Phonème éphelcystique

Phonème éphelcystique

Un phonème éphelcystique (du grec ἐφελκυστικός, « attiré à la suite ») est, en phonétique, un phonème — la plupart du temps une consonne — ajouté à la fin d'un morphème ou d'un mot (c'est dans ce cas une paragoge) pour des raisons euphoniques, lesquelles sont le plus souvent la résolution de l'hiatus. On parle, plus couramment, de « son de liaison » bien que le terme de liaison appliqué au français renvoie à une notion différente : c'est un phonème éphelcystique dont l'origine est étymologique (c'est un ancien son qui réapparaît entre deux voyelles). Les phonèmes éphelcystiques sont des cas de sandhi.

Sommaire

En français

On considère traditionnellement comme éphelcystique le /t/ aussi dit « euphonique » français : un /t/ non étymologique s’intercale entre une forme verbale qui, censément, finit par une voyelle, et un pronom qui, tout aussi censément, commence par une voyelle (ex: « Y a-t-il ? », « Existe-t-il ? », « Parle-t-elle le français ? », « Où va-t-on ? », etc.). Mais cette analyse est largement contestable : en associant existe et il, on obtiendrait *existe-il (*[ɛgzistil]) qui ne comporte aucun hiatus qu'une consonne intercalaire serait susceptible de résoudre. On ne voit pas non plus quel « gain de fluidité » la syllabe [tə] qui s'intercale dans ce cas est susceptible d'apporter.[non neutre][réf. nécessaire]

Il existe aussi un /z/ prétendument euphonique (écrit s), apparaissant entre un impératif et les pronoms en ou y : donnes-en, [dɔn(ǝ)zɑ̃], vas-y, [vazi]. On se demande à bon droit quel hiatus le premier de ces exemples permet d'éviter : en quoi *donne-en (*[dɔnɑ̃]) serait-il moins « euphonique » que le [dɔnzɑ̃] qui prévaut ?[non neutre][réf. nécessaire]

Il serait peut-être préférable de qualifier ces consonnes d'analogiques[1] : elles ont pu apparaître au moment où les consonnes finales ont cessé de se prononcer à la pause. Tant que « il fait » se prononçait [ifɛt], il était parfaitement régulier que « fait-il » se prononce [fɛti(l)]. Dès lors qu'on n'a plus prononcé que [ifɛ], le [t] de « fait-il », correspondant désormais à une liaison, a pu être perçu comme un ajout propre à l'inversion verbe-sujet, ajout qu'il était alors facile d'appliquer, par analogie, à l'inversion de « il va ». Il n'est pas interdit de considérer que la consonne ajoutée se soit alors agglutinée au mot outil, donnant lieu à un pronom /ti(l)/ susceptible d'alterner avec le pronom /i(l)/ en fonction du contexte. De la même manière, on peut postuler l'existence des pronoms /zi/ et /zɑ̃/ alternant avec /i/ (y) et /ɑ̃/ (en), ce que masquerait la graphie traditionnelle. La consonne analogique /z/ apparaît elle dans un contexte pluriel. Ainsi, on dira en français familier "ceux qui z ont" en alternance avec "ceux qu'ont". La 1ère solution permet de conserver la différence entre le sujet et le COD, et le "z" euphonique apparaît alors pour éviter le hiatus, ce son étant choisi par analogie avec les autres contextes pluriels. De même, on trouvera des "/Z/ euphoniques à la fin des déterminants numéraux, là où en diachronie ils n'apparaissaient pas. Ce "s" est tellement ressenti comme un pluriel régulier que les enfants apprenant l'espagnol l'introduisent par exemple dans la traduction de "cuatro".

Par opposition, le [l] qui précède parfois le pronom personnel indéfini on en début de phrase ou devant voyelle (ex. : « Ici l'on fume, ici l'on chante, ici l'on dort. », L'Auberge, Paul Verlaine, « L'on prétend que... ») est pleinement étymologique. Il s'est effectivement conservé dans des contextes littéraires, peut-être pour des raisons euphoniques, mais c'est le vestige de l'article défini qui précédait le on substantif (ancien français on, om ou hom, « homme », du nominatif latin homo)[2],[3]. De même, dans « aide-t'en », « va-t'en », « rapproche-t'en », etc., le t correspond au pronom de la deuxième personne, te, élidé devant voyelle.

Pour l'utilsation d'une voyelle éphelcystique, on peut noter la présence d'un é dans l'interrogation soutenue avec le pronom de 1ère personne. Par exemple "Parlé-je bien ? " Cet "é" euphonique est très peu employé, la langue préférant tourner cette phrase avec l'adverbe interrogatif est-ce que. Le moyen français connaissait déjà cet "é" euphonique. Il l'utilisait avec le subjonctif imparfait à valeur conditionnelle, ce qui donnait des phrases du type "dussé-je", dans le sens de "même si je devais". Quant à l'utilisation d'une consonne euphonique en début de mot, le français familier la connaît également avec le pluriel d'oeil, yeux. En effet, ce pluriel est réalisé la plupart du temps avec un son /z/. On dira plus facilement " Il était /z/yeux ouverts ". Ce z euphonique s'explique par la surreprésentation du "s" de liaison devant yeux, et la difficulté de commencer une phrase ou un syntagme par un yod.

En grec ancien

En grec ancien, un phonème /n/ éphelcystique vient se placer à la suite de certaines désinences verbales et nominales en fin de phrase ou quand le mot suivant débute par une voyelle (parfois aussi devant une consonne) ; on le nomme « ν nu euphonique » ou « ν nu éphelcystique ». On le rencontre après les désinences ou mots suivants :

  • après le « suffixe » verbal (en fait la voyelle thématique) -ε -e ;
  • après le suffixe -σι -si utilisé pour le datif pluriel ou dans la conjugaison ;
  • à la fin des mots εἴκοσι eíkosi « vingt » et ἐστί estí « (il) est ».

Par exemple :

  • οἱ ἄγγελοι λέγουσι τἀληθῆ = hoi ángeloi légousi talêtễ (« les messagers disent la vérité ») ;
  • λέγουσιν ἄγγελοι τἀληθῆ = légousin ángeloi talêtễ (« des messagers disent la vérité ») ;
  • ὁ ἄγγελος ἔλεγε τἀληθῆ = hoi ángeloi élege talêtễ (« le messager disait la vérité ») ;
  • ὁ ἄγγελος τἀληθῆ ἔλεγεν = hoi ángeloi talêtễ élegen (« le messager disait la vérité »).

Remarque

La notion de « phonème éphelcystique » est une sous-catégorie des phonèmes ajoutés par euphonie ; on peut aussi y compter les sons de liaison en début de mot ; c'est dans ce cas une prothèse, comme en russe, où, suivant l'analyse diachronique, un /n/ non étymologique s'ajoute devant le pronom possessif de troisième personne précédé d'une préposition : к + емук нему « vers lui »[4]

Contrairement aux apparences, le /n/ apparaissant dans l'article anglais (a devant consonne, an devant voyelle) n'est pas un phonème éphelcystique : au contraire, c'est la forme a qui est secondaire, le /n/ étymologique ayant cessé d'être prononcé devant une consonne. An est une forme altérée de one, d'où la présence du /n/.

Notes et références

  1. C'est le terme qu'emploie Maurice Grevisse dans Le bon usage ; par exemple au §796e : « Lorsque les pronoms il, elle, ou on sont placés après le verbe, un t analogique écrit entre traits d'union s'intercale (...) »
  2. Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, Paris, 1998 (1re éd. 1992)
  3. « De son ancien état de nom, on garde la faculté d'être accompagné de l'article défini dans la langue écrite. » : Maurice Grevisse, Le bon usage, §754f.
  4. Suivant une analyse synchronique, ce н- provenant des prépositions primaires par fausse-coupe ne s'analyse pas comme une prothèse mais comme la substitution d'un /n'/ mou au /j/ initial: к + /jemu/ → к /n'emu/).

Bibliographie

  • Yves-Charles Morin, La liaison relève-t-elle d'une tendance à éviter les hiatus ? Réflexions sur son évolution historique, Langages, 2005 (158), p. 8-23

Articles connexes


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