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Cinéma direct
Le cinéma direct est un courant du cinéma documentaire qui a vu le jour en Amérique du Nord, au Québec et aux États-Unis, entre 1958 et 1962. Si dans son acceptation initiale il se caractérise par un désir de capter directement le réel et d’en transmettre la vérité, il sera au cinéma de façon plus durable, une manière de se poser le problème du réel [1], voire de tenter d'y agir par le cinéma.
Sommaire
Origines
Divers aspects technologiques, idéologiques et sociaux doivent être développés afin de permettre de saisir ce phénomène de l'histoire des images en mouvement. Voici les principaux jalons historiques nécessaires à sa compréhension.
Caméras légères
Pour qu'il y ait cinéma direct, il faut des caméras portatives, permettant le travail de la caméra à l'épaule. Les premières caméras du genre furent probablement des caméras allemandes destinées aux reportages ethnographiques. On reconnaît généralement à la société allemande Arriflex [2] l'invention de ces premières petites caméras, perfectionnées aux fins de surveillance aérienne pendant la guerre. Mais l'existence de ces caméras, qui permet à une nouvelle forme de documentaire de voir le jour, n'amènera toutefois pas à la création du cinéma direct.
Vérité objective au cinéma
D'autre part, l'idée du cinéma comme espace ontologiquement objectif existe probablement depuis sa création. La mécanique, dans toute son insensibilité et toute sa modernité y est vue comme garante de vérité. Le kino-pravda de Dziga Vertov [3] dont on peut faire remonter les origines jusque dans les années 1920, a déjà développé cette vue de l'esprit en une croyance baignée de futurisme.
C'est ainsi que l'on peut s'expliquer qu'avant l'arrivée du direct, les concepts de propagande, d'éducation, de documentaire, d'authenticité n'étaient pas distincts et définis au coeur de la pratique du cinéma. Le cinéma dans son objectivité mécanique était considéré comme garant ontologique de vérité, voire facteur d'éducation. Il suffit de visionner aujourd'hui un film documentaire des années 50 pour saisir l'esprit de l'époque à cet égard, pour se convaincre de la naïveté de la position éditoriale d'alors, pourtant transparente pour les contemporains de ces films. On comprend aussi mieux alors, toute l'importance de ce qui se passe avec l'arrivée du direct, sur le plan de l'évolution populaire des idées.
Le son avant les années 60
Le son au cinéma avant l'arrivée du Nagra [4] est fait sur des appareils qui sont soit encombrants, soit peu fiables, tant au niveau de la vitesse de défilement et de la qualité. Entre 1950 et 1960 de nombreux appareils tentent de résoudre ce problème. À l'ONF, on développera par exemple le système SprocketapeMD qui ne s'imposera toutefois pas.
Dans le meilleur des cas c'est donc des sons saisis a posteriori sur les mêmes lieux et recalés au montage qui faisaient office de bande sonore documentaire, une bande son par ailleurs souvent construite comme celle du cinéma de fiction, à partir de sons d'ambiance, de sons d'archives, d'effets sonores, de musique, de voix post-synchronisées, de commentaires (voice over). Vraisemblable rime alors avec vérité.
Dans d'autres cas encore, le sujet « documentaire » est filmé en studio. Si la prise de son est alors directe, la nature documentaire de la captation faite, reste elle, très discutable. On reconstruit donc, par exemple, l'étable au sein du studio, sous les éclairages puissants. On trouve à proximité le caisson insonorisé de l'ingénieur du son, qui dirige le travail du perchiste, comme sur un plateau de fiction lors des tournages en studio, ou comme aujourd'hui, encore parfois, à la télévision. C'est cette situation de travail qui est réputée avoir provoqué une prise de conscience chez le jeune technicien à l'image Michel Brault, œuvrant alors à l'ONF.
Du point de vue technique, l’apparition de la caméra portable 16 mm Eclair-Coutant, à la fin des années 50, et son perfectionnement dans les années suivantes, est une démarche importante pour l’avenir du cinéma direct. Synchronisée avec le Nagra, l’Eclair-Coutant permet de rapporter des prises de vues plus près de la réalité de l'événement. Jean Rouch l’utilisera souvent.
Avènement du cinéma direct
Avec l'arrivée du Nagra et des caméras légères, les conditions techniques de l'émergence du direct existent. Mais qu'en est-il est conditions sociales, qu'en est-il au niveau du développement des idées ? Là aussi le terrain est prêt, et c'est d'ailleurs plus à ce niveau que la révolution qu'amène le direct est grande. Nous sommes moins de 15 ans après la deuxième guerre, en pleine période de critiques des errements de la propagande.
En effet le direct naît d'un désir de dire et d'agir dans le monde, sans médiation, tout en ayant une conscience aiguë de la fragilité de cette position et de la facilité avec laquelle une caméra peut produire des distortions, des mensonges, des manipulations. Ainsi la nouveauté attribuable au direct se trouve autant dans les conditions matérielles de production, que dans une volonté éthique de regard documentaire sincère qui, en allant au contact des choses pour en tirer les représentations (filmiques) cherche à échapper aux discours préalables, au regard idéologique. Cela se fera dans deux sociétés américaines en pleine mutation, faisant tache d'huile plus au sud.
ONF P.Q.
Le cinéma direct naît à l'ONF au Québec dans ce qu'on appellera la « révolution tranquille ». Cette période d'émancipation culturelle et économique peut se comprendre succinctement par la convergence de trois phénomènes : le courant de décolonisation mondial, le développement de l'État-providence accompagné d'une laïcisation institutionnelle, ensembles rendue possibles par la croissance économique des Trente glorieuses et par le baby boom québécois.
Le résultat de ces trois mouvements qui chamboulent complètement la société québécoise est une myriade de points de vues contradictoires dont rend compte l'article sur Les Raquetteurs de Michel Brault (1958). La contribution du cinéma québécois au direct est probablement la plus importante contribution faite au cinéma mondial par cette cinématographie.
États-Unis
De leur côté les cinéastes américains, comme Don Alan Pennebaker, Richard Leacock ou Frederick Wiseman, font partie du vaste courant de remise en question sociale de la génération de l'après-guerre aux États-Unis, alors que les mouvements civiques et sociaux font des États-Unis un empire en profonde remise en question. Là aussi le regard posé sur le réel est complexe, à la fois patriote et révolutionnaire, engagé et perplexe.
Amérique latine
Le courant direct aura aussi une importance bien réelle en Amérique latine où il sera le plus clairement associé au mouvement de décolonisation et à l'activisme politique, dont Fernando E. Solanas (La Hora de los hornos, 1968) est une figure emblématique.
Le flou de l'après direct
C'est en réponse à ce fort regard critique posé sur les institutions et nos sociétés au cours des années 60-70, regard auquel concourt fortement le documentaire, qu'une nouvelle sorte de discours institutionnel apparait dans les années 80-90, héritier du marketing et des relations publiques : la rectitude politique.
Comme en réponse à cette nouvelle propagande, le cinéma fait l'invention du documenteur (docufiction), film à facture de documentaire direct qui est pourtant une fiction. L'identité de chacun et de la vérité de toute chose y paraissent comme des créations fictives dans un monde de représentation informatique et médiatique. Le courant d'auto-fiction documentaire procède du même mouvement. Cette réflexion sur le médium cinéma semble remettre en cause la distinction même entre documentaire et fiction, traduisant tout autant le nouveau scepticisme des enfants de la télé que leur besoin de croire.
Citations
- « Il y a deux façons de concevoir le cinéma du réel : la première est de prétendre donner à voir le réel ; la seconde est de se poser le problème du réel. De même, il y avait deux façons de concevoir le cinéma-vérité. La première était de prétendre apporter la vérité. La seconde était de se poser le problème de la vérité. » -- Edgar Morin
- « On ne voit plus le cinéma comme une aventure, comme une exposition de la vie, comme un moyen, encore tout nouveau, d'exploration de la pensée, comme une interrogation constante. » "Propos sur la scénarisation " -- Gilles Groulx
- « Pour aller filmer les gens, pour aller parmi eux, avec eux, ils doivent savoir que nous sommes là, ils doivent accepter les conséquences de la présence de la caméra et ça nécessite l’utilisation d’un grand angulaire. La seule démarche légitime est celle qui sous-tend une sorte de contrat tacite entre les gens filmés et ceux qui filment, c’est-à-dire une acceptation mutuelle de la présence de l’autre. » -- Michel Brault
- « J’ai toujours dit que pour faire ce genre de cinéma, il faut pleurer d’un œil et de l’autre il faut penser à ce qui reste de pellicule dans le magasin. Une moitié du cerveau travaille sur l’émotion, et l’autre sur la technique, et en même temps. Or il y a nombre de réalisateurs qui se consacrent exclusivement au contenu. J’ai travaillé avec plusieurs réalisateurs qui « avaient une idée », mais n’avaient aucune « idée » comment la transformer en film. » -- Michel Brault
- « Un cinéaste est un journaliste : il doit informer et commenter. Ce qui compte, pour moi, dans un film, c'est la morale, c'est ce que l'auteur exprime. La technique n'a aucune valeur en soi. «L'histoire» aussi n'a pas de valeur, c'est le prétexte au film, c'est comme le modèle pour un peintre impressionniste. » La Crue, 15 septembre 1964 -- Gilles Groulx
- « Que chacun passe sa vie à s'occuper de sa vie, que chacun de nos films en soit un rappel. Un film, c'est la critique de la vie quotidienne. » Le Devoir, 20 décembre 1969 -- Gilles Groulx
- « «Il faut le dire, tout ce que nous avons fait en France dans le domaine du cinéma-vérité vient de l'ONF (Canada). C'est Brault qui a apporté une technique nouvelle de tournage que nous ne connaissions pas et que nous copions tous depuis. D'ailleurs, vraiment, on a la "brauchite", ça, c'est sûr; même les gens qui considèrent que Brault est un emmerdeur ou qui étaient jaloux sont forcés de le reconnaître . » Jean Rouch, Juin 1963 Cahiers du Cinéma No.144.
Bibliographie
- MARSOLAIS (Gilles), «L'aventure du cinéma direct revisitée.» Préface d'Enrico Fulchignoni, Laval (Québec), Les 400 coups, 1997, 351 p. (Ouvrage de référence incontournable)
- NINEY (François), L'épreuve du réel à l'écran. Essai sur le principe de réalité documentaire, Bruxelles, Editions De Boeck Université, coll. "Arts et cinéma", 2000, 348 p. (ouvrage de synthèse sur le genre, des origines à aujourd'hui)
- SAOUTER (Catherine) [dir.], Le documentaire : contestation et propagande, XYZ Editeur (Montréal, Québec), coll. "Documents", 1996, 161 p.
- Jean-Louis Comolli, «Le détour par le direct» in: Cahiers du Cinéma, no. 209, 1969, p. 48-53 et no. 211,1969, p. 40-45
Voir aussi
Notes et références
Liens internes
Liens externes
- Le Cinéma Direct par Richard Leacock sur l'Encyclopædia Universalis
- L'imaginaire est plus réel que le réel par Michel Brault
- Le cinéma direct en 1906 sur Nouvelles Vues (Cinéma Québécois)
- Visionnez Le cinéma direct à l’ONF
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