Jean le Solitaire

Jean le Solitaire

Jean le Solitaire, dit aussi Jean d'Apamée, est un théologien et auteur mystique syrien, de religion chrétienne, ayant vécu au Ve siècle.

Sommaire

Identité

L'identité de cet auteur a fait l'objet de débats loin d'être clos. Rubens Duval avait proposé de l'identifier à Jean de Lycopolis (ou de Thèbes), un ascète égyptien du IVe siècle (mort vers 395)[1], assimilation réfutée de manière décisive par le père Irénée Hausherr[2]. Babaï le Grand, dans son commentaire des Centuries d'Évagre le Pontique, parle d'un « Jean le Solitaire du pays d'Apamée » en lui attribuant un passage d'une lettre qui a été conservée. D'autre part, il y a débat sur l'identification de Jean le Solitaire avec un « Jean d'Apamée » ou « Jean l'Égyptien » combattu comme hérésiarque par Philoxène de Mabboug[3]. Autre incertitude : est-ce le « Jean d'Apamée » condamné en 790, en même temps que Jean de Dalyatha et Joseph Hazzaya par un synode de l'Église d'Orient présidé par le catholicos Timothée Ier ? L'hérésie de ce « Jean d'Apamée », à tendance apparemment gnostique, est décrite par Théodore bar Koni dans un passage de son Livre des scolies[4]. Là non plus, le débat n'est pas tranché[5].

Le plus ancien manuscrit contenant des œuvres de « Jean le Solitaire » date de 581. Babaï le Grand parle de lui comme d'une autorité ancienne, sur le même plan qu'Évagre le Pontique et Théodore de Mopsueste. I. Hausherr et W. Strothmann sont d'accord pour le situer chronologiquement au Ve siècle. Ses textes montrent une très forte imprégnation de la culture grecque, et d'autre part d'importantes connaissances en médecine. Ils ont été transmis en syriaque, mais un autre point disputé est de savoir s'ils ont été rédigés originellement en grec ou en syriaque[6]. Selon W. Strothmann, sa christologie est monophysite, mais apparemment Babaï le Grand ne l'a pas remarqué.

Œuvre

L'œuvre abondante de Jean le Solitaire est surtout formée de dialogues, de « discours » (ou « homélies », ou « traités »), de lettres, de commentaires de textes bibliques (notamment de L'Ecclésiaste). Elle est encore en grande partie inédite, dans des manuscrits. D'une façon générale, même si l'identité de l'auteur pose problème, l'unité de l'œuvre ne fait guère de doute.

La doctrine se caractérise notamment par une conception de l'« ascension spirituelle » en trois « degrés » : le degré corporel, où l'homme vit en fonction du corps, soit pour le satisfaire en refusant toute ascèse, soit en se bornant à éviter les péchés extérieurs et visibles aux autres, la prière et les larmes étant provoquées par des inquiétudes purement humaines (souci des siens, épreuves de la vie, etc.), et la représentation de Dieu étant anthropomorphique ; le degré psychique (de l'âme), où l'esprit de pénitence conduit à se détourner du monde et à pratiquer l'ascèse, portant d'abord sur des actes extérieurs (jeûnes, veilles, travail manuel, détachement de la famille et des biens terrestres...), ensuite sur la lutte contre les passions intérieures, ce qui suppose de mener une vie solitaire, mais les passions et les défauts (jalousie, suffisance, etc.) ne peuvent encore, dans cet ordre psychique, être déracinés (l'âme prenant le dessus sur le corps, mais restant tournée vers lui) ; enfin le degré spirituel, où on atteint une « pureté » (dakhyutha) d'ordre négatif qui est l'affranchissement des passions, mais aussi un état positif de « transparence », « limpidité » ou « sérénité » (shaphyutha) qui permet d'« acquérir la science des mystères de l'autre monde », état accompagné de larmes de joie et d'émerveillement devant la grandeur de Dieu, d'une prière devenue continuelle, et où on ne considère plus les hommes dans leur pauvre aspect d'ici-bas (avec leur péchés et leurs vices), mais dans leur gloire d'en-haut. À l'extrémité de ce degré spirituel, il est donné à quelques très rares élus d'entrer dès cette vie dans la « perfection » (mais ce ne peut être ici-bas qu'« en arrhes »), où il n'y a même plus de larmes, mais la joie pure, et où l'homme n'est plus un esclave auquel on impose une loi, mais un fils.

Éditions

  • (de) S. Dedering (éd.), Johannes von Lycopolis: Ein Dialog über die Seele und die Affekte des Menschen, Leipzig-Upsala-Haag, 1936 (texte syriaque ; traduction française : I. Hausherr (éd.), « Dialogue sur l'âme et les passions des hommes », Orientalia Christiana Analecta 120, Rome, 1939).
  • (de) Lars Gotha Rignell (éd.), Briefe von Johannes dem Einsiedler, Lund, 1941 (trois lettres : une à Théodoulos, deux à Eutropios et Eusébios).
  • (de) L. G. Rignell (éd.), Drei Traktate von Johannes dem Einsiedler (Johannes von Apamea), Lund, 1960 (trois traités : un sur la solitude, deux sur le baptême).
  • (de) W. Strothmann (éd.), Johannes von Apamea, Patristische Texte und Studien, Berlin 1972 (introduction générale, texte critique et traduction allemande pour six Dialogues avec Thaumasios, une lettre de Jean à Thaumasios, une autre de Thaumasios à Jean, trois traités adressés à Thaumasios sur le mystère de l'économie du Christ ; nouvelle introduction et traduction française des mêmes textes par R. Lavenant, coll. « Sources chrétiennes », no 311, Paris, 1984).
  • (en) S. P. Brock (éd.), « On Prayer », Journal of Theological Studies 30 (1979), p. 84-101.
  • (en) S. P. Brock (éd.), « Letter to Hesychius », in The Syriac Fathers on Prayer, 1987, p. 81-98.

Notes et références

  1. Rubens Duval, Littérature syriaque, Paris, 1907, p. 312.
  2. I. Hausherr, « Aux origines de la mystique syrienne : Grégoire de Chypre ou Jean de Lycopolis ? », Orientalia Christiana Periodica, IV (1938), p. 497-520.
  3. Contre cette identification : I. Hausherr, « Un grand auteur spirituel retrouvé : Jean d'Apamée », Orientalia Christiana Periodica, XIV (1948), p. 3-42 ; position inverse : (de) W. Strothmann, Johannes von Apamea, Patristische Texte und Studien, Berlin, 1972, p. 81-91.
  4. Voir CSCO, vol. 69 (éd. A. Scher), p. 331-333.
  5. Pour l'identification, (de) W. Strothmann, op. cit., p. 103-104 ; contre: R. Lavenant, « Le problème de Jean d'Apamée », Orientalia Christiana Periodica, XLVI, 2 (1980), p. 367-390. Le texte synodal lui-même ne dit rien de la doctrine du « Jean d'Apamée » condamné, contrairement à ce qu'il fait pour Jean de Dalyatha et Joseph Hazzaya, ce qui laisserait penser qu'il s'agissait d'un auteur ancien et connu.
  6. En syriaque selon (de) W. Strothmann, op. cit., p. 53.

Bibliographie

  • Paul Harb, « Doctrine spirituelle de Jean le Solitaire (Jean d'Apamée) », Parole de l'Orient, vol. II, no 2 (1971), p. 225-260.
  • Robert Beulay, La Lumière sans forme: Introduction à l'étude de la mystique chrétienne syro-orientale, coll. « L'Esprit et le Feu », Chevetogne, 1987.

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