- Une situation sociale délicate
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Situation sociale sous le Second Empire
Les Journées de Juin 1848 permettent l’arrivée en jeu, dans la scène politique, de Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III, mais laissent aussi la France dans un état miséreux – pour les classes les plus populaires notamment – où des crises de différentes natures ne cessent d’accabler les français. Elu président, puis se faisant nommer prince-président puis empereur, Napoléon III va avoir, durant son règne, pour volonté d’améliorer les conditions sociales par le biais, notamment, de la prospérité économique. Nous pourrons voir toute l’étendue de cette politique sur le plan social et nous demander comment la situation sociale, sous le Second Empire, a changé, en voyant tout d’abord ses forces stabilisatrices, mais aussi le mouvement de la société française de cette époque. Enfin, nous pourrons faire un bilan en évoquant la fin du Second Empire et la détérioration du climat social.
Sommaire
Les forces stabilisatrices de la politique de Napoléon III
Durant le règne de Napoléon III, la volonté principale de l’empereur était l’extinction du paupérisme grâce à l’économie, mais aussi une nette volonté sociale. Pour cela, le pouvoir bonapartiste va tenter de stabiliser le régime et la société française en mettant en avant certains groupes et élites.
Les effectifs politiques
On remarque que les effectifs politiques – membres du gouvernement, aussi bien le Conseil d’Etat que les parlementaires – ne sont plus issus des mêmes classes sociales qu’auparavant. Tandis que la noblesse s’efface de plus en plus des postes politiques, deux fractions de la population sont mieux représentées : les grands hommes d’affaires d’un côté, et de l’autre ceux que l’on appelle les « hommes nouveaux », c'est-à-dire ceux qui rompent avec le conformisme des capacités juridiques. Ces derniers ne sont guère plus nombreux qu’avant, mais peuvent davantage marquer leurs différences du fait des prétentions démocratiques du régime. Ainsi, ils bénéficient d’une certaine marge de manœuvre, ce qu’ils n’avaient pas auparavant.
Cependant, le personnel parlementaire semble comme éloigné du pouvoir. De plus, ils bénéficient d’une faible indemnité. On remarquera également dans cette partie du personnel lié au gouvernement une surreprésentation des fonctionnaires, ce qui prouve une relative importance de cette part de la société dans la politique du Second Empire.
Les élites administratives
Il faut d’abord préciser que le Bonapartisme offre aux élites administratives un statut rehaussé, revalorisé, mais le milieu social qui en bénéficie est malheureusement aussi étroit que pour le personnel politique présenté précédemment. Ils profitent ainsi d’une rémunération vue à la hausse, mais il ne s’agit pas des seuls avantages dont ils peuvent jouir. Ainsi, ils profiteront notamment de la construction ou de la rénovation de leurs lieux de travail, d’un effort particulier du point de vue de leurs costumes ou uniformes, mais aussi ils recevront, pour certains, décorations ou titres décernés par le pouvoir.
C’est grâce à ces élites que Napoléon III a essayé de réconcilier les diverses fractions de la classe dirigeante en les mettant au service de l’Etat. Cependant, ce personnel administratif n’est finalement ni propre au régime bonapartiste, ni entièrement fiable.
L’armée
Le Second Empire a étendu le poids de l’Etat à tous les niveaux, notamment concernant l’armée. On observe durant cette période une hausse des effectifs. De plus, on constate qu’elle s’oriente plus vers une armée de métier, de par sa composition. Cependant, le maintien du tirage au sort et du système de remplacement rend toujours le service obligatoire injuste, mais le pouvoir bonapartiste préfère cette solution afin de toujours avoir le soutien des paysans aisés et des notables, dont le rôle, sous le Second Empire, n’est pas à négliger. On a aussi un service long, réservé aux plus pauvres des classes populaires.
Toutefois, on observe un encadrement rajeuni et rénové, car un certain nombre de postes d’officiers et de sous-officiers sont disponibles. De plus, l’empire offre des débouchés et promotions à une jeunesse insuffisamment qualifiée à travers le service de l’Etat ou encore le rêve de gloire outre-mer (concernant l’Algérie notamment).
Le clergé
Napoléon III, durant son règne, va faire du clergé, notamment le clergé régulier, un organe majeur dans le domaine de l’instruction, mais aussi dans l’assistance aux indigents. Il faut dire que le clergé est une force considérable d’encadrement. Ainsi, le clergé régulier assure une grande partie de l’enseignement primaire, notamment féminin, mais aussi une part plus restreinte de l’enseignement secondaire. De plus, la Loi Falloux a pour conséquence la multiplication des collèges religieux.
On notera également la grande importance du clergé dans la fonction d’assistance. Ainsi, les indigents peuvent, en milieu rural, bénéficier d’une médecine gratuite. De même, le régime bonapartiste favorise extension des écoles congréganistes, ce qui profite aux couches les plus démunies. De plus, l’influence du clergé est grande auprès des paysans et paysannes, mais également dans les hôpitaux et hospices, où il est influent en dispensant une certaine morale religieuse.
Ainsi, ce réseau d’encadrement permet de mieux lutter contre les épidémies ou encore de diffuser la vaccination, grâce à cette présence dans les milieux hospitaliers. Cela a aussi des effets bénéfiques sur le clergé, puisqu’ils voient alors le budget des cultes augmenter au cours du Second Empire, ou encore la restauration ou reconstruction des églises et presbytères. On note aussi, à cette époque, la fondation de nouveaux pèlerinages et de nouvelles œuvres. Du fait de leur présence dans l’enseignement, on remarque un certain essor des vocations religieuses, mais inégalité des revenus entre les différentes catégories de prêtres contribue au maintien d’un recrutement plutôt populaire.
Cependant, la politique de Napoléon III en Italie et la montée des ultramontains crée une certaine agitation au sein du bas-clergé, ce qui crée une rupture entre l’Eglise et l’Etat.
La situation du secteur rural : un relatif âge d’or
Durant le Second Empire, bien que l’industrialisation commence à se développer, l’agriculture reste encore un secteur dominant – un peu moins de 50%. Pourtant, cela n’est pas synonyme de surpopulation ou de paupérisme, ce qui était le cas auparavant. En effet, on observe un exode des éléments marginaux de ce secteur : journaliers temporaires, mendiants, domestiques, petits artisans itinérants, etc. Ces derniers trouvent des débouchés dans les grands chantiers du Second Empire, notamment.
De ce fait, on note une amélioration de la situation des salariés agricoles : moins de chômage saisonnier, un salaire globalement plus élevé – 30% en 30 ans si l’on considère le salaire réel. Cela se traduit aussi par une augmentation du nombre de propriétaires exploitants ; Il faut dire que l’accès à la propriété est plus facile. On remarque également que la paysannerie bénéficie d’un certain progrès technique, notamment concernant le domaine des communications. Une meilleure commercialisation des produits agricoles est aussi constatée, mais la notion de productivité n’est, à l’époque, pas évidente, et l’on compte plus alors sur la propriété, ce qui explique aussi que le secteur agricole, dont les moyens augmentent progressivement, investisse dans la propriété, d’où le nombre en hausse de propriétaires. De plus, les paysans français sont davantage sensibles à la variation des prix, et ont de plus en plus de surplus négociable. On voit donc que la condition du secteur agricole s’améliore.
Cependant, cette prospérité ne profite pas équitablement à tous. On note une certaine stabilité de la hiérarchie dans la société rurale, même s’il y a un glissement d’ensemble vers le haut. De plus, cette prospérité est inégale selon les régions, car la France compte quelques îlots de richesse rurale. Concernant la propriété, la demande foncière est bien supérieure à l’offre, et l’on observe une hausse du prix des terres agricoles, ainsi qu’une augmentation des fermages. On peut donc dire que l’âge d’or que connaît le secteur rural sous le Second Empire est relatif ; certes, il y a un glissement d’ensemble vers le haut, mais cette prospérité reste inégale.
Une société en mouvement
On voit donc que durant la période du règne de Napoléon III, un ensemble de forces tendent à stabiliser le régime nouvellement créé. Pourtant, sous le Second Empire, la société reste une société en mouvement.
Peu de réformes
Alors que le Second Empire se forme peu après les Journées de Juin 1848, le gouvernement reste, dans ses intentions, bien loin des projets socialistes du Printemps des Peuples. De plus, l’orientation conservatrice que va prendre le régime bonapartiste va considérablement freiner les éventuelles réformes. On note cependant quelques grandes évolutions.
1860 : un tournant pour le monde ouvrier
En effet, la plupart des réformes que le régime bonapartiste va instaurer concernent le monde ouvrier. On peut par exemple citer la loi du 25 mai 1864, aussi appelée Loi Emile Ollivier, qui accorde le droit de coalition. De même, la loi du 6 juin 1868 donne le droit de réunion, bien qu’on ne doive y traiter que d’industrie, d’agriculture ou de littérature ; tout enjeu politique ou religieux y est interdit. De même, Napoléon III fait preuve d’une grande tolérance avec le monde ouvrier, comme le montre la Circulaire de février 1866, qui prône justement une grande tolérance pour les réunions de grévistes.
Une prise de conscience ouvrière
Bénéficiant de réformes, les ouvriers voient ainsi leurs droits augmenter, mais ils prennent aussi conscience de plusieurs choses les concernant : la précarité de leurs conditions de travail, ou encore de leurs logis en est un bon exemple. Le monde ouvrier se rend compte de sa situation misérable. C’est dans ce secteur que l’on trouve la plus forte mortalité infantile, avec quelques hausses parfois, dues à différentes crises. De plus, c’est dans ce monde que s’accentue les écarts sociaux entre patrons et employés. On observe aussi une grande instabilité du marché du travail, qui reste encore, même dans le domaine industriel, très saisonnier. Enfin, la classe ouvrière a une fausse impression de précarité face au luxe affiché par la bourgeoisie.
Possibilités d’ascension et d’amélioration
Cependant, tout n’est pas noir dans le monde ouvrier ; l’ascension sociale y est toujours possible, et il y a encore possibilité d’une vie plus aisée concernant certains secteurs. En effet, on voit un certain nombre de simples ouvriers gravir l’échelle sociale jusqu’à devenir patrons de leur propre entreprise, rachetée ou fondée. Concernant ces dernières, on constate l’importance des réseaux familiaux et des associations pour la fondation d’entreprises ; rares ceux qui parviennent à se débrouiller seuls dans ce monde. L’association reste donc encore la meilleure solution. Pour en revenir aux secteurs les plus dynamiques, force est de constater que le textile et la métallurgie sont en pleine expansion.
Enfin, on remarque que le nombre de livrets de Caisse d’Epargne au sein de la classe ouvrière augmente, ce qui montre bien que celle-ci parvient tout de même à améliorer sa situation jusqu’à avoir quelques économies. Deux tendances se retrouvent parmi les plus aisés ou encore ceux qui ont légèrement plus de ce que leur train de vie leur impose : soit ils épargnent, soit ils dilapident tout en menant un train de vie supérieur à leurs rentrées d’argent, et s’endettent. Ce ci montre bien que, malgré l’impression de précarité qu’ont les ouvriers, ils ne sont pas, pour certains d’entre eux, si misérables.
Développement de grandes entreprises
C’est aussi pendant cette période que se développent de grandes entreprises, dont la visée est nationale, voire même internationale pour certaines. C’est par exemple le cas de l’entreprise d’Eugène I Schneider, appelée communément Le Creusot. De plus, on cherche de plus en plus, dans ces entreprises, à stabiliser un noyau d’ouvriers, car les ouvriers sont, sous le Second Empire, d’une grande mobilité, due à l’aspect encore très saisonnier des emplois proposés. Ainsi, grâce à ces noyaux d’ouvriers stables, ces grandes entreprises peuvent se développer. En revanche, on constate que la visée internationale de l’industrie n’est pas sans problèmes. En effet, si les français sont de moins en moins sensibles aux crises de cherté liées aux mauvaises récoltes, ils sont plus vulnérables face aux crises liées aux échanges internationaux, ainsi que celles liées à la concurrence entre branches modernisées et traditionnelles.
Fin du Second Empire et détérioration du climat social
Bien que Napoléon III souhaitait éradiquer le paupérisme grâce à la prospérité de son Empire, on constate tout de même qu’une grande partie de ses démarches se sont soldées par un échec.
Echec bonapartiste du point de vue ouvrier
Les ouvriers voient leur statut s’améliorer, mais la hausse de leurs salaires ne parvient pas à suivre la hausse des prix. De plus, du fait de la concurrence internationale, les ouvriers subissent des pressions de la part du patronat. Enfin, il faut avouer que les mesures prises du point de vue législatif ont été tardives par rapport à la durée du Second Empire.
Les conséquences des mutations rapides sur le paysage urbain et les cadres de vie
Les mutations rapides engendrées par la relative prospérité qui eut lieu durant le Second Empire, ainsi que l’exode rural ont particulièrement touché le paysage urbain et les cadres de vie. On observe notamment des tensions entre les différentes classes, et l’on voit de plus en plus une séparation entre domicile et lieu de travail, notamment chez la classe bourgeoise, qui souhaite s’éloigner de la classe ouvrière. Ces tensions s’observent aussi entre populations d’origine différente, comme par exemple entre citadins et personnes venues de la campagne.
C’est aussi à cette époque que le cadre de vie se détériore ; on voit même apparaître des bidonvilles.
Paris muselé
La réorganisation urbaine sert aussi d’autres intérêts ; à Paris, par exemple, cette réorganisation sert à toujours fournir de l’emploi à une classe sociale qui est une véritable poudrière et dont on craint l’éventuel soulèvement.
La demande croissante dans le domaine de l’enseignement
Il s’agit essentiellement d’une demande des milieux populaires, plus spécialement des ruraux. De plus, on constate une hausse générale de l’alphabétisation en France, à cette époque. Ceci s’explique notamment par les effets à long terme de la Loi Guizot de 1833. une preuve de cette alphabétisation est que presque toutes les communes ont une école. Cependant, il reste un sérieux déséquilibre dans la scolarisation du fait des différences de richesse de la population, mais aussi en fonction des sexes – la Loi Falloux est en partie responsable du retard de l’alphabétisation des femmes.
Conclusion
Cette situation politique en crise, ainsi que la montée d’un nouveau mouvement ouvrier fait ressurgir une peur sociale au sein de la bourgeoisie. C’est notamment à cause de ces problèmes qu’aura lieu la Commune de Paris (1871).
Bibliographie
- Christophe Charle, Histoire sociale de la France au XIXe siècle, Editions du Seuil, 1991.
- Jean Garrigues, La France de 1848 à 1870, Armand Colin, Collection Cursus, Paris, 2002.
- André Nouschi et Antoine Olivesi, La France de 1848 à 1914, Armand Colin, Paris, 2005.
Catégorie : Second Empire
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