- Traité théologico-politique
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Le Traité théologico-politique (Tractatus theologicopoliticus) ou Traité des autorités théologique et politique est l'un des deux seuls ouvrages que Spinoza publia de son vivant (1670), le second étant Principes de la philosophie de Descartes en 1663. Contrairement à ce dernier ouvrage, il le publia, par crainte de poursuites politiques et religieuses, sans nom d'auteur et avec une fausse adresse d'éditeur, même si le livre lui fut vite attribué. L'ouvrage fut interdit aux Provinces-Unies en 1674.
Sommaire
Les intentions de Spinoza
Spinoza écrivit ce traité pour trois raisons (Cf. Spinoza, Lettre n° 30) :
- Détruire des préjugés des théologiens qui empêchent les hommes de philosopher, ces préjugés qui justifient le "philosophia ancilla theologiae" (Philosophie servante de la théologie). La raison doit donc, pour lui, s'affirmer indépendamment de quelque foi que ce soit.
- Se défendre de l'accusation d'athéisme portée contre lui. Tenant d'une théologie rationnelle d'un genre spécifique, il met en œuvre - le deuxième après Maïmonide dont il discute le Guide des égarés - la raison seule dans l'exégèse biblique. Cependant, à la différence de Maïmonide, il ne voit pas l'essentiel de la religion dans la pure spéculation, sinon dans l'éthique qu'elle préconise. C'est là un point très important de sa lecture de la Bible.
- Établir la liberté de philosopher dans la Cité. En 1672, soit deux ans après la parution du livre, l'assassinat des frères De Witt fera craindre le retour à Amsterdam de la censure pour motifs religieux. La liberté d'opinion si caractéristique de la Hollande doit donc être défendue.
Thèse de l'ouvrage
Le titre de l'ouvrage indique assez clairement qu'il y sera question de théologie (en fait, surtout des conditions d'une exégèse biblique rationnelle) et de politique, mais n'indique pas comment ces deux questions s'articulent pour Spinoza. Elles se rencontrent dans leur rapport à la raison : c'est à partir de la raison et pour elle que se pose la question des limites du pouvoir des théologiens et du pouvoir de l'État. Il s'agira, en posant ces limites, de dégager un espace de liberté pour les opinions des sujets, en démontrant :
- Que la liberté de philosopher est, non seulement utile, mais nécessaire à la piété ;
- Que la liberté de philosopher est, non seulement utile, mais nécessaire à la sécurité de l'État.
Plan de l'ouvrage
À chacune de ces deux ambitions correspond une partie du traité :
1. Les chapitres I à XV veulent établir l'utilité et la nécessité du libre exercice de la raison pour la piété.
Au sein de cette section, les chapitres I à V traitent de la révélation et de l'élection par Dieu à partir du seul texte de la Bible. Les chapitres VI à XIII traitent des rapports respectifs de la raison avec la foi, et aboutissent, au chapitre XIV, à la question décisive : "la liberté de juger est-elle impie ?", qui trouvera sa réponse au chapitre XV dans une définition de la piété par les œuvres et non par les opinions.
2. Les chapitres XVI à XX veulent établir l'utilité et la nécessité du libre exercice de la raison pour l'État quel qu'il soit.
Cette seconde section, pour être (deux ou trois fois) plus brève que la précédente, n'en est que plus dense. Le propos est d'établir le "jus circa sacra" (le "droit auprès des affaires sacrées"). L'objet du chapitre XVI est de trouver la limite de l'emprise du pouvoir étatique sur les individus, et de déterminer ainsi, en négatif, les libertés civiles ou droits naturels des individus. Les chapitres XVII et XVIII se servent du critère limitatif trouvé pour diagnostiquer l'État hébreu de l'Ancien Testament, sa grandeur et sa chute. Le chapitre XIX établit que, si le culte intérieur (foi, opinions, croyances) appartient à l'individu, le culte extérieur doit être encadré juridiquement par l'État, sans quoi il diviserait l'État. Enfin, le chapitre XX démontre à partir de tout cela que "dans une libre République, il est permis à chacun de penser ce qu'il veut et de dire ce qu'il pense".
Citations
Traduction de Pierre-François Moreau & J. Lagrée.
Raison et religion
La superstition est "le délire d'une âme triste (tristis) et craintive (timidi)" (préface, §4)
"Pour gouverner la multitude, il n'est rien de plus efficace que la superstition" (Quinte-Curce, cité par Spinoza, préface, §5)
"Hélas ! Les choses en sont venues à ce point que ceux qui avouent ouvertement ne pas avoir d'idée de Dieu et ne le connaître que par les choses créées (dont ils ignorent les causes) ne rougissent pas d'accuser les philosophes d'athéisme." (ch. II, §1)
"Prophetiam nunquam prophetas doctiores reddidisse" ("Jamais la prophétie ne rendit plus savants les prophètes". Ch. II, §12)
Ce qui signifie que l'essentiel des révélations ne consiste pas dans la connaissance des attributs de Dieu, lesquels doivent être déterminés par la raison (Cf. Éthique, I; ou TTP, ch.XII, §6), mais dans la détermination d'une façon de vivre. Laquelle consiste à : "Deum supra omnia amare, et proximum tanquam se ipsum" ("Aimer Dieu par-dessus tout, et son prochain comme soi-même". Ch. XII, §10)
"Sine Deo, nihil esse neque concipi potest" ("Sans Dieu, rien ne peut ni être, ni être conçu". Ch. IV, §4)
"L'amour de Dieu naît de sa connaissance seulement" (ch. IV, §6)
"Le supplice des sots, c'est leur sottise" (Salomon, cité par Spinoza, ch. IV, §11-12)
"Rien n'est plus insupportable aux hommes que d'être soumis à leurs égaux et dirigés par eux" (ch. V, §8)
"Methodum interpretandi Scripturam haud differe a methodo interpretandi naturam" ("La méthode pour interpréter l'Écriture ne diffère pas de celle pour interpréter la nature". Ch. VII, §2)
"La religion n'a pas besoin d'ornements superstitieux qui, au contraire, lui font perdre son éclat chaque fois qu'elle s'orne de telles fictions" (ch. XII, §2)
"Rien ne peut être dit si droitement (recte) qu'on ne puisse le corrompre en l'interprétant mal." (ch. XII, §3. NDLR: ni la Bible, ... ni le TTP!)
"Il n'est pas (...) étonnant que les textes sacrés parlent partout si improprement de Dieu et lui attribuent des mains, des pieds, des yeux, des oreilles, un esprit, et un mouvement local, et en outre des émotions comme d'être jaloux, miséricordieux, etc.; ni qu'ils le dépeignent comme un juge, assis dans le ciel sur un trône royal, avec le Christ à sa droite. Ces textes parlent selon la compréhension du vulgaire, que l'Écriture cherche à rendre non pas savant, mais obéissant."(ch. XIII, §9)
"Comment soumettre la raison, ce plus grand des dons, cette lumière divine (lucem divinam), à des lettres mortes que la malice humaine a pu falsifier ?" (ch. XV, §3)
À propos des théologiens dogmatiques : "Ils se vantent faussement : leur propos traduit le préjugé de leurs affects ; ou bien alors c'est une grande crainte d'être vaincus par les philosophes et d'être la risée du public qui les fait se réfugier dans le sacré." (ch. XV, §8)
Raison, religion et pouvoir étatique
"Le droit naturel de chaque homme n'est pas déterminé par la saine raison, mais par le désir (cupiditas) et la puissance[ou potentiel] (potentia)" (ch. XVI, §3)
"Personne n'a conservé longtemps un pouvoir violent" (ch. XVI, §9)
"Celui qui règne sur l'âme de ses sujets détient l'empire le plus grand" (ch. XVII, §2. NDLR: ... mais personne ne le peut totalement, d'où une liberté de penser irréductible.)
"L'argument de l'intérêt (...) est la force et la vie de toutes les actions humaines" (ch.XVII, §25)
"On ne peut accomplir aucun acte pieux envers son prochain qui ne soit impie s'il entraîne un dommage pour la République tout entière; et (...) en revanche on doit compter pour pieux un acte impie envers le prochain, s'il a lieu pour la conservation de la République tout entière."(ch. XIX, §10)
"Avoir l'autorité [sur les affaires sacrées], c'est régner sur les âmes. Qui veut la ravir au souverain cherche donc à diviser l'État." (ch. XIX, §16)
"Finis Reipublicae libertas est" ("La fin de l’État est la liberté." ch. XX,§ 6)
"Qui veut tout déterminer par des lois irritera les vices plutôt qu'il ne les corrigera" (ch. XX, §10)
"Ce qu'on ne peut interdire, il faut nécessairement le permettre." (Ibid.)
Liens externes
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