- Conquête de l'empire inca
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La conquête de l’empire Inca désigne, dans l'historiographie, l'annexion du Tahuantinsuyu à l'empire espagnol entre 1532 (date de la capture de l'Inca Atahualpa) et 1533 (date de son exécution). De la première expédition espagnole de Pascual de Andagoya, en 1522, à la fin de la résistance inca, en 1574, les évènements les plus significatifs ont eu lieu entre 1531 et 1534 lors des expéditions des conquistadors Francisco Pizarro et Diego de Almagro.
Sommaire
Histoire
L’empereur Huayna Capac était parvenu à unifier son vaste empire, le Tahuantinsuyu[N 1], étendu depuis l’actuel pays de l’Equateur, incluant la ville de Quito, jusqu’au Rio Maule (Chili). Cette longue bande de terre, d'un peu moins d’un million de kilomètres carrés[1] sur près de quatre mille kilomètres, du Nord au Sud, connaît une variété de paysages et de climats[2]. Afin de gérer efficacement cette grande masse de terre, l’Inca[N 2] décide de créer une seconde capitale au Nord, dans les terres nouvellement conquises[N 3]. La capitale traditionnelle, Cuzco, se voit donc délaissée, au grand dam des nobles incaïques, les orejones[N 4], qui se sentent alors mis à l’écart. L’Inca y a toutefois laissé, « sous la tutelle de deux seigneurs, membres de la famille impériale »[3], son successeur légitime, Huascar.
La seconde ville principale, Tomebamba ou Tumipampa, copie presque intégralement le modèle de l’ancienne capitale et l’Inca semble y prendre une part croissante, notamment dans la vie religieuse, allant jusqu’à occuper la place de grand prêtre du Soleil, ce qui attise les jalousies de Cuzco. La mort de Huayna Capac, probablement de la variole, précipite son œuvre dans la même tombe que lui. Légitimement désigné, Huascar prend le trône. Il « donne l’impression d’être un esprit faible, timide, s’abandonnant à d’irrépressibles accès de colère. […] Ce n’était pas un guerrier, comme son père ou son frère. » Ce dernier, Atahualpa, « fruit d’une union entre Huayna Capac et une princesse de Quito » est désigné par les nobles de la capitale secondaire comme successeur du défunt Inca, qui lui-même, sur son lit de mort, désavoue son choix de successeur : « Huayna Capac n’avait guère confiance en Huascar. Il choisit donc un autre de ses fils, Ninan Cuyochi, pour nouvel héritier. Mais ce dernier allait être à son tour la victime de l’épidémie qui enleva son père. » Atahualpa réclame alors, si ce n’est la mascapaicha[N 5], au moins la régence sur le Domaine du Nord. Devant le refus de Huascar, peu intéressé par ce qui se passait dans les provinces septentrionales, la guerre[N 6] semblait donc inévitable. C’est à ce moment qu’entre sur la scène politique et militaire un nouveau protagoniste : Francisco Pizarro. Fils naturel du navigateur noble Gonzalo Pizarro, analphabète, il joint l’Amérique dès 1502 et accompagne Vasco Nuñez de Balboa dans son expédition qui lui permit de découvrir l’océan Pacifique en 1513. Par ses nombreuses campagnes à travers le continent américain, ce fils d’hidalgo a déjà eu l’occasion de rencontrer un grand nombre d’indigènes, mais a aussi entendu parler du vaste empire du Soleil. Quelques raids de reconnaissance lui permettent de localiser ces espaces, dont la richesse est réputée en cette région du monde. Il faut dire que les peuples dominés par les Incas n’étaient pas toujours en osmose avec leurs maîtres et voyaient parfois dans le conquistador une aide pour se libérer de l’oppresseur. Lorsqu’il prépare sa rencontre avec le peuple inca, il ne connaît peut-être pas les troubles politiques qui règnent dans ce vaste empire. Avec deux cents soldats et vingt-sept chevaux[4], il débarque à Tumbez en janvier 1531, décidé à rencontrer l’empereur. Durant ce temps, Atahualpa a atteint Cuzco, dans laquelle il a envoyé un de ses généraux, Quizquiz, pour capturer l’Inca. Au même moment, Pizarro organise sa rencontre avec Atahualpa, à Cajamarca.
C’est cet événement que Théodore de Bry a décidé de mettre en valeur dans le frontispice de l’œuvre lascasienne[1]. Comme dans les précédents volumes des Grands Voyages, le frontispice est l’occasion pour le graveur de montrer une suite de faits importants pour le reste de l’ouvrage, auxquels il adjoint le thème général, sous la forme d’un long titre dans la partie centrale de l’image. Devant l’abondance d’informations, il est délicat de lire ce frontispice (Las Casas, Fr.). La partie supérieure précède chronologiquement la partie inférieure. En effet, la lecture peut s’effectuer depuis la partie gauche de cette ensemble jusqu’au centre. Les groupes de personnages à droite et à gauche semblent liés et constituer la « rencontre de Cajamarca » : d’un côté des Européens, probablement espagnols, tirent à grands renforts de canons et d’arquebuses, « dont une seule détonation sème la panique »[5] et rappellent dans l’esprit des Indiens la mort qu’elles prodiguent. Toutefois, le groupe d’indigènes particulièrement nombreux, armés de seules lances, ne semble pas subir les souffrances des canonnades, un seul corps gisant au sol[6]... Atahualpa apparaît dans cet ensemble, sur une litière portée par des indigènes. Alors que le groupe subit une débandade, deux Espagnols, aisément reconnaissables à leur armure, tirent le fils de l’Inca hors de son trône[N 7]. Cette scène, développée dans les Grands Voyages, volume VI, nous amène à celle du centre de la partie supérieure : le trio de personnages représenté au sommet du rectangle qui comporte le titre montre Atahualpa au centre, cerclé de deux Espagnols, « Francisco Pizarro sans doute à sa droite »[6], semblant l’empêcher de partir, une hallebarde marquant la séparation entre les deux origines. Atahualpa est alors arrêté par Pizarro, qui l’emmène avec pour but de demander une rançon en échange de sa liberté. Cet événement nous conduit dans la partie inférieure de l’image, où l’Inca est enchaîné, calmement agenouillé, alors que les Espagnols s’agitent frénétiquement autour de lui. La cupidité pour l’or est en marche dans l’esprit des Espagnols. L’immense rançon demandée en échange d’Atahualpa est ici symbolisée par le nombre d’Indiens qui apportent quantité de richesse aux Espagnols avides d’en posséder toujours plus. Dix indigènes vêtus d’un simple pagne, les bras chargés d’objets tels que des bijoux, vases, coupes, boucliers, amphores[N 8] arrivent de toute part. Selon toute vraisemblance, le lecteur s’attend à la libération de l’Inca, mais la gestuelle des Espagnols peut laisser deviner une volonté d’en obtenir toujours plus, et donc une captivité plus longue.
Notes
- Chinchay Suyu) au Nord, Collasuyu (Qulla Suyu) au Sud, Antisuyu à l’Est, Cuntisuyu (Kunti Suyu) à l’Ouest » (Wachtel 1971, p. 122). « L’Empire des quatre quartiers : Chinchaysuyu (
- Tahuantinsuyu et personnage sacré, correspond le culte d’Inti, Soleil protecteur, source de vie et dieu principale du panthéon indigène » (Wachtel 1971, p. 130) duquel le souverain prétend descendre, d’où son titre : Fils du Soleil (Bravo Guerreira 1981, p. 28). « A l’Inca, maître des hommes, centre de
- Bravo Guerreira 1981, p. 27). La politique de conquête avait été initiée par le huitième souverain, Viracocha (
- Bravo Guerreira 1981, p. 34). Membres de la famille de l’Inca, ce mot signifie « "Oreillards", nom donné par les Espagnols aux nobles incaïques à cause des ornements qu’ils portaient au lobe de l’oreille, signes distinctifs de leur distinction sociale » (
- Bravo Guerreira 1981, p. 31). « Frange de laine écarlate que l’Inca portrait au front » (
- Bravo Guerreira 1981). « Cette guerre ne fut pas […] le fruit ou la conséquence d’une rivalité entre deux frères [mais] la conséquence d’une prise de conscience, celle d’une peuple opprimé des Marches du Nord que les circonstances incitaient à revendiquer son droit à l’indépendance » (
- Duviols, p. 210). L’image semble montrer les Espagnols attrapant l’Inca par le pied alors que les textes précisent par le bras (
- Duviols). Ce sont des objets de facture typiquement européenne (
Sources
Références
- Bravo Guerreira 1981, p. 28.
- Wachtel 1971, p. 105-106.
- Bravo Guerreira 1981, p. 30-35
- Lepage, p. 41.
- Lepage, p. 44.
- Duviols, p. 197.
Bibliographie
- Théodore de Bry, Théâtre du Nouveau Monde : les grands voyages de Théodore de Bry, Paris, Découverte Gallimard Albums, 1992.
- Bartolomé de Las Casas, La destruction des Indes (1552), Paris, Editions Chandeigne, 1995
Introduction d’Alain Milhou, analyse iconographique de Jean-Paul Duviols.
- Carmen Bernand et Serge Gruzinski, Histoire du Nouveau Monde, Paris, Fayard, 1991-1993.
- Pierre Chaunu, Conquête et exploitation des nouveaux mondes, Paris, P.U.F., 1995 (1re éd. 1969).
- Maria Conception Bravo Guerreira, « L’agonie de l’Empire inca », dans L’Histoire, Paris, no 33, avril 1981, p. 26-36.
- M. Lepage, « Les Révoltes indiennes pendant la conquête espagnole », dans L’Histoire, no 13, Juin 1979, p. 41.
- Jean-Paul Duviols et Annie Molinie-Bertrand, La violence en Espagne et en Amérique (XVe-XIXe s.), Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1997.
- Jean-Paul Duviols, Le miroir du Nouveau Monde : images primitives de l’Amérique, Paris, Presses Universitaires de la Sorbonne, 2006.
- Henri Favre, « Les Andes à l’époque inca », dans Historiens et Géographes, Paris, no 371, juillet-août 2000, p. 131-142.
- Giuliano Gliozzi, Adam et le Nouveau Monde. La naissance de l’anthropologie comme idéologie coloniale : des généalogies bibliques aux théories raciales (1500-1700), Paris, Théétète Editions, 2000.
- Thomas Gomez, L’invention de l’Amérique. Mythes et réalités de la Conquête, Paris, Champs Flammarion, 1992.
- Bernard Grundberg, « Conquêtes et conquistadores », dans Historiens et Géographes, Paris, no 371, juillet-août 2000, p. 163-173.
- Lewis Hanke, Colonisation et conscience chrétienne au XVIe s., Paris, Plon, Collection Civilisations d’hier et d’aujourd’hui, 1957.
- Salvador de Madariaga, L’essor de l’empire espagnol d’Amérique, Paris, Albin Michel, 1986 (1re éd. 1953).
- Marianne Mahn-Lot, Bartolomé de Las Casas et le droit des Indiens, Paris, Payot, 1995 (1ère éd. 1982).
- Isabelle Malaise-Engammare, « Théodore de Bry et Bartholomé de Las Casas. Images de la dissidence religieuse », dans Art&Fact, Liège, no 15, 1996, p. 112-115.
- Tzvetan Todorov, La conquête de l’Amérique. La question de l’autre, Paris, Points Essai n°226, 1982.
- Nathan Wachtel, La vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la Conquête espagnole 1530-1570, Paris, Gallimard, 1971.
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