Massacre de Wassy

Massacre de Wassy
Massacre de Vassy, gravure de Le Hogenberg, fin du XVIe siècle.

Le massacre de Wassy est un évènement survenu le 1er mars 1562 à Wassy au cours duquel une soixantaine de protestants furent tués, et environ deux-cent-cinquante grièvement blessés, par le duc de Guise et sa troupe. Cette affaire ouvre lère des guerres de religion en France.

Sommaire

Les origines politiques du conflit

Wassy était une ville du domaine du roi de France, l'une des plus anciennes du comté de Champagne, située sur les limites du duché de Bar. Il y avait prévôté et siège, du ressort desquels sont plusieurs villes, bourgs et villages. La ville de Joinville et plusieurs villages qui en dépendaient étaient, de toute ancienneté, justiciables de la prévôté de Wassy lorsque profitant du crédit quils avaient à la cour, François de Lorraine, duc de Guise, et Charles, cardinal de Lorraine, son frère, firent ériger en principauté, par lettres patentes du roi Henri II, du mois davril 1551, la terre de Joinville, qui nétait alors quune simple baronnie, terre en fief du roi pour former cette principauté, firent distraire de la prévôté de Wassy une trentaine de villages qui était de son ressort pour les joindre à Joinville. Enfin les Guises obtinrent la ville elle-même en usufruit, comme douaire de leur nièce Marie Stuart, quand elle épousa le Dauphin. Sur le plan ecclésiastique, Wassy, du diocèse de Châlons, relevait de larchevêché de Reims et du cardinal de Lorraine, mais cette double sujétion temporelle et spirituelle nempêchait pas les Wasseyens, pour la plupart des marchands ou des hommes de petits métiers, participant à lesprit industriel et démocratique de leur grande voisine, la ville de Troyes, de rester très indépendants.

Les débuts du calvinisme à Wassy

Le 12 octobre 1561, après le colloque de Poissy, les ministres du culte réformé de Troyes entreprirent de créer une église protestante à Wassy et y envoyèrent lun deux. Les principaux de Wassy lavertirent que l'entreprise était périlleuse et quil trouverait beaucoup de difficultés à y exercer ses fonctions parce quil se trouvait sur la terre des Guises, qui sassemblaient à Joinville, au retour de ce colloque. En effet, le duc dAumale y arriva dans ce temps-, et y fut suivi de près par ses frères, mais la crainte des habitants envers les seigneurs de Guise nempêcha pas le ministre de prêcher.

À la première exhortation quil fit dans la maison dun marchand drapier, le 15 octobre 1561, il se trouva environ cent vingt personnes, tant hommes que femmes. Le sermon fini, on nomma quatre surveillants et deux diacres. Le lendemain, il se trouva, pour une ville de trois mille âmes, six cents personnes à la prédication. Comme lassemblée croissait de jour en jour, il fallut prêcher en plein air dans la cour de lHôtel-Dieu. Le 20 octobre, après avoir formé une église calviniste, le ministre quitta Wassy pour sen retourner à Troyes.

Lopposition catholique

Grange du massacre reconstituée à Wassy.

En novembre, averti par les moines de Wassy, le duc de Guise envoya quelques soldats pour aider le prévôt de la ville à étouffer la petite église, mais en vain. Le 13 décembre, ayant appris quil y avait quelques baptêmes à Wassy, le ministre calviniste revint de Troyes à Wassy et, aussitôt arrivé, il reprit ses sermons. Le 17 décembre, le cardinal-archevêque de Reims envoya Jérôme Bourgeois, lévêque de Châlons, accompagné dun célèbre moine estimé bon théologien, dans le dessein de ramener à la foi catholique ceux qui sen étaient écartés. Arrivé avec sa suite, armée de fusils et de pistolets, vers trois heures de laprès-midi, lévêque fit venir les principaux des calvinistes, et les pria dengager le peuple à venir le lendemain au sermon que devait donner le scolastique quil avait amené. Ils lui répondirent « que pour rien au monde ils ne voudraient entendre prêcher un faux prophète », et quà légard du peuple ils ne pensaient pas quon pût le déterminer à sy rendre ; que, si lévêque jugeait à propos dentendre prêcher leur propre ministre, ils lassuraient quils auraient pour lui et les siens tous les égards possibles, et quil trouverait que la doctrine quil leur annonçait nétait autre chose que celle des prophètes et des apôtres.

Choqué de cette réponse, lévêque leur conseilla de suivre le chemin de leurs pères sans sembarrasser des nouvelles opinions, et de rentrer dans le sein de lÉglise catholique, dont ils ne sétaient séparés quen se laissant séduire par des hérétiques de Genève, ajoutant quil était bien fâché de ne savoir pas prêcher, mais que le religieux quil avait amené suppléerait à son défaut. Les voyant obstinés dans leur première réponse, il leur promit de se trouver le lendemain au sermon de leur ministre. Vers cinq heures du soir, les notables passèrent de la maison séjournait lévêque avertir le ministre de ce qui sétait passé, et notamment de la promesse de lévêque de venir entendre le sermon. Le ministre loua le Seigneur, espérant que lévêque serait suivi de beaucoup de catholiques de Wassy, auxquels lexposition de sa foi pourrait profiter.

Le lendemain, le peuple étant assemblé, on vint chercher le ministre, lequel ne voulut pas partir du logis avant davoir prié le Seigneur de lui donner de quoi répondre au moine qui accompagnait lévêque. Après la prière, il sachemina vers le peuple, sassurant de lassistance de Celui qui a promis aux siens une bouche à laquelle leurs ennemis ne pourraient résister. Tous les catholiques étaient . Comme on chantait les commandements de Dieu, lévêque arriva, suivi du prévôt qui avait été imbu des nouvelles opinions avant de sen détacher, du procureur du roi, du prieur du couvent de Wassy, du religieux et de douze ou quinze personnes de sa suite ordinaire.

La résistance calviniste

Après avoir chanté les commandements de Dieu, on commença à prier Dieu. Lévêque interrompit alors la prière en disant : « Messieurs, je viens ici en qualité dévêque de Châlons, et par conséquent de ce lieu. ». Le ministre lui dit quétant le premier en chaire, il était juste quil parlât le premier ; que, sil trouvait quelque chose à redire à sa doctrine, il serait libre de parler, ainsi quil le jugerait à propos, dès que son discours serait fini. Usant des mêmes termes, lévêque répliqua : « Messieurs, je viens ici comme évêque de Châlons, et par conséquent de ce lieu. ». Mais le ministre, linterrompant de nouveau, dit : « Monsieur, je suis très étonné de ce que vous voulez nous empêcher dinvoquer Dieu en ce lieu, tandis que le roi nous le permet, ainsi que M. le gouverneur de la province. ». Sans lui répondre, lévêque continua de parler, sur quoi le ministre lui dit que, puisquil voulait absolument parler, il y consentait, pourvu que ce fût comme simple particulier, et non en qualité dévêque, parce quon ne le reconnaitrait pas pour tel. « — Pourquoi ? répondit lévêque, nai-je pas limposition des mains ? »

« — Il faut, répliqua le ministre, il faut que lévêque prêche la Parole de Dieu, quil administre les sacrements et veille jour et nuit à la garde du troupeau du Seigneur : mais vous, qui vous dites pasteur, quand avez-vous nourri votre troupeau du pain de vie ? quand avez-vous administré les sacrements ou fait la moindre chose quexige votre ministère ? »

« — Comment savez-vous que je ne prêche point, reprit lévêque ? »

« — Vous dîtes vous-même hier, répondit le ministre, que vous ne saviez pas prêcher. »

« — Et trouvez-vous, dit-il, quun évêque soit obligé de prêcher ? »

« — Je le trouve, répondit le ministre, au sixième chapitre des Actes des Apôtres, verset 4, et au quatrième chapitre de la deuxième épitre de saint Paul à Timothée, verset 2. »

Lévêque se trouva fort embarrassé ; il lui dit quil prêchait par ses vicaires. Le ministre répartit :

« — Les apôtres et les anciens prêchaient-ils par vicaires ? »

« — Mais vous, reprit lévêque, êtes-vous ministre, et avez-vous reçu limposition des mains ? »

« — Je le suis, dit le ministre, et jai tout ce quil faut pour lêtre ; pour vous, vous avez limposition des faux prophètes. »

« — Nous sommes, répondit lévêque, les vrais bergers de lÉglise, étant les successeurs des apôtres. »

« — Et comment le seriez-vous, dit le ministre, puisque vous êtes excommunié par vos canons mêmes, étant entré dans la bergerie par la fenêtre, vous y étant introduit de vous-même, le peuple nayant point approuvé votre élection. »

Alors lévêque, se tournant vers le prévôt, lui dit : « Monsieur, je vous demande acte de ce qui vient dêtre dit. »

« — Cela est juste, répondit le ministre, et ajoutez que joffre de prouver, par les canons du pape, que celui qui se dit évêque de Châlons est excommunié et indigne dêtre évêque. » Sadressant ensuite au peuple :

« — On veut vous faire croire, dit-il, que celui- est berger qui se contente davoir une panetière et une houlette, sans se mettre en peine de mener son troupeau aux champs pour le faire paitre. »

Outré de ce discours, lévêque lui dit : « Sortez dici ! »

Le ministre lui répondit :

« — Je prêcherai lÉvangile du Seigneur ; si vous le voulez entendre tranquillement, vous en êtes le maitre, sinon ne me troublez pas ! »

«  — Je crois bien, lui dit lévêque, que tout se gouverne ici par fureur. »

Non, non, répondit le ministre, tout se conduit de notre côté par un saint zèle qui a autrefois porté les apôtres à dire à vos semblables : « Quil vaut mieux obéir à Dieu plutôt quaux hommes. » Le ministre ajouta : « Jai souvent exposé ma vie pour le nom du Seigneur Jésus, et je me sens encore prêt de la quitter à toute heure. Je scellerai de mon sang la doctrine que je donne à ce pauvre peuple dont vous nêtes point pasteur. »

Lévêque voulait dresser procès-verbal, mais le prévôt et les autres, qui devaient dresser le procès-verbal que lévêque voulait faire faire, sétaient déjà retirés, sans mettre par écrit un seul mot de tout ce qui avait été dit, dans la crainte quil avait du peuple. Alors lévêque sen retourna aussi avec le religieux, qui navait pas osé dire un seul mot pour appuyer les raisons de son évêque. Le peuple voyant cela commença à louer Dieu, levant les mains au ciel. Quelques-uns se mirent à crier : « Au loup ! Au renard ! » et dautres : « À lâne ! À lécole ! Hors dici ! » Cette scène aigrit les choses.

Lévêque emmena le moine prêcher à léglise catholique, mais seul son cortège ly suivit, car les catholiques de Wassy, qui étaient venus avec lui dans la grange pour voir le débat du ministre et du moine, entendirent loffre que le ministre avait faite de satisfaire, après le sermon, à tout ce quon voudrait amener contre la doctrine quil annonçait. Layant également entendu répondre à lévêque, qui navait rien répliqué de pertinent, restèrent au sermon du ministre quils lécoutèrent du début jusquà la fin, avec profit : entre ceux qui furent gagnés au protestantisme, il y avait un vieillard tout grisonnant auquel on demanda à la fin du sermon :

« Eh bien ! père, que vous en semble ?

Oh ! mon enfant, répondit-il, je vois bien que nous avons été abusés. »

Pendant ce temps-, le moine prêchait encore dans léglise catholique, lorsque les calvinistes sortirent du temple. Ayant entendu quelque bruit que faisaient quelques-uns dentre eux qui rentraient chez eux en discutant les évènements, il en fut saisi de frayeur, pensant quon en voulait à sa personne, en quitta la chaire si précipitamment quil y laissa une de ses pantoufles. Dans la même crainte, lévêque se sauva par une porte de la maison du prieur, qui était à côté de léglise. Ils reconnurent bientôt que leurs craintes étaient sans fondement et, le lendemain matin, lévêque, mortifié de sa déconvenue, alla à Joinville donner des nouvelles de son voyage.

Léchec de la reconquête catholique

Intérieur de la grange.

Le duc dAumale plaisanta vivement lévêque sur ce qui lui était arrivé à Wassy. Guise crut avoir reçu un outrage personnel des wasseyens et dit quil saccagerait tout. Antoinette, la douairière de Guise, mère du duc et du cardinal, fut exaspérée. Un procès-verbal, par lequel on se plaignait de linjure faite à lévêque, et lon demandait que commission fût donnée au duc de Guise pour punir les calvinistes de Wassy, fut dressé sur la relation de Jérôme Bourgeois et envoyé à la cour. Avertis, ceux-ci envoyèrent, de leur côté, quelques-uns dentre eux à la cour avec leur propre procès-verbal qui neutralisa celui de lévêque. Le conseil du roi ne voulut jamais permettre le recours aux voies de fait contre les calvinistes wasseyens, qui purent ainsi continuer librement lexercice de leur religion.

Le 25 décembre, jour de Noël, quoiquun exprès soit venu de Bar-le-Duc avertir Wassy que le duc de Guise devait venir ce jour- fondre sur Wassy, trois mille habitants de la ville et des environs y confessèrent leur foi et neuf cents prirent part à la Cène. Le lendemain, le temps que devait rester le ministre à Wassy étant achevé, il sen retourna à Troyes. Genève envoya un nommé Léonard Morel le remplacer mais, comme il tardait à arriver, quelques calvinistes wasseyens allèrent, le 25 janvier, à Troyes, demander au ministre à retourner à Wassy le temps du carême, à cause du moine que lévêque de Châlons devait envoyer pour y prêcher pendant ce temps. Les calvinistes de Bar-sur-Seine consentirent à ce quil y aille quatre ou cinq jours, afin dy introduire le nouveau ministre. Ainsi il retourna pour la quatrième fois à Wassy, et y arriva le 20 février.

Pendant ce temps, Antoinette de Bourbon voyait avec peine ce qui se passait à Wassy, qui nest éloigné que de trois lieues de Joinville elle avait sa résidence, et elle cherchait tous les moyens possibles dy empêcher lexercice de la religion calviniste, y étant vivement engagée par le prévôt et le prieur de Wassy. Elle fit faire défense, sous grandes peines, à tous ses sujets et à ceux de ses enfants, daller aux prêches qui se faisaient à Wassy et ailleurs, et de parler contre lÉglise catholique romaine, leur enjoignant daller à la messe et de vivre comme leurs prédécesseurs. Elle écrivit des lettres menaçantes au gouverneur et aux principaux de Wassy, les avertissant que Marie, reine dÉcosse, fille de sa fille, était usufruitière de Wassy, et que tout ce qui sy faisait touchant lexercice de la religion lui déplaisait ; que ses enfants, qui étaient alors en entrevue avec le duc de Wurtemberg, leur parent, à Saverne, en seraient très mécontents à leur retour, et en pourraient bien faire repentir les habitants de Wassy sils ne cessaient leurs assemblées.

Les préparatifs du massacre

Les Guises avaient contenu leur rage et pris patience tant quils navaient pas été rassurés du côté de lAllemagne ils cherchaient à fortifier leurs alliances, à sy assurer les moyens de lever des reîtres et des lansquenets, et peut-être à gagner les princes luthériens, auxquels ils offraient de sunir à eux contre les calvinistes, leurs ennemis communs. Ils voulaient aussi les engager à se faire représenter au concile de Trente. Un homme aussi calculé que le duc de Guise aurait pourtant ajourné le coup si la situation générale ne lavait poussé à donner cours à sa vengeance. Depuis près de cinq mois, Paris nentendait plus parler des Guises. Il fallait se montrer fort et terrible par un coup de tonnerre qui trouble leurs ennemis qui les croyaient morts. Au retour du Rhin, ils se lâchèrent et nattendirent pas même darriver chez eux : dès Saint-Nicolas, en Lorraine, ils firent en passant, étrangler à un poteau de la halle, un épinglier qui avait fait baptiser son enfant dans la religion réformée. Soixante fermiers des terres du cardinal senfuirent, comme devant un ouragan.

Arrivé à Joinville au mois de février, Guise demanda à ses plus familiers si ceux de Wassy avaient toujours des prêches et des ministres. Lorsquon lui répondit que oui, et que le nombre en augmentait de jour en jour, il commença à marmonner et à se mordre la barbe. Très irrité, et pour exécuter plus secrètement la vengeance quil avait conçue contre les protestants de Wassy, il partit de Joinville le samedi, dernier jour de février 1562. Toutefois, dans laudace même, il gardait un esprit de ruse en emmenant un équipage à la fois de guerre et de paix : dune part, ses domestiques armés et deux cents arquebusiers pour joindre à ceux qui déjà étaient à Wassy ; dautre part, un prêtre, son frère, le cardinal de Guise, sa femme enceinte, et son fils Henri, un enfant. De cette façon, il pouvait dire : « La chose a été fortuite ; autrement, y aurais-je mené ma femme ? » En réalité, Anne d'Este nassista pas au massacre, car son mari la fit attendre hors des murs de la ville d elle put néanmoins entendre les cris de ceux qui se faisaient assassiner et les coups de feu des assassins.

Le prétexte

Le duc de Guise : « Tue, tue, mortdieu, tue ces huguenots ! »

Une fois arrivé au village de Dommartin-le-Franc, qui nétait éloigné de Joinville que de dix kilomètres, peut-être supposa-t-il que, devant cette force, les calvinistes de Wassy craindraient de sassembler, et que le prévôt viendrait lui livrer quelques hommes à étrangler, comme à Saint-Nicolas. Mais la petite communauté protestante de Wasssy se serait fait scrupule de ne pas aller au prêche, en ce dimanche 1er mars. Cest lheure que Guise choisit pour arriver. Après avoir entendu la messe de grand matin, il était parti de Dommartin accompagné denviron deux cents hommes de sa suite, armés de fusils et de pistolets, et avait pris le chemin de Wassy. En passant à Brousseval, village éloigné de deux kilomètres de Wassy, comme on sonnait en cette ville pour aller au prêche, le duc, entendant la cloche, feignit de ne pas savoir ce que cétait, et le demanda. On lui répondit que les huguenots sonnaient pour aller à la prédication du ministre. Alors Lamontagne, maitre dhôtel du duc dAumale, qui marchait à côté du duc de Guise avec Labrosse lainé, dit que cétait pour assembler les huguenots, quil y en avait beaucoup à Brousseval qui fréquentaient les prêches de Wassy, et quil serait à propos de leur donner une charge ; mais le duc de Guise répondit : « Marchons ! il les faut aller voir pendant quils sont assemblés. » Ses gens se réjouirent beaucoup, disant : « Ils vont être bien huguenotés. » Les laquais ne se tenaient daise, comptant bien sur le pillage de la petite ville marchande qui nétait pas à dédaigner.

Il y avait aux environs de Wassy un certain nombre dhommes darmes et darchers de la compagnie du duc de Guise qui, peu de temps auparavant, avaient fait montre daller à Montier-en-Der. Au lieu de retourner chez eux, comme ils avaient coutume de faire après les montres, ils se retirèrent à Wassy et logèrent la plupart chez les catholiques. Le samedi, veille du massacre, on les vit préparer leurs armes ; cependant les protestants ne se doutèrent pas de la conjuration, dans lopinion ils étaient quétant sujet du roi, le duc ne leur ferait aucune violence, dautant plus que, deux mois auparavant, lui et ses frères étaient passés assez près de Wassy sans leur témoigner aucun mécontentement.

Le duc de Guise arriva à Wassy alors quun jeune cordonnier sortait de sa maison, près de la porte de la ville. Lamontagne, le montrant au doigt, dit que cétait lun des ministres. Le duc lappela, lui demanda sil était ministre et il avait étudié. Le cordonnier lui répondit quil nétait pas ministre et quil navait jamais été aux écoles. Alors la troupe qui lavait environné, et qui lui dit que son affaire était bien mauvaise sil eût été ministre, le laissa aller. De , le duc, comme sil eût voulu prendre le chemin pour aller à Éclaron, lon disait quil allait diner, passa dans la ville avec sa troupe. Passant devant la halle, qui était proche de léglise, au lieu de suivre le chemin dÉclaron, il fit un détour et alla descendre sous la halle. On le regardait de loin et il semblait fort agité. De , il entra dans léglise. Ayant fait appeler le nommé Dessales, prieur, et Claude Le Nain, prévôt de Wassy, dont le fils, pourvu de la cure de Wassy et du prieuré des Hermites, près de cette ville, il leur parla un moment et, sortant subitement de léglise, il fut suivi de beaucoup de gens de sa troupe. On ordonna aux catholiques de demeurer à léglise, en les avertissant que, sils sortaient dans les rues, leur vie serait en danger.

Étant sorti de léglise, le duc aperçut dabord dautres personnes de sa troupe qui se promenaient sous la halle et autour du cimetière, en lattendant. Il leur ordonna de marcher vers une grange éloignée de léglise denviron sept cent cinquante mètres, à la pointe de la rue et du chemin que le duc devait prendre pour aller à Éclaron, avait lieu le prêche. Aussitôt ceux de la compagnie qui étaient à pied savancèrent vers la grange, le guidon de cette compagnie, nommé Labrosse, marchant le premier, et à côté ceux de la compagnie qui étaient à pied. Le duc de Guise accompagné de plusieurs, tant de sa suite que de celle du cardinal, son frère, marchait après les cavaliers.

Le massacre

Le massacre de Wassy (gravure du XVIe siècle).

Léonard Morel, le nouveau ministre récemment envoyé de Genève, avait déjà fait les premières prières et commencé la prédication à laquelle assistaient environ douze cents personnes, tant hommes que femmes et enfants. À en juger par les noms qui restent, la plupart étaient des commerçants ; il y avait cinq ou six drapiers, un boucher, un crieur de vin, un huissier, un maitre décole ; le plus notable était le procureur syndic des habitants de Wassy. Les catholiques soutiennent que les protestants jetèrent des pierres. Dès que les cavaliers se furent approchés de la grange denviron vingt-cinq pas, ils tirèrent deux coups darquebuse sur ceux qui étaient sur les échafauds, près des fenêtres. Ceux qui étaient dans la grange, près de la porte, voulurent la fermer, mais ils en furent empêchés par les gens du duc de Guise qui sur-le-champ tirèrent leurs épées, criant : « Tue, tue, mortdieu, tue ces huguenots ! » Trois hommes furent tués tout dabord, avant larrivée de Guise. Le premier quils rencontrèrent fut un crieur de vin qui était devant la porte de la grange. Ils lui demandèrent sil nétait pas huguenot, et en qui il croyait. Celui-ci ayant répondu quil croyait en Jésus-Christ, ils lui donnèrent deux grands coups dépée à travers le corps. Sétant relevé pour se sauver, ils lui donnèrent encore dautres coups dont il mourut sur place. Deux autres qui voulaient sortir de la grange pour séchapper furent tués près de la porte. Alors le duc et ses gens entrèrent en foule dans la grange. Guise présent, la tuerie continua à coups dépée, de coutelas, de poignard, frappant à coups dépée sur tous ceux quils rencontraient, sans égard pour leur sexe ni pour leur âge. Plusieurs tiraient sur ceux qui étaient sur les échafauds. Dautres fauchaient à grands coups de sabre à travers le corps de ceux qui leur tombaient sous la main. Dautres enfin leur fendaient la tête, leur coupaient les bras et les mains, et tâchaient de les tailler en pièces. Les murailles et les échafauds de la grange étaient teints de sang. Si grande était la fureur des meurtriers, que ceux qui étaient dans la grange furent forcés de casser et de percer les toits pour se sauver. Craignant de retomber entre les mains de leurs ennemis, ils sautaient par-dessus les murailles de la ville, qui étaient assez hautes, et senfuyaient dans les bois et les vignes, les uns blessés au bras, les autres à la tête et aux autres parties du corps.

Le duc était lui-même dans la grange, lépée nue à la main, ordonnant à ses gens de tuer, notamment les jeunes gens. À la fin, il ordonna dépargner les femmes enceintes parce que, passant près des murs de la ville et entendant le bruit des coups de feu et les cris des victimes, la duchesse sa femme[1], fit dire à son mari : « Sauvez du moins les femmes grosses. » Alors, poursuivant ceux qui étaient sur les échafauds et sefforçaient de se sauver par le toit, il criait : « À bas, canailles ! » leur faisant des menaces épouvantables. Plusieurs des protestants se sauvèrent dabord par-dessus les toits. À la fin, quelques-uns des meurtriers les aperçurent sur le toit, et tirèrent sur eux avec de grandes arquebuses, et en tuèrent plusieurs pendant que le cardinal de Guise, appuyé sur les murs du cimetière, devant léglise de Wassy, regardait vers la grange étaient ceux qui tuaient et massacraient. Les domestiques de Dessales, prieur de Vassy, tirant sur les calvinistes, les faisaient tomber comme des pigeons sur un toit. Après le massacre, lun de ces domestiques se vanta en présence de plusieurs personnes, den avoir, pour sa part, fait tomber à bas une demi-douzaine, et que si les autres en avaient fait autant ils sen seraient moins échappés. Plusieurs restèrent sur le toit.

Lassassinat du ministre Morel

Anne dEste, épouse du duc de Guise. Enceinte, elle eut pitié des femmes dans son état et demanda à son mari de les épargner.

Au commencement du massacre, le ministre ne cessa de prêcher, et tint ferme jusquà ce quun coup de fusil soit tiré droit à la chaire il était. Il se mit alors à genoux, priant le Seigneur davoir pitié de lui, et surtout de son troupeau. Après sa prière, pensant à se sauver, il laissa sa robe pour nêtre pas reconnu. Passant par la porte, il tomba sur un homme mort et reçut un coup dépée à lépaule droite. Sétant relevé pour se sauver, il fut arrêté et frappé de plusieurs coups sur la tête, dont il tomba à terre, et se sentant mortellement blessé, il sécria : « Ô Seigneur ! mon âme en tes bras je viens rendre ; car tu mas racheté, ô Dieu de vérité ! » À ce moment, un des meurtriers accourut pour lui couper les jarrets, mais son épée se rompit à la garde. Il fut délivré par deux gentilshommes qui dirent : « Cest le ministre, il faut le mener à M. de Guise. » Ils le prirent alors par-dessous les bras, et le menèrent jusquau devant de la porte de léglise. Le duc, qui en sortait avec le cardinal son frère, lui dit : « Es-tu le ministre ? Tu es bien hardi de séduire ce peuple ! » « Monsieur, lui répondit le ministre, je ne suis point un séducteur, car jai prêché lÉvangile de Jésus-Christ. Sentant que cette simple et brève réponse condamnait son entreprise, le duc commença à jurer en disant : « Mortdieu ! lÉvangile prêche-t-il la séduction ? Tu es cause de la mort de tous ces gens, tu seras pendu tout à lheure. Çà, prévôt, faites dresser une potence pour quon pende cet homme-. » Aussitôt le ministre fut mis entre les mains des laquais qui laccablèrent doutrages. On eut beaucoup de mal à le sauver, pour pouvoir lui faire son procès, de la fureur des femmes catholiques de la ville, qui lui jetèrent de la boue au visage, criant : « Tuez, tuez-le, ce méchant, qui est cause de la mort de tant de gens ». Pendant que les domestiques le tenaient, le duc rentra dans la grange : on lui apporta une Bible dont on se servait aux prédications. Le duc, la tenant à la main, appela son frère le cardinal, et lui dit : « Tenez, mon frère, voyez le titre des livres des huguenots. » Le cardinal, le voyant, dit : « Il ny a rien de mauvais dans ce livre, car cest la Bible et la Sainte Écriture. » Fâché de ce que son frère ne lui répondait pas selon son désir, le duc entra en une plus grande rage quauparavant, disant : « Comment, sangdieu ! la Sainte Écriture ? il y a quinze cents ans que Jésus-Christ a souffert la mort et la passion, et il ny en a quun que ces livres sont faits. Comment dites-vous que cest lÉvangile ? Par la mortdieu tout nen vaut rien. » Cette fureur déplut tellement au cardinal quon lui entendit dire par derrière : « Mon frère a tort. »

Les protestants qui navaient pu monter et gagner le toit de la grange, furent poursuivis lépée dans les reins, obligés, en fuyant de la grange, de passer entre deux rangs dennemis tant à pied quà cheval, qui les poursuivaient avec la dernière fureur. Plusieurs purent néanmoins séchapper tant par-dessus les toits quautrement sans être blessés. Pendant la longue heure que dura le massacre, les trompettes du duc sonnèrent par deux diverses fois, les meurtriers se moquant des fidèles qui demandaient miséricorde au nom de Jésus-Christ : « Vous appelez votre Christ, est-il maintenant ? quil vous sauve ! »

Le pillage

Le passage du Prêche.

Une soixantaine de cadavres furent ramassés et enterrés. Environ deux cent cinquante furent gravement blessés et mutilés. Plusieurs eurent les bras, les jarrets et les doigts coupés[2]. Deux laquais tuèrent sous la halle Jeanne, femme de Nicolas Thiellemen, pour lui prendre son agrafe dargent. Son fils, qui voulut la secourir, reçut un grand coup dépée dans le ventre. On ne voyait que femmes décoiffées, échevelées et couvertes de sang, toutes en pleurs et jetant de grands cris. Les souliers, gibecières, manteaux, bonnets, chapeaux, coiffes de filles et de femmes des autres morts qui restèrent dans la grange et dans la rue furent pillés. Le tronc des pauvres qui était attaché à la porte fut brisé et les douze livres tournois quil contenait emportées. La chaire fut brisée, la Bible emportée, la maison du boucher Changniot pillée jusquà la dernière serviette.

Sachant que quinze ou seize domestiques du duc logeaient à lauberge du Signe, le prévôt Claude Le Nain, qui avait engagé la douairière de Guise au massacre, alla vite les chercher, leur disant quils perdaient leur temps, tandis que les autres repassaient si bien les huguenots. Aussi ils prirent de longues arquebuses et commirent beaucoup de meurtres et dexcès.

Le ministre, blessé de plusieurs coups sur la tête et ailleurs, ainsi quÉtienne Gallois et Nicolas Thiellemen, échevins de Wassy, furent liés et garrotés par ordre du duc, qui demanda au prévôt sil ny avait pas dexécuteur de hautes œuvres. Il lui répondit que non, mais quil en procurerait sil le souhaitait. Au même instant, le duc envoya chercher Claude Tondeur, capitaine de Wassy, qui était dans sa maison, au château de cette ville, et qui vint aussitôt. Le duc, après lui avoir fait de vifs reproches de ce quil avait souffert des assemblées à Wassy[3], et que lon prêchât, lui enjoignit de le suivre jusquau village dAttancourt, éloigné de Wassy de trois kilomètres et demi, et dit à ses gens de le suivre avec le prisonnier, qui fut attaché avec deux cordes de charrue et trainé dans la bouc jusquà Attancourt, sur la chaussée dÉclaron, allait le duc. Quant à Nicolas Thiellemen, il fut élargi pour faire inhumer sa femme et panser son fils, qui avait été blessé en voulant secourir sa mère, qui fut tuée sous la halle, et moyennant la promesse quil fit de se représenter le lendemain au duc, à Éclaron.

La répression

Le duc monta à cheval et partit de Wassy avec le cardinal son frère, la duchesse sa femme, et plusieurs autres de leurs familiers, diner à Attancourt, dans la maison du nommé Jacques Colesson. Après le diner, le duc fit venir devint lui le capitaine de Wassy avec Gallois, leur fit de vives remontrances, avec menace de perdre et de ruiner Wassy, sil arrivait quon fît des assemblées et quon se servît de ministres comme ou avait fait et leur ordonna de vivre comme leurs ancêtres, et daller à la messe, ce quils promirent. Cependant, à linstigation du prévôt et de Lamoutagne, leurs plus grands ennemis, il ne laissa pas de les faire conduire à Éclaron, il alla coucher avec toute sa suite ; le ministre y fut apporté sur une échelle par trois ou quatre hommes, depuis Attancourt, et les gens du duc le maltraitèrent et loutragèrent tout le long du chemin. Le ministre, Gallois et le capitaine furent gardés toute la nuit comme des criminels.

Le lendemain, lundi 2 mars, le capitaine Gallois et Thiellemen, qui était venu se présenter selon lordre du duc, furent menés dans une galerie du château dÉclaron, le duc devait passer. Y étant arrivé, il les fit mettre à genoux pour demander grâce au duc. Comme il passait par cette galerie, quelques-uns de ses gens lui dirent que ceux de Wassy avaient envoyé vers le roi. — « Quils y aillent, ils ny trouveront pas leur amiral ni le chancelier. » Le lendemain, le capitaine, Gallois et Thiellemen, après avoir donné caution, furent mis en liberté et renvoyés à Wassy. Mais le ministre fut conduit le même jour, par ordre du duc, au château de Saint-Dizier, attaché à la maison de Guise, sous la garde de François Desbores, capitaine de Lendroit. Depuis ce jour, Desbores, ou Dumesnil, tint le ministre dans une prison si étroite, que personne nosait lui donner les choses les plus nécessaires. On ne souffrait pas même que ceux de la ville, qui lui apportaient à manger et à boire, entrassent dans le château pour le voir, de sorte quil fut plusieurs fois plus de vingt-quatre heures sans boire ni manger. Il fut même souvent menacé, par les gens de Dumesnil, dêtre jeté dans un sac à la rivière. On voulut le contraindre de faire ses pâques à la manière des catholiques, sous promesse de le mettre en liberté, mais il refusa. Il resta dans cette prison jusquau 8 mai 1563. Ce fut par lentremise du prince de Porcien quil en sortit.

La tentative de dissimulation du crime

Plaque commémorative.

Pendant que le duc était à Éclaron, on envoya à Wassy un vieux légiste nommé Alexandre Le Gruges, avocat du roi à Chaumonten-Bassigny, pensionnaire de la maison de Guise. Y étant arrivé, il fit avec Claude Le Nain une information au sujet du massacre à la décharge du duc, dans laquelle furent entendus tous témoins qui avaient assisté et participé au massacre. Lamontagne même, dont le fils était pourvu dun prieuré de mille à douze cents francs de rente, à quelque trois kilomètres de Wassy, y fut entendu, quoiquil eût aidé à tuer Jean Pataut, de léglise calviniste ; de même que Digoine Claude, maréchal-des-logis du duc, Labrosse et autres catholiques.

À Éclaron, les domestiques du duc et plusieurs autres de sa suite mirent en vente les manteaux, chapeaux, ceintures, coiffes et autres objets saisis après le massacre. Huit jours après lévénement, la douairière de Guise envoya à Wassy Du Châtelet, seigneur de Thou, pour empêcher que le reste des protestants ne sassemble à Wassy. Par le conseil du prévôt, il fit dresser deux potences faites avec du bois des sièges de la grange lon prêchait, et menaça de faire pendre ceux qui sassembleraient. Il fit faire perquisition des armes dans les maisons, et ordonna, sous peine de vie, daller à la messe, obligeant quelques protestants à faire enterrer leurs parents qui étaient morts à la manière catholique.

Huit jours après larrivée du seigneur de Thou, vint le seigneur Despots, qui disait être envoyé pour informer de la vérité du massacre, ce quil ne fit pas. Au contraire, ayant fait venir un nommé Gondruvart, lieutenant particulier du bailliage de Chaumont, et quelques autres officiers, pensionnaires de la maison de Guise et de ses frères, pour faire cette information, ce lieutenant entendit seulement la déposition des premiers témoins interrogés par Claude Le Nain, avec quelques autres qui avaient participé au massacre, mais on lui en présenta qui ny avaient pas participé et qui nétaient pas protestants. Il fut également défendu de laisser entrer les habitants de Wassy, surtout les protestants, qui allaient, avant le massacre, vendre leurs denrées à Joinville, Saint-Dizier et autres lieux.

Dernières purges

Dès que le duc fut arrivé à la cour, Dumesnil obtint une commission pour lever des gens en grand nombre dans les villages voisins de Saint-Dizier, à leffet dempêcher les protestants de faire leurs exercices. Le dimanche 1er aout, il fit sonner le tocsin dans les villages voisins, et assembla ainsi un grand nombre de gens tant à pied quà cheval, de Saint-Dizier, Éclaron, Valcourt, Humbécourt, Allichamps, Louvemont et autres lieux. Les obligeant à le suivre avec menaces et coups de bâton, il les fit marcher au Buisson, comptant y prendre un gentilhomme nommé La Chapelle, qui y demeurait, et fréquentait les assemblées des prêches qui se faisaient à Wassy, mais il ne ly trouva pas. Il entra dans sa maison avec le prévôt, qui, avec ses gens, le pria daller à Wassy, ainsi quil en était convenu avec Dumesnil. Le prévôt le mena à un endroit nommé la Grange-Collart, chez un nommé Jean Morizot, dans laquelle ceux de sa suite prirent une grande somme dargent dans un coffre, et autres meubles appartenant à Morizot. En sortant de ce hameau, Dumesnil fit marcher ses hommes à Voillecomte, à sept kilomètres et demi de Wassy, comptant y rencontrer Montbeillard et son gendre de Montier-en-Der, qui avaient pareillement fait assembler nombre de gens des villages voisins au son du tocsin, comme de Rozières, Sommevoire, Robert-Massy et autres, avec intention daccompagner Dumesnil à Wassy, pour surprendre et massacrer le surplus de ceux de Wassy qui avaient recommencé des assemblées et faisaient leurs prières les dimanches et les fêtes. Cependant Dumesnil, Montbeillard et leurs gens ne purent le joindre, parce que, environ à quatre heures du soir du même jour, survint un orage avec une grêle si violente, que les paysans qui les suivaient furent obligés de se mettre le visage à terre et que les blés et autres grains furent entièrement perdus et coupés à ras de terre. Dumesnil fut obligé de regagner Saint-Dizier, et de renvoyer ses paysans. Il fit prisonnier le nommé Nobis, parce quil était étroitement lié avec La Chapelle avant de le renvoyer après lavoir retenu quelques jours. Ce même jour 1er aout, le prévôt et le procureur du roi de Wassy firent monter au clocher les sonneurs, et leur ordonnèrent de sonner le tocsin sur les quatre heures du soir lorsquon serait aux prières, pour assembler les habitants des villages voisins, auxquels ils avaient enjoint de se rendre dans cette ville aussitôt quils auraient entendu sonner la cloche, pour tomber sur ceux qui étaient à la prière à cette heure-, mais lorage empêcha lexécution de ce projet.

Sanctions contre Wassy

Le Musée protestant de la grange de Wassy.

Dans ce même temps, sur les informations envoyées par Guise, un arrêt du parlement intervint par lequel, entre autres, la ville de Wassy serait démantelée, que les anciens, diacres et surveillants de lÉglise réformée seraient pris au corps, si non ajournés à trois brefs jours, avec saisie et annotation de leurs biens, En exécution de cet arrêt, les murs de la ville furent abattus et rasés, et les anciens, diacres et surveillants de léglise calviniste ajournés à trois brefs jours. Denis de Roynel, natif de Joinville, lun des diacres de cette église, fut pris et pendu, à la poursuite de la douairière de Guise, sous prétexte davoir porté les armes sous le prince de Condé. Gallois, marchand de Wassy, fut pris et mené prisonnier à Saint-Dizier, Dumesnil le retint plus de six semaines comme criminel dans une prison humide. Il ne le renvoya à Wassy quaprès lui avoir fait payer une somme considérable pour sa rançon. Du mois de septembre 1562 jusquau mois davril suivant, la ville de Wassy fut toujours dotée dune garnison. Ceux des protestants furent pillés, battus, outragés, leurs maisons brisées et démolies, jusquaux fenêtres, portes fermées et barreaux de fer qui furent pris et emportés par les soldats, tant de la compagnie dun nommé Renepont, que de celle dun nommé Asprenon, sous la conduite de Claude Le Nain, prévôt de Wassy.

Les réactions

Quant à Guise, il se sentit isolé dès son forfait accompli ; sa femme même et son frère ne lapprouvaient pas. Il regarda autour de lui, et rien dans sa situation ne lui parut plus utile que daller dabord chez lui à Nanteuil, dy inviter le vieux connétable, dopposer son nom respecté à lexplosion de la haine publique, et décrire, et faire écrire le cardinal de Lorraine à son ami redouté, le duc de Wurtemberg, qui pourrait plaider sa cause auprès des Allemands, et peut-être parviendrait à les empêcher de venir secourir leurs frères en danger. Montmorency vint dans cette maison, dès ce jour à jamais sanglante. Guise était sauvé. À la reine qui le priait de venir à Saint-Germain, il répondit cyniquement quil faisait une fête à Nanteuil pour traiter quelques amis. Le connétable, avec une troupe énorme de gentilshommes armés, conduisit Guise à Paris. Guise avait la tête très basse. En arrivant dans la ville, il avait trouvé un froid glacial. Au coin de certaines rues, des hommes hors deux-mêmes, sans sinquiéter de cette armée quil amenait avec lui, disaient quils voudraient être morts et leur dague dans son ventre. Au parlement, deux magistrats, Harlay et Séguier, avaient laissé leur place vide, fuyant la vue de lhomme de sang. Guise dit assez piteusement « quil navait rien fait à Wassy que pour sauver son honneur, ses enfants et sa femme grosse, quil voyait bien quon le tuerait, quon avait envoyé à Paris contre lui trente assassins, quil priait quon en informât. Il navait jamais abusé de la force quil avait. Et maintenant il nen a plus ; il la toute remise au roi, dans les mains de son connétable. Il ne demande quà passer par la justice ; il se constituera prisonnier, si on lordonne. Sil a failli, quil soit puni, ainsi quil laura mérité. » Lhumilité de ces paroles aurait peut-être été mieux crue si lon navait vu les forces dont il tenait la ville et entourait le parlement, si lon navait vu près de lui le connétable et le roi de Navarre, et lambassadeur de Philippe II, qui avait abandonné seul à Montceaux le petit Charles IX pour suivre Guise dans Paris.

Répercussions nationales et internationales

Lannonce du massacre de Wassy se répandit avec une rapidité inouïe, et saisit tout le monde dhorreur. Les catholiques appelèrent cet événement « laccident » ou « le désordre », et les protestants le massacre de Vassy. Chaque parti en imputa naturellement la responsabilité à ses adversaires. Partout on en fit des gravures, infiniment populaires, dun caractère fort et terrible, qui furent immédiatement calquées, imitées par les Allemands. Une série de quarante gravures publiées à Genève en 1562 assurèrent une immense publicité à cet évènement. Le genre nouveau de lillustration des légendes historiques, pamphlets en dessin, plus puissants que tous les pamphlets écrits était . Les calvinistes, qui virent dans ce massacre le premier acte dune conspiration préméditée, sécrièrent quil ny avait pas de sûreté pour eux, et quon voulait les exterminer. Condé se plaignit. Les ministres allèrent demander justice à la reine et au roi de Navarre. Catherine les accueillit avec sa bienveillance habituelle. Le roi de Navarre leur déclara quils eussent à se tenir en paix : « Sire, lui répondit Théodore de Bèze, cest à la vérité, à lÉglise de Dieu, au nom de laquelle je parle, à endurer les coups, non pas à en donner, mais aussi il vous plaira vous souvenir que cest une enclume qui a usé beaucoup de marteaux. »

Un musée protestant de la grange de Wassy, construit avec les vestiges de la grange du massacre, a été inauguré le 29 septembre 1889. La grange elle-même a été reconstituée.

Notes

  1. Dont la propre mère, Renée de France, était calviniste.
  2. Au nombre de ceux qui restèrent sur la place, sont : M. Jacques Desmougeot, recteur des écoles à Wassy ; Jean Lepoix, procureur-syndic des habitants de cette ville ; Antoine de Borde, sergent royal en la prévôté ; Claude Lefèvre, drapier, auquel après sa mort on prit une bourse qui contenait une somme considérable que les meurtriers emportèrent ; Nicolas Caillot, Quentin Jacquard, Guillaume Drouot, Nicolas Menissier, Daniel Thomas, Jacques Joly, tous drapiers ; Jean Vanciennes, Clément Maillard, Clément Richard, Nicolas Robin, Clément Brachot, Nicolas Couverpuis, Didier Jacquemard, Claude Lejeune, Simon Jeoffroy, Jean Desmougeot, Jean de Moizy, Simon Chiquet, Guillaume Briel, Jean Jacquot, Denis de Morizot, Nicolas Brissonnet, Jean de Colesson, Claude Simon, Jean de la Loge, Pierre Deschets, Jean Dubois, Girard Dauzamillier, Benjamin son fils, Jean Lefêvre, Pierre Arnoult, Didier le Madeleine, Nicolas Maillard, Didier Jobart, Marguerite, femme de Girard Lucot ; Nicole de Borde, veuve de Jean Robin, demeurant à Wassy ; Jean Pataut, marchand à Trois-Fontaines, près Wassy ; Robert de Porteilles de Hauteville, et autres dont on na pas connaissance.
  3. Lorsque Claude Tondeur allégua lédit de janvier qui permettait aux protestants dexercer publiquement leur culte dans les faubourgs et dans les campagnes, le duc sécria, en mettant la main sur la garde de son épée : « Détestable édit, cest avec cette arme que je saurai en faire la rescision. »

Sources

  • Antoine-Elisabeth-Cléophas Dareste de La Chavanne, Histoire de France depuis les origines jusquà nos jours, t. 4, Paris, Henri Plon, 1866‬, 614 p. [lire en ligne], p. 183-84 
  • Horace Gourjon, Le Massacre de Vassy : daprès un manuscrit tiré dun convent de Vassy, Paris ; Genève, L.-R. Delay ; Ve Béroud et Suzanne Guers, 1844, 24 p. [lire en ligne], p. 9-24 
  • Jules Michelet, Guerres de religion, Paris, Chamerot, 1856, 484 p. [lire en ligne], p. 279-88 

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Massacre de Wassy de Wikipédia en français (auteurs)

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