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Nouvelle philosophie
L'expression « la nouvelle philosophie » est à l'origine le titre d'un dossier des Nouvelles littéraires paru en juin 1976, dont la rédaction fut confiée par Jean-Marie Borzeix au jeune agrégé de philosophie et éditeur Bernard-Henri Lévy. Ceux que l'on appelle depuis les « nouveaux philosophes » appartiennent au courant philosophique que Bernard-Henri Lévy a tenté d'incarner depuis le milieu des années 1970, après son éloignement des courants maoïstes. Ce sont notamment Jean-Paul Dollé, André Glucksmann, Jean-Marie Benoist ou Gilles Susong.
Ce mouvement, qui a donc autoproclamé sa nouveauté et sa dignité philosophique, consiste essentiellement en une double dénonciation : celle des États totalitaires, comme phénomène dominant l'époque contemporaine, et celle de la responsabilité supposée des intellectuels dans l'émergence et la survie de ces États. L'équilibre entre ces deux intentions reste cependant problématique, à tel point que, comme l'a écrit récemment un historien des idées, « l'opération s'apparente à une mise au pas du champ intellectuel. Car Lévy semble plus hargneux envers l'« idéologie du désir » deleuzo-guattarienne qu'à propos des camp soviétique, et Glucksmann citant Hegel assène que « penser, c'est dominer », imputant nazisme et stalinisme aux grands philosophes allemands »[1]. Cette mise en accusation de la philosophie critique dans son ensemble a été diversement reçue par ses représentants les plus influents, de l'indifférence à l'ironie la plus mordante.
Gilles Deleuze, par exemple, dit à leur propos : « [...] Je crois que leur pensée est nulle. Je vois deux raisons possibles à cette nullité. D'abord ils procèdent par gros concepts, aussi gros que des dents creuses, LA loi, LE pouvoir, LE maître, LE monde, LA rébellion, LA foi, etc. Ils peuvent faire ainsi des mélanges grotesques, des dualismes sommaires, la loi et le rebelle, le pouvoir et l'ange. En même temps, plus le contenu de pensée est faible, plus le penseur prend d'importance, plus le sujet d'énonciation se donne de l'importance par rapport aux énoncés vides (« moi, en tant que lucide et courageux, je vous dis..., moi, en tant que soldat du Christ..., moi, de la génération perdue..., nous, en tant que nous avons fait mai 68..., en tant que nous ne nous laissons plus prendre aux semblants... »). Avec ces deux procédés, ils cassent le travail. Car ça fait déjà un certain temps que, dans toutes sortes de domaines, les gens travaillent pour éviter ces dangers-là. [...][2] »
Mais tout autant qu'un nouveau discours, la Nouvelle Philosophie est un nouveau dispositif médiatique, dont le centre de gravité réside dans la force éditoriale qu'a réussi à acquérir Bernard-Henri Lévy au milieu des années 1970, avant même d'être trentenaire, grâce aux Éditions Grasset, qui lui offrent en particulier la direction de la collection Figures. Jean-François Lyotard ironisait sur ce dispositif dès 1977 : « Vos gens mangent beaucoup à la table des media. Encore une fois, prenez garde davantage aux postures et moins aux significations. C'est l'humour de la pragmatique narrative que vos récits de protestations contre les horreurs du pouvoir, elle les divulgue grâce à des réseaux de pouvoir[3]. »
Certains des « nouveaux philosophes » de 1976, comme Christian Jambet et Guy Lardreau, ont critiqué le courant qu'ils avaient d'abord paru cautionner. Lardreau, Jambet, mais aussi Michel Guérin, ont en effet publié plusieurs de leurs premiers livres dans la collection de Bernard-Henri Lévy Figures chez Grasset en 1975-1978, peu de temps avant de polémiquer publiquement contre le mouvement initié dans les médias par leur ancien camarade normalien[4].
Bibliographie
- Les livres de la « nouvelle philosophie »
- Étant donnés les désaveux des uns et des autres, il est difficile de dresser une liste des ouvrages illustrant ce courant, en dehors de deux ou trois titres incontestablement emblématiques (et programmatiques), comme La Cuisinière et le mangeur d'hommes (1975), La Barbarie à visage humain (1977) ou Les Maîtres penseurs (1977). On se reportera donc avec circonspection aux bibliographies détaillées des différents protagonistes, Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann, Maurice Clavel, etc.
- Critiques contemporaines
- François Aubral et Xavier Delcourt, Contre la nouvelle philosophie, Gallimard, 1977
- Jean-François Lyotard, Instructions païennes, Éditions Galilée, 1977. Le groupe des nouveaux philosophes, dont Lyotard analyse les pratiques discursives, est ici appelé la Cie Clavel. Cf. aussi du même, La condition postmoderne, Minuit, 1979, et Le postmoderne expliqué aux enfants (1982-1985), Galilée, 1988.
- Gilles Deleuze, « Les « nouveaux philosophes » », supplément au n°24 du bimestriel Minuit, mai 1977. Texte en ligne
- Guy Lardreau, « Une dernière fois, contre la "nouvelle philosophie" », La Nef, janvier/avril 1978.
- Michel Guérin, Le génie du philosophe. Défense et illustration de la métaphysique en réponse à quelques anti- et nanti-philosophes, dits « nouveaux », Le Seuil, coll. « L'ordre philosophique », 1979.
- Pierre Bourdieu, « Le hit-parade des intellectuels français, ou Qui sera juge de la légitimité des juges ? », Homo academicus, Minuit, 1984, annexe 3.
- Critiques rétrospectives
- François Cusset, French Theory, La Découverte, 2003, chapitre 14 : « Et pendant ce temps là en France... ».
- Didier Eribon, D'une révolution conservatrice et de ses effets sur la gauche française, éditions Leo Scheer, 2007.
- Daniel Bensaïd, Un nouveau théologien : Bernard-Henri Lévy, Lignes, 2008.
Notes et références
- ↑ François Cusset, French Theory, rééd., p. 325.
- ↑ (fr)Les « nouveaux philosophes », Questions posées à Gille Deleuze sur les « nouveaux philosophes ».
- ↑ Instructions païennes, p. 75 ; dans ce dialogue fictif, celui que Lyotard fait parler ainsi est un philosophe étranger, discutant avec un Français au sujet des auteurs édités par BHL.
- ↑ Voir entre autres : Lardreau, Guy, « Une dernière fois, contre la "nouvelle philosophie" », La Nef, janvier/avril 1978, ou Le génie du philosophe de Guérin, et la lettre de protestation de ce dernier, publiée dans Le Monde du 3 juin 1977.
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