Phénoménologie de la vie

Phénoménologie de la vie

La phénoménologie de la vie est une partie de la phénoménologie qui explore le concept de la vie.

Sommaire

Définition phénoménologique de la vie

Le philosophe Michel Henry définit la vie d'un point de vue phénoménologique comme ce qui possède la faculté et le pouvoir « de se sentir et de s'éprouver soi-même en tout point de son être »[1]. Pour lui, la vie est essentiellement force subjective et affectivité[2], elle consiste en une pure expérience subjective de soi qui oscille en permanence entre la souffrance et la joie[3]. Une « force subjective » n’est pas une force impersonnelle, aveugle et insensible comme le sont les forces objectives que l’on rencontre dans la nature, mais une force vivante et sensible éprouvée de l’intérieur et résultant d’un désir subjectif et d’un effort subjectif de la volonté pour le satisfaire[4],[5]. À partir de cette approche phénoménologique de la vie, Michel Henry établit une opposition radicale entre la chair vivante douée de sensibilité et le corps matériel, qui est par principe insensible, dans son livre Incarnation, une philosophie de la chair[6].

Le mot « phénoménologique » se réfère à la phénoménologie, qui est la science du phénomène et une méthode philosophique qui se réduit à l'étude des phénomènes tels qu'ils apparaissent[7]. Ce que Michel Henry appelle la « vie phénoménologique absolue » est la vie subjective des individus réduite à sa pure manifestation intérieure, telle que nous la vivons et que nous la sentons en permanence[8],[9]. C'est la vie telle qu'elle se révèle elle-même et apparaît intérieurement, son auto-révélation : la vie est à la fois ce qui révèle et ce qui est révélé[10].

Propriétés de la vie phénoménologique

Cette vie phénoménologique est par essence invisible parce qu'elle n'apparaît jamais dans l'extériorité d'un voir, elle se révèle en elle-même sans écart ni distance. Le fait de voir suppose en effet l'existence d'une distance et d'une séparation entre ce qui est vu et celui qui le voit, entre l'objet qui est perçu et le sujet qui le perçoit[11]. Un sentiment par exemple ne se voit jamais de l'extérieur, il n'apparaît jamais dans « l'horizon de visibilité » du monde, il se sent et s'éprouve de l'intérieur dans l'immanence radicale de la vie. L'amour ne se voit pas, pas plus que la haine, les sentiments se ressentent dans le secret de notre cœur, là où nul regard ne peut pénétrer[12].

Cette vie est composée de la sensibilité et de l'affectivité, elle est l'unité intérieure de leur manifestation, l'affectivité étant cependant l'essence de la sensibilité comme le montre Michel Henry dans son livre sur L’essence de la manifestation, ce qui signifie que toute sensation est affective par nature[13]. La vie phénoménologique est selon Michel Henry le fondement de toutes nos expériences subjectives (comme l'expérience subjective d'une tristesse, de la vision d'une couleur ou le plaisir de boire de l'eau fraîche en été) et de chacun de nos pouvoirs subjectifs (le pouvoir subjectif de bouger notre main ou nos yeux par exemple)[14].

Vie phénoménologique et vie biologique

Cette définition phénoménologique de la vie se fonde donc sur l’expérience subjective concrète que nous faisons de la vie dans notre propre existence, elle correspond par conséquent à la vie humaine. A propos des autres formes de vie qu’étudie la biologie et auxquelles Heidegger emprunte sa propre conception philosophique de la vie[9], Michel Henry écrit dans son livre C’est moi la Vérité. Pour une philosophie de christianisme : « N’est-il pas paradoxal pour qui veut savoir ce qu’est la vie d’aller le demander aux infusoires, dans le meilleurs des cas aux abeilles ? Comme si nous n’avions avec la vie que ce rapport tout à fait extérieur et fragile avec des êtres dont nous ne savons rien – ou si peu de chose ! Comme si nous n’étions nous-mêmes des vivants ! »[15]

Cette définition laisse cependant de côté des organismes vivants qui ne peuvent s’éprouver eux-mêmes, comme les végétaux par exemple. À moins que l’on puisse mettre en évidence en eux l’existence d’une certaine forme de sensibilité, comme semble l’indiquer le Professeur A. Tronchet dans son livre intitulé La sensibilité des plantes : « Le protoplasme des cellules végétales comme celui des cellules animales est doué d’irritabilité, c’est-à-dire d’une forme particulière de sensibilité, grâce à laquelle il est capable d’être affecté par des excitations d’origine externe ou interne. »[16]

La Vérité de la Vie

Le philosophe Michel Henry explique dans son livre C’est Moi la Vérité. Pour une philosophie du christianisme ce que le christianisme considère comme étant la Vérité et qu’il appelle la Vérité de la Vie[17]. Il montre que cette conception chrétienne de la Vérité s’oppose à ce que les hommes considèrent habituellement comme la vérité, qui est issu de la pensée grecque et qu’il appelle la vérité du monde[18]. Mais qu’est-ce que la vérité ? La vérité, c’est ce qui se montre et qui prouve ainsi sa réalité par sa manifestation effective en nous ou dans le monde[19].

La vérité du monde désigne une vérité extérieure et objective, une vérité dans laquelle toute chose apparaît sous la forme d’un objet visible devant notre regard et à distance de nous, c’est-à-dire sous la forme d’une représentation qui est distincte de ce qu’elle montre[20] : lorsque nous regardons une pomme, ce n’est pas la pomme en elle-même que nous voyons mais une simple image de la pomme qui apparaît dans notre sensibilité et qui va changer selon l’éclairage ou notre angle de vue. De même lorsque nous regardons le visage d’une personne, ce n’est pas cette personne en elle-même que nous percevons, mais une simple image de son visage, son apparence visible dans le monde[21]. Selon cette conception de la vérité, la vie n’est qu’un ensemble de propriétés objectives, caractérisé par exemple par le besoin de se nourrir ou par l’aptitude à se reproduire[22].

Dans le christianisme, la Vie est ramenée à sa réalité intérieure qui est absolument subjective et radicalement immanente[23]. La Vie considérée dans sa réalité phénoménologique, c’est tout simplement la faculté et le pouvoir subjectif de sentir des sensations, de petits plaisirs ou de grandes peines, d’éprouver des désirs ou des sentiments, de mouvoir notre corps de l’intérieur en exerçant un effort subjectif, ou même de penser[24],[14]. Toutes ses facultés possèdent la caractéristique fondamentale d’apparaître et de se manifester en elles-mêmes, sans écart ni distance, nous ne les percevons pas à l’extérieur de notre être ou devant notre regard, mais seulement en nous : nous coïncidons avec chacun de ces pouvoirs[25]. La Vie est en elle-même un pouvoir de manifestation et de révélation, et ce qu’elle manifeste c’est elle-même, dans son auto-révélation pathétique[26]. Un pouvoir de révélation qui est à l’œuvre en nous en permanence et que nous oublions constamment[27].

La Vérité de la Vie est absolument subjective, c’est-à-dire qu’elle est indépendante de nos croyances et de nos goûts subjectifs : la perception d’une sensation colorée ou d’une douleur par exemple n’est pas une question de préférence personnelle, c’est un fait et une expérience intérieure incontestable qui relève de la subjectivité absolue de la Vie[28]. La Vérité de la Vie ne diffère donc en rien de ce qu’elle rend vrai, elle n’est pas distincte de ce qui se manifeste en elle[29]. Cette Vérité est la manifestation elle-même dans sa pure révélation intérieure : c’est cette Vie que le christianisme appelle Dieu[23].

La Vérité de la Vie n’est pas une vérité relative variable d’un individu à l’autre, mais la Vérité absolue qui fonde de l’intérieur chacune de nos facultés et chacun de nos pouvoirs, et qui éclaire la moindre de nos impressions[30]. Cette Vérité de la Vie n’est pas une vérité abstraite et indifférente, elle est au contraire pour l’homme ce qu’il y a de plus essentiel, puisque c’est elle seule qui peut le conduire au salut en s’identifiant intérieurement à elle et en devenant Fils de Dieu, au lieu de se perdre dans le monde[31].

Notes et références

  1. Michel Henry, La Barbarie, éd. Grasset, 1987, pp. 15, 23 et 80.
  2. Michel Henry, Voir l’invisible, éd. François Bourin, 1988, page de couverture.
  3. Michel Henry, La Barbarie, éd. Grasset, 1987, p. 122.
  4. Michel Henry, Voir l’invisible, éd. François Bourin, 1988, pp. 211-212.
  5. Michel Henry, C'est moi la Vérité, éd. du Seuil, 1996, pp. 138 et 218.
  6. Michel Henry, Incarnation, éd. du Seuil, 2000, pp. 8-9.
  7. Michel Henry, Incarnation, éd. du Seuil, 2000, p. 35.
  8. Michel Henry, La Barbarie, éd. Grasset, 1987, pp. 15-16.
  9. a et b Michel Henry, C'est moi la Vérité, éd. du Seuil, 1996, pp. 46-70.
  10. Michel Henry, C'est moi la Vérité, éd. du Seuil, 1996, pp. 39-40.
  11. Michel Henry, L’Essence de la manifestation, PUF, 1963 (§ 50-51, pp. 549-571).
  12. Michel Henry, L’Essence de la manifestation, PUF, 1963 (§ 62-63, pp. 692-714).
  13. Michel Henry, L’Essence de la manifestation, PUF, 1963 (§ 54, p. 602).
  14. a et b Michel Henry, Incarnation, éd. du Seuil, 2000, pp. 7-8.
  15. Michel Henry, C'est moi la Vérité, éd. du Seuil, 1996, p. 63.
  16. A. Tronchet, La sensibilité des plantes, Masson, 1977, p. 1.
  17. Michel Henry, C'est moi la Vérité, Éditions du Seuil, 1996, pp. 32-45.
  18. Michel Henry, C'est moi la Vérité, Éditions du Seuil, 1996, pp. 21-31.
  19. Michel Henry, C'est moi la Vérité, Éditions du Seuil, 1996, pp. 19-22.
  20. Michel Henry, C'est moi la Vérité, Éditions du Seuil, 1996, pp. 25-31.
  21. Michel Henry, C'est moi la Vérité, Éditions du Seuil, 1996, pp. 29-30.
  22. Michel Henry, C'est moi la Vérité, Éditions du Seuil, 1996, pp. 58-64.
  23. a et b Michel Henry, C'est moi la Vérité, Éditions du Seuil, 1996, p. 40.
  24. Michel Henry, C'est moi la Vérité, Éditions du Seuil, 1996, p. 173.
  25. Michel Henry, C'est moi la Vérité, Éditions du Seuil, 1996, pp. 42-43.
  26. Michel Henry, C'est moi la Vérité, Éditions du Seuil, 1996, pp. 36-37 et 73.
  27. Michel Henry, C'est moi la Vérité, Éditions du Seuil, 1996, pp. 166-167.
  28. Voir par exemple Michel Henry, Paroles du Christ, Éditions du Seuil, 2002, p. 97.
  29. Michel Henry, C'est moi la Vérité, Éditions du Seuil, 1996, p. 36.
  30. Michel Henry, C'est moi la Vérité, Éditions du Seuil, 1996, p. 135.
  31. Michel Henry, C'est moi la Vérité, Éditions du Seuil, 1996, p. 7.

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