- Matière de Bretagne
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La matière de Bretagne est le nom donné à l'ensemble des textes écrits au Moyen Âge autour des légendes de l’île de Bretagne et de la petite Bretagne actuelle, notamment celles du cycle arthurien. Elle représente la tradition celtique, par opposition à la tradition carolingienne de la matière de France et aux traditions latines et antiques de la matière de Rome.
Sommaire
Les trois « matières »
Le prologue de la Chanson des Saisnes
L'expression « matière de Bretagne » provient du prologue de la Chanson des Saisnes de Jean Bodel (1165-1210). Aux vers 6 à 11, le poète, soucieux de situer son œuvre dans le champ littéraire de son époque, évoque trois matières littéraires :
Ne sont que III matieres à nul home antandant :
De France et de Bretaigne et de Rome la grant.
Et de ces III matieres n'i a nule semblant.
Li conte de Bretaigne sont si vain et plaisant ;
Cil de Rome sont sage et de san aprenant ;
Cil de France de voir chascun jor apparant.(Il n'existe que trois matières : celles de France, de Bretagne et de Rome. Ces trois matières ne se ressemblent pas. Les contes de Bretagne sont tellement irréels et séduisants ! Tandis que ceux de Rome sont savants et chargés de signification et que ceux de France voient chaque jour leur authenticité confirmée !)[1].
Il s'agit là de la première occurrence d'une classification tripartite des œuvres littéraires médiévales en fonction de leur sujet. Le terme de « matière » doit en effet se comprendre comme « matériau thématique et narratif hérité de telle ou telle tradition ». Les auteurs inscrivent leur œuvre dans l'une ou l'autre de ces traditions facilement identifiables par le lecteur ou l'auditeur. Le prologue présente généralement des éléments explicites qui permettent de savoir d'emblée à quelle matière se rattache l'œuvre que l'on va lire ou écouter.
Matières, genres et formes littéraires
Jean Bodel, et la plupart des auteurs médiévaux à sa suite, distinguent ainsi trois types de sujets littéraires, qui émanent de trois traditions, populaires ou savantes :
- La matière de Rome
- Renvoie à l'héritage antique. Cet héritage ancien est transmis par des textes latins assez tardifs, qui ont assuré la continuité de la tradition grecque. Plusieurs romans exploitent cette matière dès le XIIe siècle et connaissent une grande diffusion : le Roman d'Alexandre, qui retrace l'histoire d'Alexandre le Grand, le Roman de Thèbes, autour de la lignée Oedipienne, le Roman d'Eneas, qui s'inspire de l'Enéide, le Roman de Troie, qui reprend la trame de l'Iliade. Les héros de ces romans appartiennent donc à cet âge d'or antique que les auteurs médiévaux s'approprient et adaptent assez librement à leurs propres modèles idéologiques et esthétiques[2].
- La matière de France
- Correspond aux légendes épiques nées en France autour de la figure de Charlemagne, dans le sillage de la Chanson de Roland. Cette matière se déploie donc surtout dans la chanson de geste, genre très prolifique aux XIIe et XIIIe siècles. Là encore, il s'agit d'une exploitation libre de légendes anciennes, puisque les hauts faits de l'empereur et de ses barons remontent au début du IXe siècle et que les premiers textes qui chantent leurs louanges datent de la fin du XIe siècle. Les sources de ces œuvres semblent davantage orales, mais l'hypothèse "traditionaliste" d'une transmission continue d'origine populaire depuis l'époque de Charlemagne est remise en cause depuis les travaux de Joseph Bédier[3].
- La matière de Bretagne
- Concerne tous les textes qui trouvent leur source dans les légendes celtiques. Ces légendes, d'origine populaire, ont circulé sous diverses formes sur le continent dès premier tiers du XIIe siècle. Marie de France évoque ainsi des lais bretons, probablement chantés, qu'elle désigne comme source de ses propres lais. La plupart des auteurs français qui reprennent ces légendes s'inspirent cependant de sources écrites, toutes plus ou moins dérivées de l'Historia Regum Britaniae, de Geoffroy de Monmouth, écrite en 1138. La "mise en roman" de cette chronique en 1155 par Wace dans son Roman de Brut[4] lance définitivement la vogue de la légende arthurienne.
Les différentes matières correspondent donc à différents types de sources, mais aussi à différents genres littéraires : roman antique, roman arthurien ou roman breton, geste carolingienne... chacune de ces catégories élabore au fil des œuvres des codes qui lui sont propres et se constitue un réservoir de motifs et d'éléments textuels spécifique.
Les limites de la classification de Jean Bodel
La classification de Jean Bodel ne doit pas nous abuser cependant, car elle témoigne d'une vision volontairement cloisonnée et incomplète de la littérature. Les matières ne sont en effet pas étanches entre elles au Moyen-Âge. Les romans antiques ne sont pas fermés au merveilleux breton, et le roman arthurien accueille volontiers des motifs antiques. La chanson de geste s'ouvre largement à l'aventure sur le modèle des romans bretons à partir du XIIIe siècle. Le nain Aubéron, fils de Jules César et de la fée Morgane[5], n'est-il pas la manifestation éclatante de cette porosité des matières littéraires?
Par ailleurs, de nombreuses œuvres narratives médiévales sont inclassables selon le système de Jean Bodel : il existe en effet, depuis le XIIe siècle et bien au-delà du moyen-âge, des romans d'aventure non arthuriens, qui mettent en scène des couples de personnages confrontés aux aléas du réel. Ces chevaliers et nobles jeunes filles ne s'accomplissent ni dans le combat chevaleresque ni dans l'aventure féerique, ou du moins pas seulement, mais dans la mise à l'épreuve de leur amour réciproque dans un monde hostile. Héritiers de romans grecs ou byzantins, incarnations littéraires de légendes populaires (occidentales ou orientales) ou développements narratifs autonomes à partir de motifs issus d'autres romans, ces récits ne renvoient pas à un type de source ou de tradition spécifique. Ils sont regroupés par la critique en catégories dont les noms disent assez la difficulté à dépasser la classification de Jean Bodel : romans réalistes, romans gothiques, romans idylliques... Christine Ferlampin-Acher propose l'appellation « romans du troisième type »[6], par opposition aux romans arthuriens et aux romans antiques.
La matière de Bretagne
La féerie celtique
Le cycle arthurien
Le cycle du Graal
La matière tristanienne
Notes et références
- Jean Bodel, La Chanson des Saxons, Paris, J. Techener, 1839, p. 1-2, dans le texte original.
- voir Aimé Petit, L'anachronisme dans les romans antiques du XIIe siècle, Champion 2002
- Joseph Bédier, Les légendes épiques, Champion, 1908-1913
- Wace, Roman de Brut voir
- Huon de Bordeaux, chanson du XIIIe siècle (édition bilingue W.Kibler et F.Suard, Champion classiques) Aubéron est un personnage féerique de
- Féerie et idylles : des amours contrariées, Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 20 | 2010, mis en ligne le 30 décembre 2013, consulté le 25 mai 2011. voir Christine Ferlampin-Acher,
Articles connexes
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- Thème littéraire du Moyen Âge
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