts sous des dehors presque anodins. L’État et l’Église[8] ne s’y trompaient pas, mais ne pouvaient rien prouver, d’où la fragilité des interdictions multiples qui frappèrent les Sotties. Le théâtre des Sots fut tué par les humanistes qui, non contents d’en méconnaître les règles, encombrèrent de mythologie et de messages un divertissement carnavalesque fondé sur le renversement des rôles et du sens.
Le système de double sens est relativement simple. Comme l’a remarqué Pierre Guiraud dans son Dictionnaire érotique[9], les métaphores sexuelles sont tirées d’un nombre limité de registres : depuis toujours et dans tous les pays, les armes et les objets pointus désignent le phallus ; les objets ronds ou creux désignent l’anus ; les liquides désignent le sperme. Pour peu que l’on connaisse le sens propre d’un terme, il est facile d’en deviner le sens figuré. Le jobelin est un parasitage. Cet organisme rudimentaire ne pouvait vivre en autarcie ; il se greffa sur la langue courtoise, pour s’étendre par toutes les failles du vocabulaire, de la syntaxe, de la rhétorique, de la signification. Dès qu’il assimilait un mot, l’entourage sémantique de ce mot était phagocyté, grâce au jeu des détournements d’expressions et de proverbes, des synonymes et des contraires.
La Sottie se joue au premier degré ; mais le peuple, imprégné de symbole dans ses moindres structures mentales, comprenait parfaitement le degré allégorique. D’ailleurs, il en est de même pour les farces érotiques hétérosexuelles, où les actes les plus crus sont simulés par des gestes et des sous-entendus. Les gravures d’époque montrent l’usage obscène que les Sots faisaient de leur marotte. À ce propos, Thomas Sébillet note en 1548 : « Nos Farces sont vrayement ce que les Latins ont appellé Mimes ou Priapées. » Quant au cryptage homosexuel, il semble avoir été encore pratiqué par les mignons d’Henri III, si l’on en croit l’Isle des Hermaphrodites de Thomas Artus (1605) : « Qu’il soit permis à nos subjects d’inventer les termes et les mots nécessaires pour la civile conversation, lesquels seront ordinairement à deux ententes : l’une représentant à la lettre ce qu'ils auront envie de dire, l’autre un sens mystique [= secret] de voluptéz, qui ne sera entendu que de leurs semblables... Ils useront aussi de signes au lieu de paroles, à fin d’estre entendus en leurs pensées plus secrettes par leurs consçavants [par les initiés]. »
Notes et références
- rébus de Picardie montre un Fol avec un pénis sur la tête. Ce
- Charles d’Orléans à Rabelais. (Édition bilingue de Thierry Martin.) GKC, 2007. Cf. la Sotte chanson publiée à la p.86 de : Poésie homosexuelle en jobelin, de
- TRIBOULET : La Farce de Pathelin et autres pièces homosexuelles. (Édition bilingue de Thierry Martin.) QuestionDeGenre, 2011. Le chef-d’œuvre du genre est évidemment Pathelin, qui rime si souvent avec « jobelin ».
- ici. Ida Nelson : La Sottie sans souci, essai d’interprétation homosexuelle. Champion, 1977. Le corpus complet et la localisation des Sotties sont consultables
- Voir les portraits de Fous que publie Thierry Martin dans ses Trois Études sur la sexualité médiévale. GKC, 2001.
- François Villon : Poèmes homosexuels. (Édition bilingue de Thierry Martin.) GKC, 2000 (rééd. 2007).
- Ballades en argot homosexuel. (Édition bilingue de Thierry Martin.) Mille et une nuits, 1998 (rééd. 2001).
- Saint-Gelais, le chapelain Antitus, le chanoine Molinet, l'official Coquillart, etc. Les jobelinistes, virtuoses de la rhétorique, ont tous fait leurs humanités chez les bons Pères : le clerc Villon, le curé Rabelais, l’abbé de
- Payot, 1993. Guiraud est aussi l’auteur de la première traduction homosexuelle des Ballades en jargon de Villon : Le Jargon de Villon ou le gai savoir de la Coquille. Gallimard, 1968.
Catégories :- Homosexualité au théâtre
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