- Mère folle
-
La mère folle ou mère folie ou Compagnie de la mère folle ou Infanterie Dijonnaise est une société festive et carnavalesque dijonnaise prestigieuse créée avant 1454 et qui prospéra durant au moins plus de deux cents cinquante ans.
Elle fut interdite par un édit du roi Louis XIII en date du 21 juin 1630. Cependant, contrairement à l'idée très répandue et colportée à ce sujet y compris par le texte de l'Encyclopédie reproduit ici plus bas, cet édit ne fut pas d'abord observé, puisque l'on voit dans le Récit de ce qui s'est passé dans la ville de Dijon pour l'heureuse Naissance de Monseigneur le Dauphin (Louis XIV), Dijon 1638, que :
- « l'Infanterie Dijonnoise..... parut alors dans son lustre, et était composée de plus de quatre cents hommes à cheval, masqués en habits de diverses couleurs, et fit entendre les rimes Bourguignonnes sur le sujet de cette heureuse naissance. »
L'édit eut lieu cependant, et l'Infanterie Dijonnaise ne s'assembla plus d'autorité privée, mais seulement avec la permission des gouverneurs, comme en 1638, 1650, etc[1].
D'autres sociétés festives et carnavalesques dans d'autres villes portèrent jadis aussi le nom de mère folle.
Histoire et description de la mère folle de Dijon
MÈRE FOLLE, ou MÈRE-FOLIE[3], (Histoire Moderne) nom d’une société facétieuse qui s’établit en Bourgogne sur la fin du XIVe siècle ou au commencement du XVe. Quoiqu’on ne puisse rien dire de certain touchant la première institution de cette société, on voit qu’elle était établie du temps du duc Philippe le Bon. Elle fut confirmée par Jean d’Amboise, évêque de Langres, gouverneur de Bourgogne, en 1454 : festum fatuorum, dit M. de la Mare, est ce que nous appelons la mère-folle.
Telle est l’époque la plus reculée qu’on puisse découvrir de cette société, à moins qu’on ne veuille dire avec le P. Menestrier, qu’elle vient d’Engelbert de Clèves, gouverneur du duché de Bourgogne, qui introduisit à Dijon cette espèce de spectacle ; car je trouve, poursuit cet auteur, qu’Adolphe, comte de Clèves, fit dans ses états une espèce de société semblable, composée de trente-six gentilshommes ou seigneurs qu’il nomma la compagnie des fous. Cette compagnie s'assemblait tous les ans au temps des vendanges. Les membres mangeaient tous ensemble, tenaient cour plénière, et faisaient des divertissements de la nature de ceux de Dijon, élisant un roi et six conseillers pour présider à cette fête. On a les lettres-patentes de l’institution de la société du fou, établie à Clèves en 1381. Ces patentes sont scellées de 35 sceaux en cire verte, qui était la couleur des fous. L’original de ces lettres se conservait avec soin dans les archives du comté de Clèves.
Il y a tant de rapport entre les articles de cette institution et ceux de la société de la mère-folle de Dijon, laquelle avait, comme celle du comté de Clèves, des statuts, un sceau et des officiers, que j’embrasse volontiers le sentiment du P. Menestrier, qui croit que c’est de la maison de Clèves que la compagnie dijonnaise a tiré son origine ; ajoutez que les princes de cette maison ont eu de grandes alliances avec les ducs de Bourgogne, dans la cour desquels ils vivaient le plus souvent.
La plupart des villes des Pays bas dépendantes des ducs de Bourgogne, célébraient de semblables fêtes. Il y en avait une à Lille sous le nom de fête de l’épinette, à Douai sous le nom de la fête aux ânes, à Bouchain sous le nom de prévôt de l'étourdi, et à Évreux sous celui de la fête des couards, ou cornards. Doutreman a décrit ces fêtes dans son histoire de Valenciennes ; en un mot, il y avait alors peu de villes qui n’eussent de pareilles bouffonneries.
La mère folle ou mère-folie, autrement dite l’infanterie dijonnaise, en latin de ce temps-là, mater stultorum, était une compagnie composée de plus de 500 personnes, de toutes qualités, officiers du parlement, de la chambre des comptes, avocats, procureurs, bourgeois, marchands, etc.
Le but de cette société était la joie et le plaisir. La ville de Dijon, dit le P. Menestrier, qui est un pays de vendanges et de vignerons, a vu longtemps un spectacle qu’on nommait la mère-folie. Ce spectacle se donnait tous les ans au temps du carnaval, et les personnes de qualité, déguisées en vignerons, chantaient sur des chariots des chansons et des satyres, qui étaient comme la censure publique des mœurs de ce temps-là. C’est de ces chansons à chariots et à satyres que venait l’ancien proverbe latin, des chariots d’injures, plaustra injuriarum.
Cette compagnie, comme nous l’avons déjà dit, subsistait dans les états du duc Philippe le Bon avant 1454, puisqu’on en voit la confirmation accordée cette même année par ce prince. L’on voit aussi au trésor de la sainte chapelle du roi à Dijon, une seconde confirmation de la mère-folle en 1482, par Jean d’Amboise, évêque de Langres, lieutenant en Bourgogne, et par le seigneur de Beaudricourt, gouverneur du pays ; ladite confirmation est en vers français.
Cette société de mère-folle était composée d’infanterie. Elle tenait ordinairement assemblée dans la salle du jeu de paume de la Poissonnerie. à la réquisition du procureur fiscal, dit fiscal vert, comme il paraît par les billets de convocation, composés en vers burlesques. Les trois derniers jours du carnaval, les membres de la société portaient des habillements déguisés et bigarrés de couleur verte, rouge et jaune, un bonnet de même couleur à deux pointes avec des sonnettes, et chacun d’eux tenait en main des marottes ornées d’une tête de fou. Les charges et les postes étaient distingués par la différence des habits ; la compagnie avait pour chef celui des associés qui s'était rendu le plus recommandable par sa bonne mine, ses belles manières et sa probité. Il était choisi par la société, en portait le nom, et s'appelait la mère-folle. Il avait toute sa cour comme un souverain, sa garde suisse, ses gardes à cheval, ses officiers de justice, des officiers de sa maison, son chancelier, son grand écuyer, en un mot toutes les dignités de la royauté.
Les jugements qu’il rendait s'exécutaient nonobstant appel, qui se relevait directement au parlement. On en trouve un exemple dans un arrêt de la cour du 6 février 1579, qui confirme le jugement rendu par la mère-folle.
L’infanterie qui était de plus de 200 hommes, portait un guidon ou étendard, dans lequel étaient peintes des têtes de fous sans nombre avec leurs chaperons, plusieurs bandes d’or, et pour devise, stultorum infinitus est numerus.
Ils portaient un drapeau à deux flammes de trois couleurs, rouge, verte et jaune, de la même figure et grandeur que celui des ducs de Bourgogne. Sur ce drapeau était représentée une femme assise, vêtue pareillement de trois couleurs, rouge, verte et jaune, tenant en sa main une marotte à tête de fou, et un chaperon à deux cornes, avec une infinité de petits fous coiffés de même, qui sortaient par-dessous et par les fentes de sa jupe. La devise pareille à celle de l’étendard, était bordée tout-autour de franges rouges, vertes et jaunes.
Les lettres-patentes que l’on expédiait à ceux que l’on recevait dans la société, étaient sur parchemin, écrites en lettres des trois couleurs, signées par la mère-folle, et par le griffon vert, en sa qualité de greffier. Sur ces lettres-patentes était empreinte la figure d’une femme assise, portant un chaperon en tête, une marotte en main, avec la même inscription qu’à l’étendard.
Quand les membres de la société s'assemblaient pour manger ensemble, chacun portait son plat. La mère-folle (on sait que c’est le commandant, le général, le grand-maître) avait cinquante suisses pour sa garde. C'étaient les plus riches artisans de la ville qui se prêtaient volontiers à cette dépense. Ces suisses faisaient garde à la porte de la salle de l’assemblée, et accompagnaient la mère folle à pied, à la réserve du colonel qui montait à cheval.
Dans les occasions solennelles, la compagnie marchait avec de grands chariots peints, trainés chacun par six chevaux, caparaçonnés avec des couvertures de trois couleurs, et conduits par leurs cochers et leurs postillons vêtus de même. Sur ces chariots étaient seulement ceux qui récitaient des vers bourguignons, habillés comme le devaient être les personnages qu’ils représentaient.
La compagnie marchait en ordre avec ces chariots par les plus belles rues de la ville, et les plus belles poésies se chantaient d’abord devant le logis du gouverneur, ensuite devant la maison du premier président du parlement, et enfin devant celle du maire. Tous étaient masqués, habillés de trois couleurs, mais ayant des marques distinctives suivant leurs offices.
Quatre hérauts avec leurs marottes, marchaient à la tête devant le capitaine des gardes ; ensuite paraissaient les chariots, puis la mère-folle précédée de deux hérauts, et montée sur une haquenée blanche ; elle était suivie de ses dames d’atour, de six pages et de douze valets de pied : après eux venait l’enseigne, puis 60 officiers, les écuyers, les fauconniers, le grand veneur et autres. A leur suite marchait le guidon, accompagné de 50 cavaliers, et à la queue de la procession le fiscal vert et les deux conseillers, habillés comme lui ; enfin les suisses fermaient la marche.
La mère-folle montait quelquefois sur un chariot fait exprès, tiré par deux chevaux seulement, lorsqu’elle était seule ; toute la compagnie le précédait, et suivait ce char en ordre. D’autres fois on attelait au char de la mère-folle douze chevaux richement caparaçonnés ; et cela se faisait toujours lorsqu’on avait construit sur le chariot un théâtre capable de contenir avec la mère-folle des acteurs habillés suivant la cérémonie : ces acteurs récitaient aux coins des rues des vers fronçais et bourguignons conformes au sujet. Une bande de violons et une troupe de musiciens étaient aussi sur ce théâtre.
S’il arrivait dans la ville quelque événement singulier, comme larcin, meurtre, mariage bizarre, séduction du sexe, etc. pour lors le chariot et l’infanterie étaient sur pied ; l’on habillait des personnes de la troupe de même que ceux à qui la chose était arrivée, et on représentait l’événement d’après nature. C’est ce qu’on appelle faire marcher la mère-folle, l’infanterie dijonnaise.
Si quelqu’un agrégé dans la compagnie s’en absentait, il devait apporter une excuse légitime, sinon il était condamné à une amende de 20 livres. Personne n'était reçu dans le corps que par la mère-folle, et sur les conclusions du fiscal vert ; on expédiait ensuite des provisions au nouveau reçu, qui lui coûtaient une pistole.
Quand quelqu’un se présentait pour être admis dans la compagnie, le fiscal assis faisait des questions en rimes, et le récipiendaire debout, en présence de la mère-folle et des principaux officiers de l’infanterie, devait aussi répondre en rimes ; sans quoi son agrégation n'était point admise. Le récipiendaire de grande condition, ou d’un rang distingué, avait le privilège de répondre assis.
D’abord après la réception, on lui donnait les marques de confrère, en lui mettant sur la tête le chapeau de trois couleurs, et on lui assignait des gages sur des droits imaginaires, ou qui ne produisaient rien, comme on le voit par quelques lettres de réception qui subsistent encore. Nous avons dit plus haut que la compagnie comptait parmi ses membres des personnes du premier rang, en voici la preuve qui méritait d’être transcrite.
Acte de réception de Henri de Bourbon[4], prince de Condé, premier prince du sang, en la compagnie de la mère-folle de Dijon, l’an 1626.
Les superlatifs, mirélifiques et scientifiques, l’opinant de l’infanterie dijonnaise, régent d’Apollon & des muses, nous légitimes enfants figuratifs du vénérable Bon-temps et de la marotte ses petits-fils, neveux et arrières-neveux, rouges, jaunes, verts, couverts, découverts et forts-en-gueule ; à tous fous, archi-fous, lunatiques, hétéroclites, éventés, poètes de nature bizarres, durs et mous, almanachs vieux et nouveaux, passés, présents et à venir, salut. Doubles pistoles, ducats et autres espèces forgées à la portugaise, vin nouveau sans aucun malaise, et chelme[5] qui ne le voudra croire, que haut puissant seigneur Henri de Bourbon, prince de Condé, premier prince du sang, maison et couronne de France, chevalier, etc. à toute outrance aurait son altesse honoré de sa présence les festus et guoguelus mignons de la mère-folle, et daigné requérir en pleine assemblée d’infanterie, être immatriculé et recepturé, comme il a été reçu et couvert du chaperon sans péril, et pris en main la marotte, et juré par elle et pour elle ligue offensive et défensive, soutenir inviolablement, garder et maintenir folie en tous ses points, s’en aider et servir à toute fin, requérant lettres à ce convenables ; à quoi inclinant, de l’avis de notre redoutable dame et mère, de notre certaine science, connaissance, puissance et autorité, sans autre information précédente, à plein confiant de S. A.[6] avons icelle avec allégresse par ces présentes, hurelu, burelu, à bras ouverts et découverts, reçu et impatronisé, le recevons et impatronisons en notre infanterie dijonnaise, en telle sorte et manière qu’elle demeure incorporée au cabinet de l’inteste, et généralement tant que folie durera, pour par elle y être, tenir et exercer à son choix telle charge qu’il lui plaira, aux honneurs, prérogatives, prééminences, autorité et puissance que le ciel, sa naissance et son épée lui ont acquis ; prêtant S.A. main forte à ce que folie s’éternise, et ne soit empêchée, ains ait cours et décours, débit de sa marchandise, trafic et commerce en tout pays soit libre par tout, en tout privilégiée ; moyennant quoi, il est permis à S.A. ajouter, si faire le veut, folie sur folie, franc sur franc, ante, sub ante, per ante, sans intermission, diminution ou interlocutoire, que le branle de la mâchoire ; et ce aux gages et prix de sa valeur, qu’avons assigné et assignons sur nos champs de Mars et dépouilles des ennemis de la France, qu’elle lèvera par ses mains, sans en être comptable. Donné et souhaité à S.A.
A Dijon, où elle a été,
Et où l’on boit à sa santé,
L’an six cent mille avec vingt-six,
Que tous les fous étaient assis.Signé par ordonnance des redoutables seigneurs buvants et folatiques, et contre-signé Deschamps, Mère, et plus bas, le Griffon vert.
Cependant, peu d’années après cette facétieuse réception du premier prince du sang dans la société, parut l’édit sévère de Louis XIII, donné à Lyon le 21 juin 1630, vérifié et enregistré à la cour le 5 juillet suivant, qui abolit et abrogea sous de grosses peines, la compagnie de la mère-folle de Dijon ; laquelle compagnie de mère folle, dit l’édit, est vraiment une mère et pure folie, par les désordres et débauches qu’elle a produits, et continue de produire contre les bonnes mœurs, repos et tranquillité de la ville, avec très-mauvais exemple.
Ainsi finit la société dijonnaise. Il est vraisemblable que cette société, ainsi que les autres confréries laïques du royaume, tiraient leur origine de celle qui vers le commencement de l’année se faisait depuis plusieurs siècles dans les églises par les ecclésiastiques, sous le nom de la fête des fous. Voyez FÊTE DES FOUS.
Quoi qu’il en soit, ces sortes de sociétés burlesques prirent grande faveur et fournirent longtemps au public un spectacle de récréation et d’intérêt, mêlé sans doute d’abus ; mais faciles à réprimer par de sages arrêts du parlement, sans qu’il fût besoin d’ôter au peuple un amusement qui soulageait ses travaux et ses peines. (D.J.)
Notes
- Les précisions sur la poursuite de l'activité de la Compagnie de la mère folle de Dijon après le 21 juin 1630 sont données ici d'après l'ouvrage intitulé Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde, représentées par des figures dessinées à la main de Bernard Picart, et autres ; avec des explications historiques et des dissertations curieuses., L. Prudhomme éditeur, Paris 1809, volume 8, page 362.
- Source : Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde, représentées par des figures dessinées à la main de Bernard Picart, et autres ; avec des explications historiques et des dissertations curieuses., L. Prudhomme éditeur, Paris 1809, tome 8. Cette gravure date du XVIIIème siècle.
- Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers parue sous la direction de Denis Diderot et Jean le Rond D'Alembert, 1ère édition, tome 10 (publié en 1765), pages 380-382. Son texte a été mis ici en français moderne. Article de l'
- Henri II de Bourbon-Condé, Prince de Condé et Duc d'Enghien deviendra gouverneur de Bourgogne cinq ans plus tard, en 1631, l'année d'après la suppression de la mère folle par Louis XIII.
- chelme : mauvaise prononciation d'une injure grossière.
- « S.A. » signifie : « Son Altesse ».
Lien externe
- Texte du jeu joué par l'infanterie dijonnaise le 12 juin 1583, avec des fragments d'une pièce incomplète, édition de 1887.
- Portail de la Bourgogne
- Portail des fêtes et des traditions
Catégories :- Dijon
- Carnaval en France
Wikimedia Foundation. 2010.