Académie de physique de Caen

Académie de physique de Caen
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P.-D. Huet, co-fondateur de lAcadémie de physique de Caen.

LAcadémie de physique de Caen, fondée en 1662 à Caen et dissoute en 1672, a été la première académie des sciences de province à bénéficier dune charte royale et une des premières en France à promouvoir lempirisme et la coopération scientifique comme fondement de ses programmes.

Sommaire

Débuts (1662-1667)

LAcadémie est fondée en 1662 par André Graindorge, médecin et philosophe de la nature local, et par le savant caennais Pierre-Daniel Huet, de retour de son voyage de travail à la bibliothèque de la reine Christine de Suède il a mis au jour des fragments du Commentaire sur Saint Matthieu dOrigène. Graindorge et Huet étaient membres de lAcadémie des sciences, arts et belles-lettres de Caen , en dépit de son nom officiel, lon débattait surtout de philosophie et de littérature, au grand regret des deux hommes qui nourrissaient tous deux un intérêt croissant pour la philosophie naturelle[1]. Graindorge, qui sappliquait depuis fort longtemps aux sciences physiques, sintéressait notamment particulièrement à lexpérimentation et à létude des relations entre la théorie et la philosophie[Lux 1]. Il engagea Huet à prendre un jour par semaine il ne serait question que de sciences naturelles. Huet y consentit, et cest ainsi quune Académie nouvelle fut créée dans sa maison.

LAcadémie débuta comme un cercle de réflexion sous le patronage de Huet, le plus connu des deux, Graindorge établissant le programme détude. Le cercle initial navait pas vraiment de membres bien établis mais sert de groupe informel pour les scientifiques ayant des intérêts similaires. Elle soccupait avec ardeur de recherches anatomiques. Les sept premières années, le groupe se réunit surtout pour voir des dissections et en discuter[Lux 2].

Les travaux de la nouvelle Académie embrassaient aussi lastronomie. Huet avait fait venir chez lui, avec la bibliothèque de Gilles Macé composée douvrages rares en mathématiques, dont son cousin lui avait fait présent, des instruments fabriqués par Macé sur le modèle de ceux dont sétait servi Tycho Brahe pour observer la comète de 1618. Huet observa lui-même, avec ces instruments, la comète de 1664. Lapparition de la comète de 1665, et un long séjour de Graindorge à Paris, servirent à inspirer lintérêt du groupe pour la science et à formaliser ses activités. Lors de son séjour à Paris, Graindorge assista aux réunions scientifiques du cercle de Melchisédech Thévenot, embryon de la future Académie des sciences de Paris, y observant des dissections réalisées par lanatomiste réputé Niels Stensen, qui le convainquirent plus encore de limportance dun savoir établi sur des bases expérimentales. Il commença à rendre compte à Huet par courrier de ce quil voyait à Paris, ce que Huet utilisa pour alimenter le programme de travail à Caen. Graindorge devint également persuadé quune société coopérative fondée sur la recherche empirique constituait la meilleure façon dappréhender la vérité scientifique[Lux 3]. Près du local des séances il y avait un hôpital dont le chirurgien, lorsquun malade venait à mourir de quelque maladie peu connue, en donnait avis aux membres de lAcadémie avant linhumation : ceux-ci procédaient à la dissection du corps, afin darriver, sil était possible, à découvrir la cause du mal et de la mort. Les académiciens ne se bornaient pas à disséquer des cadavres humains, ils étendaient aussi leurs travaux aux quadrupèdes, oiseaux, poissons, serpents et insectes, tant morts que vivants. Ils parvinrent ainsi à des découvertes intéressantes.

Huet, qui était myope, pensa que ses recherches laideraient peut-être à combattre ce défaut de sa vue : il étudia la structure de lœil avec la plus grande attention, disséquant de sa main plus de trois cents yeux de toutes espèces danimaux. Espérant découvrir les propriétés de la vue, il compara les yeux des animaux passant pour avoir la vue la plus perçante, tels que les éperviers, avec les yeux des oiseaux dotés dune vue faible et trouble, tels que sont les hiboux. Il confrontait les humeurs avec les humeurs, les tuniques avec les tuniques, les nerfs avec les nerfs et, daprès cet examen, il portait son jugement sur la vue des animaux quil soumettait à ses recherches.

Rentré à Caen en avril 1666, juste après le départ de Huet, Graindorge prit, en son absence, lorganisation de lAcadémie naissante en main. À ce moment, celle-ci se composait, en plus de Graindorge et de Huet, de :

Étant donné la hiérarchie sociale dans la France de cette époque, Graindorge éprouva tout dabord des difficultés pour organiser lAcadémie sous son autorité. Il commença par utiliser ce quil avait acquis à Paris pour en orienter les travaux, en se concentrant sur les phénomènes naturels et les animaux, comme les causes de la rosée, les serpents et les effets de leurs venins ou encore des recherches sur le système circulatoire[Lux 4]. Dautres membres commencèrent également à partager leurs expériences et découvertes, tel Vaucouleurs, qui a travaillé sur le poids de lair et développé une version primitive de baromètre[Lux 5]. Cependant, alors que Graindorge, et dans une moindre mesure, Vaucouleurs, effectuent de nouvelles recherches et expériences, lAcadémie commença à péricliter. Le retour de Huet à Caen en janvier 1667 contribua à lui redonner un nouveau souffle, ainsi que la nouvelle selon laquelle lAcadémie serait placée sous protection de Guy Chamillart, intendant royal de la généralité de Caen depuis 1665, à partir du départ de Caen de Huet en octobre 1667. LAcadémie sagrandit aussi avec larrivée de trois nouveaux membres : Jacques Savary, sieur de Courtsigny, Jacques Chasles et Pierre Cally[Lux 6].

Reconnaissance royale (1667-1668)

Lorsque Colbert apprit que lAcadémie donnait à ses travaux un but si utile, il eut assez de crédit sur lesprit de Louis XIV pour faire contribuer lÉtat aux frais des expériences que multipliaient ses savants. LAcadémie grandissait de jour en jour en renommée et le duc de Saint-Aignan ambitionnait, par lentremise de Huet, den faire partie. En janvier 1668, Chamillart, en sa qualité de dirigeant de lAcadémie, obtint sa reconnaissance en tant quinstitution royale de la part de Louis XIV et une promesse de financement royal[2]. Le 18 janvier 1668, Huet demanda à lAcadémie des sciences de Paris qui lui fut accordé. Huet promit que ces derniers feraient les observations particulières à leur province en échange de lenvoi douvriers parisiens sils avaient besoin de quelques instruments. La reconnaissance et le financement royal ainsi que la coopération inter-académique, firent de lAcadémie de Physique une des institutions les plus importantes dEurope. Cependant, cela ne réglait pas la question de la direction de lAcadémie, car la priorité de Chamillart était son poste de bureaucrate régional et non la direction dune institution scientifique. Cest à cette fin quil recommanda que lAcadémie commence à travailler sur des questions régionales, telles que le drainage des marais et la construction de fontaines, les membres reculèrent devant ces requêtes, notamment en labsence de financement supplémentaire de la part de Chamillart ou de la cour[Lux 7]. Les académiciens préféraient plutôt se concentrer sur des questions plus empiriques dont ils communiquèrent la liste à Chamillart lors de lune des premières réunions à laquelle il assista. Cette liste peut se décomposer grosso modo en quatre domaines :

  • astronomie ;
  • génie civil ;
  • métallurgie (et développement dinstruments scientifiques) ;
  • anatomie[Lux 8].

Chamillart donna son consentement à cette liste, qui correspondait dans les faits à une réorganisation de lAcadémie encourageant chaque membre à poursuivre ses projets en propre, au lieu de travailler en collectif. Certains domaines inventoriés, tel que le génie civil, connurent un certain succès avec des expériences de dessalement de leau de mer et un projet délargissement du canal dans la rivière locale, ainsi que les instruments scientifiques, comme le baromètre de Vaucouleurs et une nouvelle conception de chronomètre de marine par Villons[Lux 9]. Le plus grand succès continua dêtre celui du programme danatomie de lAcadémie, qui produisit deux volumes de rapports de dissection illustrés soumis en 1667 et 1668 à lAcadémie Royale à Paris qui leur rendit hommage[Lux 10]. Les relations entre lAcadémie de Caen lAcadémie des Sciences étaient pourtant fort loin dêtre satisfaisantes : les savants caennais se plaignaient dêtre considérés en inférieurs par leurs homologues parisiens, qui les traitaient en auxiliaires occasionnels, et non en partenaires égaux dans la poursuite de létude expérimentale. À plusieurs reprises, des rapports dexpériences envoyés par lAcadémie de Physique à Paris furent rejetés comme scientifiquement inopérants. Lorsque, en revanche, ils furent acceptés, lAcadémie des sciences les incorpora dans ses documents généraux sans créditer Caen. Il y eut même des fois les savants Caen sindignèrent de voir lAcadémie parisienne rejeter certaines de leurs idées quils considéraient comme les meilleures.

Huet, alors à Paris, sinquiéta de la direction prise par lAcadémie lorsquil apprit les changements quon y avait fait. Il simpliqua de nouveau dans le fonctionnement de lAcadémie et présenta, en janvier 1668, un nouveau plan de travaux de lAcadémie, à la cour et à lAcadémie Royale. Laccent serait désormais remis sur la recherche empirique, en particulier les dissections, ainsi que sur la poursuite des travaux de dessalement de leau de mer[Lux 11]. Dans les faits, ceci revenait à renvoyer Chamillart et à replacer Huet à la tête de lAcadémie.

Essor et déclin (1668-1672)

Le retour de Huet à la tête de lAcadémie vit le début dune période de travail fructueuse. Celle-ci commença à être reconnue par les savants de toute lEurope, et particulièrement en Angleterre, les membres de la Royal Academy sintéressaient aux effets du financement par le roi de la science en France[Lux 12] tandis que se poursuivaient les dissections danimaux, en particulier des créatures marines, grâce à la proximité de Caen avec la mer, ainsi que le projet de dessalement deau de mer. Toutefois, le nouveau départ de Caen de Huet entraina une baisse de participation du groupe qui mit lAcadémie au bord de la cessation dactivités. Le retour de Chamillart, en novembre 1668, qui réussit à conserver le financement de lAcadémie, lui insuffla un nouveau dynamisme. Lachèvement et la présentation à lAcadémie royale du programme de dessalement deau de mer se traduisit également par des subventions supplémentaires de la part de la cour[Lux 13]. Or cette libéralité inespérée[Note 1] nalla pas sans créer des problèmes supplémentaires, car elle revenait à écarter Huet comme principal commanditaire, ce qui lobligea à exiger un loyer de la part de lAcadémie pour pouvoir se réunir chez lui. Les querelles nées de lemploi à faire des fonds restants furent une source de tensions supplémentaires entre Graindorge et les autres académiciens[Lux 14]. Aux difficultés à établir un lieu de rencontre régulier vint se surajouter un retard dans la réception des fonds royaux tant disputés. LAcadémie commença alors à se désagréger. Au début de 1672, Graindorge tenta de réunir lAcadémie autour dun nouveau projet détude de la macreuse visant à réfuter la théorie selon laquelle cet oiseau provenait des bernacles des navires. Graindorge travailla personnellement sur le projet, en rédigeant les conclusions pour les confier à Chamillart qui les soumit à lAcadémie royale et la cour[Lux 15]. Les conclusions de Graindorge furent rejetées parce que la croyance sur lorigine de la macreuse avait les faveurs de lÉglise[Note 2] et la Cour décida, en conséquence, de cesser de financer lAcadémie qui, à court de fonds, fut acculée à la dissolution fin 1672.

Notes

  1. Celle-ci « si nouvelle et si rare dans une ville de province, écrit Huet, fit concevoir de grandes espérances de fortune à des philosophes plus studieux de la physique que de la morale, et qui, bien quamateurs de la vérité, ne tenaient pas les richesses méprisables. Plusieurs crurent bientôt mesurer les pistoles au boisseau, et chacun, pensant à ses intérêts, ne pensa plus à ses études : et lon vit décliner et enfin se dissiper entièrement une société dont on sétait promis tant de fruit. Ce fut en lannée 1676, à la mort de M. Graindorge, chez qui elle tenait ses séances depuis que je fus obligé de quitter Caen tout à fait. »
  2. Il faudra attendre 1680, quatre ans après la mort de Graindorge, pour que son traité intitulé De lorigine des macreuses, soit édité à Caen par Thomas Malouin.

Références

  1. April Shelford, Transforming the Republic of Letters: Pierre Daniel Huet and European Intellectual Life, Rochester, University of Rochester Press, 2007, p. 123. 
  2. Kathleen Stern Brennan, « Culture in the Cities: Provincial academies during the early years of Louis XIV », dans Canadian Journal of History, vol. 38, no 1, avril 2003, p. 33 .
  1. David Lux, Patronage and Royal Science in Seventeenth Century France: The Académie de Physique in Caen, Ithaca, Cornell University Press, 1989, p. 20 .
  2. Ibid., p. 22-27.
  3. Ibid., p. 50-51.
  4. Ibid., p. 66-67.
  5. Ibid., p. 68.
  6. Ibid., p. 101-102.
  7. Ibid., p. 90-92.
  8. Ibid., p. 104-112.
  9. Ibid., p. 108-112.
  10. Ibid., p. 112.
  11. Ibid., p. 117.
  12. Ibid., p. 123-24.
  13. Ibid., p. 136-37.
  14. Ibid., p. 145-48.
  15. Ibid., p. 156-58.

Bibliographie

  • Kathleen Stern Brennan, « Culture in the Cities: Provincial Academies During the Early Years of Louis XIVs Reign », Canadian Journal of History Vol. 38, No. 1 (April, 2003).
  • Harcourt Brown, Scientific Organizations in 17th Century France, New York, Russell & Russell, 1967, 306 p.
  • David Stephan Lux, Patronage and Royal Science in Seventeenth Century France: The Académie de Physique in Caen, Ithaca, Cornell University Press, 1989, 199 p. (ISBN 9780801423345).
  • April Shelford, Transforming the Republic of Letters: Pierre Daniel Huet and European Intellectual Life, 1650-1720, Rochester, University of Rochester Press, 2007, 264 p. (ISBN 9781580462433).
  • André Graindorge, De lorigine des macreuses, 1680, in-8°.
    Buchoz a réédité cet ouvrage rare et curieux, avec le Traité de lAdianton de Pierre Formi, sous le titre de Traités très-rares concernant lhistoire naturelle, Paris, 1780, in-12.

Sources

Articles connexes


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