Fughetta

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Fugue

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Une fugue, en musique, est une forme d'écriture contrapuntique exploitant le principe de l'imitation. On désigne, à partir du XVIIe siècle du nom de « fuga » (de fugere, « fuir » en latin) une composition entièrement fondée sur ce procédé : « fuir », parce que l'auditeur a l'impression que le thème de la fugue fuit d'une voix à l'autre.

La pratique de la fugue demande de très solides compétences. On considère généralement que les nombreuses fugues écrites par Jean-Sébastien Bach en sont le modèle insurpassable. Néanmoins, tous les grands compositeurs ont pratiqué avec succès la fugue, y compris les grands romantiques — à l'exception notable de Chopin, le seul à l'avoir ignorée, et ce même si ses œuvres tardives (en particulier la Sonate n°3) font usage d'une écriture fuguée.

Sommaire

Un procédé spontané : l'imitation

L'imitation, comme le contrepoint, a une origine médiévale et vocale. C'est un procédé utilisé spontanément par les chanteurs improvisant en groupe, comme on peut encore aujourd'hui l'observer, par exemple, dans les ensembles de negro-spiritual.

En tant que procédé d'écriture, c'est la répétition par une voix d'un fragment mélodique exécuté préalablement par une autre voix. Le fragment exécuté en premier est dit « antécédent », sa reproduction (imitation) le conséquent. L'imitation est dite « régulière » lorsque le conséquent est identique à l'antécédent. Le conséquent peut être transposé, resserré (« strette », lorsque l'imitation commence avant que l'exécution de l'antécédent ne soit terminée), augmenté, etc.

Les messes de Palestrina, l'un des grands maîtres du contrepoint vocal, nous donnent les exemples les plus riches et les plus savants d'écriture en imitation.

Un pas de plus vers la fugue : le canon

Un canon est une imitation qui suit l'antécédent en le chevauchant, c'est une forme aboutie de la strette. Le plus simple et le plus connu étant le canon à l'octave du type « Frère Jacques ». Le canon s'est pratiqué de tout temps depuis la fin du Moyen Âge. Le Deo Gratias d'Ockeghem, à trente-six voix, est l'un des plus ambitieux canons de tous les temps. Bach en donne des exemples très savants dans son Art de la fugue (Die Kunst der Fuge). Au XXe siècle, le compositeur de jazz américain Louis Hardin (dit « Moondog »), est l'auteur d'un nombre impressionnant de canons à trois, quatre voix ou plus, dans lesquels il fait preuve d'une grande science d'écriture et d'une grande invention rythmique.

Le canon nécessite la maîtrise d'une technique fort difficile, le contrepoint renversable, indispensable à la composition de fugues. On appelle contrepoint renversable une mélodie dont l'accompagnement peut être écrit sans inconvénient ni incorrection indifféremment au-dessous ou au-dessus de cette mélodie. C'est ce procédé qui permet la réalisation des contre-sujet de fugue. Il existe des contrepoints renversables à deux, trois et quatre voix, la difficulté croissant avec le nombre de voix. On ne peut utiliser que trois types d'accord, l'accord parfait sans quinte, l'accord de sixte sans quinte et l'accord de triton. Mozart, dans le finale de sa symphonie « Jupiter », propose un exemple particulièrement acrobatique de contrepoint renversable à cinq voix.

Vers la fugue proprement dite : motet, ricercare, fantaisie

La fugue devient à partir du XVIIe siècle une véritable forme musicale au même titre que la sonate. Mais l'ancêtre réel de la fugue est le ricercare, dont on voit de nombreux exemples sous la plume de Palestrina, Frescobaldi, Battiferi. La fugue peut être considérée comme naissant avec « l'instrumentalisation » du ricercare, du motet, des chansons ou madrigaux; les transcriptions pour instruments à clavier de ces pièces vocales (messes, des cantates, etc.) ont ainsi été l'un des éléments de maturation de la fugue.

Dietrich Buxtehude (1637-1707), le « Maître de Lübeck », peut être considéré comme un auteur charnière entre Bach et ses prédécesseurs (le Bach du Clavier bien Tempéré), certaines fugues de Buxtehude ayant même été attribuées par erreur à Bach. Ce grand virtuose, pour l'écoute duquel on traversait l'Allemagne (comme Bach le fit, avec pour conséquence de manquer à certaines de ses charges, mais également Haendel et son ami Mattheson), a précédé celui-ci dans la fantaisie, l'audace harmonique, l'aisance et la créativité improvisatrice. Néanmoins, la forme de ses fugues présente encore certains archaïsmes.

La fugue dans sa forme conventionnelle actuelle, c'est-à-dire telle que l'a léguée Bach, est en soi la résolution d'un problème de structure et de cohérence non résolu par les formes préexistantes. Le ricercare, le motet et autres formes anciennes souffraient d'un manque d'unité que la fugue, au sens moderne du mot, résout par une architecture aboutie dont Bach est considéré comme ayant définitivement fixé le cadre. La 16e fugue (en sol mineur) du premier livre du Clavier bien Tempéré est très proche de cette forme archétypale, c'est cette forme qui est encore aujourd'hui employée à l'école.

La fugue d'école

L'analyse des grandes fugues fait apparaître, comme en toute forme musicale, une structure que l'on peut considérer comme un modèle dont le compositeur, dès lors qu'il le maîtrise, ne peut s'écarter qu'avec des arguments artistiques irréfutables. Nous allons donc décrire ici succinctement (une analyse plus approfondie exigerait un véritable cours de composition) ce qu'il est convenu d'appeler la fugue d'école.

La fugue commence par l'exposition d'un thème, dit « sujet », suivi de ce que l'on appelle la « réponse », qui n'est autre que le sujet répété au ton, soit de la dominante, soit plus rarement de la sous dominante, par une autre voix. Cette réponse est accompagnée par la première, qui expose alors ce que l'on appelle le contre-sujet, qui n'est qu'un accompagnement du sujet en contrepoint renversable. On appelle contrepoint renversable une mélodie dont l'accompagnement peut être placé sans incorrection au-dessus ou en dessous de celle-ci. Cette exigence entraîne d'épineuses difficultés d'écriture.

Lorsque les trois ou quatre voix (voire cinq) ont exposé le thème, survient alors, après des « divertissements » prenant généralement la forme de marches harmoniques (lesquels utilisent généralement des fragments du sujet ou du contre-sujet), ce qu'il est convenu d'appeler le développement. Toute sortes de procédés d'écriture sont alors mis à contribution pour utiliser, voire déformer, le sujet ou le contre-sujet: variations, mutations, ornements, « minorisation » ou « majoration », etc. Cette partie de la fugue permet une plus grande liberté apparente. La cadence finale approchant, sont souvent utilisées ce que l'on appelle des strettes, autrement dit des canons où le sujet se chevauche lui-même, révélant alors qu'il a été écrit préalablement en prévision de cet épisode canonique. Bach termine souvent ses fugues par une cadence plagale et, lorsqu'elles sont écrites dans un ton mineur, par une tierce picarde.

Voici, à titre d'exemple, les premières mesures de la fugue en la mineur pour clavecin de Johann Sebastian Bach BWV.895,2 :
Ex fugue.png

On remarquera que le premier intervalle du sujet est une quinte descendante (mi-la) alors que ce même intervalle est devenu une quarte descendante (la-mi) dans la réponse. Cette modification d'intervalle, qui n'altère que fort peu l'impression d'identité entre sujet et réponse, s'appelle une mutation. Cet artifice est parfois nécessaire au maintien de la cohérence tonale, afin de rendre plus surprenante une éventuelle modulation ultérieure.

En général, un seul thème sous-tend toute la composition, assurant l'unité. L'une des grandes difficultés de la fugue est d'obvier à l'impression de monotonie qui pourrait se dégager de la répétition multiple d'un thème. Tout l'art du compositeur est de doser le retour de celui-ci, en d'autres termes de savoir s'arrêter avant de lasser l'auditeur. Ces difficultés ne sont cependant pas spécifiques à la fugue en soi, mais sont celles de la composition en général.

Il existe des fugues comportant plus d'un sujet, que l'on appelle doubles ou triples fugues. Il s'agit cependant d'un artifice, car ces sujets apparemment nouveaux, exposés seuls (nouvelle exposition) après que sujet et contre sujet ont été largement utilisés et développés, sont, en réalité, des contre-sujets supplémentaires, écrits en contrepoint renversable à trois (ou quatre) voix, qui viennent ensuite s'intégrer dans la polyphonie déjà formée par les sujets et contre-sujets entendus précédemment. Il va sans dire que la maîtrise du contrepoint renversable à plus de deux voix est indispensable à de telles prouesses. Les exemples dont tout compositeur peut tirer profit se trouvent dans L'Art de la fugue, notamment la célèbre fugue dont l'un des contre-sujet-second sujets était B-A-C-H, soit, dans la notation allemande, si♭-la-do-si \natural. L'intérêt des fugues doubles ou triples est la composition de structures plus longues, sans divertissement virtuose, de « remplissage » (fussent-ils géniaux) comme Buxtehude et Bach en donnent maints exemples dans leurs fugues pour orgues, ornées de vastes passages improvisés. La fugue multiple est ainsi une démonstration de science contrapuntique, le « Meisterstück » indispensable de tout compositeur.

Le lecteur intéressé devra se reporter à l'ouvrage d'André Gedalge « Traité de la fugue », édité chez ENOCH Cie, Éditeurs, l'ouvrage écrit il y a environ un siècle présente remarquablement la fugue d'école.

Bach et ses successeurs

Bach a utilisé la fugue dans une part importante de ses œuvres. Le clavier bien tempéré, offre des modèles accomplis de la fugue pour instrument à clavier, tout comme ses fugues pour l'orgue. Ses fugues de dimensions monumentales, comme le Kyrie de Messe en Si, ou le finale du Concerto Brandebourgeois n° 5 sont des modèles qu'aucun romantique n'ignora. Les fugues ou fugatos sont par ailleurs très nombreux dans l'immense catalogue des Cantates (Ich hatte viel Bekümmernis"...) La fugue sert véritablement de langue maternelle à Bach. Ses œuvres savantes, sorte de mise en pratique de la théorie naissante, l'Offrande musicale et l'Art de la Fugue, fournissent une base solide à qui entreprend l'étude approfondie de la science du contrepoint.

Les fugues de Bach n'ont cessé d'inspirer ses successeurs, au premier rang desquels Mozart, littéralement confronté à une crise créatrice majeure, consécutive à sa découverte du maître de Leipzig alors tombé dans un relatif oubli. Bien que Mozart fût déjà en pleine possession de son génie, le savoir du grand maître transparaît dans ses œuvres ultérieures, comme le Requiem ou la Symphonie "Jupiter".

Mendelssohn sera l'un des plus ardents thuriféraires de Bach, dont il aura le privilège de refaire vivre l'œuvre. Certaines des ses pages en sont de magistraux pastiches: les chorals de « Paulus », par exemple, sont des chorals de Bach imités à la perfection.

Beethoven n'ignorait rien de la fugue chez Bach, et parvient même, parfois, à le dépasser en complexité : le IIe mouvement de la IXe Symphonie n'est qu'une vaste fugue aux dimensions titanesques, tout comme celle qui intervient après le chœur « Wie ein Held Zum Siegen » dans le IVe mouvement (la célèbre interprétation électronique de Wendy Carlos, réalisée en 1971 pour le film « Orange Mécanique », permet de percevoir avec une grande précision tout le contrepoint de ce sommet de la fugue orchestrale). La Grande Fugue op.133, pour quatuor à cordes, illustre brillamment la forme. La fugue a été également pratiquée par Beethoven avec une stupéfiante maîtrise dans plusieurs de ses sonates.

Les grands romantiques comme Brahms et Wagner, dans le « Tristan » duquel l'influence de Bach est patente, pratiqueront la fugue comme un savoir indispensable à la liberté d'écriture et à la maîtrise du contrepoint. Aucun grand compositeur n'ignora, ni même ne manqua d'exceller, dans la fugue. Anton Bruckner conclut sa cinquième symphonie par une fugue monumentale à plusieurs sujets et en avait largement esquissée une autre pour le final de la neuvième symphonie, restée inachevée.

La fugue entre dans le XXe siècle par la grande porte avec le plus savant successeur moderne de Bach, Max Reger. Cet organiste qui commença à composer sur le tard, mal connu jusqu'à récemment en France, jouit d'un prestige considérable en Europe centrale, ou son œuvre très abondante a eu une forte influence sur ses contemporains, dont Schoenberg. Heinrich Kaminski (1886-1946), aujourd'hui presque totalement oublié, mais qui jouissait à son époque d'une très grande réputation, conclut son quintette à deux altos par une fugue dont les développements en variations et les dimensions présentent beaucoup de similitudes avec la "Grande Fugue" de Beethoven.

Bien qu'il la maîtrisât parfaitement dans sa jeunesse encore tonale, (les chœurs à la fin des monumentaux Gurre Lieder en sont la preuve admirable), Arnold Schoenberg voulut libérer la fugue de ses contraintes tonales, ce qui peut être considéré avec une certaine réticence, comme le relève le musicologue Charles Rosen. En effet, sans les règles qui en font un exercice où la « liberté ne s'acquiert que dans la servitude », sans pivots harmoniques, sans accords, sans intervalles contrôlés, le terme de fugue peut perdre en partie son sens. Néanmoins Béla Bartok, dans le premier mouvement de sa Musique pour cordes, percussion et célesta saura proposer une véritable fugue pour cordes, dont les entrées sont parfaitement perceptibles, ainsi qu'un vrai développement, alors même que les fonctions tonales y sont très fortement élargies. Cette prouesse a été rarement égalée. Le compositeur a su exploiter le caractère répétitif de la fugue, qui permet ici à l'auditeur de mémoriser un sujet relativement complexe par son extrême chromatisme. Béla Bartok composa également une fugue comme deuxième mouvement de sa sonate pour violon seul. Le final de son divertimento pour cordes comprend également des passages fugués.

Ces dernières années, les déboires de l'atonalité ont remis en question l'abandon du contrepoint, corolaire de la mélodie, cette ancienne discipline n'ayant jamais, comme la fugue, cessé d'être considérée à l'école comme un exercice indispensable à la maîtrise du matériau sonore.

Les instruments utilisés

En ce qui concerne la fugue, pièce isolée, cette forme peut être exécutée par tout instrument polyphonique, par tout groupe d'instruments monodiques, par tout orchestre et par tout type de chœur. Néanmoins, les plus connues sont destinées aux instruments à clavier, et fournissent un répertoire de choix à l'exécutant (orgue ou clavecin). Les claviers sont particulièrement adaptés à l'écriture fuguée. Mais Bach a également composé trois admirables fugues pour violon seul (BWV 1001:2, 1003:2 et 1005:2) qui, outre qu'elles constituent un défi technique sans équivalent pour l'exécutant, prouvent s'il en était encore besoin l'insurpassable génie de Bach, réalisant ici le stupéfiant tour de force de concilier la quintessence de la forme polyphonique et un instrument dont la vocation et les moyens sont presque uniquement monodiques.

Fugues célèbres

Fugues pour orgue

Fugues pour claviers et autres instruments ou formations

Voir aussi

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