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Quatre sergents de La Rochelle
Les Quatre Sergents de La Rochelle sont des jeunes soldats français accusés sous la Restauration d'avoir voulu renverser la monarchie et guillotinés en 1822.
Sommaire
Les comploteurs de la liberté
Dès 1821, sous la Restauration, le 45e régiment d’infanterie en garnison à Paris inquiète les autorités militaires et civiles à cause de son mauvais esprit. En particulier, les soldats refusent de crier « Vive le Roi ». Aussi, afin de couper le régiment des mauvaises influences politiques (la caserne se situe en plein Quartier Latin de Paris où les étudiants entretiennent la contestation), il est transféré à La Rochelle en janvier 1822.
Comme nombre de militaires hostiles à la Restauration monarchique imposée par l’ennemi vainqueur, quatre jeunes sergents (Bories, Pommier, Raoulx et Goubin, âgés respectivement de 26, 25, 24 et 20 ans) ont fondé dans leur unité une division de la Charbonnerie, société secrète importée d’Italie et visant à renverser la monarchie restaurée. À La Rochelle comme dans la capitale, les conspirateurs entendent bien poursuivre leur action clandestine. Mais quelque peu imprudents par leurs propos, les quatre compagnons sont dénoncés.
Pour l’exemple
Ils sont traduits en justice avec une vingtaine de complices, mais comme ils en ont fait solennellement serment lors de leur adhésion les principaux accusés refusent de dénoncer leurs chefs, malgré pressions et promesses de grâce. Ils paient donc pour ces derniers, au premier rang desquels figure le célèbre marquis de La Fayette (1757-1834). Faute de mieux, l’avocat général se contente d’évoquer par de transparentes allusions ces hauts responsables de la Charbonnerie qui, dans l’ombre, tirent les ficelles d’une insurrection dont ils espèrent bien profiter sans prendre de risques :
« Où sont-ils ces seigneurs qui, dans l’insolence de leur turbulente aristocratie, disent à leurs serviteurs : – Allez tenter pour nous les hasards d’une insurrection dont nous sommes les actionnaires ! Nous paraîtrons au signal de vos succès… Si vous succombez dans une agression tumultueuse, nous vous érigerons, à grand bruit, des tombeaux ! »
Après un procès jugé d’avance, les quatre sous-officiers sont condamnés à mort et guillotinés publiquement en place de Grève le 21 septembre 1822. Accusés sans preuve et n’ayant participé à aucune rébellion, ils sont considérés par l’opinion publique comme des martyrs de la liberté. La jeunesse romantique exalta le sacrifice des jeunes héros et l’opposition (républicaine, bonapartiste et orléaniste) exploita cette affaire contre le gouvernement de la Restauration.
Les martyrs de la liberté
« Vive la liberté ! » crièrent chacun des quatre condamnés en grimpant sur l’échafaud. « Rappelez-vous que c’est le sang de vos fils qu’on fait couler aujourd’hui ! » ajouta l’aîné : Jean-François Boriès.
Avec les moyens de l’époque, ces dernières paroles furent bientôt répercutées par tout le pays. Des complaintes et des images entretiendront durablement le souvenir idéalisé des jeunes sacrifiés, dont le destin tragique et glorieux a fait des héros populaires : des saints républicains en quelque sorte. On conservera pieusement les traces (quelques gravures témoignant de leur idéal) de leur emprisonnement : à la Tour de la Rochelle (qui finira par porter leur nom), à Sainte-Pélagie, puis à Bicêtre. « Aux Quatre Sergents de la Rochelle » : en se rebaptisant ainsi, des cabarets afficheront leur opinion. Des mains anonymes fleuriront longtemps l’emplacement du cimetière du Montparnasse où leurs dépouilles furent transférées en 1830, puis solennellement honorées en 1848. Un monument y perpétue leur souvenir (8e division), en bordure de la voie qui porte le nom d'« Allée des Sergents de La Rochelle ».
Le 20 août 1863, les journaux parisiens signalent la mort d’une femme de 72 ans, surnommée la vieille au bouquet car elle porte toujours quelques fleurs épinglées à son foulard. De la défunte, on sait seulement qu’elle se prénomme Françoise. Pourquoi lui accorder un article ? On dit qu’elle fut la bonne amie d’un des quatre sergents de La Rochelle. Avant de grimper sur l’échafaud, un des condamnés (Boriès selon les uns, Raoulx selon les autres) aurait réussi à lui envoyer un bouquet que, toute sa vie, l’inconsolable fiancée renouvela. Chaque jour précise-t-on encore, elle ne manquait d’aller se recueillir sur la tombe du cimetière Montparnasse, voisin de son domicile.
Histoire authentique ? Les journalistes, qui se copient l’un l’autre, ne se donnent pas la peine d’enquêter. Quoi qu’il en soit, l’anecdote témoigne d’un fait : la pérennité du souvenir de ceux qui, dans la mémoire populaire, demeurent les héroïques martyrs de la liberté, les quatre sergents de la Rochelle.
Un demi-siècle après la décapitation des quatre jeunes hommes, des vengeurs profiteront des troubles de la Commune pour exécuter le mouchard qui avait dénoncé ses camarades pour sauver sa propre tête : un certain Goupillon, ancien sergent, qui va alors sur ses quatre-vingts ans.
Enfin, en mai 1968, des étudiants honoreront la tombe de ceux qui, cent quarante six ans plus tôt, furent guillotinés pour haute trahison.
Pour en savoir plus
- Pierre-Arnaud Lambert : La Charbonnerie française, 1821-1823 (Presses Universitaires de Lyon, 1995)
- Bernard Morasin : Ils étaient 4 sergents de La Rochelle (éditions Bordessoules, 1998)
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