Preuve ontologique

Preuve ontologique

Argument ontologique

L'argument ontologique visant à prouver l'existence de Dieu cherche à montrer que Dieu existe nécessairement, en vertu de la définition de ce qu'est Dieu. Formulé de nombreuses fois au cours de l'histoire, c'est cependant à Descartes qu'on le rapporte le plus souvent, dans les Méditations Métaphysiques.

Il avait auparavant été avancé au VIe siècle par Boèce, et au XIe siècle par Anselme de Cantorbéry. Après Descartes, des variantes de cette preuve seront notamment proposées par Spinoza (Éthique), Leibniz et Allan Kardec.

En religion, la somme théologique est l'une des démonstrations les plus complètes de l'argument ontologique. Toutefois, la révélation est le partenaire privilégié de la raison dans l'univers religieux. Par exemple, le chêne de Mambré constitue une révélation de Dieu en tant que Trinité. Il serait impossible de démontrer l'existence de trois hypostases par la seule raison.

Sommaire

Fonctionnement de l'argument

Bien qu'il existe des différences selon les auteurs, la structure de l'argument ontologique reste globalement invariante.

  1. Dieu est un être parfait.
  2. L'existence est une perfection.
  3. Dieu a pour propriété l'existence.

Exposé chez Anselme

Anselme, Proslogion, chapitres II et suivants.

L'argument d'Anselme peut être résumé de la façon suivante :

  1. Dieu est ce qui est tel que rien de plus grand ne peut être conçu ;
  2. or même l'« insensé » qui nie l'existence de Dieu a dans son intelligence une représentation de Dieu ;
  3. donc Dieu existe au moins en un endroit, et comme il est tel que rien de plus grand ne peut être conçu, il existe aussi hors de l'intelligence de l'insensé.

Exposé chez Descartes

« [...] je ne puis concevoir Dieu sans existence, il s'ensuit que l'existence est inséparable de lui, et partant qu'il existe véritablement: non pas que ma pensée puisse faire que cela soit de la sorte, et qu'elle impose aux choses aucune nécessité ; mais, au contraire, parce que la nécessité de la chose même, à savoir de l'existence de Dieu, détermine ma pensée à le concevoir de cette façon. »

On voit quil est impossible à Descartes de penser Dieu autrement que comme existant; sil le pensait autrement, il ne sagirait plus de Dieu, car celui-ci à la propriété dexister de toute éternité. En découle que Dieu existe nécessairement. Ainsi, ceux qui affirment que Dieu nexiste pas ne parlent pas du même Dieu, mais seulement dune parodie dêtre suprême dont il est ensuite possible de nier lexistence. Sils connaissaient le véritable Dieu, qui est parfait par nature, ils ne pourraient lui enlever lexistence. Descartes affirme aussi quil y a dans son esprit cette idée dun Dieu infini. Or, puisque son entendement est fini, il ne peut être lauteur de cette idée. Cest aussi une preuve ontologique, car elle revient à dire que si Dieu existe comme concept, il doit exister en réalité, car un tel concept ne pourrait autrement être pensé puisquil dépasse notre entendement.

Exposé par Spinoza

C'est dans la proposition 11 de la première partie de l'Éthique que Spinoza prouve l'existence de Dieu. L'énoncé de cette proposition est : « Dieu, autrement dit une substance consistant en une infinité d'attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie, existe nécessairement. »

Spinoza en donne trois démonstrations différentes.

Première démonstration

La première démonstration est une démonstration par l'absurde.

  1. Essayons de concevoir que Dieu n'existe pas.
  2. Cela signifie que son essence n'enveloppe pas son existence, conformément à l'axiome 7 : « Tout ce qui peut se concevoir comme non existant, son essence n'enveloppe pas l'existence. »
  3. Or cela est absurde, en vertu de la proposition 7 : « À la nature d'une substance appartient d'exister. »

(Pour compléter, il faudrait montrer ici comment Spinoza démontre la proposition 7.)

Deuxième démonstration

  1. Ce qui n'a nulle raison ou cause qui empêche son existence existe nécessairement ;
  2. or aucune raison ou cause n'empêche Dieu d'exister ;
  3. donc Dieu existe nécessairement.

Troisième démonstration

  1. Pouvoir ne pas exister est une impuissance, pouvoir exister une puissance ;
  2. or nous existons, et sommes des êtres finis ;
  3. donc si Dieu (être infini) n'existait pas, des êtres finis seraient plus puissants que l'être infini, ce qui est absurde. Donc Dieu existe.


Critique de l'argument

Confusion des ordres

L'argument ontologique confond deux ordres : celui de la pensée et celui de l'être, c'est-à-dire l'objet conceptuel et l'objet physique. Il y a une différence entre l'ordre de la conception des choses et celui de leur existence. Connaître Dieu comme parfait ne permet pas de conclure à son existence réelle, d'autant qu'on pourrait aussi bien affirmer que la perfection est l'expression de qualités infinies, donc inaccessibles. La perfection, même en pensées, n'existerait pas. L'argument ontologique utilise la définition de l'essence pour prouver l'existence, alors que l'existence ne peut être prouvée qu'à partir de l'observation de l'essence, non de sa définition.

Réfutation par Kant

Voir aussi la réfutation de l'argument ontologique dans la Critique de la raison pure.

Comme nous lavons vu, cette preuve ne date pas dhier et ne peut être balayée du revers de la main. Kant lui opposera non pas une seule, mais tout une série de réfutations. Il débute en retraçant jusquà la genèse cette preuve ontologique, sinterrogeant sur la manière dont notre esprit en est venu à lidée dun être absolument nécessaire. Kant remarque en effet que jamais personne ne sest posé cette question, prenant cela pour acquis :

« [...] ce concept qui avait été risqué à tout hasard et qui est finalement devenu tout à fait courant, on a cru lexpliquer, de surcroît, en recourant à une foule dexemples, en sorte que toute interrogations ultérieure sur sa compréhensibilité parut totalement inutile. » (p.530)

Kant enchaîne avec un exemple tiré de la géométrie. Lorsque lon travaille sur un triangle, on débute toujours par se donner un triangle, et on peut ensuite calculer ses angles, ses côtés, etc. Si je prends un triangle donné, je ne peux pas affirmer quil na pas dangles, puisque par le fait même de me donner un triangle, jai établi quil avait trois angles. Bref, si je prends comme postulat que ce triangle existe, je ne peux pas ensuite le détruire ou lui retirer une de ses propriétés constituantes. Si, toutefois, je veux « supprimer le triangle en même temps que ses trois angles, ce nest pas une contradiction. » (p. 531) Hélas, les humains étant paresseux, on devient las de dire « Pour un triangle donné, la somme des angles... » ou bien « Pour un triangle donné, la somme des deux côtés les plus courts... » et on en vient à simaginer que ce triangle existe comme idée en soi. On simagine alors que le fait de donner des propriétés à un triangle est une synthèse, que cela engendre des nouveaux concepts, alors quen réalité nous ne faisons que constater, de manière analytique, des réalités que nous avons posées par le simple fait dévoquer ce triangle.

Il en va de même pour largument ontologique. Si jaffirme que « Dieu est omnipotent », cest un jugement synthétique. Jai en effet pris le concept Dieu et lai combiné avec le concept de toute-puissance. Mais dire que « Dieu existe » est une proposition analytique puisque je peux tirer le concept dexistence par la simple analyse du terme Dieu. En dautres termes, « Dieu existe » est une tautologie. Si je prends Dieu comme postulat de départ, il me sera ensuite impossible de lui enlever une de ses propriétés constituantes. Je ne peux poser un concept de Dieu, comme je le faisais avec le « triangle donné » et ensuite dire de Dieu quil na pas sa propriété dexistence ou de perfection, pas plus que je pouvais dire du triangle quil navait pas dangles. Mais si je supprime lidée de Dieu, je supprime en même temps toutes ses propriétés! Son existence, sa perfection, sa toute-puissance disparaissent par le fait même.

Descartes a donc raison quand il affirme quil ne peut concevoir Dieu sans existence, si lon prend lexistence comme un attribut « ajouté » de Dieu. Si jattribue lexistence à un objet, il est en effet absurde daussitôt dire que cet objet nexiste pas. Mais si lon admet que lexistence de Dieu découle du concept même de Dieu, par lanalyse, alors il est possible de nier Dieu et de supprimer en même temps toutes ses propriétés, dont lexistence. Cest que Descartes se trompe : il confond lexistence logique dun concept avec son existence concrète. On ne peut attribuer lexistence à quoi que ce soit. Si cela était possible, nous dit Kant, alors il faudrait synthétiser un nouveau concept à partir de la chose de départ et de lidée dexistence, et ensuite ajouter lexistence à ce nouveau concept, ce qui aurait pour effet den créer un nouveau, et ainsi de suite, ad infinitum. Dès que je pense une chose, il importe donc que je suppose quelle existe, du moins dans mon esprit. Mais ce nest aucunement une garantie que cette chose existe réellement. Ce que Descartes a pris pour une preuve de lexistence de Dieu nest alors que le résultat dune erreur sur lontologie et une ignorance des mécanismes de synthèse et danalyse employés par notre raison.

Réfutation contemporaine

Cet argument est de nos jours peu populaire sous sa forme originelle (des penseurs modernes tels que Alvin Plantinga et Kurt Gödel en ont développé une version remaniée). Un argument semblable développé par Descartes dans la troisième de ses Méditations métaphysiques est celui dit de la « Signature du Créateur » ou « Trace de Dieu ». Dans sa dimension ontologique, cet argument affirme que Dieu a laissé sa marque en nous pour que nous puissions revenir à lui. Lartifice de cette thèse est un paralogisme naturaliste soigneusement dissimulé combiné à un préjugé ethnocentriste.

En effet, si jaffirme que lhomme, par nature, possède en lui cette idée de Dieu, nest-ce pas seulement le constat que 95% des humains croient en une certaine forme de divinité? Mais cette divinité, on ne peut savoir avec notre esprit qui elle est et ce quelle attend de nous, à supposer quelle veuille interagir avec sa création. Affirmer maintenant que cette « idée de Dieu présente en chacun de nous » correspond à Jésus, Yahvé ou Allah revient à dire que tous devraient penser comme nous puisque Dieu (tel que nous le concevons) est une idée innée, ce qui est farfelu et ethnocentriste.

Bibliographie

Voir aussi

Notes et références

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