Raison (Hegel)

Raison (Hegel)


La notion de Raison (Vernunft) dans la Phénoménologie de l'esprit prend chez Hegel un sens particulier : la Raison désigne l'état de la conscience qui sait être toute réalité. Il lui faudra encore passer par les stades de l'observation, des choses et d'elle-même, avant d'arriver au stade de l'esprit.

Sommaire

Présentation

Lhomme de la raison nie la transcendance et cesse de se désintéresser du monde : cette négation permet la réconciliation de la conscience avec elle-même, et ouvre la voie de la liberté véritable, i.e. de laction dans le monde. Mais ce moment comporte lui-même plusieurs étapes.

Introduction générale : La notion de raison

Lattitude raisonnable

La conscience de soi a réconcilié le singulier et limmuable, elle accède à la raison. Elle a oublié ce parcours et assure être toute réalité mais ne le comprend pas elle-même. Sa pensée devient le monde, elle se mue en idéalisme.

Critique de lidéalisme

Nous voyons la conscience comme le va-et-vient sans repos (qui a lêtre-autre devant les yeux et le sursume dans lacte de le saisir) aussi bien que comme unité en repos certaine de sa vérité. Son premier acte vide et abstrait dénoncer que tout est sien est lidéalisme vide. La raison a besoin dune impulsion étrangère pour lemplissage du mien vide sauf à revenir au scepticisme. Aussi inconséquente nest pas la raison. Avec cette différence intériorisée entre elle et lautre, commence lacte de comprendre.

A : La raison observante, le savant

Cette conscience sengage à nouveau dans lopiner et le percevoir, mais avec la certitude dêtre lautre. Avant, elle percevait et expérimentait, maintenant elle dispose les observations et lexpérience même. Elle semploie à trouver comme concept ce qui avant était une chose. (Elle est raison, mais la raison ne lui est pas encore objet sinon elle descendrait plutôt dans sa propre profondeur que dans les choses).

a) Observation de la nature

Décrire

Ayant déjà déterminé lobjet comme un universel dans la perception, la conscience en décrivant ne fait que le soustraire superficiellement à la singularité sans le transformer. De plus cet acte superficiel est sans fin : lun est-il décrit quil faut en chercher toujours un autre.

Classifier

Passant par la réserve inépuisable des descriptions elle trouve ses limites, lobservation découvre que ce en quoi les choses se trouvent connues est plus important que toute lampleur des propriétés sensibles Elle classifie. Mais distinguer lessentiel de linessentiel, cest proclamer quon a affaire autant à soi-même quaux choses.

Les lois

Lobservateur, quand il dit que les pierres tombent, nexige pas de faire lexpérience pour toutes les pierres. La loi est donc immédiatement présente en lui. Dans la confusion précédente, la raison na pas réussi à abolir le subsister indifférent de leffectivité sensible. Elle tente de le faire par la recherche de lois. Pour elle, la loi est vraie comme lest lexpérience de lêtre sensible. Le concept se présente à elle comme une chose, confusion entre ce qui doit être et ce qui est. Elle sattache à distinguer lêtre du devoir-être, à purifier la loi en entreprenant isolant ses conditions, libère les prédicats de leurs sujets. Mais la loi reste énoncée comme une espèce particulière dobjet, un sensible insensible.

Observation de lorganique

Un tel objet est organique. La chose inorganique ne se conçoit quavec autre chose, lorganique au contraire se maintient dans le rapport à lautre et contient lintégralité de ses moments. Pourtant la loi népuise pas lorganique car elle ne montre pas sa propre nécessité. La raison ne sen satisfait donc pas, et lui cherche un rapport téléologique, une fin, qui pour être extérieur à lobjet est le contraire dune loi organique.

Le concept de fin

Deux concepts indifférents, loi et fin, sont ainsi présents, et la raison y cherche une nécessité cachée. Mais cette unité qui échappe à lobservation ne peut être saisie que comme intérieur et extérieur. Ce qui engendre la loi que « lextérieur est lexpression de lintérieur ». Lorganique est au fondement des deux, rendant lopposition formelle.

Intérieur et extérieur

Lorganique sexprime ainsi tantôt comme moments de la loi, tantôt comme figure, effectivité mesurable. Dans la figure, lorganique parait mort, ses parties analysées ont cessé dêtre des processus vivants. Lorganique peut être observé sous ses deux aspects, mais pas sous leur rapport, qui nentre pas dans léconomie de lobservation. La conscience observante ne voit que corrélation entre phénomènes extérieurs. De cette façon la loi en général est perdue. Lintérieur et lextérieur devraient constituer les côtés de la loi mais perdent à être tenus lun en dehors de lautre leur signification organique. Nous avons un syllogisme dans lequel lun des deux extrêmes est la vie universelle et lautre la même chose singulière ou comme individu. Il suit de que si la raison observante en vient à lintuition delle-même comme vie universelle, elle se laisse tomber immédiatement dans lextrême de la singularité, lindividu.

b) Lobservation de la conscience de soi dans son rapport à leffectivité extérieure ; lois logiques et psychologiques

Lobservation retourne donc dans elle-même. Elle y trouve les lois du penser.

"L'observation trouve en premier lieu les lois de la pensée"

La Raison observante, s'observant elle-même, trouve "les lois de la pensée" (lois de la logique, comme les principes d'identité, de contradiction, du tiers-exclu etc.) et les interprète comme étant une vérité simplement "formelle", qui ne concernerait pas la réalité. En fait, il n'en est rien, c'est justement au niveau de la forme qu'elles sont imparfaites ; "le contenu ne leur fait pas défaut" dit Hegel. En effet, formellement, la logique ne s'exprime pas, pour Hegel, par des lois trouvées, et maintenues les unes à l'extérieure des autres. Les contenus logiques sont en vérité des moments d'un même mouvement, comme il montrera dans la Science de la logique. Ils font système et découlent les uns des autres. Ils sont donc dans une unité profonde, qui est la même que l'unité de la conscience de soi qui, en tant que raison observante, découvre en elle-même ces "lois".

Débouché illusoire de la psychologie

Souvre le champ de leffectivité opérante de la conscience, la psychologie. Lesprit sy comporte comme un être autre trouvé déjà , dans une conscience individuelle particulière. La psychologie observante est confrontée à la contradiction suivante : trouver des lois de lesprit, alors que chaque individu est différent des autres. Elle se perd dans cette multiplicité et naboutit à aucune véritable loi.

c) Observation du rapport de la conscience de soi à son effectivité immédiate ; physiognomonie et phrénologie

La psychologie échoue à trouver des lois. Elle est renvoyée à lindividu, maintenant advenu à lobservation. Lindividu est agir libre entre en scène lopposition de la conscience et du phénomène. Son corps est son ne-pas-avoir agi, mais en même temps il est son expression.

Physiognomonie

Les moments ici présents sont, dun côté la figure humaine et ses particularisations individuelles, de lautre lexpression qui relève de lagir, expression de lintérieur, dont la forme est lactivité. La figure extérieure reçoit passivement lintérieur et en est comme un signe. Les deux côtés sont étrangers lun à lautre. Si la figure ne peut être prise comme expression de lintérieur, alors il faut quun aspect de lagir se trouve pris comme moyen terme. Lindividu a alors son phénomène en sa voix, en son écriture manuscrite. Mais cette extérioration nest pas vraiment à lagir, mais est lagir retenu demeurant en lindividu. Lindividu réfléchi sy trouve observé à partir dune effectivité distincte de lacte lui-même. Mais cette expression est absolument contingente, arbitraire comme un signe, qui peut-être autant un visage quun masque.

Œuvre

Lindividualité abandonne cet être réfléchi et met son essence dans son œuvre. Mais lobserver assume comme extérieur inessentiel lacte lui-même et lœuvre et choisit lintention comme intérieur vrai. Ce que lobserver a pour objet est donc saisi par lopinion dans la mesure cela échappe à lobservation. Science sans fin et sans fond. La raison se tourne alors vers lextrême de leffectivité sensible observable, la phrénologie.

Phrénologie

Mais dans la phrénologie, les conclusions sont-elles mêmes inobservables. Les observations contrediraient-elles la conclusion que néanmoins la prédisposition est présente. La pensée vraie que « lêtre (effectif) nest pas la vérité de lesprit » est ici dévoyée. La loi phrénologique ne peut donc être réfutée et la raison consciente delle-même rejettera la phrénologie, mais parait avoir atteint les limites de lobservation en donnant à lêtre mort la signification de lesprit. Hegel démontre l'absurdité de cette théorie pour laquelle "l'esprit est un os".

Résultat du A

Ce quest la chose est conscience de soi, elle est donc unité du je et de lêtre, la catégorie. Il faut que la catégorie parcoure ces deux formes. Ce faisant le résultat sest adjoint à la catégorie quelle est cette opposition se sursumant. Mais ce résultat ne sait pas se saisir autrement que de déclarer ingénument effectivité de la conscience de soi dans la phrénologie. Plus le concept est pur, plus niaise est la représentation dans laquelle il tombe si son contenu nest pas comme concept, mais comme représentation.

B : Leffectuation de la conscience de soi rationnelle par soi-même

La conscience de soi rationnelle est certitude dêtre toute réalité, mais cette certitude nest plus immédiate. Son objectivité ne vaut plus que comme surface, dont lintérieur est la raison elle-même. Lobjet sensible auquel elle se rapporte ne lui est plus étranger.

Lindividu est lessence spirituelle simple dans laquelle les formes antérieures ne sont que des moments de son devenir et nont d'effectivité que portées par lui. Léthicité (Sittlichkeit) nest rien dautre que lunité spirituelle de lessence des individus, substance éthique, articulation éthique entre lindividu et le peuple. Cest dans la vie dun peuple que la raison consciente delle-même a sa réalité achevée, qui consiste à réaliser lunité complète avec lautre. Mais à notre stade, la raison se diffracte en une multitude dindividus.

Age dor

Les hommes de lantiquité ont dit que la sagesse et la vertu consistent dans le fait de vivre conformément aux coutumes de son peuple. Mais la conscience de soi na pas encore atteint, ou est sortie, de ce bonheur. Il faut que la raison sorte de ce bonheur, car cest immédiatement que la vie dun peuple libre est léthicité réelle. En effet, léthicité du peuple ne se connaît pas pour soi.

Notre temps

Pour nous, la vérité de cette conscience de soi rationnelle est la substance éthique. Pour elle, elle vit le commencement de son expérience éthique du monde. Ainsi les moments singuliers de son mouvement vaudront isolément sous la forme dun vouloir immédiat individuel, dune pulsion dont la satisfaction sera le contenu dune nouvelle pulsion. Ces moments sont les faits de notre temps. La conscience de soi entame ce chemin en se donnant comme fin de jouir de soi dans leffectuation.

a) Le plaisir et la nécessité

La conscience de soi individuelle nie lautre et sattache à sintuitionner et à saccomplir comme essence autostante autre. Est entré en elle (cf A) « lesprit de la terre » pour qui ne vaut que leffectivité singulière. Le désir maintient les individus dans une séparation qui nest pas en soi pour la conscience de soi. Elle parvient donc à la jouissance, à lintuition de lunité des deux consciences de sois autostantes, expérimentent en cela la vérité de luniversel. Le plaisir fait son entrée dans la conscience, mais il ne consiste en rien dautre quen ce cercle dabstractions de lunité pure, de la différence pure, et de leur rapport. La conscience de soi na ainsi expérimenté quun saut pur dans lautre, sans unité spirituelle. La conscience est devenu à soi plutôt une énigme puissante broyant lindividualité. Figure de la perte dans la nécessité, nouvelle pour cette conscience.

b) La loi du cœur, et la folie de la présomption

Dans cette figure nouvelle, la conscience de soi est la loi du cœur, opposée à leffectivité autre, ordre violent du monde. Lindividualité névolue alors plus dans la légèreté, elle cherche à sursumer cette nécessité dans lexcellence et la production du bien-être de lhumanité. Son plaisir est ce qui est conforme à la loi, sans médiation de la discipline. Mais en saccomplissant, la loi du cœur devient ce qui devait être sursumé, puissance universelle : les autres individus ny voient pas la loi de leur cœur et se tournent contre elle. Lindividu les trouve donc opposés à ses intentions excellentes et les exècre. La conscience atteint à laliénation, dédoublée comme loi du cœur et ordre universel. Disloquée au plus intime, elle devient folle et énonce lordre universel comme fait de prêtres fanatiques, de despotes débauchés. Mais cet universel est la loi de tous les cœurs, même sils sen plaignent, leur essence commune. Ce qui paraît ordre public est donc hostilité universelle chacun rafle pour soi ce quil peut. Il est le cours du monde. Ces deux côtés, dune part lindividualité inquiète et leffectivité de lordre et dautre part luniversel, ont leur résolution dans la sursomption de lindividualité. Elle doit devenir pour soi dans la loi, sacrifier la singularité de sa conscience. Cette nouvelle figure est la vertu.

c) La vertu et le cours du monde

Dans le cours du monde, lindividualité veut se faire essence et en cela se soumettre le bien et le vrai en soi. A la vertu, la loi est lessentiel, et lindividualité ce qui est à sursumer. La vertu produit son essence vraie, essence quelle élève en vision. Lexistence du bien est du coup le cesser de lagir, car la vertu ne peut renverser à nouveau le cours du monde (cf b). La vertu ne ressemble pas seulement à ce lutteur qui dans le combat ne se préoccupe que de maintenir son épée étincelante, mais il lui faut encore maintenir inviolées celles de lennemi, qui peut donc supporter toute perte. La vertu se trouve donc vaincue par le cours du monde. Pourtant, celui-ci ne triomphe pas de quelque chose de réel, mais de lacte de créer des différences qui nen sont pas, de ces discours pompeux sur le plus grand bien de lhumanité. Du coup a disparu ce qui comme cours du monde se tenait face à la conscience, car lui-même est immédiatement cette présence et effectivité du procès de lindividualité.

C. Lindividualité qui à soi est réelle en et pour soi-même

La conscience de soi est maintenant la catégorie pure devenue consciente de soi-même, ses figures précédentes gisent dans loubli.

a) Le règne animal spirituel et la tromperie ou la chose même

La nature nest pas simple « contenu », mais réalité compénétrée par lindividualité. Mais lagir nest rien dautre que la négativité.

Syllogisme de lagir

Lindividualité sappelle alors capacité, talent, caractère particulier. Leffectivité opposée à la conscience sest auparavant abaissée à lapparence vide. Il faut opérer : cest le devenir de lesprit. Pour cette raison il a à passer immédiatement à lactivité, avec les circonstances et ses talents.

La chose même

Lœuvre est alors la réalité que se donne la conscience. Mais elle outrepasse toute œuvre déterminée : elle est lespace sans déterminité non empli par son œuvre, qui est la réalité, disparaissante plutôt quaccomplie, de lindividu. Surgit donc pour la conscience, dans son œuvre, lopposition de lagir et de lêtre. Lagir de lindividu est à nouveau contingent. Le moyen terme, la chose même, est essentiellement lunité du vouloir et de laccomplir, de lagir et de lêtre. Elle exprime lessence spirituelle dans laquelle la certitude de soi-même est objective. Namène-t-elle pas une fin à effectivité, elle laura pourtant voulue. Que son œuvre disparaisse : cela est encore son agir, elle a provoqué les autres à cela, elle en est la cause. Honnête en ce quelle ne rassemble pas ses pensées, cette individualité ne lest pas totalement, car il lui faut avoir la conscience immédiate des oppositions précédentes. Les autres prennent son agir pour un intérêt porté à la chose alors quelle, ce sont ses faits et gestes qui lintéressent. Ils sont mystifiés, mais leur empressement à aider nétait lui-même que le fait quils voulaient montrer leur agir. Finalement leffectuation est plutôt une façon dexposer ce qui est sien dans lélément universel, par quoi elle devient substance éthique.

b) La raison législatrice

Hegel sen prend à une raison censée « donner des lois » (Chez Kant par exemple).

Lindividualité ne pâtit plus de lopposition de la certitude et de la vérité car son être est leffectivité et lagir en tant que substance éthique absolue. Absolue car la conscience de soi ne peut ni ne veut outrepasser cet objet car sien. La substance éthique se partage en des masses qui sont les lois déterminées de lessence absolue, immédiatement reconnues comme cela est juste et bon. Exemples : « Chacun doit prononcer la vérité » … s'il la sait. Cette conscience éthique opinait alors quelle prononçait autre chose. Il nest rien dit dautre que le fait que le vrai et le faux doivent se trouver prononcés pêle-mêle. La saine raison ne sait pas énoncer immédiatement la vérité. « Aime ton prochain comme toi-même » : Il faut distinguer le mal en lui pour lécarter, ce qui veut dire quil me faut laimer avec entendement. Cet acte dopérer pour le bien être des autres ne peut donc exister que de façon contingente. De telles lois nen restent quau devoir-être, elles ne sont pas des lois mais des commandements. Il faut renoncer à un contenu absolu universel. Au commandement, il ne peut revenir que luniversalité formelle, la non contradiction. La raison législatrice est abaissée à une raison seulement probatoire.

c) La raison légisprobatoire

Toute particularisation dans la substance éthique est donc contingente. Cet acte probatoire ne va pas loin, luniversel formel assume dans soi aussi bien ce contenu que son opposé. Le savoir pratique ne peut donc avoir lieu. Lessence spirituelle est effective quand ces modes sont sursumés. Tout autant loi éternelle que volonté de tous ; elle est le je universel de la catégorie. Ses différences internes sont des masses de son articulation, les différentes lois ou fois. Elles sont, et rien dautre. Les questionner formellement naboutit quà leur indécidabilité. La tournure desprit éthique consiste justement dans ceci : persister fermement dans son point de vue du juste, sans contradiction formelle.

Conclusion du chapitre "raison"

Selon la remarque dAlexandre Kojève, le livre peut être divisé en deux parties : dans les chapitres ci-dessus, lhomme est étudié de manière a-historique et en dehors de la société. Ensuite, une deuxième partie analyse létat réel de lhomme qui est toujours un être social. Ce qui sera donc maintenant étudié, cest la dialectique des réalisations politiques de lhomme (i.e. lhomme en tant quil réunit tout ce qui précède : sensation, perception, entendement, désir, lutte, travail).

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