Vérité scientifique

Vérité scientifique

L'idée que la science permette d'accéder à une forme de vérité est présente aussi bien chez les philosophes que chez les scientifiques. Ainsi, le sous-titre du Discours de la méthode de René Descartes est pour bien conduire sa raison, et chercher la vérité dans les sciences.

Sommaire

Validité du concept

Au XXe siècle, certains philosophes des sciences remirent en cause la vision idéalisée d'une science faisant peu à peu la lumière sur le monde, soulignant les aspects humains de l'obtention d'un consensus en science. D'autres ont souligné l'interprétation de plus en plus difficile des théories et des faits, prônant une vision opérationnaliste de la science, loin des notions d'ontologie et de vérité absolue. D'autres encore, à l'inverse, restent attachés à la notion de réalité et à une vision objective de la vérité en sciences.

En pratique, les chercheurs, par pragmatisme, continuent d'agir en acceptant comme vrai ce qu'ils trouvent par la méthode scientifique, ou du moins en traitant les résultats comme vrais, même s'ils n'emploient pas forcément cette terminologie.

De même, la vulgarisation scientifique ne tient pas vraiment compte de ces nuances. L'information scientifique à titre de culture générale traite comme des vérités incontestables les modèles ne faisant plus débat au sein de la communauté scientifique. Par exemple la proposition - d'ailleurs approximative[1] - « La Terre tourne autour du Soleil » est considérée comme vraie dans les médias à destination du grand public, sans préciser les raisons pour lesquelles les physiciens considèrent le référentiel héliocentrique comme plus « vrai » que le référentiel géocentrique.

Description

Une proposition est dite comme relevant de la vérité scientifique quand elle a été construite par un raisonnement rigoureux, et vérifiée par l'expérience. Elle est alors réutilisable par les autres scientifiques pour construire d'autres propositions de ce type à partir d'elle.

La vision d'une vérité scientifique "pure" doit néanmoins être tempérée : ces propositions reposent souvent sur des consensus établis par convention sur des questions pour lesquelles il n'y a pas assez d'éléments pour répondre. Différentes affirmations peuvent faire l'objet d'une controverse scientifique en attendant qu'un élément nouveau tranche définitivement.

La vérité scientifique, pour mériter ce nom, ne doit pas dépendre d'une idéologie.

Les faits expérimentaux comme vérités

Les premières affirmations que les scientifiques peuvent tenir pour "vraies" sont les résultats bruts des expériences.

Leurs interprétations, en revanche, ne peuvent être immédiatement tenues pour vraies. Il s'agit d'un choix possible suivant les critères de la méthode scientifique.

On remarque qu'au fil des siècles, même les faits expérimentaux sont devenus dépendants de la confiance envers les théories déjà établies. Par exemple toutes les expériences réalisées au XXIe siècle voient leurs résultats entrés dans un ordinateur. Encore faut-il pour cela faire confiance aux théories physiques sur lesquelles se basaient les ingénieurs qui ont mis au point les ordinateurs.

Les constructions logiques comme vérités

La science fait appel à des raisonnements logiques pour passer d'une affirmation à une autre, parfois exclusivement par la logique mathématique. Au sein d'un modèle, on doit tenir pour vraies certaines propositions à partir du moment où on en a admis d'autres. Par exemple il est impossible de tenir l'intégralité de la relativité restreinte pour vraie à cela près qu'on affirme que E=4*mc² (au lieu de E=mc²), car cette affirmation est incohérente logiquement avec les autres affirmations de la relativité restreinte.

Les théories et modèles comme vérités

Un ensemble de faits expérimentaux doit recevoir une explication. La méthode scientifique donne des critères pour qu'une théorie prétendant expliquer ces faits soit fiable.

C'est à ce niveau-là que l'affirmation selon laquelle la science fait accéder à une forme de vérité est critiquée.

Définir ce qui est vrai par affirmation ou par négation ?

En principe, la démarche scientifique retient la théorie la plus simple rendant correctement compte de tous les faits observés.

Historiquement, les théories s'imposent parce qu'elles marquent les esprits par leurs prédictions justes. En particulier, une expérience dont la nouvelle théorie prédit un résultat inimaginable jusque-là et qui n'a jamais été faite avant la publication de la théorie, aura un effet assez convainquant.

Le philosophe des sciences Karl Popper a objecté que si un nombre arbitraire de prédictions pouvaient être dites "justes", alors ce serait vraisemblablement une prédiction "fausse" qui amènerait à trancher. C'est donc un biais de confirmation d'hypothèse de penser qu'une théorie est juste si on a observé un grand nombre de situations la confirmant (voir aussi Paradoxe de Hempel).

Se voulant conséquent, Popper a proposé alors de renoncer à prétendre confirmer une théorie, et d'accepter de dire qu'une vérité est scientifique quand il est possible de la réfuter.

En pratique, le fait de pouvoir être réfutée est souvent retenu comme critère pour juger du caractère scientifique d'une théorie, mais, aussi malhonnête que cela puisse paraître, une théorie n'est pas pour autant toujours considérée comme fausse même après avoir été contredite[2]. D'abord, parce qu'une théorie ayant "fait ses preuves" réclame des indices très forts contre elle. En effet, si une expérience contredit une théorie tenue pour fiable, l'erreur possible dans cette expérience sera étudiée en premier lieu.

Science contre idéologie

Dans le roman 1984 de Georges Orwell, le parti au pouvoir a incorporé dans son idéologie le principe suivant : la vérité scientifique n'a de valeur que pour les seuls usages scientifiques. L'exemple donné est le suivant : dans l'idéologie du parti, la Terre est au centre de l'univers (parce que cela concorde mieux avec l'image qu'il souhaite donner de l'Humanité). La vérité officielle est que la Terre est au centre de l'univers. La vérité scientifique est que la Terre tourne autour du Soleil. Mais bien que les scientifiques doivent connaître la vérité scientifique pour l'employer dans leurs calculs, ils ne perçoivent pas de contradiction avec la vérité officielle.

Cette situation a réellement eu lieu à la fin du XVIe siècle, et Orwell s'en est probablement inspiré : l'église catholique, devant les avancées de l'héliocentrisme, a stipulé l'équivalence des hypothèses de l'héliocentrisme et du géocentrisme. L'héliocentrisme est alors toléré comme « une simple hypothèse de travail », simplifiant éventuellement les calculs, et ne remettant aucunement en cause le géocentrisme considéré comme la vérité officielle.

Cette position représente une intrusion de l'idéologie dans la détermination de la vérité scientifique, ce qui n'est pas acceptable: les astrophysiciens peuvent établir des modèles qui ne servent qu'à faire des prédictions (c'est ce que Copernic disait faire) ou, au contraire, établir des modèles justifiés par d'autres éléments (Galilée avait fait des observations de réflexions de la lumière du Soleil incompatibles avec un modèle où le Soleil et les planètes tournent autour de la Terre). Une proposition traitant des sciences et relevant d'un choix idéologique ne peut avoir statut de vérité "objective" si elle est invérifiable par la méthode scientifique et encore moins si la vérité scientifique lui est contraire. De plus, les vérités scientifiques restent vraies une fois sorties du laboratoire, le ciel des astrophysiciens étant le même que celui des non-physiciens.

Variantes épistémologiques

La définition donnée en introduction est l'acceptation communément admise du terme « vérité scientifique ». Cependant, d'un point de vue philosophique, certains épistémologues et scientifiques donnent un sens plus fort, ou au contraire plus faible, au concept de vérité scientifique.

Karl Popper, notamment, défend que les théories scientifiques peuvent converger vers une connaissance "plus vraie" du monde[3]. Le concept de "vérité scientifique" est alors associé à une position "réaliste[4]" et au concept de "connaissance objective". L'adéquation aux faits n'est alors plus qu'une condition nécessaire à la vérité scientifique (et plus suffisante) : la théorie ou l'affirmation scientifique doit correspondre à la réalité objective pour être qualifiée de "vérité".

On retrouve cette position également chez René Thom selon lequel la science moderne s'essouffle car les savants appellent vérité ce qui n'est que succès technique, la science devenant ainsi un "cimetière de faits[5]". Une authentique "vérité scientifique" a, selon Thom, une vertu explicative et une fécondité à engendrer d'autres vérités dont ne dispose pas une vérité uniquement fondée sur les faits :

«Je crois que l'expérimentation par elle-même ne peut guère conduire à des progrès [...] La théorisation, pour moi, est liée à la possibilité de plonger le réel dans un virtuel imaginaire, doté de propriétés génératives, qui permettent de faire des prévisions[6]. »

Le concept de "vérité scientifique" est donc associé à la possibilité de donner une signification à une théorie scientifique :

«Ce qui limite le vrai, ce n'est pas le faux, c'est l'insignifiant[7]. »

Notes et références

  1. on peut par exemple mentionner que les corps du système solaire ne tournent pas autour du Soleil mais du centre de masse du système
  2. Finding the flaw in falsifiability - physicsworld.com
  3. Karl Popper, La Connaissance objective
  4. affirmant l'existence d'une réalité objective indépendante de l'observateur et de sa manière de voir le monde
  5. René Thom, Prédire n'est pas expliquer, Flammarion (1993)
  6. R. Thom, Prédire n'est pas expliquer, p. 91
  7. R. Thom, Prédire n'est pas expliquer, p. 132

Voir aussi

Articles connexes

Liens et documents externes


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