Paradoxe du tas

Paradoxe du tas

Paradoxe sorite

Le premier des paradoxes sorites est le paradoxe du tas (sorite est un adjectif dérivé de sõros qui en grec ancien signifie « tas »). Il fut formulé au IVe siècle av. J.-C. par les philosophes grecs de l'École mégarique. Il tend à démontrer l'impossibilité qu'il y a à constituer un tas par l'accumulation de grains.

Ce type de paradoxe s'appuie sur le raisonnement par récurrence et sur le flou sémantique inhérent aux définitions des mots du langage usuel.

Sommaire

Énoncés

A noter que l'exemple suivant est peut être mal choisi car l'on peut géométriquement définir un tas lorsqu'un grain est posé sur trois autres [travail inédit?] . Aussi l'exemple de l'œuf et de la poule parait moins discutable [travail inédit?]. Sous sa forme originale, le paradoxe du tas s'énonce

  • un grain isolé ne constitue pas un tas.
  • l'ajout d'un grain ne fait pas d'un non-tas, un tas.
On en déduit que
  • l'on ne peut constituer un tas par l'accumulation de grains.
Pour s'en convaincre, il suffit de raisonner par l'absurde, on obtient alors une contradiction par récurrence. Par ailleurs, dénoncer la seconde prémisse revient implicitement à énoncer
  • il existe un nombre n tel que : n grains ne forment pas un tas, n+1 grains forment un tas.
  • Si l'on postule maintenant
  • Un tas reste un tas si on lui enlève un grain.
Alors, considérant un tas, on peut en déduire par récurrence que
  • un grain unique ou même l'absence de grains constitue toujours un tas.
  • Les paradoxes sorites sont souvent plus simplement formulés comme de simples questions épineuses :
  • Combien de grains faut-il pour faire un tas ?

Variantes

  • le paradoxe du barbu :
Ce qui constitue une barbe ne se juge pas à un poil près.
Ou encore :
On peut enlever un poil de barbe à un barbu, il restera barbu ; cependant, après un certain nombre de poils enlevés il ne le sera plus. À partir de combien de poils changera-t-il de statut ?
  • le paradoxe du batracien (formulé par James Cargile) :
Si l'on filme l'évolution d'un tétard en grenouille, il devrait nécessairement y avoir sur la pellicule une image de têtard suivie d'une image en grenouille. Or un tel couple d'images ne peut se trouver.
  • le paradoxe de l'homme riche :
Un homme sans le sou espère s'enrichir par la mendicité. Mais un étranger ruine ses espérances en lui disant : « un homme ne passe pas de la pauvreté à la richesse en recevant un sou. ». Le mendiant restera donc fatalement pauvre.
  • À partir de quel âge est-on vieux ?
  • Combien en faut-il pour qu'il y en ait beaucoup ?

Les variantes peuvent être multipliées à l'infini en considérant n'importe quel mot de la langue française pris dans différents contextes.

Réponses

Pour les philosophes antiques, le paradoxe sorite n'existait que dans une vision essentialiste du monde, où l'on supposait que les catégories de la raison préexistaient à l'exercice de celle-ci (vision de Platon opposée à celle d'Aristote).

Pour les philosophes analytiques tels que Bertrand Russell, ce type de paradoxe met en évidence le laxisme sémantique des définitions dans le langage usuel. On pourrait en déduire que l'on ne peut raisonner sainement hors du cadre des langages formels. Cependant, ce cadre étant trop restrictif pour l'usage courant, on préconisera l'emploi de la logique floue.

La réponse des logiciens consiste à dire que toute définition usuelle du « tas » est un axiome tel que la formule « un tas reste un tas si on lui enlève un grain » est soit contradictoire soit non modélisable.

On ne peut appliquer des considérations quantitatives à une notion qualitative. Or la notion de tas ne peut être considérée comme quantitative (d'un point de vue mathématique) car la question « n objets forment-il un tas ? » n'a pas de réponse claire indépendante du choix de n (sauf en algorithmique). La définition d'un tas en tant que quantité est donc invalide. Par ailleurs, « un tas reste un tas si on lui enlève un grain » n'a pas de sens si tas est une notion qualitative. L'analogie avec la notion de voisinage en topologie est particulièrement éclairante.

En langage courant, la définition d'un mot n'est pas donnée préalablement ; elle se construit par l'usage du mot. L'emploi de « tas » dans une phrase définit ce mot, relativement au sens des autres mots de la phrase, et pour autant que la phrase soit pertinente. Inversement, la pertinence de la phrase résulte du sens du mot « tas ». Le langage est alors auto-référentiel.

Considérons par exemple que si un grain nourrit un oiseau, alors un tas de grains nourrit une nuée d'oiseaux. L'affirmation « un tas de grains nourrit une nuée d'oiseaux » est d'autant plus acceptable (en tant que stricte vérité) que les termes « tas » et « nuée » sont flous. On comprend alors que le « tas » est au « grain » ce que la « nuée » est à l'« oiseau ». Une définition plus précise du « tas » invaliderait l'affirmation en l'absence de précision adéquate sur la « nuée ». Cet exemple illustre la possibilité de raisonner de manière non-floue sur des notion floues. Il montre également le caractère relativiste que la phrase donne du sens du mot « tas ». Il montre enfin que la notion de paradigme est plus adéquate que celle de définition.

Toutefois, en langage courant, la « définition » d'un mot n'est pas unique ; elle est contextuelle. La notion de « tas » n'est pas la même suivant que l'on considère un « tas de grains » (entité énumérable), un « tas de boue » (entité non énumérable, mais quantifiable), un « tas d'ennuis » (entité non quantifiable) ou encore la notion quantifiante de « tas d'éléments » en algorithmique.

Ainsi la phrase « Faut-il plus d'ennuis que de grains pour faire un tas ? » est une absurdité créée par un amalgame contextuel. Il en est de même pour « un grain isolé ne constitue pas un tas. l'ajout d'un grain ne fait pas d'un non-tas, un tas. »

Cette dernière interprétation rapproche les paradoxes sorites du paradoxe du gruyère.


Commentaire par Hegel

Selon Hegel (Encyclopédie des sciences philosophiques, Logique, Doctrine de l'être, Mesure, § 107-111, en particulier dans l'Addendum au § 108), l'argument sorite, loin d'être simplement « un oiseux bavardage d'école », est d'une grande importance. Après avoir en effet opposé les concepts de « qualité » et de « quantité », Hegel voit dans la « mesure » la synthèse en acte de ces deux concepts : l'argument du sorite a ceci de précieux qu'il permet de montrer comment la qualité peut transformer la quantité, et réciproquement.

En enlevant ou en ajoutant un à un des grains de sable, on procède en effet à une diminution ou une augmentation simplement quantitative, qui n'entraîne pas de changement qualitatif, car la quantité prélevée ou ajoutée est négligeable devant la quantité totale. Le changement étant insensible, l'extériorité réciproque des concepts de quantité et de qualité semble vérifiée : la modification quantitative n'entraîne pas de modification qualitative.

Et pourtant, un changement important aboutit bien à un changement qualitatif, lorsque ce n'est plus simplement le nombre d'unités qui diffère, mais véritablement l'ordre de grandeur. Hegel en donne un exemple politique : si une constitution est adaptée à un petit pays, une modification mineure de l'étendue de son territoire n'appellera pas une modification de la constitution. En revanche, si l'extension est importante, la constitution ne sera plus nécessairement adéquate. On serait bien en peine de trouver la limite exacte de superficie qui nous a fait passer d'une constitution adéquate à une constitution inadéquate.

Le paradoxe sorite montre que la séparation radicale des concepts de qualité et de quantité ne permet pas de penser positivement le passage de l'un dans l'autre, que l'on observe pourtant dans ce type d'expériences. C'est pourquoi Hegel substitue à l'opposition de ces deux concepts le concept de mesure, unité de la quantité et de la qualité, susceptible de s'instancier en qualité, en quantité, ou encore de permettre le passage de la qualité à la quantité, de la quantité à la qualité.

Anecdote

"Rien c'est rien, deux fois rien c'est pas grand chose, mais avec trois fois rien on peut déjà s'acheter quelque chose." Raymond Devos

Voir aussi

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