Triboélectrique

Triboélectrique

Triboélectricité

La triboélectricité (du grec tribein qui signifie frotter) désigne le phénomène électrostatique par lequel lorsque l'on met en contact deux matériaux de nature différente, une partie des électrons de la surface de contact d'un des deux matériaux est transféré à l'autre, et ce transfert subsiste lors de la séparation. L'effet triboélectrique peut être augmenté si l'on fournit de l'énergie mécanique en frottant les matériaux l'un contre l'autre.

Sommaire

Paramètres pertinents

La quantité de charges électriques transférée dépend :

  • de la nature des deux matériaux (qui définit aussi leur signe relatif),
  • et de la surface de contact.

Pour le premier de ces paramètres, on définit des séries triboélectriques, c’est-à-dire des listes ordonnées de matériaux : la position relative définit le signe des charges, et la « distance » au sein de la liste donne une idée de l'importance de l'échange. Soit dit en passant, le côté empirique de la démarche montre l'effort gigantesque restant à accomplir pour réellement comprendre le phénomène au lieu de juste le décrire.

Pour le second paramètre, et à la condition que l'un au moins des deux matériaux soit un isolant, rien n'empêche de « réutiliser » plusieurs fois la même surface :

  • soit en frottant les deux matériaux l'un sur l'autre,
  • soit en faisant « recirculer » une des surfaces (disque en rotation, courroie, etc.).

Suites et conséquences

Une fois les charges créées (ou, plus exactement, séparées), tout dépend de la configuration :

  • soit les deux matériaux sont conducteurs, avec un chemin conducteur qui les réunit : les charges « font le tour », se neutralisent mutuellement, et les choses en restent là,
  • soit un au moins des matériaux est isolant, auquel cas les charges sont régies par les lois de l'électricité statique.
  • soit, enfin, cas intermédiaires, les deux matériaux sont conducteurs, mais isolés : on retrouve le cas précédent, à ceci près qu'il n'y a plus rien à attendre d'un frottement de « réutilisation des surfaces », les « anciennes » charges étant neutralisées lors de la fabrication des « nouvelles ». La quantité globale de charges est donc beaucoup plus faible.

Cas d'un isolant dans l'air

Dans ce cas (ce qui est, in fine, le cas le plus « classique »), la tension atteinte dépend des paramètres suivants :

  • La résistivité : il n'y a pas d'isolant parfait. Tôt ou tard, on atteint une tension U telle que le taux de création de charge par unité de temps (autrement dit, le courant…) est égal au ratio U/R, où R est la résistance électrique (en ohms) de l'objet chargé par rapport à un potentiel de référence. La résistivité dépend, entre autres :
  • de la température (une flamme est conductrice…),
  • du dépôt éventuel de substances plus conductrices, en surface ou pénétrant dans l'épaisseur (p. ex., pollution),
  • La capacité : l'objet chargé possède une capacité par rapport au « reste de l'univers ». Plus la capacité de ce condensateur sera élevée, plus il faudra y accumuler de charges pour voir la tension augmenter, selon la formule U = Q/C, ou Q est la charge (en coulombs), C la capacité (en farads) et U la tension (en volts)
  • La forme : conformément au lois de l'électricité statique, pour un potentiel donné, le champ dépend du rayon de courbure géométrique local. Plus concrètement, le champ est maximal au voisinage d'une pointe. S'il est suffisant pour ioniser l'air, on aura :
  • en l'absence de chemin de décharge à faible distance, une décharge par effet Couronne (ou Corona),
  • ou une étincelle.
  • la triboélectricité : ça marche dans les deux sens. Le champ, même s'il ne suffit pas à provoquer une ionisation, suffira à mettre en mouvement les poussières et les molécules polaires (ou polarisables par un champ), créant un « vent électrique ». Ces poussières et molécules, au contact du matériau chargé, recevront quelques unes de ces charges et les enverront au loin (même si les charges ne sont pas, au départ, générées par tribo-électricité; c'est le principe de fonctionnement des ioniseurs).

Devenir de la charge créée

En fonction de ces paramètres et de leur évolution dans le temps, elle peut :

  • demeurer intacte, défiant les siècles et les millénaires, certaines configurations constituant des électrets, particulièrement quand la charge est « enkystée » dans l'épaisseur du matériau,
  • être dissipée, en quelques jours ou quelques millisecondes : c'est le rêve de tous ceux qui redoutent le cas suivant, et c'est l'objectif de tout un accastillage industriel (bracelets « conducteurs », sols et mobiliers dissipatifs, humidificateurs, ioniseurs, etc.),
  • être dissipée brutalement, en quelques nanosecondes, au contact d'un conducteur refermant le circuit (avec ou sans étincelle) : c'est la redoutable décharge électrostatique (alias DES, ou ESD en anglais) :
  • c'est elle qui nous vaut de mémorables « châtaignes » en descendant de voiture un jour de beau froid sec (un pneu isolant sec accumulant les hectares de surface de contact sur une route isolante sèche, alors que l'atmosphère sèche dissipe mal les charges accumulées dans la carrosserie),
  • la « châtaigne », vous la partagerez aussi avec le chat venu vous faire une démonstration d'affection, qui commence par une séance de frottement de son poil particulièrement optimisé du point de vue tribo-électrique, pour s'achever au premier coup de langue râpeuse (le choc nuit à la spontanéité de ses élans ultérieurs ; comme dit l'histoire bien connue : « le chat est un bon conducteur de l'électricité, mais il n'aime pas beaucoup cela »),
  • on peut passer des sensations fortes au simple spectacle en ôtant, dans l'obscurité, un vêtement chargé (laine ou, mieux, matériau 100% synthétique),
  • les conséquences peuvent être plus graves, par exemple des mauvais fonctionnements ou des pannes d'appareils électroniques. Dans certains cas, une décharge électrostatique peut même tuer…

Quelques chiffres

50 V  : certains composants électroniques ultra-sensible sont détruits par le contact avec un humain chargé sous cette tension, voire moins
1 kV  : le même humain, chargé sous cette tension, ressentira (probablement) la décharge ; décharge qui détruira la plupart des composants électroniques non protégés (par des composants de protections intégrés ou externes)
15 kV  : la tension maximale que peut atteindre l'humain « normalisé » pour le « marquage CE » ; c'est aussi la limite d'immunité garantie pour certains composants à protection intégrée
50 kV  : la tension maximale que peut atteindre un chat particulièrement velu ; il est vrai que la capacité à charger est plus faible…
300 kV  : l'ordre de grandeur de la tension maximale que peut atteindre un hélicoptère par rapport au sol, avec ou sans poils, mais brassant l'air isolant avec un rotor en matériaux composites isolants
1 MV  : l'ordre de grandeur de tensions observées sur des sites industriels (courroies isolantes sur poulies isolantes, matériaux pulvérulents coulant dans des canalisations ou des trémies en matériaux isolants, etc.)
10 MV et plus  : tension pouvant être obtenue aux bornes d'un générateur Van de Graaff, tel qu'on en utilise pour alimenter les accélérateurs linéaires (LINAC)

Le livre noir de la tribo-électricité

Ces quelques exemples sont destinés à faire toucher du doigt (avec prudence…) le risque industriel que peut constituer la charge statique par effet tribo-électrique (on laisse de côté les autres procédés de charge).

  • Automobile : sur un nouveau modèle de voiture, l'essence (isolante) circulant dans la durit (tuyau de plastique, isolant) pour alimenter le moteur, en profitait pour créer des charges par triboélectricité. Ces charges parvenaient à traverser le tuyau, pour se décharger brutalement dans un fil de capteur d'ABS. Le calculateur d'ABS, par « principe de précaution », se déclarait illico en panne. Cette fausse panne a tout de même conduit à modifier plusieurs centaines de milliers de voitures…
  • Pétroles : dans les gigantesques cuves de stockage de carburant des « pompistes en gros », les différentes livraisons (l'unité de mesure, c'est le train, voire le pétrolier) se mélangent très peu et constituent des sortes de « bulles ». Des bulles qui se déplacent, qui se chargent… et se déchargent, parfois brutalement, au contact d'une paroi ou d'une autre « bulle ». En principe, il n'y a aucune conséquence, même quand les étincelles ont lieu en surface, car on s'efforce d'éliminer l'oxygène de ces cuves. Mais si, par accident, négligence ou sabotage, l'inertage du réservoir n'a pas été réalisée efficacement, cela peut fournir un bon sujet pour le journal TV de 20 heures
  • Électricité : un câblier, pour que ses câbles haute tension 25 kV à isolement sec soient fiables, était obligé de nettement surdimensionner l'épaisseur de l'isolant. Une analyse a démontré que, lors de l'extrudage de l'isolant sur le conducteur, l'effet tribo-électrique créait des « poches » de charges dans l'épaisseur de l'isolant, venant le précontraindre par-ci par-là et provoquant donc autant de points faibles (risque de claquage). Avec une phase supplémentaire de neutralisation des charges, le diamètre du câble a pu être diminué, ce qui contribue à permettre d'éliminer progressivement les pylônes et lignes aériennes du paysage.
  • Industrie : dans une usine fabriquant un produit en poudre, le poste de travail final consistait en une grande trémie en plastique, où tombait le produit à emballer, une pile de sacs, et un gars chargé de les remplir sous la trémie. Parfois, la poudre coulait mal, elle restait « collée » dans la trémie (l'humidité, sans doute ? C'est le genre de raison que le « bon sens » conduit à invoquer, d'habitude…). Et, un jour particulièrement sec, l'écoulement s'est arrêté : plusieurs tonnes de produit pulvérulent suspendues entre ciel et terre. Voulant bien faire, l'opérateur a voulu « percer le dôme de poudre humide » avec une barre de fer. La décharge électrostatique qui s'en est suivie l'a tué net. Lors de l'enquête, alors que l'écoulement était normal, on a mesuré une différence de potentiel entre le stock de poudre et le sol supérieur au mégavolt.
  • Aéronautique : aux temps héroïques, certains des premiers exercices de sauvetage en mer par hélicoptère se sont très mal terminés pour le volontaire jouant le naufragé. Vraiment très mal. C'est depuis ce temps là qu'avant de le mettre « à portée de naufragé », le pilote de l'hélicoptère trempe son câble dans l'eau. C'est aussi pour cela que les plongeurs « largués » par hélicoptère sautent toujours du câble avant d'atteindre l'eau. Avions comme hélicoptères comportent d'ailleurs des sortes de pointes (dans le prolongement des surfaces portances ou de contrôle), pour mieux dissiper les charges accumulées en cours de vol.
  • Astronautique : dans les années 1960, aux USA, lors de l'assemblage (en salle blanche) d'un satellite au sommet d'un troisième étage (à poudre), les opérateurs ont placé une bâche de protection antipoussières, en nylon. Lors du glissement, une importante charge s'est accumulée sur la bâche. La décharge a eu lieu dans l'étoupille de mise à feu de l'étage, causant plus d'une dizaine de morts.
  • Banques : sur un prototype de distributeur automatique de billets de banque, les billets, chargés, sortaient parfois à raison de « deux pour le prix d'un » (inutile de rêver, le problème est maintenant résolu).
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