Rudolf brazda

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Rudolf Brazda

Rudolf Brazda, né le 26 juin 1913 à Brossen (présentement dans le Land de Thuringe, Allemagne) est, dans l'état actuel des connaissances, le dernier survivant de la Déportation pour motif d'homosexualité (répression au titre du paragraphe 175 de l'ancien code pénal allemand). Il fut interné près de trois ans au camp de concentration de Buchenwald où il porta le triangle rose.

Sommaire

Parcours de vie

1913-1936 : une famille dans les aléas géopolitiques de l'Europe centrale

Rudolf Brazda est le huitième et dernier enfant de parents originaires de Bohème et venus s'installer en Saxe pour raisons économiques: son père travaille dans les mines de lignite avoisinantes. Après la Première Guerre mondiale, il est considéré comme ressortissant tchécoslovaque de par son ascendance. Son père, démobilisé en 1919, décèdera en 1922 lors d'un accident de travail.

Rudolf grandit à Brossen puis Meuselwitz où il fait son apprentissage de couvreur, à défaut d'avoir pu entamer une formation d'étalagiste dans un grand magasin. Au début des années 1930, profitant de la grande tolérance qui prévalait envers les homosexuels sous la République de Weimar - et ce jusqu'à l'arrivée de Nazis au pourvoir en 1933 - il fait la connaissance de Werner, son premier compagnon avec qui il partagera une sous-location chez une Témoin de Jéhovah, parfaitement consciente et tolérante de leur relation. C'est une période heureuse durant laquelle ils ont de nombreux amis gays avec qui ils se rendent dans des lieux fréquentés par d'autres homosexuels (par exemple le restaurant - dancing "New York" à Leipzig) ou avec qui ils entreprennent des sorties à vélo, voire des excursions plus lointaines.

Avec le nouveau pouvoir en place, ils ne manquent cependant pas d'éveiller les soupçons des autorités et une surveillance se met peu à peu en place. Lorsque Werner est appelé sous les drapeaux, Rudolf se retrouve temporairement seul et accepte un poste de groom dans un grand hôtel de Leipzig. En 1936, faisant suite à une rafle, les aveux et dénonciations que la police extorque de certains de ses amis déjà inquiétés conduisent à son arrestation, puis à son procès et sa condamnation à Altenburg pour "mœurs et activités contre nature" (Widernatürliche Unzucht). Werner est semble-t-il aussi inquiété, mais les circonstances font qu'ils se perdent de vue. Ce dernier aurait été tué en service sur le front de français en 1940 lors des offensives contre l'Angleterre.

1937-1942 : vie dans la province des Sudètes

Ayant purgé la peine usuelle de 6 mois, Rudolf se voit notifier son expulsion vers sa patrie d'origine. En effet, d'un point de vue technique et légal il est citoyen tchécoslovaque et sa condamnation pénale le force à quitter l'Allemagne car il est maintenant considéré comme étranger avec antécédents judiciaires, donc persona non grata en Allemagne nazie. Ses parents ne lui ayant pas transmis le tchèque, il est quelque peu contraint de s'installer à Karlsbad (actuellement Karlovy Vary en Tchéquie), dans la région germanophone des Sudètes, province tchécoslovaque jouxtant l'Allemagne. Après un retour à la vie laborieux, il intégrera une troupe de théâtre itinérante spécialisée dans l'opérette et les numéros de cabaret.

Lorsque les Sudètes sont annexées au Reich par le pouvoir nazi en 1938 ses collègues de la troupe ainsi que son directeur - pour la plupart juifs - sont très vite arrêtés, faute d'avoir pu quitter à temps le pays et se réfugier au Canada. En 1939 Rudolf retrouvera un travail de couvreur et s'établit avec Anton, son nouvel ami. En avril 1941, il est une fois de plus impliqué indirectement lors de poursuites menées contre deux de ses proches connaissances. Il est à nouveau emprisonné, d'abord à Karlsbad, puis transféré à la prison d'Eger (actuellement Cheb en Tchéquie) après un nouveau procès. En juin 1942, sa "détention de sûreté" (Schutzhaft) est ordonnée et sera le prélude à sa déportation qui le fait passer par Zwickau avant de rejoindre le camp de concentration où il est envoyé.

1942-1945 : déportation au KL Buchenwald

Déporté au camp de concentration de Buchenwald en août 1942, il y restera jusqu'après la libération du camp par les forces américaines le 11 avril 1945. Son numéro de matricule était le 7952. Ayant d'abord dû exécuter des travaux de force dans la carrière, il y sera affecté à des tâches plus légères à l'infirmerie, avant d'intégrer un kommando de couvreurs en charge de l'entretien des toitures des nombreux bâtiments constituant le camp (baraquements, casernements, bâtiments administratifs ainsi que les lieux de résidence surveillée pour certains déportés politiques importants). Il sera à de nombreuses occasions le témoin des sévices endurés par les homosexuels et les autres catégories de détenus, ayant parfois vent du sort funeste réservés à ceux - handicapés, mutilés ou inaptes au travail - qui étaient convoqués à l'infirmerie et n'en revinrent pas, assassinés par injection mortelle [1].

Avec l'aide d'un kapo qui le cachera dans la porcherie du camp, il échappe aux marches forcées de détenus lors de l'évacuation précipitée du camp par les SS au début du mois d'avril 1945.

Au sein de son kommando de couvreurs, il aura l'occasion de nouer des liens avec d'autres détenus, notamment avec des communistes dont Fernand, un alsacien originaire de Mulhouse. À sa sortie du camp, plutôt que de retourner dans sa famille restée habiter en Allemagne, Rudolf suit Fernand qui avait été déporté politique (ancien volontaire des Brigades Internationales allé combattre le régime de Franco en 1936). Début mai 1945, ils arrivent en France par le Luxembourg et se trouvent à Metz lorsque la capitulation est annoncée. De là ils se rendent à Mulhouse par Belfort. La vie reprend son cours et Rudolf trouve un travail de couvreur tandis que, peu de temps après, Fernand se voit confier un poste dans l'administration d'un camp de prisonniers de guerre en Forêt-Noire où il il rencontrera sa future épouse. Fernand décède en 1984.

Depuis 1945 : vie dans le sud de l'Alsace

Rudolf s'installe à Mulhouse et y fréquente les lieux de rencontres des homosexuels de la ville, dont le Square Steinbach, cet endroit même où la vie de Pierre Seel (1923-2005), autre déporté pour homosexualité, avait basculé quelques années plus tôt. Il aime aussi danser et se travestir à l'occasion des bals costumés organisés durant ces années d'après guerre. C'est lors d'un de ces bals, fin 1949, qu'il rencontrera Édouard (Edi), son futur compagnon de vie.

Ce dernier, né en 1931 à Ruma (actuelle Serbie), est un banatais : il est issu d'une famille aux racines alsaciennes et dont les ancêtres avaient été incités au XVIIIe siècle par Marie-Thérèse d'Autriche à aller exploiter et mettre en valeur le Banat, ancien territoire à cheval sur les actuelles Serbie, Hongrie et Roumanie. Ces populations de souche allemande / germanophone ayant conservé la langue et les traditions propres à leur contrée d'origine, elles deviennent indésirables après guerre dans les pays libérés du joug nazi. Edi arrive en France en juillet 1949 en compagnie de ses parents et de ses cadets - deux sœurs et un frère. Ils ont le titre de réfugiés yougoslaves et participent à l'effort de reconstruction industrielle et agricole. La famille s'établit définitivement à Mulhouse.

Avec Edi, Rudolf finit de construire en 1960 une maison dans laquelle il habite encore aujourd'hui. Pendant plus de 30 ans Rudolf s'occupera avec beaucoup de dévotion de son compagnon, rendu invalide des suites d'un grave accident de travail. Edi décède en novembre 2003 au terme de plus de 50 ans de vie commune avec Rudolf.

Considéré comme apatride après la Seconde Guerre mondiale, Rudolf Brazda a été naturalisé Français en 1960. Bien que n'ayant jamais eu la citoyenneté allemande, il ne s'exprime quasiment qu'en allemand aujourd'hui encore.

Il réside aujourd'hui encore près de Mulhouse et, en dépit de son âge, a su rester très autonome et vif d'esprit, spectateur assidu des journaux télévisés et des émissions d'information. Ainsi donc, lorsqu'au début 2008, il entend parler de l'inauguration prochaine du monument aux victimes homosexuelles du Nazisme (Homosexuellen-Denkmal) à Berlin, il demande à sa nièce de le faire connaître auprès de l'association LSVD Berlin Brandenburg (Fédération Allemande des Associations Gays et Lesbiennes - Délégation du land de Berlin-Brandebourg).

Le 28 juin 2008, soit deux jours après avoir fêté ses 95 ans, il est invité en compagnie de Klaus Wowereit, maire de Berlin, à une cérémonie au monument inauguré un mois auparavant. Dans l'après-midi, il est à l'honneur de la Gay Pride de Berlin qu'il inaugure.

Début juin 2009, il est invité d'honneur de l'Europride à Zürich. Fin juin, il se rend de nouveau à Berlin pour les manifestations autour du CSD (Christopher Street Day), cédant à l'insistance des organisateurs. Sa participation se soldera malheureusement par une chute malencontreuse entraînant quelques éraflures et deux côtes cassées!


Des recherches biographiques sont actuellement effectuées en Allemagne ainsi que par l'association française Les « Oublié(e)s » de la Mémoire afin de recueillir le plus fidèlement possible le récit de son vécu, avec pour souci de livrer à la postérité le témoignage unique de celui qui est très vraisemblablement le dernier survivant des Triangles Roses.

Liens externes

Notes et références

  1. Pierre Girard: Rudolf Brazda - "Nous, les triangles roses...", Têtu N°140, Janvier 2009


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