Éole

Éole
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Éole, marbre ancien

Dans la mythologie grecque, Éole (en grec ancien Αἰόλος / Aiolos) est le maître et le régisseur des vents.

Il règne en fait une certaine confusion entre trois personnages portant ce nom, et que les auteurs antiques confondent parfois. Cet article traite de l'Éole homérique, fils d'Hippotès, qui accueille Ulysse ; Éole (fils d'Hellen et éponyme des Éoliens) et Éole (fils de Poséidon et frère de Béotos) font l'objet d'articles à part.

Du nom d'Éole dérivent l'adjectif « éolien » et le substantif « éolienne ».

Sommaire

Éole dans la mythologie

Éole apparaît pour la première fois au chant X de l’Odyssée, lorsqu'Ulysse accoste chez lui :

« Nous gagnons Éolie, où le fils d'Hippotès, cher aux dieux immortels, Éole, a sa demeure. C'est une île qui flotte : une côte de bronze, infrangible muraille, l'encercle tout entière ; une roche polie en pointe vers le ciel[1],[2]. »

Homère lui prête douze enfants, six fils et six filles, qu'il a mariés entre eux et qui vivent fastueusement dans son palais[3]. Après qu'Ulysse s'est reposé un mois auprès d'Éole, celui-ci lui fait présent pour son départ d'un sac dans lequel « il coud toutes les aires des vents impétueux, car le fils de Cronos l'en a fait régisseur : à son plaisir, il les excite ou les apaise[4],[2] ». Ulysse navigue alors pendant neuf jours à bon rythme avant que son équipage, jaloux, ne délie le sac et que des vents contraires le ramènent en Éolie[5]. Mais cette fois Éole le chasse assez vertement : « Décampe !... tu reviens sous le courroux des dieux[6],[2] ! »

L'ascendance homérique, qui fait d'Hippotès (un mortel par ailleurs inconnu) son père, est ensuite reprise par de nombreux auteurs[7]. Éole est parfois appelé Ἱπποτάδης / Hippotádês pour cette raison[8].

Dans l’Énéide, Junon promet à Éole la main de la nymphe Déiopée s'il lâche ses vents sur la flotte d'Énée[9].

L'Éolie et les îles Lipari

Homère donne le nom d’Éolie, en grec Αἰολίην νῆσον, à l’île où Ulysse et son escadre débarquent. La description qu'en donne le poète, malgré son caractère de fiction, semble retenir certains éléments d'une tradition archaïque ayant trait au royaume de l'archipel des îles Lipari. Car la source homérique concorde avec la tradition historiographique grecque. Thucydide[10] assure en effet que l'île d’Éolie a une réalité géographique et politique : « Les îles dites d’Éole appartiennent aux Lipariens qui sont des colons de Cnide. Ils vivent dans l'une d'elles, qui n'est pas grande, appelée Lipara ; ils partent de là pour cultiver les autres, Didymè, Strongylè et Hiéra. Les gens de la région pensent qu'à Hiéra Héphaistos a ses forges, parce qu'on en voit monter beaucoup de flammes la nuit et de fumée le jour. Ces îles, qui se trouvent en face du pays des Sicules et des Messéniens, étaient alliées à Syracuse. » Les colons grecs venus de Cnide[11] vers 580 av.J.C. sont donc de paisibles agriculteurs circulant en barques dans un archipel aisément identifiable. L'île d'Hiéra est l'actuelle Vulcano ; le nom de Didymè fait manifestement allusion à l'île aux deux hauteurs, appelée Salina de nos jours ; quant à Strongylè, l'île Ronde, les Anciens l'ont toujours identifiée au Stromboli. Lipari est la seule de ces îles à avoir conservé son nom préhellénique. Au pied de son acropole antique, au milieu des tombes grecques, les archéologues[12] ont découvert des poteries rituellement brisées, dont l'une conserve, sans ambiguïté aucune, le nom d’Éole inscrit en caractères grecs archaïques[13]. Ce fragment de poterie, conservé au musée archéologique Éolien de Lipari, atteste qu'un culte était célébré en l'honneur d'un héros ou d'un dieu préhellénique, du nom d’Éole. On peut donc penser qu'un prototype de l'Éole homérique a réellement existé au début du IIe millénaire.

Depuis l'Antiquité, le siège du royaume d'Éole a été localisé sur l'île de Stromboli. Cette île répond d'ailleurs en tous points à la description qu'en donne Homère au début du chant X cités ci-dessus : vue de loin, elle s'élève à 940 mètres au-dessus de la mer et darde vraiment sa pointe vers le ciel ; pour un navigateur, quel que soit l'angle sous lequel il s'en approche, Stromboli est d'une écrasante hauteur ; et si elle apparaît entourée d'une « côte de bronze », c'est qu'avant le crépuscule, la lumière rose du soir lui donne « une étrange couleur bronze doré[14] » ; l'île mérite aussi son qualificatif d'« infranchissable muraille » car elle n'offre aucune crique, aucune anse, aucun promontoire à l'abri desquels un navire pourrait mouiller.

Attributions et fonction d'Éole

Dans le récit qu'Ulysse fait aux Phéaciens, Éole habite dans un palais, au-dessus de la cité. Il reçoit ses hôtes avec bienveillance et leur accorde une hospitalité d'un mois. Au moment du départ d'Ulysse, il lui apporte une aide remarquable :

« Quand je veux reprendre la route et lui demande de l'aide, il ne me refuse rien, au contraire, et prépare mon retour. Il écorche un taureau de neuf ans ; dans la peau il coud toutes les aires des vents impétueux, car le fils de Cronos l'en a fait régisseur : il apaise l'un ou excite l'autre, à sa volonté. Dans le creux du navire, il lie celle-ci d'un fil d'argent brillant, afin que la moindre brise ne puisse en sortir. Puis il me fait souffler un flux de zéphyr, un vent portant pour les navires et les équipages. » (Odyssée, X, 17-26 )

La fonction d'Éole est en effet celle d'un « régisseur », c'est-à-dire « d'un dispensateur, qui distribue, dispose » les vents en force et en direction : c'est exactement le sens du nom grec ταμίας / tamías employé ici par Homère. Car le poète sait qu'il existe un régime des vents, qui soufflent en force et en direction variable selon les lieux et selon les saisons, et qui se lèvent ou tombent à certaines heures de la journée. C'est pourquoi Homère parle de véritables « routes des vents », en grec ἀνέμων κέλευθα, et le domaine de ces routes, c'est Éole qui l'administre. Mais il ne l'administre pas arbitrairement : Éole est soumis lui-même à la juste loi voulue par les dieux, ce que les Grecs appellent θέμις, Thémis, comme il le précise lui-même à Ulysse au vers 73. Ce régime des vents était connu des gens de mer et deux grands savants de l'Antiquité, Aristote[15] et Théophraste[16], l'ont étudié avec précision.

Dans le passage cité ci-dessus, Homère suggère aussi que la volonté d’Éole peut être fléchie par des prières et des sacrifices : le dieu se livre en effet, en grande cérémonie, à un rite sacrificiel et à des opérations visant à ménager des vents portants. Les fouilles archéologiques menées sur le site de l'antique colonie grecque de Lipara ont montré, par le rite des poteries brisées dédiées à ce dieu, que de telles pratiques cultuelles existaient. Or l'archipel des îles Lipari est précisément balayé par de brusques et incessants changements de vent, en force et en direction, et les équipages de l'Âge du Bronze récent devaient chercher à se concilier des vents favorables.

Interprétation de la rencontre d'Ulysse et d'Éole

La description que donne Homère de la civilisation des populations éoliennes n'est peut-être pas le pur produit de la fiction. Éole est présenté comme un dieu vivant dans l'opulence de son palais, et qui, tel un pharaon, a marié ses fils à ses filles. Ce dernier détail doit retenir l'attention : il est un indice fort probable que la rencontre d'Ulysse avec Éole conserve le souvenir de contacts entre les populations archaïques des îles Lipari et les navigateurs grecs, frappés par l'étrangeté de leurs mœurs et de leurs institutions[17]. Or précisément, les fouilles entreprises sur le site d'un village préhistorique du promontoire Milazzese sur l'île de Panarea attestent que du XVIIe au XIVe siècle av. J.C., soit avant la guerre de Troie et près d'un millénaire avant la composition de l’Odyssée, des populations ont vécu sur cette île comme aussi à Filicudi, à Salina et à Lipari. Les archéologues siciliens parlent à leur propos de « culture de Milazzese ». Ces populations entretenaient des contacts suivis avec les navigateurs grecs, comme le prouvent les nombreuses céramiques proto-mycéniennes qui ont été retrouvées. Auparavant encore, ces îles étaient fréquentées par des navigateurs ayant entrepris l'exploitation des carrières d'obsidienne et le commerce de cette pierre, très utilisée par les sculpteurs égyptiens. La présence d'Égyptiens parmi les premiers colons grecs du VIe siècle est elle aussi attestée par la découverte de petites statuettes en faïence appelées ushbeti et placées dans les tombes[18]. Autre détail qui plaide en faveur de cette interprétation : le nom d'Éole en grec, Αἴολος, serait d'origine sémitique d'après Victor Bérard[19], ce qui laisse supposer que les Phéniciens qui composaient l'essentiel de la marine égyptienne, connaissaient déjà ce pays.

Notes

  1. Homère, Odyssée [détail des éditions] [lire en ligne], X, 1-4.
  2. a, b et c Extrait de la traduction de Victor Bérard, 1924 [lire en ligne].
  3. Odyssée, X, 5-9. Voir aussi Quintus de Smyrne, Suite d'Homère [détail des éditions] [lire en ligne], XIV, 467.
  4. Odyssée, X, 19-21.
  5. Odyssée, X, 28-55.
  6. Odyssée, X, 75.
  7. Quintus de Smyrne, XIV, 467 ; Ovide, Métamorphoses [détail des éditions] [lire en ligne], XIV, 223 ; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique [détail des éditions] [lire en ligne], V, 7, 5. En IV, 67, 3, Diodore cite par ailleurs le nom de la mère, Mélanippe.
  8. Odyssée, X, 2 et Ovide, Métamorphoses, XIV, 223.
  9. Virgile, Énéide [détail des éditions] [lire en ligne], I, 74-75.
  10. Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse [détail des éditions] [lire en ligne], III, LXXXVIII.
  11. Penthatlos de Cnide, un descendant supposé d'Héraclès, passe pour le fondateur historique de la colonie grecque de Lipari.
  12. Luigi Bernabo-Brea et Madeleine Cavalier, L'Acropoli di Lipari nelle preistoria, Meligunis-Lipara, Publicazioni del Museo Eoliano di Lipari, Flaccovio Editore, Palermo, 1980, vol.I p. 153-172 et vol. IV.
  13. Cuisenier 2003, p. 236.
  14. Témoignage de Jean Cuisenier au cours de son périple en Méditerranée sur les traces d'Ulysse, en septembre 1999 : Cuisenier 2003, p. 254.
  15. Aristote, Météorologiques [lire en ligne], II, IV.
  16. De Ventis.
  17. Sur cette interprétation, voir Cuisenier 2003, p. 227-252.
  18. Les ushbeti sont de petits personnages sculptés, chargés de répondre, à la place du défunt, dans l'au-delà. On peut en voir au musée archéologique éolien de Lipari.
  19. Victor Bérard, Nausicaa et le retour d'Ulysse, Armand Colin 1929, p. 204.

Bibliographie

  • Alain Ballabriga :
    • Les Fictions d'Homère. L'Invention mythologique et cosmographique dans l'Odyssée, Paris, P.U.F., 1988.
    • « Le Mythe d'Éole et la Météorologie des Lipari », La Météorologie dans l'Antiquité entre science et croyance, actes du colloque international interdisciplinaire, Toulouse, 2-4 mai 2002, textes réunis par Christophe Cusset, publications de l'Université de Saint-Étienne, 2003.
  • Jean Cuisenier, Le Périple d'Ulysse, Fayard, 2003 (ISBN 9-782213-615943) .
  • (en) William M. Murray, Do modern Winds equal ancient winds ?, dans Mediterranean Historical Review, déc. 1987, p. 139-167.

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