Application de la loi dans le temps en droit français

Application de la loi dans le temps en droit français

Une loi nouvelle entrant en vigueur, même si elle a le même objet qu'une loi ancienne, ne se substitue pas purement et simplement à celle-ci. La loi ancienne continue d’avoir certains effets. À défaut de dispositions transitoires qui règlent explicitement le passage entre les deux lois, il faut déterminer concrètement les effets juridiques de la loi nouvelle. Il faut en particulier déterminer dans quelle mesure la loi nouvelle s'applique à des situations nées avant son entrée en vigueur.

C'est toute la question de l'application de la loi dans le temps et celle des conflits de lois dans le temps

Sommaire

Entrée en vigueur des dispositions législatives ou réglementaires

L'article 1er du Code civil (depuis sa modification par l'ordonnance n° 2004-164 du 20 février 2004) dispose que :

« Les lois et, lorsqu'ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu'ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication. Toutefois, l'entrée en vigueur de celles de leurs dispositions dont l'exécution nécessite des mesures d'application est reportée à la date d'entrée en vigueur de ces mesures. »

« En cas d'urgence, entrent en vigueur dès leur publication les lois dont le décret de promulgation le prescrit et les actes administratifs pour lesquels le Gouvernement l'ordonne par une disposition spéciale. »

« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux actes individuels. »

En particulier, une disposition législative n'entre en vigueur qu'à compter de l'entrée en vigueur des décrets d'application lorsque ces derniers sont nécessaires (disposition législative trop imprécise pour être directement applicable). En général, la loi indique les textes d'application nécessaires, mais cela n'est pas toujours déterminant et n'oblige pas le juge[1].

L'entrée en vigueur du texte nouveau est subordonné à sa publication. Tant que la publication n’est pas intervenue, il ne peut être invoqué par quiconque ni lui être opposé, ni faire naître de droits[2].

Application de la loi nouvelle

Application immédiate de la loi nouvelle

La loi nouvelle s'applique sans difficulté aux situations juridiques nées après son entrée en vigueur.

Sauf dispositions rétroactives (voir ci-dessous) parfois autorisées, la loi nouvelle n'a en revanche pas d'effet sur les situations juridiques définitivement constituées avant son entrée en vigueur[3].

Restent à examiner les situations en cours de constitution ou les effets actuels de situations déjà constituées.

Il est d'abord admis que la règle nouvelle de procédure s'applique aux procédures en cours (elle est d'application immédiate) [4].

La loi nouvelle aura également vocation à s'appliquer à des actes qui se prolongent dans le temps et, par ailleurs, rien n’exclut qu’une loi attache des effets futurs à une situation passée. Il faut alors déterminer ce qui est régi par la loi nouvelle et ce qui demeure régi par la loi ancienne. On distingue ici entre les situations contractuelles et les situations non contractuelles.

La question difficile des droits acquis

La doctrine et la jurisprudence ont longtemps raisonné en termes de droits acquis et de simples expectatives, mais ces notions paraissaient vagues et peu adéquates à la question de l'application des lois dans le temps. Le Doyen Paul Roubier (1886-1963) a proposé de distinguer la création des situations juridiques et les effets des situations juridiques. Selon cette distinction, la loi nouvelle s'applique immédiatement aux situations juridiques en cours de constitution et s'applique également aux effets futurs d'une situation juridique née antérieurement à son entrée en vigueur.

La jurisprudence a grosso modo adopté cette distinction (parfois en gardant le vocabulaire des « droits acquis »), notamment depuis un arrêt de principe de la Cour de cassation en 1932 : « Si toute loi nouvelle régit, en principe, les situations établies et les rapports juridiques formés dès avant sa promulgation, il est fait échec à ce principe par la règle de la non-rétroactivité des lois formulée par l'article 2 du Code civil, lorsque l'application d'une loi nouvelle porterait atteinte à des droits acquis sous l'empire de la législation antérieure » [5].

Ainsi, la loi nouvelle est d'application immédiate et régit les situations établies et les rapports juridiques formés dès avant sa promulgation, mais, sauf exception, elle n’est pas rétroactive et ne doit pas porter atteinte à des droits acquis. S'agissant des effets futurs des situations juridiques non contractuelles, la loi nouvelle s'applique immédiatement aux situations juridiques (état de citoyen, de père, d'époux, de propriétaire...) et leurs effets futurs sont déterminés par la loi seule[6]. En revanche, les effets des contrats conclus antérieurement à la loi nouvelle demeurent en principe régis par la loi ancienne (voir ci-dessous).

Lois et contrats

Les effets et les conditions des contrats conclus antérieurement à la loi nouvelle, même s'ils se réalisent postérieurement à son entrée en vigueur, demeurent en principe régis par la loi sous l'empire de laquelle ces contrats ont été passés[7].

Cependant cette survie de la loi ancienne, en matière contractuelle, est cantonnée par la notion d'effets légaux du contrat. La loi nouvelle postérieure à la conclusion du contrat régit les effets spécialement attachés par la loi à un contrat en cours[8]. Il ne s'agit plus de la situation contractuelle (où le contrat est la loi des parties), mais des effets dont l'existence et le contenu sont déterminés par la loi en vigueur au moment où ils se produisent. Le législateur peut ainsi vouloir soumettre les contrats en cours à la nouvelle loi[9], et le juge constate alors l'existence d'une loi d'ordre public et l'applique au contrat[10].

En revanche, une loi nouvelle ne doit pas bouleverser l’équilibre des contrats et conventions légalement conclus avant son intervention[11].

Enfin, d'après le Conseil d'Etat, «  dans le cas où une loi n'a pas expressément prévu, sous réserve, le cas échéant, de mesures transitoires, l'application des normes nouvelles qu'elle édicte à une situation contractuelle en cours à la date de son entrée en vigueur, la loi ne peut être interprétée comme autorisant implicitement une telle application de ses dispositions que si un motif d'intérêt général suffisant, lié à un impératif d'ordre public, le justifie, et que s'il n'est pas dès lors porté une atteinte excessive à la liberté contractuelle. Pour les contrats administratifs, l'existence d'un tel motif d'intérêt général s'apprécie en tenant compte des règles applicables à ces contrats, notamment du principe de mutabilité.  »[12]

Principe de non-rétroactivité

Article détaillé : Rétroactivité en droit français.

En matière pénale :

  • selon un principe de valeur constitutionnelle, la loi ne peut être rétroactive pour les sanctions plus sévères (dans un sens large incluant les sanctions administratives) [13].
  • selon un autre principe général, les sanctions pénales plus douces s’appliquent de façon rétroactive[14].

On parlera dans ce cas ci de rétroactivité in mitius.

Dans les autres matières :

  • Si l’article 2 du Code civil, aux termes duquel « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif » peut être parfois écarté par la loi, cette faculté du législateur n’est pas sans limite.
  • La jurisprudence du Conseil constitutionnel encadre en effet strictement les lois rétroactives (lois de validation et lois interprétatives) [15]. En particulier, une telle loi ne doit pas mettre en cause les décisions juridictionnelles passées en force de chose jugée[16] et doit répondre à un but d'intérêt général suffisant[17].
  • De plus, la Convention européenne des droits de l'homme s'oppose, sauf pour d'impérieux motifs d'intérêt général, à l'ingérence du législateur, par de telles lois rétroactives, dans les procès en cours[18].

Conflits de normes juridiques dans le temps

En principe, la loi nouvelle abroge la loi antérieure contraire. Il y a cependant quelques exceptions à ce principe général.

Lois et traités

L'article 55 de la Constitution affirme la supériorité des traités sur les lois[19]. Il faut entendre qu'en cas de dispositions contraires, le traité l'emporte sur la loi, même postérieure.

Le juge interne écartera donc une loi postérieure à un traité international et contraire à celui-ci, conformément aux jurisprudences de la Cour de cassation (depuis son arrêt Société des cafés Jacques Vabre du 24 mai 1975) et du Conseil d'État (depuis son arrêt Nicolo du 20 octobre 1989), lorsqu'une partie à un procès se prévaudra de la disposition du traité.

Pour plus de précisions, voir Arrêt Nicolo et Droit international privé en France.

Lois spéciales et lois générales

La loi spéciale déroge à la loi générale. Aussi, une loi nouvelle qui modifie le droit commun n’a pas pour effet de remettre en cause les règles spéciales qui dérogeaient à ce droit commun, sauf si elle le prévoit explicitement. Les dispositions spéciales antécédentes restent donc normalement en vigueur[20].

Références, bibliographie et liens

Notes et références

  1. Cf. Guide de légistique, n° 351.
  2. Cf. CE 13 décembre 1957, Barrot et autres
  3. Il est exclu, sauf rétroactivité, que la règle nouvelle s’applique, au sens où elle les remettrait en cause, à des situations déjà constituées sous l'empire des anciennes règles. Une situation est qualifiée comme constituée dans la mesure où elle est juridiquement parfaite, c’est-à-dire définitivement fixée avant l'intervention de la règle nouvelle. Cf. Guide de légistique, n° 122.
  4. Avec quelques aménagements jurisprudentiels de bon sens sur les délais de forclusion ou de prescription.
  5. Cf. Cass. Ch. réunies, 13 janvier 1932, Bull. n° 11.
  6. Cf. Mazeaud et Chabas, Leçons de droit civil, Tome 1, volume 1, Introduction à l'étude du droit, Montchrestien, 12e édition par F. Chabas, 2000, n°137 à 151.
  7. Cf. Cass civ. 3, 3 juillet 1979, Bull. 3, n°149 p.115 ; Cass civ. 1, 17 mars 1998, Bull. 1, n° 115 p. 76.
  8. Cf. Cass. soc., 31 janvier 1958, Bull. 4, n° 175 à propos du maintien dans les lieux conféré par la loi du 1er décembre 1948 ; Cass. com. 7 mars 1981, Bull. 4, n° 95 à propos de la réserve de propriété, effet indépendant de la volonté des parties ; Cass. civ. 3, 8 février 1989, Bull. 3, n° 33 à propos du plafonnement des loyers, non en vertu du contrat mais en raison des seules dispositions légales alors applicables.
  9. Par exemple, la loi n° 75-597 du 9 juillet 1975 autorise le juge à modifier d'office certaines clauses pénales.
  10. Cf. Article 6 du Code civil qui dispose qu'« On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes moeurs. »
  11. Cf. Décision n° 2002-465 DC du 13 janvier 2003. La liberté contractuelle a valeur constitutionnelle (articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, préambule de la Constitution de 1946) et les contrats ou conventions légalement conclus sont protégés d'atteintes non justifiées par un intérêt général suffisant. Cf. également l'analyse de cette décision (2003) sur le site du Conseil constitutionnel.
    Cf. encore La valeur de la liberté contractuelle dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel (2006) du Pr. Fr. Rolin, et enfin Droits fondamentaux et interprétation du contrat : le regard du juge constitutionnel (2007) par Olivier Dutheillet de Lamothe, membre du Conseil constitutionnel.
  12. Conseil d'État, Assemblée, 8 avril 2009, N° 271737 et 271782, Compagnie générale des eaux (CGE) et Commune d'Olivet
  13. Cf. CC. décision n°82-155 DC du 30 décembre 1982.
  14. Cf. CC. décision n°80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981).
  15. Cf. Analyse sommaire de la décision n° 2001-458 DC du 7 février 2002 relative à la loi organique portant validation de l'impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française, Conseil constitutionnel, Cahiers du Conseil constitutionnel, n°12, oct 2001-fév 2002 : « Si le législateur, comme lui seul est habilité à le faire, a la faculté de valider un acte dont une juridiction est saisie ou susceptible de l'être, afin de prévenir les difficultés qui pourraient naître de sa censure, c'est aux conditions (cumulatives) suivantes :
    • 1) Respect des décisions de justice passées en force de chose jugée (n°80-119 DC du 22 juillet 1980, Rec. p. 46) ;
    • 2) Respect du principe de non-rétroactivité des peines et sanctions plus sévères, ainsi que de son corollaire qui interdit de faire renaître des prescriptions légalement acquises (n° 88-250 DC du 29 décembre 1988, Rec. p. 267, cons. 2 à 6) ;
    • 3) Caractère non inconstitutionnel de l'acte validé, sauf à ce que le motif de la validation soit lui-même de rang constitutionnel (n° 97-390 DC du 19 novembre 1997, Rec. p. 254, cons. 3, AJDA 1997, p. 963) ;
    • 4) Définition stricte de la portée de la validation, puisque celle-ci détermine l'exercice du contrôle de la juridiction saisie : la validation doit être « ciblée » et non purger l'acte en cause de toutes ses illégalités possibles, surtout lorsqu'est proche la décision du juge compétent en dernier ressort pour se prononcer sur cet acte (n° 99-422 DC du 21 décembre 1999, cons. 62 à 65) ;
    • 5) But d'intérêt général suffisant (n° 96-375 DC du 9 avril 1996, Rec. p. 60, cons. 6 à 11 ; n° 97-393 DC du 18 décembre 1997, Rec. p. 320, cons. 47 à 52, AJDA 1998 p. 127, § 8 ; n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, const. 2 à 7, Rec. p. 315 ; n° 99-425 DC du 29 décembre 1999, cons. 7 à 18, Rec. p. 168) qui, en particulier, ne saurait se réduire à un enjeu financier limité (n° 95-369 DC du 28 décembre 1995, Rec. p. 257, cons. 33 à 35).
    Cette jurisprudence s'est constamment renforcée depuis six ans, en concordance avec celle des autres cours suprêmes tant nationales (Cour de cassation, Conseil d'Etat) qu'européennes (Cour européenne des droits de l'homme). »
  16. Cf. décision n°80-119 DC du 22 juillet 1980
  17. Cf. par ex. décision n° 96-375 DC du 9 avril 1996
  18. Cf. du côté de la Cour de cassation : Cass. plén. 23 janvier 2004, Bull. civ. n° 2 : « Mais attendu que si le législateur peut adopter, en matière civile, des dispositions rétroactives, le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'opposent, sauf pour d'impérieux motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la Justice afin d'influer sur le dénouement judiciaire des litiges ; que cette règle générale s'applique quelle que soit la qualification formelle donnée à la loi et même lorsque l'État n'est pas partie au procès... » Cf. aussi Rapport de Mme Favre, Conseiller rapporteur et Avis de M. de Gouttes, Avocat général devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation (arrêt du 23 janvier 2004).
    Le Conseil d’État juge de même, au regard des stipulations de l’article 6 § 1 de la convention européenne des droits de l’homme, que l’intervention rétroactive du législateur au profit de l’État doit reposer sur d’impérieux motifs d’intérêt général et, en outre, au regard des stipulations de l’article 1er du premier protocole additionnel à cette convention, qu’un juste équilibre doit être ménagé entre l’atteinte aux droits découlant de lois en vigueur et les motifs d’intérêt général susceptible de la justifier : CE, Ass. 27 mai 2005, Provin.
  19. Cf. Constitution de 1958, Article 55 : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. »
  20. Cf. par exemple Cass. com., 28 janvier 1992, N° 90-13706 où il est jugé que «  la loi générale ne déroge pas à la loi spéciale  », et qu'aucune disposition législative n'est venue apporter une modification expresse ou une abrogation, fût-elle implicite, du régime spécial institué par l'arrêté du 21 prairial an IX pour déterminer la valeur des immeubles situés en Corse taxable au titre des successions...

Bibliographie

Paul Roubier, Les conflits de lois dans le temps, Sirey, París, 1929, réédité sous le titre Le droit transitoire, Dalloz-Sirey, París, 1960.

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