Le Dieu noir et le Diable blond

Le Dieu noir et le Diable blond

Le Dieu noir et le Diable blond

Titre original 'Deus e o Diabo na Terra do Sol'
Réalisation Glauber Rocha
Scénario Glauber Rocha, Walter Lima Jr (non crédité), Paulo Gil Soares (non crédité)
Acteurs principaux Geraldo Del Rey
Yoná Magalhães
Othon Bastos
Maurício do Valle
Sociétés de production Luiz Augusto Mendes, Glauber Rocha,Jarbas Barbosa, Luiz Paulino Dos santos(non crédité)
Pays d’origine Drapeau : Brésil Brésil
Genre Drame
Sortie 1964
Durée 115 minutes

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution

Le Dieu noir et le Diable blond (Deus e o Diabo na Terra do Sol) est un film brésilien réalisé par Glauber Rocha, sorti en 1964.

Sommaire

Synopsis

L'œuvre met en scène un couple, Manuel et Rosa, bercés dans la misère des Terres arides du Sertão. Désirant s'émanciper de leur situation accablante, Manuel tente de revendre deux vaches à son propriétaire, qui, profitant de la toute puissance de sa condition, use de contraintes soumises au paysan dominé, le conduisant à clôturer la transaction par le meurtre.

Astreint à la fuite, Manuel espère trouver refuge et consolation dans les discours fanatiques de l'illuminé Sebastião, promettant une île, terre de paradis où règnerait justice lorsque « la terre et la mer se réuniront ». Mais l'infanticide perpétré sur un nourrisson, acte terrible et follement religieux, sous le regard de Rosa conduira celle-ci à poignarder le prédicateur, précédant l'illustre mercenaire Antonio Das Mortes engagé par l'Église.

C'est alors auprès de Corisco, un « cangaceiro », bandit, pilleur et violeur, que Rosa et Manuel réclament asile. Tous finiront assassinés par Antonio Das Mortes, cette fois à la solde du gouvernement, qui conclura le film en affirmant la prédominance de l'Homme, et la nécessité de l'appartenance de ses terres, destituant le rôle du propriétaire avide de pouvoir, face aux hérésies exaltées, qu'elles proviennent d'un Dieu où d'un Diable.

Fiche technique

  • Titre : Le Dieu noir et le Diable blond
  • Titre original : Deus e o Diabo na Terra do Sol
  • Réalisation : Glauber Rocha
  • Scénario : Glauber Rocha
  • Costumes : Paulo Gil Soares
  • Photographie : Waldemar Lima
  • Montage : Rafael Justo Valverde
  • Musique : Sérgio Ricardo
  • Société de production : Luiz Augusto Mendes, Glauber Rocha,Jarbas Barbosa, Luiz Paulino Dos santos(non crédité)
  • Pays d'origine : Brésil
  • Langue : portugais
  • Format : Noir et blanc - 1,33:1 - Mono - 35 mm
  • Genre : Aventure, drame
  • Durée : 115 minutes
  • Date de sortie : 1964

Distribution

  • Geraldo Del Rey : Manuel
  • Yoná Magalhães : Rosa
  • Othon Bastos : Corisco
  • Maurício do Valle : Antônio das Mortes
  • Lidio Silva : Sebastião
  • Sonia Dos Humildes : Dadá
  • João Gama : Priest
  • Antônio Pinto : Colonel
  • Milton Rosa : Moraes

Analyse

Face à l'omniprésence d'un cinéma dominant omniprésent et omnipotent sous l'égide des archétypes hollywoodiens, des voix s'élèvent et s'indignent ; la sphère du cinéma novo se forme et devient féconde d'œuvres emblématiques et contestataires, indéniablement liées au rude contexte social, historique et politique brésilien. Glauber Rocha est de l'un de ces principaux ambassadeurs en tant qu'auteur révolté, protestataire et contesté, créant un cinéma se positionnant d'emblée contre le conformisme dominant, rongeant l'héritage culturel du Brésil.

Le Dieu noir et le Diable blond s'inscrit au cœur de ces considérations de par son ancrage dans un contexte particulier, son esthétique, et cristallise de manière emblématique les contestations d'une époque.

Contexte culturel, politique et social autour et au sein de l'œuvre

L'année 1964, date de la sortie du film, est une année particulièrement symbolique de l'histoire du Brésil et parallèlement, des mutations de son cinéma, de ses préoccupations et de ses problématiques.

En effet, 1964 est à la fois l'année du coup d'état, qui le 31 mars, amena la dictature militaire mené par le maréchal Castelo Branco qui renversa ainsi le président élu en 1961 João Goulart, et l'année du succès du Cinema novo hors des frontières du Brésil, puisque les participants du Festival de Cannes découvrent Le dieu noir et le diable blond, Sécheresse de Nelson Pereira Dos Santos tandis que Les fusils de Ruy Guerra remporte le Prix spécial du Jury (l'Ours d'argent) au Festival de Berlin.

Ces réalisateurs élaborent tout trois une esthétique issue de la littérature et d'une culture sertaneja enracinée dans la région du Nordeste, terre de misère et de sécheresse. Leurs problématiques, liées à la conscience politique des réalisateurs, sont à la fois marquées par le désir de renouvellement du cinéma brésilien, se différenciant du modèle archétype nord-américain et s'intéressant à leurs pairs européens (du néoréalisme italien à la nouvelle vague), et par la représentation de la misère, des injustices sociales, et de la nécessité de la révolte au sein de celui-ci. C'est au sein de ces considérations que s'ancrent les réflexions esthétique et politique du cinema novo témoignant de la volonté de conquête d'une identité nouvelle et contestataire.

Et c'est au sein du Cinema novo que Glauber Rocha s'inscrit comme cinéaste phare du courant, en tant que son porte-parole éminent, de par ses réalisations jusqu'à ses écrits tel que L'esthétique de la faim ou L'aventure de la création.

Le Dieu noir et le diable blond est indéniablement lié à ce cadre culturel, historique et politique, au premier plan des représentations et des contradictions sociales, le film étant impliqué dans la transformation de la société et valorisant par ce biais une vision dialectique de l'histoire.

Spécificités esthétiques et Représentation de la contradiction

Cadre et représentation du Sertão

Tourné en extérieur dans le cadre désertique et brulant du Sertão dans la région du Nordeste, la réalisation est imprégnée d'une atmosphère particulière et caractéristique, du Dieu noir et du diable blond en particulier et du cinéma novo en général, par ce blanc brillant, déchirant et ardent, investissant l'image de manière omniprésente sur chacun des plans, la sensibilité de la pellicule étant non-adaptée à l'intensité lumineuse du soleil de cette région.

Un paysage où l'horizon semble infini et où la sécheresse se veut mortifère, féconde de misère et de pauvreté, porteur d'une identité géographique qui lui est propre, où les hommes, accablés, sont contraints à la migration, chassés par la faim. D'un réfèrent linguistique, climatique et géographique, le Sertão, et plus généralement le Nordeste est devenu l'emblème de la cristallisation des tensions et des paradoxes politiques ; entre l'attachement à la terre et la condamnation à la migration, en même temps que le berceau d'une imagerie revendicatrice et d'un esthétique de contestation. C'est au sein de ce paysage qui tentent de survivre péniblement les deux protagonistes du Dieu noir et le Diable blond, harassés qui plus est par l'avidité du propriétaire des terres et du bétail, homme intransigeant et dominant, symbole de la hiérarchisation politique s'opérant et source d'injustice sociale.

Utilisation des mythes populaires

Pour les deux individus du Dieu noir et le diable blond, Manuel et Rosa, assujettis à ces carcans, tout n'est qu'espoir déchu, fatalité des illusions et nécessité de recourir aux discours mystiques, unique refuge appelant à l'équité des hommes. Seulement ceux-ci répondent au mal-être des individus par un fanatisme exacerbée, une transposition de ces maux par une thématique divine cristallisant les peines accablées du peuple et nourrissant ses espérances par des fantasmes délirants ; ils ne sont qu'une source d'aliénation supplémentaire, symbolisés, dans l'œuvre de Rocha, par le personnage de l'illuminé Sebastião, le Beato, le Dieu noir.

L'autre individu, le Diable blond, correspondant à une seconde tentative de refuge du couple mis en scène par Rocha, est un cangaceiro, bandit cruel et sanguinaire chez qui les intérêts politiques d'une lutte armée ont dérivés vers une surcharge de violence enivrée. Ce personnage témoigne de l'un des aspects particulièrement présent dans le cinéma de Rocha en général : la ré-interprétation des mythes populaires du Brésil et la caractérisation des individus en tant que métaphore des identités sociales.

Ainsi, dans le discours de Corisco le cangaceiro, le nom de Lampiao est récurrent :l il évoque l'identité d'un bandit de grand chemin, inquiétant le pouvoir publique des années 1920 aux années 1930, mort en 1938, transcendée en figure mythique par la ré-interprétation poétique de l'imagerie populaire, sacralisant ses périples criminels, cruels et sanglants en les théâtralisant et en les teintant d'un caractère politique contestataire.

Glauber Rocha s'empare de ce schéma de ré-investiture, appuyée par l'excitation d'un peuple issue de la nécessité sociale de se vêtir d'une identité commune lointaine de l'injustice hiérarchique en place, dans un Brésil empreint de doute et encore divisé. Le réalisateur intègre donc à son cinéma les personnages d'une autre époque, comme allégorique, archétype littéraire et théâtral des identités brésiliennes, et les utilise pour appuyer ses revendications sociales ; la réalité d'un contexte est éminemment hantée par de vieux mythes qui ressurgissent. Dans Le Dieu noir et le Diable Blond, la dualité et l'ambivalence entre réalisme et interprétation romanesque, entre problématiques tirées d'une contestation politique et celles d'une poésie issue de l'imagerie populaire, sont omniprésentes dans une œuvre cultivant le déséquilibre et l'inconstance comme source de création.

Références cinématographiques

Au sein du Dieu noir et le Diable Blond, Glauber Rocha multiplie les références cinématographiques qui viennent alimenter la spécificité de l'œuvre. Ainsi Luis Carlos Maciel, dans son essai critique Dialectique de la violence, compare le film de Rocha à la mythologie du western et conduit Ismail Xavier, dans son ouvrage Glauber Rocha et l'esthétique de la faim, à étudier l'influence de John Ford. Il cite de cette manière les déplacements dans de vastes espaces, le paysage rude et quasi désertique, la poursuite implacable, la violence groupée et les duels à caractère chevaleresque comme points de ressemblance. Mais si Le Dieu noir et le Diable blond use d'un traitement de la violence qui parait commun au Western, il s'en détache en proposant une dialectique de la violence en lieu et place d'une métaphysique de la violence, comme le caractérise Luis Carlos Maciel, l'aspect dialectique se reposant sur la violence comme composante d'un processus social, liée au conditionnement historique et politique, et s'opposant au strict manichéisme de sa représentation. Dans ce même ouvrage Ismail Xavier met en relation le film de Glauber Rocha avec Sergueï Eisenstein, pour le montage vertical permettant le traitement indépendant des images et du son, et Brecht, de par l'aspect discontinu permettant différentes formes d'intrusions narratives et diverses adresses au spectateur, notamment dans les incursions musicales déclamant les évènements se déroulant et ceux à venir, et d'autres se caractérisant comme thématique des individus (comme la chanson liée à Antonio das mortes).

Représentation de la contradiction

L'œuvre dans sa totalité cultive l'ambivalence des préoccupations artistiques, entre une réalité baroque et une dimension romanesque inscrite dans un contexte social. Glauber Rocha développe en parallèle de son œuvre un accompagnement musical thématique et annonciateur des événements, chantant et soulignant, tel un chœur théâtral, le caractère et les actes des différents protagonistes. Une prise à parti du spectateur par un principe de distanciation, amplifié par les adresses directes, et les regards des individus traversant l'écran, leurs visages irrités par l'ardeur de la misère en gros plan témoignant de l'importance de la conquête d'une identité brésilienne intégrant la population pauvre et désœuvrée, appelant à la destitution de la hiérarchie politique effective et les fascinations mystiques aliénantes, à la remise de la terre au peuple, à l'homme.

Ainsi Le Dieu noir et le Diable blond s'inscrit à la fois :

  • dans une représentation emblématique de la réflexion politique et esthétique du cinéma novo et de ses préoccupations particulières ;
  • dans une représentation ambivalente des problématiques issues d'une réalité sociale et d'une imagerie populaire ;
  • dans une représentation des contradictions ; des formes dominantes, autant politiques que culturelles issues de la désillusion des jeunes auteurs brésiliens et sa traduction au sein de l'œuvre de Glauber Rocha, ainsi que des éminents paradoxes de tout un peuple, en quête d'une identité nationale, animé par une conscience contestataire.

Autour du film

« Le cinéma novo existe, il est une réponse créatrice, une pratique active dans un pays riche en possibilité et en équivoques »

— Glauber Rocha, Positif, 1968

« L'histoire du Brésil c'est l'histoire de sa musique, tout brésilien est un musicien né »

— Glauber Rocha, Positif, 1968

Distinctions

  • Nomination au Festival de Cannes 1964.

Bibliographie

Ouvrage utilisé pour la rédaction de l'article : Ouvrage utilisé comme source pour la rédaction de cet article

  • Jean-Loup Passek, Le cinéma brésilien, coll. Pluriel, Centre Pompidou, 1987 
  • Erika Thomas, Le cinéma brésilien, L'Harmattan, 2007 
  • Sylvie Debs, Cinéma et littérature au Brésil; Les mythes du Sertão : émergence d'une identité nationale, L'Harmattan, 2002 
  • Ismail Xavier, Glauber Rocha et l'esthétique de la faim, L'Harmattan, 2008 

Liens externes


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Le Dieu noir et le Diable blond de Wikipédia en français (auteurs)

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