Paul Clavier

Paul Clavier

Paul Clavier (né le 12 décembre 1963), normalien, agrégé et Docteur en philosophie, enseigne à l'École normale supérieure, rue d'Ulm, à Paris et à Sciences Po

Issu d'une formation académique des plus traditionnelles (cf Son parcours), il développe dans le cadre de son enseignement de véritables tutorats inspirés des "Colleges" oxfordiens ainsi que des "disputes" (confrontations argumentées sur les grands sujets de métaphysique et de morale : la liberté, le déterminisme, l'existence de Dieu, le Bien, le Beau, le Vrai, etc).

Il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages tantôt purement universitaires ("Le Concept de Monde", "Qu'est-ce-que le Bien?"), tantôt plus populaires ("Dieu sans barbe", "La cote argus des valeurs morales", "L'énigme du mal ou Le Tremblement de Jupiter").

Il développe également une philosophie analytique de la religion à la française.

Paul Clavier

Dans son enquête en deux volumes sur le concept de création (Hermann, 2011), Clavier conteste le scénario généralement retenu : celui d'une intrusion du dogme religieux en territoire philosophique. Il montre que la thèse de la création a fait l’objet de justifications argumentées. La ligne argumentative principale, à laquelle se rattachent divers efforts de justification rationnelle (de Philon d'Alexandrie à ... Voltaire ou au premier Kant), est la suivante : il est plus plausible que les constituants de la nature doivent leur existence à un agent surnaturel, plutôt qu’à eux-mêmes ou à rien, étant donné la répétition de propriétés structurelles et dispositionnelles que présentent ces éléments. Cette régularité est mieux expliquée par l’hypothèse métaphysique d’une origine commune, que par celle d’une coordination spontanée d’éléments dont l’existence serait indépendante du coordinateur, ou par l’arrangement de matériaux existant indépendamment de l’arrangeur. L’hypothèse d’un créateur ex nihilo se révèlerait donc plus satisfaisante que celle d’un démiurge ex materia. Il est à souligner que cette ligne argumentative ne présuppose pas une description finaliste de l'univers.


Quant à la disparition de la thèse philosophique de la création du monde, Clavier analyse comment elle a été poussée vers la porte de sortie (ou précipitée dans les oubliettes de l’histoire de la philosophie): 1°) au moyen d’un amalgame entre création et « nouveauté » (i.e. commencement temporel) du monde. 2°) par l’invocation d’une régression à l’infini dans la série des causes d’existence . 3°) à cause d’une présentation déductive des inférences qui vont du monde physique à un créateur. 4°) par la disqualification des concepts cosmologiques : si nous ne pouvons accéder par la raison théorique à un monde (en soi) alors, a fortiori il n’y a pas non plus de création du monde. 5°) par la limitation des inférences causales à l’intérieur du champ de l’expérience phénoménale : nos concepts de cause, d’existence etc. sont opératoires dans le monde, mais pas sur le monde . 6°) en montrant que le rôle jusqu’ici imparti au créateur (la production volontaire d’un monde ordonné) est parfaitement assumé soit par une nature auto-existante (naturalisme intégral ou naturalisme « théomorphique » comme dans le spinozisme), soit par l’entendement humain « auteur de l’expérience » (stratégie idéaliste). 7°) par l’affirmation que l’acte libre humain est « la seule création ex nihilo qu’on puisse concevoir » (Plus Ancien Programme de l'Idéalisme Allemand). 8°) en disqualifiant la question de la création, soit en retraçant la généalogie anthropologique de ce concept (Feuerbach), soit en la déclarant contraire au point de vue de la genèse de l’homme par le travail humain (stratégie marxiste), ou comme contraire aux intérêts moraux de l’humanité (revendiquer l’existence comme mon affaire : revendication de la Selbstständigkeit, de Fichte à Sartre). 9°) en déclarant le langage humain incapable de désigner univoquement sous le terme d’être le créateur et le créé, et en affirmant que la création ex nihilo est seulement « révélable » (Luther, Pascal, Heidegger, Barth…). 10°) en déclarant incompatible l’affirmation de l’existence autonome des réalités naturelles avec leur dépendance vis-à-vis d’une cause surnaturelle. Comment concevoir la participation du créé au créateur sans « tomber » dans un système de l’inhérence du créé au créateur ?


Tout au long de l'enquête proposée dans les 2 volumes de Ex nihilo, Clavier s'efforce de montrer les limites, voire l’illégitimité de ces procédés. il affirme par ailleurs que, considérée comme le résultat d’une inférence à la meilleure explication, la thèse de la création ex nihilo a encore droit de cité dans le cadre d’une enquête métaphysique. En effet : 1°) l’amalgame de la création et du commencement temporel n’est pas fatal : si, dans la plupart des conceptions, "exister après n'avoir pas existé (esse post non esse)" implique "devoir son existence à un autre (esse ab alio)", l’implication converse n’est pas vraie.La création est une question de self-existence, non de timing. 2°) l’affirmation d’un point d’arrêt définitif à la demande d’explication causale de l’existence de l’univers ne s’impose pas, mais le critère de simplicité de l’hypothèse plaide en sa faveur, et d’ailleurs même l’hypothèse d’une série indéfinie d’antécédents causaux pourrait être admise comme une forme de métaphysique théiste. 3°) il est possible de reformuler des arguments cosmologiques et téléologiques sous forme d’une inférence à la meilleure explication (comme l’ont esquissé entre autres Philon d'Alexandrie, Tertullien, Lactance, Irénée, Eusèbe, Thomas d’Aquin, Suarez, Bacon, Bayle, Bossuet, Condillac, Kant, Jacobi, Maxwell, Brentano et comme l’a systématiquement proposé Richard Swinburne). 4°) la disqualification des concepts cosmologiques repose sur le dispositif de l’Antinomie de la raison pure, lequel révèle des failles compromettantes (diagnostic partagé aussi bien par Hegel que par Strawson). 5°) le programme de limitation de nos inférences causales au monde phénoménal ou au cadre linguistique est une fin de non-recevoir à toute enquête métaphysique. En outre, ce programme s’est révélé intenable  : il stérilise la philosophie de la nature elle-même. 6°) La relève du créateur par un Dieu cause immanente et non transitive de toutes choses, ou par le sujet constituant la connaissance, pose un problème de description (définir la nature ou l’univers comme une seule et unique substance) ; ou un problème de cohérence (Dieu est cause des choses en soi, qui sont les antécédents des phénomènes, au moins quant à la matière, mais Dieu n’est pas cause des phénomènes). 7°) L’existence d’agents libres fournit au théisme une base analogique en même temps qu’une donnée à expliquer. L’hypothèse théiste ne consiste pas à présupposer l’existence d’un ordre final dans l’univers, mais propose une explication des données par la supposition d’un agent personnel bon et tout-puissant, produisant un univers offrant de grandes régularités structurelles et dispositionnelles, dans l’intention que des actes libres et moralement responsables puissent s’y produire. 8°) La force des hypothèses généalogiques expliquant l’émergence du théisme est impressionnante (l’idée de création serait la projection d’un surmoi social, d’une angoisse devant le néant, d’un désir de domination patriarcal etc.), mais elle doit être comparée à la justification du théisme par les arguments qui le supportent. 9°) Dire que la création est une vérité seulement révélable présuppose l’autorité d’une révélation. Or la révélation n’est possible, donc acceptable, que si celui qui se révèle peut intervenir dans la trame des événements naturels et mentaux. L’agent le mieux placé pour être l’auteur d’une révélation surnaturelle, c’est, s'il y en a un, l’auteur de la nature. Il devient alors difficile de soutenir : « je ne sais pas s’il y a un créateur mais je crois qu’il s’est révélé à moi comme tel ». 10°) le fait que nous ne concevions pas comment une cause permanente d’existence peut conférer à son effet une autonomie (notamment l’autonomie d’un agent libre) ne suffit pas à écarter cette cause d’existence, si par ailleurs elle s’avère une hypothèse supérieure à l’auto-existence de toutes les réalités. C’est seulement si nous étions en mesure de déclarer contradictoire la création de réalités douées d’autonomie qu’on serait contraint d’abandonner l’hypothèse théiste.

La thèse philosophique de la création ex nihilo apparaît donc, à l’examen, comme une solution viable à la question : d’où les réalités tiennent-elles leur existence (a quo res habeant esse) ? Il faut souligner que l’alternative entre : (1) « res habent esse a deo » et : (2) « res habent esse a se » n’exclut pas une tierce position : (3) « res non habent esse ab aliquo». Le travail de P. Clavier consiste à relever les arguments inductifs pour établir la supériorité de (1) sur (2) et (3). Mais on peut aussi adresser une fin de non recevoir à l’enquête métaphysique. C’est la réclamation de Hume : « tout ce qui commence d’exister va-t-il devoir son existence à une cause (Whether every object, which begins to exist, must owe its existence to a cause)? », qu’on pourrait généraliser en : « Toute réalité doit-elle avoir une cause d’existence ? (Must everything which exists, owe its existence to a cause ?)». Il importe distinguer le refus sceptique d’entrer dans le débat métaphysique de ce que serait une réponse naturaliste à la question. Nul n’est obligé de se poser des questions aussi énormes que : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Pourquoi cet univers, avec ses régularités spatio-temporelles, plutôt qu’un chaos incompréhensible ? Et il est certainement juste d’éliminer ce genre de questions métaphysiques à l’intérieur de l’enquête scientifique. « Science is incompetent to reason upon the creation of matter itself out of nothing » dit sagement J.C. Maxwell. Les sciences physiques expliquent ou prédisent l’évolution de systèmes physiques à partir de conditions initiales et de lois physiques. Il est absurde de prétendre mettre en évidence, par la description physique de l’univers, l’existence d’un agent surnaturel. Tout ce qu’on obtiendrait alors, c’est un Dieu-bouche-trou (a God of the gaps) et le concept de création ne serait que l’expression de l’ignorance (provisoire ?) où se trouvent les sciences de la nature quant aux causes ultimes de l’existence de l’univers. Or l’ignorance d’une explication naturelle ne peut constituer la preuve d’une explication surnaturelle. Le naturalisme demeure donc la seule méthodologie acceptable pour les sciences de la nature. Toute intrusion d’entités ou d’opérations surnaturelles dans le champ des sciences de la nature constitue une ingérence inadmissible. Mais une méthodologie n’est pas une métaphysique obligatoire. Affirmer que la régularité spatio-temporelle de l’univers est le fait de l’univers lui-même, c’est-à-dire d’une collection d’entités auto-existantes et auto-organisée, c’est confondre une explication avec un constat. Cette métaphysique naturaliste, apparemment plus simple et parfaitement familière (elle ne suppose pas d’entité surnaturelle) a une forte probabilité intrinsèque, mais elle n’explique rien. La création ex nihilo, elle, n’est pas une hypothèse scientifique. C’est une hypothèse métaphysique. Pour autant, elle satisfait aux critères de l’explication rationnelle en vigueur dans toute enquête rigoureuse.


Son parcours

Bibliographie

  • Ex nihilo (en deux volumes)
Volume 1 : L'introduction en philosophie du concept de création, Hermann 2011;
Volume 2 : Scénarios de "sortie de la création", Hermann 2011
  • L'énigme du mal ou Le Tremblement de Jupiter, Desclée de Brouwer, 2011

Dans cette récréation philosophico-théologique sur un sujet grave, l'auteur repense à nouveaux frais une interrogation ancienne. Tsunamis, génocides, massacres, inondations: quel Dieu peut laisser se produire de telles catastrophes ? Une réponse, désormais bien rôdée, est censée mettre d'accord croyants et incroyants : ou bien Dieu n'existe pas, ou alors, s'il existe, il n'est pas tout-puissant. Dieu laisse faire le mal parce qu’il ne peut pas faire autrement. Que vaut cette réponse ? Décréter l’impuissance de Dieu est bien vu. Le tremblement de Jupiter lui-même nous rassure. C’est pourtant un piètre lot de consolation. Un dieu qui aurait créé un monde sans être assuré d’être plus puissant que le mal qui s’y produit est un dieu irresponsable ou insouciant. En tous cas gravement coupable. En voulant excuser Dieu, on l'accable davantage.Tout ce qu’on peut dire, c’est que Dieu, s'il existe, n’exerce pas la toute-puissance comme nous le ferions. Pour s’en convaincre, ce livre nous propose une expérience de pensée. Si nous avions les pleins pouvoirs, comment en userions-nous ? Ferions-nous bien d’éradiquer instantanément toute forme de mal ? Et où devrions-nous mettre la limite entre les maux acceptables et les souffrances intolérables ? … Une invitation à rester plus modeste face aux malheurs de tous les temps.

  • Qu'est-ce que le Bien ?, Vrin, 2010
  • La Cote Argus des Valeurs Morales, Presses de la Renaissance, 2007
  • Qu'est-ce que la théologie naturelle ? Vrin, 2004
  • Dieu Sans Barbe, La Table Ronde, 2002 (Repris dans la collection La petite Vermillon)
  • Le Concept de Monde, PUF, 2000
  • La Raison, Hatier, 1998
  • Kant, Les Idées Cosmologiques, PUF, 1997
  • Premières Leçons sur Critique de la Raison Pure, PUF, 1997

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Paul Clavier de Wikipédia en français (auteurs)

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