Sara Banzet

Sara Banzet

Sara Banzet (1745-1774) est l’inventrice de l’école maternelle et un écrivain témoin de son temps, qui a laissé un journal remarquablement écrit.

Sommaire

Enfance et formation

Sara Banzet naît en 1745 au village de Belmont (67130) dans ce qui est alors la seigneurie du Ban de la Roche, dans une famille de paysans. Elle a 22 ans en 1767. Servante de l’épouse du pasteur Jean Georges Stuber à Waldersbach au Ban de la Roche, elle est le témoin des efforts de son maître pour améliorer la condition de ses paroissiens en particulier au plan de l’éducation.

Le Ban de la Roche est situé dans un milieu de montagne impropre à l'agriculture ; Belmont est la commune la plus élevée de l'actuel Bas-Rhin ; à l'époque de Sarah Banzet, la vie y est problématique et la misère permanente.

La seule instruction primaire dispensée est celle d'instituteurs engagés par le pasteur. Sara a toutefois la chance que son enfance corresponde majoritairement aux années de ministère de Jean-Georges Stuber (1750-1754, puis 1760-1767), lui-même un pionnier de l'éducation, qui recrute des instituteurs compétents (dont Jacques Claude, lointain cousin de Sara) et améliore les performances de l'étude de la lecture grâce à son Alphabet méthodique.

Elle a également à disposition la petite bibliothèque de prêt que Stuber a composée pour ses paroissiens ; l'on mentionnera aussi cet "enseignement" informel que constitue le fait de vivre au quotidien, même en tant que servante, au contact d'un pasteur remarquable.

Telles sont les seules "études" qu'a suivies Sara.

L’inventrice de l’école maternelle

Stuber a fait beaucoup pour l’éducation en général, mais c’est Sara elle-même qui, en 1767, prend l’initiative de réunir autour d’elle à Belmont de très jeunes enfants, et de leur donner un enseignement adapté à leur âge : mots nouveaux, observation des plantes, histoires tirées de la Bible. On apprend en tricotant dans la seule salle chauffée de sa maison, appelée le « poele » en langage local. Ceux des enfants qui le peuvent apportent une bûche. Le « poele à tricoter » de Sara Banzet est donc la première école maternelle. Sara en est la véritable inventrice, même si son initiative est ensuite approuvée et soutenue tant par le pasteur Stuber que par le pasteur Jean-Frédéric Oberlin, qui lui succède en cette même année 1767.

Les « poeles à tricoter », qui apportent un enseignement précoce aux enfants tout en permettant à leurs mère de gagner leur vie, deviennent un élément fondamental de l’œuvre pédagogique, sociale et humaine du célèbre pasteur Oberlin. Celui-ci recrute plusieurs « conductrices de la tendre jeunesse », encadrées par ses trois servantes en lesquelles il a toute confiance : Sara Banzet jusqu’à son précoce décès en 1774 ; Louise Scheppler ; Anne-Catherine Gagnière.

Sara Banzet officie bénévolement au début, puis, pour amadouer son père qui se plaint qu'elle perde son temps, Oberlin l'engage officiellement avec une petite rémunération.

Dans la classe de Sara Banzet

Le journal de Sara Banzet permet de suivre jour après jour ce qui se passe dans sa classe. Celle-ci ouvre le 6 avril 1767 avec Frédéric, Rachel, Claude, Nicolas, Jean-Pierre, Jeanne et Micheline. Manquent Nicolette, Jean-Claude et Marcel. Quelques journées :

  • Cours du 6 avril :

« On a passé la matinée à parler de ce que chacun aimait le plus, puis de ce qui nous faisait peur. Les enfants, ce qu'ils aiment : les gâteries, les petites fleurs jaunes m'a dit Frédéric, et les caresses.

On en arrive à parler de la joie de faire le bien, du contentement que l'on éprouve. J'essaie de les amener à dire ce qui me permet de leur conter les paraboles de l'Evangile. Ce qui leur fait peur : de voir des yeux dans la nuit, les mauvais rêves, le bruit qui traverse la nuit et le jardin, et frôle la porte. Les cris. Quand les gens ne s'aiment pas.Jeanne a éveillé un grand silence quand elle a dit tout bas : "J'ai peur des yeux creux". J'ai questionné. Elle a alors parlé des bustes, des portraits en relief du cimetière. »

  • Cours du 9 octobre :

« Les enfants, parce que le ciel est chargé de nuages noirs et bas, se mettent à parler des sorcières de la Perheux. C'est à qui fera le plus peur aux autres. Ils en ont entendu la nuit qui frottaient leur balai aux murs de la maison ; ils en ont aperçu de loin qui couraient, avec des cris aigus, avant de se perdre dans la forêt de Waldersbach, après les tilleuls, à la nuit tombée, et des flammes leur sortaient des cheveux. Ils ne veulent pas se raisonner, et Micheline console Rachel qui commence à charougner ( = geindre), ajoutant que déjà qu'elle a peur du kroks ( = crapaud), alors …

Chacun rit, s'effraie, frissonne et parle encore, le petit Claude vient se blottir tout contre Nicko. Je leur dis que les sorcières qu'ils inventent leur font plus de mal que les autres, qui ont été chassées depuis le siècle dernier par le Comte de Veldenz.

Je leur apprends à écrire prospérité, abondance, liberté, paradis, cresson des prés et message. Rachel soudain lance :

"J'aime bien le mot divin, il est tout bleu."  »

Un drame évité de justesse

25 novembre : Nicko, un des élèves de la classe, a disparu. Sara raconte :

«  Grande émotion par les rues de tout Waldersbach, Belmont et Bellefosse : Nicko a disparu. Il s'est enfui de chez lui. Il n'est pas venu au poêle hier matin, jour de la Sainte Flora, où nous avons travaillé à faire des frises et des notations sur les herbiers. Je le croyais malade ou fatigué. Le soir, son père est venu heurter à la maison, pour demander quand Nicko était parti. J'ai dit que je ne l'avais pas vu de la journée. Alors, il s'est affligé, et a dû boire un coup de schnapps à la fiolatte. Il tremblait. J'ai dit que je savais qu'il avait été battu, et que ce n'était pas bien. Père était là, et je sais qu'il m'approuve. Il dit souvent que les violents sont mauvais, mauvais à eux-mêmes et aux autres.  »

Le père de Nicko a battu son fils en raison de l'amitié de ce dernier avec Claude, qu'il juge excessive. Il « est reparti sous la neige, la tête triste, ne sachant que faire : accablé, il était seul dans le froid de la nuit, avec sa faute ; et personne pour la porter à sa place. »

Sara craint d'avoir parlé trop sévèrement : « Pardon mon Dieu si j'ai été sévère avec cet homme, c'est tout de même un père. »

Pendant plusieurs jours, les recherches sont vraines, et l'angoisse gagne la communauté en cet hiver vosgien. La situation s'aggrave même : Claude disparait à son tour le 1er décembre.

Les enfants sont retrouvés le 6 décembre, jour de la Saint Nicolas, en toute fin de journée :

« Merci à Dieu, merci à Dieu, on les a retrouvés, à la grotte de la forêt. Personne n'avait pensé qu'on devait aller chercher par la-haut. Ils étaient blottis au fond, contre la muraille de la roche, il y faisait moins froid que dehors. Ils avaient avec eux un reste de pain dur, des pommes de terre encore, le cahier de Nicko (là où il recopiait les versets des Psaumes, les poésies et les comptines) et la vieille couverture de calèche de son oncle. Ils étaient tout gelés, serrés l'un contre l'autre, et ils ne bougeaient plus.  »

Le docteur de Fouday est appelé. Les enfants ne sont sauvés qu'avec difficultés. Le médecin menace le père de Nicko de prendre des mesures de police contre lui s'il continue à battre son fils. Oberlin réunit les paroissiens à l'église pour remercier Dieu.

Le 13 décembre, on décide de se rembourser avec intérêts de la Saint Nicolas manquée. C'est fête dans la petite classe de Sara : «Chacun a apporté un quelque chose pour leur faire un goûter digne d'un roi : une linzetorte à la confiture de brimbelles, des crêpes, de la crème, des confitures de mirabelles et de mures. La Rachel et le Jean-Pierre en étaient tous marmousés, et la Micheline était soûle de sucre comme une guêpe. Nicolatte a lancé : "C'est mieux que Noël, on est tous ensemble." Elle a eu la riotte et tous lui ont ri dessus."  »

Le pasteur Oberlin vien faire un sermon dans la classe. La jeune institutrice craint à nouveau de se faire tancer pour sa sévérité à l'égard du père de Nicko, mais il n'en est rien.

Un écrivain témoin de son temps

En cette même année 1767 où elle crée le premier « poele à tricoter », Sara tient, sur un petit cahier d’écolier, un journal où elle relate la vie de cette première école maternelle, ainsi que des événements marquants du village de Belmont cette année-là. Ce journal a été publié récemment (voir sources).

Voici un aperçu du style :

« Ce que j'aime beaucoup, c'est entendre le bruit d'une idée dans mon corps . D'abord, c'est dans mon cœur, quelque chose qui s'arrête, se retient et fait du plein jour. Puis, cela s'étend dans mon corps, et un peu plus au large. Je sens que cela va mettre en mouvement un amas d'actions, considérable, de la joie à faire, à ranger, à mettre dans un ordre plus grand que les jours qui passent. (...)

» Et j'aime entendre en moi, quand je me les rappelle, ces mots du pasteur Oberlin, en visite chez mon maître le pasteur Stouber : "Il faudrait trouver le moyen d'instruire ces enfances si négligées, au Ban de la Roche". (...)

» Alors, j'ai pensé que j'allais les mettre autour de moi, les enfants, dans mon poêle, et leur apprendre ce que je savais : tricoter, et leur lire des histoires. Et les interroger aussi. »

Outre la vie de sa petite école, Sara nous raconte les graves soucis des habitants du village, quand le seigneur fait arpenter les lieux pour réclamer des impôts déjà payés, ou quand il vient faire tirer au sort les jeunes gens du village en vue d’un recrutement militaire.

Elle nous montre aussi les cas de conscience que le pasteur Oberlin eut à trancher, en général dans le sens de la morale moderne : faut-il faire enterrer en terre consacrée un faible d’esprit qui s’est suicidé ? (Oberlin répond positivement.) Quelle attitude tenir vis-à-vis de la fascination des enfants pour les histoires de sorcellerie (Sara leur dit qu’il n’y a plus de sorcières au Ban de la Roche depuis que le seigneur les a éliminées au siècle précédent).

Sara est également témoin de l'une des dernières exécutions capitales au Col de la Perheux, où l’assassin François Staller est mis à mort sur la roue le 14 octobre 1767. Elle raconte la scène avec horreur, déplore que l’autorité ait mené au spectacle toute la population y compris les enfants, et exprime en ces termes son avis sur la peine de mort :

« Je n'aime pas l'ordre royal de justice qui impose tant de cruauté. Je voudrais un monde où les punitions ne seraient pas extrêmes, ne seraient pas définitives comme la mort. Sinon, où le repentir peut-il prendre sa place ? Un jour, le monde changera, ou bien la royauté sera enlevée, il y aura des assemblées comme nos communautés municipales, et les gens parleront, et l'on ne fera pas le mal absolu d'un air tranquille pour se faire croire que c'est le bien. »

Articles connexes

Sources

  • Olympia Alberti, Les enfants reviendront après l'Épiphanie, Le Verger éditeur ; contient le journal tenu en 1767 par Sara Banzet.
  • Johann Georg Stuber présenté par Johann Wilhelm Baum, éditions Oberlin

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Sara Banzet de Wikipédia en français (auteurs)

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