Les Cahiers de Mai

Les Cahiers de Mai

Les Cahiers de Mai

Les Cahiers de mai fut une revue née immédiatement après les événements de mai 1968 (d’où son nom). Le premier numéro de la revue parut le 15 juin 68 avec comme thème la "Commune de Nantes". La parution fut bi-hebdomadaire jusqu'au n° 7 puis continuera avec une parution mensuelle jusqu'à la fin de la revue en 1974. Le tirage de la revue oscilla, suivant les numéros, entre 17000 et 20000 exemplaires.

Sommaire

Une approche en terme d'enquête

Dans la foulée des événements de 68 la pratique des comités d’action va déboucher sur de nouveaux rapports avec la classe. Sans se réclamer particulièrement du maoïsme, dans la mesure où certains de ses membres proviennent du PCF (Daniel Anselme), de la CGT, (amenés par le menuisier H.Fournié), de l’ancienne gauche syndicale (Bouguereau, Kravetz, Peninou), du PSU (Fromentin, Lichtenberger) du communisme libertaire (Daniel Colson et Jacques Wajnsztejn), du maoïsme aussi (Lindenberg, Queysanne). Les Cahiers de mai qui naissent justement pendant le mouvement, vont développer une pratique particulière basée sur l’enquête ouvrière. Elle se distingue de celle entreprise de l’autre côté des Alpes avec les Quaderni Rossi, par le fait que l’enquête est menée directement à partir du mouvement social lui-même et non à partir d’une analyse des transformations du capital. « Le rôle politique de l’enquête », article publié en juillet 1970 dans le n°22, propose une analyse de la conception des Cahiers de Mai. Elle se définit en opposition avec l’enquête de la sociologie industrielle qui est en plein développement. Il s’agit de placer l’enquête sous la direction ou au moins le contrôle des travailleurs. L’enquête sert à faire ressortir l’expérience ouvrière tout en faisant apparaître les idées nouvelles. Elle joue le rôle politique de la reformation de la classe ouvrière et œuvre à la réalisation de l’unité de la classe[1]. Cette unité est lente à se faire et Les Cahiers de Mai auront tendance à encourager des regroupements par secteurs qui donneront lieu à des groupes et journaux comme Action-Cheminot et Action-PTT. Il s’agit aussi, même si c’est plus implicite, de faire un bilan des luttes et des transformations du capital. A la « communication verticale » des syndicats qui laisse peu d’autonomie à la base, Les Cahiers de Mai opposent une liaison horizontale, à la base comme ils tenteront de la mettre en place, par exemple, pendant les grèves d’OS à Berliet Lyon avec la rédaction d’un texte par les travailleurs des ateliers en grève[2] et au cours de la grève de Pennaroya de 1972, entre les différentes usines du groupe[3], toutes plus ou moins en grève.

Un autre point de l’intervention du groupe est directement lié à un des échecs du mouvement de mai avec la difficulté qu’il y a eu à relier la lutte de ceux qui étaient à l’extérieur des entreprises et ceux qui étaient à l’intérieur. Les comités étudiants-travailleurs ont représenté une tentative de réponse à chaud à ce problème, mais ils ont eu une efficacité limitée et surtout, ils ont disparu ou sont en sommeil. Quant à « l’établissement » des militants extérieurs, Les Cahiers de Mai s’y refusent car ils trouvent cette pratique en vogue (au sein des groupes maoïstes) artificielle. La pratique de l’enquête ne va pas de soi et les débats sont vifs, au sein même du groupe, entre ceux, majoritaires, qui voient dans l’enquête la base même de la dynamique, à condition que l’enquête soit réussie évidemment, c’est-à-dire que son utilisation dans l’usine fasse bouger les choses et ceux, minoritaires, qui parlent en termes de formation politique qui seule pourra permettre aux ouvriers les plus combatifs de résister et aux pressions patronales et aux récupérations syndicales ou gauchistes[4]. En fait, la revue mène une sévère critique contre la théorie de l’avant-garde et de la conscience de classe importée de l’extérieur. Les groupes extérieurs sont critiqués parce qu’ils cherchent à apporter une dimension politique qui n’existerait pas dans la lutte elle-même. La revue essaie de s’en tenir à une ligne claire de démarcation de classe : « Qui parle et au nom de qui ? »[5]. Mais cette ligne qui relève d’une vision de la pure autonomie de la classe en lutte bute sur le fait que le capitalisme est un rapport social de dépendance entre deux classes certes antagonistes, mais aussi liées. D’où le rôle des syndicats, d’où l’ambiguïté de la revue à leur égard. Elle bute aussi sur le fait que Mai 68 exprime en partie une crise de la théorie du prolétariat et une remise en cause du rôle moteur de la classe ouvrière dans le processus de lutte contre un système qui est de plus en plus ressenti comme un système de domination et non pas simplement ou essentiellement d’exploitation. Cette crise sera manifeste après Lip et fatale aux Cahiers de Mai qui sont dissous en 1974.

Notes et références

  1. Un cheminot déclare (n°22, p.14) : « L’enquête joue surtout un rôle d’auto-formation des noyaux qui ont participé au combat. Elle doit permettre à ces noyaux parfois informels, de se réunir, et à travers ce travail d’enquête, de voir ce qui se passe dans leur entreprise, de leur faire prendre conscience qu’ils existent, qu’une de leurs taches est de s’organiser réellement, et qu’à partir de leur groupe (CA, section syndicale etc., ça dépend des conditions) des liaisons soient entreprises ».
  2. La pratique est de fait très différente de celle de la feuille d’usine de Lutte Ouvrière ou de la pratique externe de l’enquête des maos. Ici, cela débute par une réunion entre certains ouvriers en lutte qui contactent ou sont contactés par Les Cahiers de Mai, un texte est rédigé ensemble puis les ouvriers le font circuler dans l’usine pour correction et enfin une dernière réunion met le point final au texte qui est diffusé ensuite dans l’usine, mais aussi dans Les Cahiers de Mai. Une grosse limite réside dans le fait que les militants ne pouvant être de partout, le contact à l’intérieur passe souvent par un membre de la CFDT, le plus souvent un délégué de la tendance gauchisante du syndicat. Il en ressort une ambiguïté de départ qui peut conduire à des dérives. C’est effectivement ce qui s’est passé à partir de Pennaroya et encore plus avec Lip. Nous y reviendrons dans l’analyse du mouvement de Lip.
  3. A Lyon, à St Denis, à Noyelle Godeau, à Largentière.
  4. Un militant de Lyon (B.Fromentin) intervient sur cette question de l’interventionnisme politique : « Ces groupes se présentent comme des sujets politiques qui auraient à stabiliser des noyaux plus ou moins amorphes sans tenir aucun compte du fait que le développement et l’existence de noyaux ne dépend pas d’actions volontaires de groupes extérieurs qui prendraient des mesures pour permettre à ces groupes d’exister, mais des luttes réelles qui se passent dans la boîte » (p.16).
  5. Une anecdote racontée par D. Anselme permet de comprendre la différence entre l’optique des Cahiers de mai et celle des groupes gauchistes. Dans une discussion en petit comité qui met en présence d'un côté, D.Anselme, principale figure (non médiatisée) des Cahiers et de l'autre Roland Castro de VLR (Vive la révolution) et Le Dantec de la Gauche Prolétarienne, ces deux derniers font assaut de révolutionnarisme et Anselme de leur poser la question qui tue : « mais qui vous a fait révolutionnaire ? ».

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