Mémoire épisodique

Mémoire épisodique

En psychologie cognitive, la mémoire épisodique désigne le processus par lequel on se souvient des événements vécus avec leur contexte (date, lieu, état émotionnel). Cette sous-partie de la mémoire à long terme s'oppose à la mémoire sémantique qui est la mémoire des faits et des concepts. Cette distinction fut introduite par le psychologue canadien Endel Tulving en 1972[1].

La mémoire épisodique est particulière et possède un ensemble de caractéristiques qui sont importantes car elles contribuent à construire l'histoire personnelle d'un individu. Les souvenirs de la mémoire épisodique sont forcément autobiographiques, étant donné que l'événement est souvenu à partir de la perspective de la personne à qui appartient le souvenir. Ils sont créés de manière automatique, aucune décision délibérée n'est nécessaire pour créer un souvenir même s'il peut être modifié par le raisonnement, par exemple, la répétition modifie la quantité d'informations stockées. De plus, l'existence du souvenir ne possède pas une durée déterminée et est potentiellement infinie [2]

Sommaire

Formation du souvenir

La mémoire épisodique est chargée de l’encodage, du stockage et de la récupération d’informations personnellement vécues, situées dans leur contexte temporel et spatial d’acquisition. Ce sont 3 étapes essentielles à la formation de souvenirs. Toutefois, le contexte d’encodage ne se limite pas au « quand » et au « où » l’information a été apprise mais intègre aussi de multiples détails perceptivo-sensoriels et phénoménologiques, comme l'état émotionnel dans lequel on se trouvait au moment de l'encodage, par exemple.

Encodage

Ce processus traite les informations et les transforme en une représentation mnésique. Plus cet encodage est approfondi, meilleurs seront les processus suivants (consolidation et récupération). Par ailleurs, c'est aussi à l'encodage que l'attention opère une sélection des informations, pertinentes selon nos buts ou concordantes à nos schémas préexistants, nos attentes; ce qui influence, de facto, ce que nous allons récupérer. En outre, au moment de l'encodage d'un événement, nous inférons automatiquement de l'information, cette inférence est nécessaire à la compréhension de l'événement, surtout si ce dernier est ambigu[3].[4][5]

Consolidation ou stockage

Après la phase d'encodage, un processus de consolidation est initié, permettant aux représentations d'être maintenues et réorganisées en mémoire à long terme. Ce processus se traduit par des changements de l'activité cérébrale pendant les heures qui suivent un apprentissage, et cette réorganisation prend un certain temps. Ce changement se fait à la fois au niveau cellulaire et systémique.

Au niveau cellulaire, le stimulus induit un signal de transduction (moyen de communication entre deux cellules) entre les neurones. Ce signal atteint le noyau de la cellule cérébrale qui va activer un facteur de transcription d'ARN, qui, à son tour, conduit à la synthèses de protéines. Ces protéines vont induire un changement de la plastique cellulaire qui est corrélée aux traces mnésiques à long terme. D'ailleurs, l'injection d'une molécule bloquant la synthèse de ces protéines empêche le souvenir à long terme de se former, sans affecter le fonctionnement de la mémoire à court terme.

Au niveau systémique, la consolidation impliquerait une constante communication entre différentes structures cérébrales formant un circuit mnésique reliant le lobe temporal aux autres régions cérébrales. La stabilité de la mémoire à long terme est sous-tendue par ce circuit, et, selon les régions impliquées, il peut s'agir de la mémoire épisodique, mais aussi d'autres formes de mémoires à long terme (par exemple procédurales ou sémantique). En mémoire épisodique, l'hippocampe est une région clé pendant la formation de souvenirs, et notamment pendant la consolidation. Son interaction avec les autres régions cérébrales permettrait la réorganisation et le renforcement des connexions entre elles, consolidant l'information. Il semblerait que cette région maintiendrait l'information avant de l'envoyer vers les zones néocorticales.

Une étape importante de la consolidation d'un souvenir est le sommeil. Ce dernier permet la réactivation des séquences neuronales (ou circuits) impliquées lors d'un apprentissage vécu dans la journée, pendant la phase du sommeil profond, mais aussi pendant la phase REM (Rapid Eye Movement). De plus, le sommeil permettrait de réintégrer des représentations pré-existantes à ce nouveau souvenir [6][7][8] [9]

Récupération

La récupération est un processus qui permet de ramener à la conscience les représentations stockées. Elle se réfère à l'accès, la sélection, la réactivation ou la reconstruction de représentations internes emmagasinées(Dudai, 2002)[10].

En effet, pour récupérer des informations à long terme, il faut, d'une part, avoir accès à la trace mnésique correcte, ce n'est pas toujours le cas (phénomène du mot sur le bout de la langue) et, d'autre part, il faut dériver les informations utiles à partir de cette trace. Lorsque ce n'est pas le cas, plusieurs sortes de distorsions et d'illusions de la mémoire sont produites, notamment les faux souvenirs. Par ailleurs, plusieurs facteurs peuvent favoriser la récupération de ces informations: la similitude du contexte interne (humeur, sensations de l'individu,...) ou externe (lieu, objets environnementaux, ...) entre l'encodage et le rappel, la motivation du sujet, le degré de compréhension des informations par celui-ci et sa coopération envers l'expérimentateur.


Particularités

Ainsi, au sein de la mémoire épisodique, Shimamura et Squire (1987) proposent de distinguer la mémoire factuelle de la mémoire contextuelle. En effet, un souvenir épisodique est constitué d’éléments contextuels encodés généralement de manière incidente et d’informations factuelles, traitées plus profondément et encodées de façon intentionnelle. La mémoire du contexte est chargée de l’encodage et de la récupération de l’information contextuelle. La notion de contexte est une composante essentielle du souvenir épisodique car elle offre à l’individu de précieux indices pour récupérer l’information cible. En effet, c’est à partir des éléments phénoménologiques et contextuels, permettant une reviviscence consciente de l’événement, que l’individu aura accès à l’information factuelle. Ainsi, des difficultés d’encodage et de récupération de l’un des types d’information entraîneront le déclin de l’autre ainsi que du souvenir épisodique dans son ensemble.

Toutefois, la mémoire épisodique ne se limite pas à l’enregistrement d’informations factuelles, situées dans leur contexte temporel et spatial. Le souvenir épisodique est aussi associé à un état de conscience dit « autonoétique » qui offre à l’individu la capacité de « voyager mentalement dans le temps », de se représenter consciemment les événements passés et de les intégrer à un projet futur (Wheeler, Stuss et Tulving, 1997). La conscience autonoétique donne la possibilité à l’individu de prendre conscience de sa propre identité dans un temps subjectif (le « Self ») qui s’étend du passé au futur et lui permet une impression subjective du souvenir (Tulving, 1995 ; Wheeler et al., 1997). Ainsi, lors de la récupération d’un souvenir épisodique, la conscience autonoétique permet la reviviscence consciente de l’événement. Cet état de conscience propre à la mémoire épisodique est opposé par Tulving (1985) à la conscience noétique, caractéristique de la mémoire sémantique.

L’évolution de la définition de la mémoire épisodique nous amène donc à considérer les informations factuelles, les informations contextuelles ainsi que la conscience autonoétique comme des composantes inhérentes du souvenir épisodique.

Notes et références

  1. Tulving, E. (1972). Episodic and semantic memory. In Organization of Memory. Academic Press.
  2. Nuxoll, A. & Laird, J. (2004). A cognitive model of episodic memory integrated with a general cognitive architecture. Proceedings of the International Conference on Cognitive Modeling.
  3. Brédart, S., & Van der Linden, M. (1999). Mémoire. In J.A. Rondal (Ed.), Introduction à la psychologie scientifique (pp. 227-280). Bruxelles, Belgique : Editions Labor
  4. Guyard, P. & Piolino, A. (2006). Les faux souvenirs: à la frontière du normal et du pathologique. Psychologie et NeuroPsychiatrie du Vieillissement, 4(2), 127-134.
  5. Newman, E.J. & Lindsay, D.S. (2009). False memories: What the hell are they for? Applied Cognitive Psychology, 23, 1105-1121.
  6. McGaugh, J.L. (2000). Memory-- a century of consolidation. Science, 287, 248-251.
  7. Bermudez-Rattoni, F. (2010). Is memory consolidation a multiple-circuit system? PNAS, 107(18), 8051-8052.
  8. Sterpenich, V., Albouy, G., Boly, M., Vandewalle, G., Darsaud, A., Evelyne Balteau, E., Dang-Vu, T.T., Desseilles, M., D’Argembeau, A., Gais, S., Rauchs, G., Manuel Schabus, Chris M., Degueldre, C., Luxen, A., Collette, F. & Maquet P. (2007). Sleep-related hippocampo-cortical interplay during emotional memory recollection. Plos Biology, 5(11), 2709-2722.
  9. Diekelmann, S., Landolt, H.-P., Lahl, O., Born, J. & Wagner, U. (2008). Sleep loss produces false memories. PLoS ONE, 3(10): e3512. doi:10.1371/journal.pone.000351
  10. Buchanan, T.W. (2007). Retrieval of emotional memories. Psychology Bulletin, 133(5), 761-779.

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