Éphelcystique

Éphelcystique

Phonème éphelcystique

Un phonème éphelcystique (du grec ἐφελκυστικός, « attiré à la suite ») est, en phonétique, un phonème — la plupart du temps une consonne — ajouté à la fin d'un morphème ou d'un mot (c'est dans ce cas une paragoge) pour des raisons euphoniques, lesquelles sont le plus souvent la résolution de l'hiatus. On parle, plus couramment, de « son de liaison » bien que le terme de liaison appliqué au français renvoie à une notion différente : c'est un phonème éphelcystique dont l'origine est étymologique (c'est un ancien son qui réapparaît entre deux voyelles). Les phonèmes éphelcystiques sont des cas de sandhi.

Sommaire

En français

On considère traditionnellement comme éphelcystique le /t/ aussi dit « euphonique » français : un /t/ non étymologique s’intercale entre une forme verbale qui, censément, finit par une voyelle, et un pronom qui, tout aussi censément, commence par une voyelle (ex: « Y a-t-il ? », « Existe-t-il ? », « Parle-t-elle le français ? », « Où va-t-on ? », etc.). Mais cette analyse est largement contestable : en associant existe et il, on obtiendrait *existe-il (*[ɛgzistil]) qui ne comporte aucun hiatus qu'une consonne intercalaire serait susceptible de résoudre. On ne voit pas non plus quel « gain de fluidité » la syllabe [tə] qui s'intercale dans ce cas est susceptible d'apporter.

Il existe aussi un /z/ prétendument euphonique (écrit s), apparaissant entre un impératif et les pronoms en ou y : donnes-en, [dɔn(ǝ)zɑ̃], vas-y, [vazi]. On se demande à bon droit quel hiatus le premier de ces exemples permet d'éviter : en quoi *donne-en (*[dɔnɑ̃]) serait-il moins « euphonique » que le [dɔnzɑ̃] qui prévaut ?

Il serait peut-être préférable de qualifier ces consonnes d'analogiques : elles ont pu apparaître au moment ou les consonnes finales ont cessé de se prononcer à la pause. Tant que « il fait » se prononçait [ifɛt], il était parfaitement régulier que « fait-il » se prononce [fɛti(l)]. Dès lors qu'on n'a plus prononcé que [ifɛ], le [t] de « fait-il », correspondant désormais à une liaison, a pu être perçu comme un ajout propre à l'inversion verbe-sujet, ajout qu'il était alors facile d'appliquer, par analogie, à l'inversion de « il va ». Il n'est pas interdit de considérer que la consonne ajoutée se soit alors agglutinée au mot outil, donnant lieu à un pronom /ti(l)/ susceptible d'alterner avec le pronom /i(l)/ en fonction du contexte. De la même manière, on peut postuler l'existence des pronoms /zi/ et /zɑ̃/ alternant avec /i/ (y) et /ɑ̃/ (en), ce que masquerait la graphie traditionnelle.

Par opposition, le [l] qui précède parfois le pronom personnel indéfini on en début de phrase ou devant voyelle (ex. : « Ici l'on fume, ici l'on chante, ici l'on dort. », L'Auberge, Paul Verlaine, « L'on prétend que... ») est pleinement étymologique. Il s'est effectivement conservé dans des contextes littéraires, peut-être pour des raisons euphoniques, mais c'est le vestige de l'article défini qui précédait le on substantif (ancien français on, om ou hom, « homme », du nominatif latin homo)[1]. De même, dans « aide-t'en », « va-t'en », « rapproche-t'en », etc., le t correspond au pronom de la deuxième personne, te, élidé devant voyelle.

En grec ancien

En grec ancien, un phonème /n/ éphelcystique vient se placer à la suite de certaines désinences verbales et nominales en fin de phrase ou quand le mot suivant débute par une voyelle (parfois aussi devant une consonne) ; on le nomme « ν nu euphonique » ou « ν nu éphelcystique ». On le rencontre après les désinences ou mots suivants :

  • après le « suffixe » verbal (en fait la voyelle thématique) -ε -e ;
  • après le suffixe -σι -si utilisé pour le datif pluriel ou dans la conjugaison ;
  • à la fin des mots εἴκοσι eíkosi « vingt » et ἐστί estí « (il) est ».

Par exemple :

  • οἱ ἄγγελοι λέγουσι τἀληθῆ = hoi ángeloi légousi talêtễ (« les messagers disent la vérité ») ;
  • λέγουσιν ἄγγελοι τἀληθῆ = légousin ángeloi talêtễ (« des messagers disent la vérité ») ;
  • οἱ ἄγγελοι ἔλεγε τἀληθῆ = hoi ángeloi élege talêtễ (« les messagers disaient la vérité ») ;
  • οἱ ἄγγελοι τἀληθῆ ἔλεγεν = hoi ángeloi talêtễ élegen (« les messagers disaient la vérité »).


Remarque

La notion de « phonème éphelcystique » est une sous-catégorie des phonèmes ajoutés par euphonie ; on peut aussi y compter les sons de liaison en début de mot ; c'est dans ce cas une prothèse, comme en russe, où, suivant l'analyse diachronique, un /n/ non étymologique s'ajoute devant le pronom possessif de troisième personne précédé d'une préposition : к + емук нему « vers eux »[2]

Contrairement aux apparences, le /n/ apparaissant dans l'article anglais (a devant consonne, an devant voyelle) n'est pas un phonème éphelcystique : au contraire, c'est la forme a qui est secondaire, le /n/ étymologique ayant cessé d'être prononcé devant une consonne. An est une forme altérée de one, d'où la présence du /n/.

Notes

  1. Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, Paris, 1998 (1re éd. 1992)
  2. Suivant une analyse synchronique, ce н- provenant des prépositions primaires par fausse-coupe ne s'analyse pas comme une prothèse mais comme la substitution d'un /n'/ mou au /j/ initial: к + /jemu/ → к /n'emu/).

Bibliographie

  • Yves-Charles Morin, La liaison relève-t-elle d'une tendance à éviter les hiatus ? Réflexions sur son évolution historique, Langages, 2005 (158), p. 8-23

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