Sortie de l'économie

Sortie de l'économie

La sortie de l'économie est un domaine de recherche sinterrogeant sur les alternatives possibles à léconomie marchande.

Sommaire

Contexte

Initialement utilisé par Serge Latouche[1], le terme de sortie de léconomie est repris par la revue Sortir de léconomie[2].

Bien que relativement marginale, la visée de sortie de l'économie est présente dans le mouvement pour la décroissance, au sein duquel les pratiques du "faire soi-même" (DIY) sont très présentes, en marge des débats théoriques habituels dans le mouvement altermondialiste. En France, on en trouve des échos aussi bien dans des revues comme Passerelle Eco ou dans des sites Internet comme onpeutlefaire, et plus généralement dans le renouveau de l'autoconstruction en milieu rural.

Ces idées sont également proches des courants anti-industriels dans la mesure ceux-ci visent une réappropriation des conditions d'existence.

Genèse de la société économique

Léconomie nest pas naturelle

Même si une partie de la théorie économique lui est antérieure, léconomie est définie par la sortie de l'économie comme la généralisation de léchange marchand. Léchange marchand fut essentiellement minoritaire et complémentaire de lautoconsommation. Léconomie sinstalle définitivement et durablement depuis le dix-huitième siècle.

Modalités de linvention de léconomie

Léconomie sépare lactivité du besoin, et met fin à lautonomie. Elle devient un médiateur incontournable entre lactivité de production pour le besoin de personnes inconnues et la consommation du produit des travaux dautrui. Elle finit aussi par déterminer le besoin lui-même.

Modalités du travail dans l'économie

La nature du travail a totalement changé. Elle est désormais déterminée par la possibilité de léchange et ce à quoi il permet daccéder (la consommation: sa nature est la même que celle de léchange et de la consommation, cest une valeur, consacrée dans la théorie classique de la valeur-travail. Cest un travail spécialisé, dont le spécialiste ne contrôle que la tâche qui lui est octroyée.

Linvention de lindustrie

Lindustrie permet la généralisation de lorganisation de la vie par léconomie. Au début cest la valeur qui va utiliser la technologie, pour mieux sauto-accroître. Cependant, rapidement la technologie devient autonome.

Léconomie totalitaire

Léconomie nest pas seulement une conception de la relation sociale, elle est lorganisation totalitaire de la vie collective. La généralisation de léconomie par le travail et la consommation créent une interdépendance sociale totale, soit une dépendance à une entité dont les êtres humains sont le simple prolongement. Cette interdépendance passe par linvention de l’ « inégalité » au travers de la hiérarchie des tâches, des postes, des fonctions, nécessaires au bon fonctionnement du grand Tout.

Propositions de la sortie de léconomie

La sortie de léconomie est à distinguer du développement durable (décroissance de lempreinte écologique dans une économie capitaliste en croissance), de la décroissance des consommations dans léconomie, de la simplicité volontaire, de léconomie alternative enchâssée dans le capitalisme (SEL, AMAP, distributisme), des alternatives économiques au capitalisme comme le distributisme, de lanticapitalisme marxiste, quelle assimile à la social-démocratie.

La sortie de léconomie propose la fin de léchange marchand et un refus de la comptabilité de celui-ci. Au sein dune société économique, elle se présente sous la forme dun retour à une certaine part dautoconsommation et une méfiance envers la division du travail et le machinisme.


Sources d'inspiration

Critique marxienne de la valeur

Les critiques de la valeur sont inspirés par les travaux de Karl Marx sur la genèse de la valeur. Leur interprétation de Marx diffère de celle des marxistes, et on les classe en général parmi les marxiens. Ils voient en la valeur le sujet agissant dans l'effondrement du capitalisme et non la lutte des classes. L'économie est dénoncée comme une "abstraction réelle" soumettant les activités humaines à l'abstraction qu'est la valeur des marchandises. Par l'échange, chaque producteur est isolé de tous les autres et ne peut entrer en contact avec la mégamachine sociale que par l'intermédiaire de la forme-valeur.

Parmi les critiques de la valeur, Anselm Jappe sépare une limite écologique à l'expansion du capital qui lui est extérieure, et une limite interne qu'il appelle la crise de la valeur.

La revue allemande Krisis présente notamment les écrits de Robert Kurz. Celui-ci avance que la crise de la valeur est déjà visible dans le fait que des éléments entiers sont déjà décapitalisés, du fait des difficultés à y créer du profit. Une brochure inspirée de ce courant a été éditée par le groupe brésilien Critica Radical. Cette brochure annonce une rencontre internationale autour de la nouvelle critique de la valeur, en France, pour réunir autour d'une table les groupes européens et brésilien. En juillet 2008, Gérard Briche, un philosophe proche d'Anselm Jappe a participé à un séminaire sur la nouvelle critique de la valeur au Brésil.

Michel Henry est un philosophe de la praxis inspiré par Marx. Il publie en 1976 un Marx en deux tomes. Le second tome intitulé Une philosophie de l'économie développe la critique de l'économie chez Marx, en montrant son surgissement dans la réalité de la praxis. Pour lui, le travail vivant est irréductible à une mesure commune comme la valeur, car la valeur d'usage et le travail sont propres au sujet. Il est donc impossible de construire un échange économique autour de ces éléments subjectifs.

La revue Temps critiques et la collection Temps critiques (L'Harmattan) sont animées par Jacques Guigou et Jacques Wajnsztejn. Pour cette revue, la théorie de la valeur de Marx, à la fois substance (le travail vivant) et unité de mesure (le temps de travail), ne sort pas de la logique de l'économie politique classique. A la différence de Krisis et de Jappe, cette revue n'analyse pas "la crise" comme étant celle du triomphe absolue de la valeur mais comme celle de son évanescence. Leur dernier développement sur la crise financière et sur les fonctions du capital fictif, explicite cette perspective.

La négation de la valeur

La critique marxienne de la valeur suppose admise la théorie de la valeur travail, dans laquelle le travail crée une valeur réelle attachée aux biens produits.

D'autres auteurs rejettent la valeur travail. André Orléan défend une théorie institutionnaliste de la monnaie[3], dans laquelle la valeur et le prix sont une seule et même chose. C'est le prix payé qui détermine la valeur d'un bien, et non le contraire. La valeur est constituée dans l'échange et non dans la production.

François Fourquet[4], à l'opposé de la valeur travail, qu'il présente comme une théorie substantielle de la valeur, défend une théorie nominale de la valeur, dans laquelle la richesse n'est pas déterminée par la production accumulée mais par la circulation des flux monétaires. Chez Orléan, la valeur conserve cependant un aspect substantiel, matérialisé à travers l'échange, alors que chez Fourquet, c'est l'échange seul qui soutient la valeur et non l'objet lui-même.

Bernard Pasobrola[5] rapproche la théorie nominaliste de la valeur de Fourquet des relations aux objets observées par Paul Radin chez les indiens Winnebago[6]. Pour les Winnebago, lobjet na de valeur quà travers leur histoire et leur usage. En dehors du « minimum irréductible », le transfert de biens ny est pas basé sur la réciprocité. Pour Radin, ces sociétés ne pratiquent pas léchange, mais organisent le mouvement des biens. Il se détache en cela des interprétations ethnologiques de Malinowski, Marcel Mauss ou Alain Testart[7].

Dans son texte Le Capital, Zambèze de non sens, Jean-Pierre Voyer écrit aussi « Être équivalent, cest avoir la même valeur, la même étiquette, et donc le même prix. Cest aussi simple que ça. Tout le reste nest que charabia. »

Didier Lacapelle confronte la théorie économique et la pratique comptable réelle. Proche de la théorie nominale de la valeur, il affirme que le produit intérieur brut est en réalité une production vendue, qui retrace le phénomène de l'échange et non la production.

Léchange est pour lui la seule activité se cristallise lillusion de la valeur des choses. Léconomie nest pas seulement artificielle, mais la théorie économique est fausse, puisque les hypothèses sur lesquelles elle est fondée ne sont pas vérifiées dans les faits. La comptabilité traite notamment de stocks qui sont impossibles tant dans la théorie classique que dans la théorie de l'Ecole néo-classique. L'hypothèse d'une valeur qui soit irréductible au prix n'est corroborée par aucun phénomène économique observable. Lacapelle soppose à la notion de capital fictif qui distingue une sphère financière le capital est fictif et une sphère productive le capital réel saccumule. Tout capital serait fictif.

Les théories de la valeurrareté, utilité, valeur-travailsont contradictoires entre elles. La rareté ou lutilité peuvent déterminer en partie le comportement de lindividu et influencer le prix, mais ne le font que de manière partielle et non systématique. La micro-économie ne peut pas rendre compte dune valeur objective attachée à lobjet.

Contrairement aux critiques de la valeur marxiens, il suggère que la société ne peut pas connaître de crise de la valeur car la comptabilité est toujours artificielle. Les innovations comptables permettent toujours de décider arbitrairement dattribuer une valeur à tout ce qui existe. Défenseur de l'idée de sortie de l'économie, il note quil est impossible de sortir de léconomie si on affirme que le travail confère une valeur aux biens. Celle-ci serait alors une qualité intrinsèque quil serait impossible de supprimer.

Ecoféminisme et éthique du care

Le livre Bolo'bolo est inspiré des courants écoféministes, peu connus en France, et en particulier de La perspective de subsistance[8] de Maria Mies et Veronika Bennholdt-Thomsen. La subsistance est l'opposé de la production de marchandise. P.M., l'auteur de Bolo'bolo, propose une sortie de l'économie passant par l'intégration des activités des hommes au sein d'une sphère domestique élargie, afin de construire un socle de subsistance démonétarisé. Comme les activités domestiques sont en majorité portées par les femmes, la perspective d'une sortie de l'économie touche donc au genre (rapports hommes-femmes). L'Carol Gilligan Une voix différente[9], prolonge cette volonté de restaurer sa dignité à la vision des relations humaines particulariste (généralement portée par les femmes), disqualifiée au regard de principes moraux impersonnels et généraux qui caractérisent l'espace politique tel que vu par les hommes. Les activités de care peuvent être vues à la fois comme un nouvel espace disponible à la valorisation par l'économie (services à la personne) et comme une base de repli en dehors de l'économie en vue d'y inclure les hommes et une subsistance matérielle démonétarisée.

Bricole ouvrière

Dans les années 1980, quelques études sociologiques ont relevé l'importance de la "bricole" dans le monde ouvrier, des activités de subsistance réalisées en dehors du travail salarié prennent une dimension collective, excluant l'utilisation de l'argent. C'est le cas de l'article de Michel Pinçon, "Autoproduction, sociabilité et identité dans une petite ville ouvrière" publié en 1986 dans la Revue Française de Sociologie[10] et portant sur les ouvriers de Nouzonville dans les Ardennes, ainsi que la thèse de Florence Weber, Le travail à-côté[11], portant sur Montbard en Bourgogne. On peut parler d'autoproduction, et non simplement d'autoconsommation, dans la mesure il s'agit de pratiques matérielles débordant les limites familiales. Ce qui est produit est donné, et ne fait donc pas l'objet d'une vente. La circulation matérielle au sein du collectif n'est pas réglée par le principe de contreparties équivalentes à chacun des dons, mais par d'autres normes sociales, comme le "code des cadeaux" tel que Florence Weber l'a explicité dans son livre (p.79).

Annexes

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. "Sortir de l'économie", 9 janvier 2003, Politis http://www.politis.fr/article411.html
  2. http://sortirdeleconomie.ouvaton.org/
  3. Lapproche institutionnaliste de la monnaie : une introduction, André Orléan, PSE, version du 3 avril 2007
  4. Richesse et puissance, une généalogie de la valeur, La découverte, 1989
  5. http://decroissance.info/A-propos-de-quelques-approches)
  6. Le monde de lhomme primitif (Payot, 1962)
  7. Critique du don, Études sur la circulation marchande (Syllepse, 2007)
  8. http://decroissance.info/La-perspective-de-subsistance
  9. Carol Gilligan, Une voix différente. Pour une éthique du care, Flammarion, 2008 [trad. 1982]
  10. En libre accès sur Persée
  11. Florence Weber, Le travail à-côté. Étude d'ethnographie ouvrière, 2001 [1ère éd. 1989], Éditions de l'EHESS.

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Sortie de l'économie de Wikipédia en français (auteurs)

Игры ⚽ Поможем решить контрольную работу

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Economie de la Republique tcheque — Économie de la République tchèque République tchèque Indicateurs économiques Monnaie couronne tchèque Année fiscale calendaire Organisations internationales Union européenne, OMC, OCDE Statistiques …   Wikipédia en Français

  • Economie de la République Tchèque — Économie de la République tchèque République tchèque Indicateurs économiques Monnaie couronne tchèque Année fiscale calendaire Organisations internationales Union européenne, OMC, OCDE Statistiques …   Wikipédia en Français

  • Economie de la République tchèque — Économie de la République tchèque République tchèque Indicateurs économiques Monnaie couronne tchèque Année fiscale calendaire Organisations internationales Union européenne, OMC, OCDE Statistiques …   Wikipédia en Français

  • Économie de République tchèque — Économie de la République tchèque République tchèque Indicateurs économiques Monnaie couronne tchèque Année fiscale calendaire Organisations internationales Union européenne, OMC, OCDE Statistiques …   Wikipédia en Français

  • Économie de la Tchéquie — Économie de la République tchèque République tchèque Indicateurs économiques Monnaie couronne tchèque Année fiscale calendaire Organisations internationales Union européenne, OMC, OCDE Statistiques …   Wikipédia en Français

  • Économie de la république tchèque — République tchèque Indicateurs économiques Monnaie couronne tchèque Année fiscale calendaire Organisations internationales Union européenne, OMC, OCDE Statistiques …   Wikipédia en Français

  • Economie des industries culturelles — Économie des industries culturelles Le terme industrie culturelle désigne l ensemble des entreprises produisant selon des méthodes industrielles des biens dont l essentiel de la valeur tient dans leur contenu symbolique : livre, musique,… …   Wikipédia en Français

  • Économie des industries culturelles — Le terme industrie culturelle désigne l ensemble des entreprises produisant selon des méthodes industrielles des biens dont l essentiel de la valeur tient dans leur contenu symbolique : livre, musique, cinéma, télévision, radio, jeux vidéo.… …   Wikipédia en Français

  • Economie de la France — Économie de la France France Indicateurs économiques La Défense, cœur économique et financier Monnaie euro Année fiscale calenda …   Wikipédia en Français

  • Economie de la Republique democratique du Congo — Économie de la République démocratique du Congo République démocratique du Congo Indicateurs économiques Commune de la Gombe, centre d affaire Monnaie Franc congolais (CDF) An …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/1557322 Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”