Algèbre syncopée

Algèbre syncopée
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L'algèbre syncopée désigne une forme intermédiaire d'écriture mathématique, entre l'algèbre rhétorique (où tout est exprimé avec des mots) et l'algèbre symbolique moderne. Elle consiste essentiellement en l'utilisation de notations abrégées (d'où le qualificatif de syncopé, qui signifie abrégé[1]). Cependant, pour les mathématiciens utilisant l'algèbre syncopée, le pas n'est pas franchi de considérer les symboles comme des entités mathématiques à part entière. Notamment, il n'y a pas de signe réservé pour l'inconnue d'une équation qui soit manipulable comme un nombre[2]. François Viète sera le premier à noter des équations avec des paramètres et à énoncer pour les équations formelles ainsi créées les mêmes règles de calcul qu'on applique aux nombres[3]. Ce système de notation, appelé logistique spécieuse sera amélioré, notamment par Thomas Harriot ; William Oughtred, James Hume, Albert Girard et René Descartes, pour donner l'algèbre symbolique moderne.

La distinction entre algèbre rhétorique, algèbre syncopée et algèbre symbolique est posée pour la première fois par Georg Heinrich Ferdinand Nesselmann en 1842[4].

Sommaire

Exemples

Différentes puissances d'une inconnue

Par exemple, une inconnue x étant posée, ce qui en algèbre symbolique actuelle s'écrit 5x3+2x2 pourrait être traduit en algèbre rhétorique par « 5 cubes et 2 carrés » et, en algèbre syncopée, 5Q+2C, où Q désigne le cube de l'inconnue et C son carré[5]. Le fait de noter différemment le carré et le cube de l'inconnue, de ne pas attribuer de signe distinctif à l'inconnue, est caractéristique de l'algèbre syncopée.

Historique

Avant Diophante

Dès la Haute Antiquité, des problèmes sont énoncés en « algébre rhétorique » (bien que le terme d'algèbre soit ici contesté). Bien qu'utilisant un vocabulaire géométrique, les problèmes mésopotamiens peuvent aisément être transcrits en notation moderne[6]. Par exemple, la tablette babylonienne BM 13901. contient le problème[7] :

Problème — J'ai soustrait le côté d'un carré de la surface et le résultat est 14,30.

Ce qui, de nos jours, se traduit directement, en posant x le côté du carré par :

x2x = 14,30.

Le fait d'ajouter des côtés de carré avec des surfaces, comme ci-dessus, montre une certaine conceptualisation « algébrique » mais cette « algèbre » reste rhétorique : les règles ne sont données qu'à travers des exemples. Les babyloniens savaient résoudre certaines équations, mais n'ont jamais franchi le pas d'une notation algébrique qui leur aurait permis d'écrire des méthodes générales[8].

D'autre part, au IVe siècle av. J.‑C., Aristote utilise des lettres dans ses discours de logique, mais sans que le lien soit fait avec les équations[9].

Diophante, premier « père de l'algèbre »

Diophante d'Alexandrie (IIIe siècle) utilise quelques abréviations dans ses textes pour les opérations : le signe ⋔ pour la soustraction, le mot ενμοριϖ (« partie de... ») pour la division, la juxtaposition des signes pour l'addition. Il remplace les mots les plus courants par leurs initiales[10].

L'algèbre arabe

Au début du IXe siècle, l'Abrégé du calcul par la restauration et la comparaison (ou Algebra) d'Al-Khwarizmi, bien qu'ouvrage fondateur de l'algèbre — et qui a donné son nom à cette science — est entièrement rhétorique : même l'écriture des nombres n'utilise pas de symboles[11].

En Europe

L'algèbre syncopée laisse peu à peu place à l'algèbre symbolique au cours du XVIIe siècle en Europe[10].

Sources

Articles

  • Filippo Russo, « La constitution de l'algèbre au XVIe siècle : Étude de la structure d'une évolution », dans Revue d'histoire des sciences et de leurs applications, vol. 12, no 3, 1959, p. 193-208 [texte intégral] 
  • Jean-Pierre Desclés et Kye-Seop Cheong, « Analyse critique de la notion de variable : points de vue sémiotique et formel », dans Mathématiques et Sciences humaines - Mathematics and Social Sciences, EHESS, vol. 44, no 173, 2006, p. 43-102 [texte intégral] 
  • Robert Lyons, « Les symboles mathématiques modernes », dans Mathadore, vol. 2, no 80, 31 mars 2002 [texte intégral] 
  • Michel Serfati, « Descartes et la constitution de l'écriture symbolique mathématique », dans Revue d'histoire des sciences, vol. 51, no 2-3, 1998, p. 237-290 [texte intégral] 

Ouvrages

  • Jean-Claude Colbus et Brigitte Hébert, Les outils de la connaissance : enseignement et formation intellectuelle en Europe entre 1453 et 1715, Publications de l'Université de Saint-Étienne, coll. « Renaissance et âge baroque », 2006, 390 p. (ISBN 2862724149) 
  • A. Dahan-Dalmedico et J. Peiffer, Une Histoire des mathématiques - Routes et dédales [détail des éditions] 
  • Ahmed Djebbar, L'algèbre arabe, genèse d'un art, Vuibert/Adapt, 2005, 214 p. (ISBN 2711753816).
    Tour d'horizon de l'algèbre arabe, des origines au XVe siècle.
     
  • (en) Otto Neugebauer, The Exact Sciences in Antiquity, Providence, Brown University Press, 1957 (réimpr. 1969), 240 p. (ISBN 0486223329) 

Références

  1. Voir par exemple la définition du verbe syncoper dans l'ATILF.
  2. Russo 1959.
  3. Colbus et Hébert 2006, p. 248.
  4. Lyons 2002
  5. Exemple tiré de Colbus et Hébert 2006, p. 248.
  6. Neugebauer 1957
  7. Exemple cité par Dahan-Dalmedico et Peiffer 1986, p. 73. Djebbar 2005, p. 180 en donne un autre.
  8. Neugebauer 1957, p. 42-44.
  9. Desclés et Cheong 2006.
  10. a et b Dahan-Dalmedico et Peiffer 1986, p. 78.
  11. Dahan-Dalmedico et Peiffer 1986, p. 84.

Liens internes

Chronologie de l'algèbreAlgèbre nouvelle


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