- Cardinal mesurable
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En mathématiques, un cardinal mesurable est un cardinal sur lequel existe une mesure définie pour tout sous-ensemble ; cette propriété fait qu'un tel cardinal est un grand cardinal.
Sommaire
Définitions et propriétés de grand cardinal
Un cardinal mesurable est un cardinal non dénombrable[1] κ tel qu'il existe une mesure μ non-triviale, κ-additive[2], à valeurs dans {0,1}, définie sur tous les sous-ensembles de κ ; μ est donc une application de l'ensemble des parties de κ vers {0,1} telle que :
- Pour toute famille (avec α<κ) de sous-ensembles disjoints de κ, on a ;
- μ(κ) = 1 et .
Cela revient à dire qu'il existe sur κ un ultrafiltre U (formé des sous-ensembles de mesure 1), non trivial et <κ-additif, c'est-à-dire que l'intersection de toute famille de α éléments de U (avec α<κ) est encore dans U, ou encore que la réunion de toute famille de α éléments non dans U n'appartient pas non plus à U. Les cardinaux mesurables furent introduits en 1930 par Stanislaw Ulam[3], qui montra que le plus petit cardinal κ possédant une mesure (complète) dénombrablement additive devait en fait posséder une mesure κ-additive[4].
Si κ est un cardinal mesurable, on démontre[5] qu'il existe sur κ une mesure normale ν, c'est-à-dire une mesure telle que pour toute application f:κ→κ telle que f(α)<α pour presque tous les α<κ, il existe un β<κ tel que f(α)=β pour presque tous les α<κ ("presque tous" étant entendu au sens de la mesure ν). Les constructions d'ultraproduits qui seront exposées dans la prochaine section utilisent des mesures normales.
Sans l'axiome du choix, il est parfaitement possible qu'un cardinal mesurable soit un successeur, et l'axiome de détermination (en) entraîne même que ω1 est un cardinal mesurable. En revanche, l'axiome du choix implique que tout cardinal mesurable est inaccessible.
Démonstration de ce résultatOn voit facilement que si κ admet une mesure κ-additive non triviale, κ doit être régulier : tout sous-ensemble de cardinal < κ doit être de mesure nulle, et par κ-additivité, cela implique que κ ne peut pas être union de moins de κ ensembles de cardinalité inférieure à κ.
Supposons alors que λ < κ ; montrons qu'on ne peut avoir κ ≤ 2λ. Dans le cas contraire, on pourrait identifier κ avec un ensemble de suites de 0 et de 1 de longueur λ. Pour chaque indice d'une telle suite, le sous-ensemble des suites ayant 1 à cette position ou celui ayant 0 à cette position serait de mesure 1. L'intersection de ces λ sous-ensembles de mesure 1 serait ainsi également de mesure 1(par κ-additivité), mais cette intersection contient exactement une suite, ce qui contredirait la non-trivialité de la mesure. Ainsi, admettant l'axiome du choix (sans lequel on n'a pas forcément un ordre total entre cardinaux), on voit que λ < κ implique 2λ<κ, et donc que κ est un cardinal (fortement) limite, ce qui complète la démonstration.
On voit ainsi qu'un axiome de grand cardinal peut n'avoir ce statut que par rapport à un système donné. La section suivante montrera en fait que, toujours en admettant l'axiome du choix (ce que nous ferons désormais sans le préciser), un cardinal mesurable est Mahlo (en), Ramsey (en) , etc.
Cardinaux mesurables, ultraproduits, et théorie des modèles
Les résultats les plus intéressants concernant les cardinaux mesurables furent obtenus (en 1961) par Jerome Keisler et Dana Scott, en utilisant la construction d'ultraproduits indexés par κ (et quotientés par l'ultrafiltre correspondant à une mesure, le plus souvent choisie normale)[6]. Ils montrèrent en particulier que κ est mesurable équivaut à ce que κ est le point critique d'un plongement élémentaire de l'univers V dans une classe transitive M[7], d'où l'on déduit facilement que κ est un grand cardinal, Mahlo, ineffable (en), Ramsey, etc. ; ces démonstrations sont souvent rendues plus faciles en utilisant des mesures normales (dont l'existence, elle, est assez délicate à montrer).
Exemples de ces démonstrations
En utilisant l'existence d'une mesure normale sur κ, montrons que κ 1-inaccessible implique κ 2-inaccessible (et, par récurrence transfinie, que κ est hyper-inaccessible, puis Mahlo, etc.) Posons f(α) = le α-ème cardinal inaccessible (f est bien définie sur κ et strictement croissante, d'après l'hypothèse) et supposons que κ ne soit pas 2-inaccessible. Cela veut dire que l'ensemble des α tels que f(α) = α est borné, donc de mesure nulle. Il en résulte que f(α)<α presque partout, et donc, la mesure étant supposée normale, il existe un β tel que f(α)=β presque partout, ce qui est absurde.Montrer que κ est 1-inaccessible est plus délicat ; cependant, une idée de démonstration pour montrer qu'il existe κ cardinaux fortement limites < κ consiste à remarquer qu'il existerait sinon β tel que pour tout cardinal α > β, on peut poser f(α)=λ, où λ est le plus petit cardinal < α tel que 2λ > α ; on conclut comme précédemment.
On démontre par ailleurs qu'une mesure est normale sur κ si et seulement si tout ensemble de mesure 1 est stationnaire (en) dans κ ; une caractérisation des mesures normales dans le langage des ultraproduits (et de l'analyse non-standard) est que si *f(*κ)<*κ, alors *f est constante (ici, *f est le prolongé de f à l'ultraproduit κκ/U, et *κ désigne la classe d'équivalence de la fonction identité).
Mesures à valeurs réelles
On dit qu'un cardinal κ est mesurable (à valeurs réelles) s'il existe une mesure non-atomique (à valeurs réelles) κ-additive sur l'ensemble des parties de κ. L'hypothèse du continu (à savoir ) implique que n'est pas mesurable à valeurs réelles[8] ; d'autre part, tout cardinal mesurable (à valeurs réelles) est faiblement Mahlo (en). Solovay a montré[9] que (dans ZFC) l'affirmation de l'existence de cardinaux mesurables et celle de l'existence de cardinaux mesurables à valeurs réelles sont des axiomes équicohérents.
Notes
- Sans cette restriction (et en admettant l'axiome du choix), 0 serait mesurable.
- Hrbacek et Jech, Introduction to Set Theory, p. 241 et suivantes (en)) Cette notation peut sembler trompeuse, et il serait peut-être meilleure de la remplacer (comme pour les ultrafiltres) par <κ-additive, mais elle est traditionnelle (voir par exemple
- Zur Masstheorie in der allgemeinen Mengenlehre dans Fundamenta Mathematicae, 0016-2736, pages 140–150 (1930) Stanislaw Ulam,
- S'il y avait une collection de moins de κ sous-ensembles de mesure nulle dont la réunion serait κ, la mesure induite sur cette collection contredirait la minimalité de κ.
- Akihiro Kanamori, The Higher Infinite : Large Cardinals in Set Theory from their Beginnings. Springer-Verlag
- Scott's trick (l'astuce de Scott) Une difficulté technique venant de ce qu'ils construisent souvent des ultraproduits pris sur l'univers entier V (lequel est une classe propre) fut contournée par l'utilisation de ce qui est désormais connu sous le nom de
- théorie des modèles ne sont pour l'instant définis que dans la version anglophone de la Wikipedia ; le lecteur voudra bien nous en excuser... Tous ces termes de
- Banach et Kuratowski, 1929
- Voir l'article de 1971
Références
- (de) Stefan Banach, Über additive Massfunktionen in absrakten Mengen, Fundamenta Mathematicae vol. 15, p. 97–101 (1930)
- Stefan Banach et Kazimierz Kuratowski Sur une généralisation du probleme de la mesure, Fundamenta Mathematicae vol. 14, p. 127–131 (1929)
- (en) Drake, F. R., Set Theory: An Introduction to Large Cardinals (Studies in Logic and the Foundations of Mathematics ; V. 76), Amsterdam, Elsevier Science Ltd, 1974 (ISBN 978-0-7204-2279-5) (LCCN 75305311)
- (en) Akihiro Kanamori, The Higher Infinite : Large Cardinals in Set Theory from Their Beginnings, Berlin, Springer, 2003, 2nd ede éd. (ISBN 978-3-540-00384-7) (LCCN 2003045705)
- (en) Robert M. Solovay Axiomatic set theory (Proc. Sympos. Pure Math., Vol. XIII, Part I, Univ. California, Los Angeles, Calif., 1967)
- (de) Stanislaw Ulam Zur Masstheorie in der allgemeinen Mengenlehre, Fundamenta Mathematicae vol. 16, p. 140–150 (1930)
Voir aussi
- (en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « Measurable cardinal » (voir la liste des auteurs)
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