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Sans-culotte
Les sans-culottes[1] sont des personnages emblématiques de la Révolution française, protagonistes par excellence des journées révolutionnaires[2]. Figures des « patriotes vertueux », les sans-culottes sont des révolutionnaires issus de la partie modeste et laborieuse du peuple. Si, par leurs attitudes et leurs revendications, ils tendent à se distinguer du reste du personnel révolutionnaire, les historiens ont témoigné des difficultés à leur donner une identité sociale homogène : bien que le sans-culotte soit issu du milieu de la boutique et des structures modestes de production artisanale, il ne définit pas une classe économique en tant que telle.
S’il est délicat de lui attribuer un ensemble de conceptions politiques cohérentes, les revendications spécifiquement sans-culottes sont généralement liées au problème des subsistances, c’est-à-dire aux pénuries alimentaires et à l’augmentation des produits de consommation. « ...la faim a constitué le ciment de catégories aussi diverses que l’artisan, le boutiquier, l’ouvrier, qu’un intérêt commun coalisait contre le gros marchand, l’entrepreneur, l’accapareur noble ou bourgeois. »[3]
L’épithète sans-culotte, qui était à l’origine synonyme de « canaille », désignant à la fois « la pauvreté », « la bestialité », et « l’inculture »[4], s’est chargé d’une signification radicalement nouvelle et positive au cours de la Révolution.
Sommaire
L’attitude sans-culotte : pratiques et marques distinctives
Une figure d’opposition
Être sans-culotte, c’est avant tout une affirmation fondée sur des distinctions. Le sans-culotte, tout entier constitué par opposition à la figure de l’aristocrate[5], est habillé simplement, revendique le tutoiement, s’interpelle par le vocable « citoyen », refuse l’orgueil et le mépris et agit en politique. S’il déploie, par sa physionomie, son langage, son activisme politique, des caractéristiques issues de l’ordre nouveau, il est aussi un véhicule de pratiques et de sensibilités d’Ancien Régime. Sa revendication du maximum des denrées[6] s’inscrit dans la continuité des révoltes frumentaires qui avaient lieu sous l’ordre monarchique. Fraction du peuple, il parle en son nom en se réclamant de la démocratie directe. Le sans-culotte veut exercer un contrôle permanent sur les parlementaires et leurs décisions. De cette manière, il est également la figure paradigmatique d’un système de légitimité concurrent à celle de l’Assemblée des représentants.
L’enjeu que représente le sans-culotte, c’est l’entrée de la problématique sociale dans une révolution qualifiée de « bourgeoise ». Animé par la « passion égalitariste », le sans-culotte méprise la richesse et n’accepte pas non plus un modèle méritocratique de type girondin. Alors même que la démocratie ne se conçoit, non pas comme pluralité, mais comme unité, le sans-culotte est une figure qui marque l’antagonisme, d’abord socio-économique puis de plus en plus politique à mesure que la Révolution avance. Cependant, le sans-culotte ne constitue pas un groupe socio-économique homogène et ne forme donc pas une classe sociale à part entière.
Le langage du vêtement
Au XVIIIe siècle, ne portaient pas de culottes ceux qui portaient un pantalon, c’est-à-dire ceux qui travaillaient de leurs mains : travailleur manuel, tapissier chez Jean-Baptiste Réveillon ou typographe des Lumières, ouvrier du meuble ou artisan des Gobelins. Le pantalon fut d’abord porté par les candidats du tiers état à la députation. Ces candidats députés en opposition au Roi et aux privilèges de la noblesse vont assurer la rédaction des cahiers de doléances qui seront inventoriés, centralisés et terminés à Paris en avril 1789. Par la suite, les élus du tiers état arboreront des vêtements noirs avec bicornes, des vêtements austères qui trancheront avec les vêtements luxueux des élus des deux autres ordres de la noblesse et du clergé.
Le sans-culotte tire, à partir de l’évènement révolutionnaire, fierté de son métier. Le renversement des valeurs traditionnelles se manifeste clairement par là : les privilégiés que leur naissance dispensait du travail, auxquels leur formation faisait mépriser l’ouvrage manuel, devinrent un objet de dérision constant.
Outre le pantalon, rayé souvent aux trois couleurs, le sans-culotte arbore la blouse et du gilet ou de la veste courte à gros boutons (la carmagnole), et des sabots qui marquent son appartenance au peuple travailleur. Le port du bonnet rouge, à l’origine utilisé pour protéger la chevelure dans certaines professions, et qui renvoie aux révoltes du XVIIe siècle et évoque les esclaves affranchis de la Rome antique, ou bonnet phrygien, s’affirme dès le 10 août, comme « symbole du pouvoir politique des sans-culottes »[7].
La propagande sans-culotte
Les représentations iconographiques, largement diffusées sous formes de gravures ou d’estampes vendues à la criée, idéalisent le corps du sans-culotte, robuste, musclé, équilibré, que tout opposait aux corps monstrueux des privilégiés, évêques obèses passés au « dégraisseur patriotique » ou nobles filiformes et émaciés, roi-cochon ou reine-autruche (« l’Autruchienne » [sic]), ayant perdu toute dignité et tout droit au respect.
Le théâtre révolutionnaire (Sylvain Maréchal, Le Jugement dernier des rois) fit du sans-culotte le symbole de la justice naturelle.
Dans le calendrier républicain, les cinq jours complémentaires furent dénommés sans-culottides jusqu’en 1795.
Apparition et disparition de la sans-culotterie
Le sans-culotte est une nouvelle figure révolutionnaire, qui durera strictement le temps de la révolution. Son entrée en masse en politique coïncide avec l’avènement de la République (août 1792) et l’établissement du cens universel masculin, et met ainsi fin au paradoxe de la Constitution de 1791 qui, bien que conférant la souveraineté au peuple, donnait le pouvoir politique à une élite[8].
À partir de 1791 surtout, lorsque la fuite à Varennes (20-26 juin) puis le massacre du Champ-de-Mars (17 juillet) eurent clairement montré qu’une partie des élites avait rejoint le camp de la réaction en couvrant la trahison du roi et en faisant mitrailler le peuple, les militants des sections parisiennes firent de leur costume un manifeste politique contre le régime de monarchie constitutionnelle censitaire.
Le sans-culotte, en contribuant à la domination de la faction radicale, arrive au devant de la scène politique parisienne d’août 1792 à l’été 1794[9]. La sans-culotterie trouve en effet l’une des sources de son efficacité politique dans la fascination rousseauiste de nombre d’hommes des Lumières pour le travail manuel. Lecteurs de l'Encyclopédie, débiteurs vis-à-vis des sans-culottes qui avaient fait la Révolution à Paris, sauvant ainsi l’Assemblée nationale constituante, les chefs politiques de la Révolution marquèrent leur attachement aux sans-culottes jusqu'à la chute de Robespierre : ainsi on imposa par exemple durant la Terreur, le tutoiement démocratique remplaçant le servile vouvoiement.
Quelques journalistes surent coller à ce peuple combattant et révolutionnaire : Jean-Paul Marat et son Ami du peuple, dans un tout autre registre, Jacques-René Hébert et son Père Duchesne, mais aussi Jacques Roux et son groupe les Enragés. Ils en furent longtemps les porte-paroles, plus que les guides, incontestés. Les sans-culottes se rassemblaient, d’une part, dans les assemblées des sections et, d’autre part, dans les clubs. Les assemblées des sections, organismes de la vie de quartier institués dès 1790, n’accueillaient en principe que les citoyens actifs ; cependant, le rôle primordial joué par nombre d’ouvriers et petits artisans, ainsi que le fait qu’ils étaient restés armés depuis 1789, leur donna voix au chapitre. Les clubs surtout — club des Cordeliers, club de l'Évêché, Société fraternelle des deux sexes, Club helvétique — furent l’instrument dont les sans-culottes se servirent pour influencer la vie politique. Le club de l'Évêché, issu des Cordeliers, joua un rôle important dans la préparation du 10 août, jour de la prise des Tuileries et de la chute du trône. À partir de septembre 1792, le club des Jacobins s’ouvrit aux citoyens les plus pauvres : il devint dès lors le plus important des lieux de réunion pour les sans-culottes.
Ceux-ci manifestaient leurs revendications par des pétitions des sections présentées aux assemblées (Législative, puis Convention) par des délégués ; il y eut ainsi une succession de pétitions réclamant l’arrestation des chefs girondins avant l’insurrection du 31 mai au 2 juin. L’insurrection, la « journée », était le second moyen d’action. La violence armée fut un recours fréquent du 10 août 1792 aux vaines émeutes de germinal et prairial an III. Les émeutiers, appuyés par les canons de la garde nationale à laquelle ils appartenaient, venaient montrer leur force menaçante pour obtenir gain de cause. De leur détermination et de la capacité de résistance du pouvoir politique dépendait évidemment le succès de la tentative : réel le 10 août ou le 2 juin, il fut nul durant la période de la Convention thermidorienne.
Avec la mise en place, en 1792 et 1793, des comités de surveillance, les sans-culottes eurent un troisième moyen de pression sur la politique : la police et les tribunaux reçurent par milliers les dénonciations des traîtres et conspirateurs supposés. Pour l’efficacité de la Terreur, la surveillance révolutionnaire exercée par les sans-culottes était indispensable. Celle-ci abolie par la Convention thermidorienne, vint le moment où les sans-culottes, privés du club des Jacobins, désarmés, fichés et suivis par une police remarquablement infiltrée, durent abandonner leur pouvoir de pression. La République ne serait plus ni sauvée ni dirigée par leur colère, mais par les militaires.
En 1794 avec la chute de Robespierre, les sans-culottes perdent leurs pouvoirs et leur rôle politique et culturel.
Le sans-culotte, entre discours et réalité ?
« La sociologie du sans-culotte est intentionnellement imprécise : élastique, elle permet l’identification des plus grands nombres.... »[10]. On peut penser qu’il s’agit d’un processus de légitimation réciproque entre les Jacobins et le peuple. Le sans-culotte, est peut-être une forme intermédiaire permettant le dialogue entre nouveaux citoyens et députés. « L’appellatif sans-culotte est avant tout une catégorie de l’esprit public révolutionnaire [...] »[11] et correspond à l’idéal théorique du citoyen tel qu’il est élaboré par le discours politique pour rallier le peuple. Ce modèle de citoyen est en quelque sorte inventé par les Jacobins et la Montagne et leur donne un allié pour lutter contre les contre-révolutionnaires et se départir des autres factions de l’Assemblée. Mais c’est un modèle qui se fixe dans le réel parce qu’il donne à chacun la possibilité d’accéder à un statut social valorisé. Fruit d’un discours sur le peuple en constante évolution, le sans-culotte, conçu comme idéal ou comme réalité sociologique, symbolise le renversement complet d’un système de valorisation sociale.
Le sans-culotte idéal décrit par le Père Duchesne, été 1793
« Qu'est-ce qu'un sans-culotte ?
C'est un être qui va toujours à pied, qui n'a pas de millions comme vous voudriez tous en avoir, point de châteaux, point de valets pour le servir, et qui loge tout simplement avec sa femme et ses enfants, s'il en a, au quatrième ou au cinquième étage. Il est utile, il sait labourer un champ, forger, scier, limer, couvrir un toit, faire des souliers et verser jusqu'à la dernière goutte de son sang pour le salut de la République.
Comme il travaille, on est sûr de ne rencontrer sa figure ni au café ni dans les tripots où l'on conspire, ni au théâtre. Le soir, il se présente à sa section, non pas poudré, musqué, botté, dans l'espoir d'être remarqué de toutes les citoyennes des tribunes, mais pour appuyer de toute sa force les bonnes motions. Au reste, un sans-culotte a toujours son sabre pour fendre les oreilles à tous les malveillants. Quelquefois, il marche avec sa pique, mais au premier bruit de tambour, on le voit partir pour la Vendée, pour l'armée des Alpes ou pour l'armée du Nord. »Sobriquets
Les élus sans-culottes répudient et retirent de leur nom les références à la noblesse ; certains se donnent des noms référant à la république romaine comme « Brutus » ou « Gracchus ». Les « Leroy » se renomment « Laloi ».
Pétition des sans-culottes portée à la Convention
« Mandataire du peuple, depuis peu vous promettez de faire cesser les calamités du peuples ; mais qu'avez vous fait pour cela ? Avez-vous prononcé une peine contre les accapareurs et les monopoleurs[12] ? Non. Eh bien, nous vous déclarons que vous n'avez pas tout fait. Vous habitez la Montagne, resterez-vous immobiles sur le sommet de ce rocher immortel ?
Il ne faut pas craindre d'encourir la haine des riches, c'est-à-dire des méchants ; il faut tout sacrifier au bonheur du peuple. »- Pétition des sans culottes portée à la Convention, 25 juin 1793
Notes et références
- ↑ Selon Louis-Sébastien Mercier, le terme apparaît avant la Révolution pour désigner le poète Nicolas Gilbert. Louis-Sébastien Mércier, Le Nouveau Paris, t. 3, p. 205, d’après le Trésor de la Langue Française informatisé.
- ↑ Voir : Journée du 10 août 1792
- ↑ Albert Soboul, Les Sans-culottes parisiens en l’an II, Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire (1793-1794), Seuil, Paris, [1958] 1968, p. 58.
- ↑ Voir Albert Soboul et alii, « Sans-culotte », Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, 1989.
- ↑ Voir Albert Soboul, Les Sans-culottes parisiens en l’an II, Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire (1793-1794), Seuil, Paris, [1958] 1968, p. 73.
- ↑ Voir : Loi du maximum général
- ↑ Albert Soboul, Les sans-culottes parisiens en l’an II, Mouvement populaire et gouvernement révolutionnaire (1793-1794), Seuil, Paris, [1958] 1968, p. 210.
- ↑ William Sewell, « Activity, Passivity and the Revolutionary Concept of Citizenship », dans Keith M. Baker et alii (éd.), The French Revolution and the Creation of Modern Political Culture (vol.2), Oxford, 1987-1994, p. 121.
- ↑ Voir la chronologie proposée par Haim Burstin dans L’Invention du sans-culotte, regard sur le Paris révolutionnaire, Odile Jacob, Paris, 2005, p. 77.
- ↑ Haim Burstin, L’Invention du sans-culotte, regard sur le Paris révolutionnaire, Odile Jacob, Paris, 2005, p. 91.
- ↑ Ibidem, p. 58.
- ↑ Ceux qui stockent du pain pour faire monter les prix.
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