Le vélocipède d'Artamanov

Le vélocipède d'Artamanov

Efim Mihéevich Artamanov (1776 † 1841) est l’inventeur russe du vélocipède en 1800. Voici une légende urbaine que l'on trouve en Russie.

Histoire d'une mystification

L’histoire commence sous le sceau de la véracité, colporté par l’historien Evgueni Belov (1826-1895) qui, dans son « Essai sur les Usines du Mont Oural » publié à titre posthume en 1896 parle pour la première fois de ce vélocipède et de son inventeur. Trop crédule, il a probablement été alors abusé par un habitant de Nijni-Taguil. Preuve de la naïveté de cet historien et de son manque de professionnalisme, il ne s’aperçoit pas que le nom de l’empereur que son informateur lui a donné ne coïncide pas avec les dates de règne de celui-ci. La légende est en marche… Et, les faits décrits par Belov seront repris ultérieurement mais corrigés par des historiens plus scrupuleux de la lignée des souverains russes. Mais l’histoire s’étoffe vraiment au moment de la campagne de recherche « des priorités russes » dans les domaines de la science et la technique colportés par les ethnographes régionaux qui sont chargés de mettre en avant les inventeurs russes qui seront ensuite couchés par écrit dans la grande encyclopédie soviétique. Les publications, notamment celle de 1948 suivie de nombreuses autres dans les années 50 et 60 vont compléter et agrémenter l’histoire. Ainsi, on voit apparaître un patronyme mais également les dates de naissance et de décès d’Artamanov dont on apprend également qu’il est l’inventeur d’autres véhicules de locomotion. Ce n’est vraiment que dans les années 80 que des personnes commencent à mettre en doute cette histoire avec la sortie de l’article : « Histoire d’une mystification » en 1987. Une voix s’était déjà élevée en 1948 : celle d’un professeur de l’histoire des techniques, Victor Danilevsky (1898-1960), qui remettait en doute l’année supposée de l’invention, vite étouffée la même année par la parution d’écrits d’autres scientifiques soviétiques.

Ainsi Efim Artamanov, serf-forgeron de la famille Demidoff apparaît en 1800 comme l’inventeur russe du vélocipède à pédale et ce, bien avant le baron allemand Karl Drais qui inventa le premier vélocipède en 1817 (breveté en 1818) suivi du vélo à pédale inventé en 1861 par Pierre Michaux, un serrurier parisien. Si on regarde de plus près la machine qu’Efim Artamanov aurait construite - car cette machine existe - : l’originale est exposée au Musée de Nijni-Taguil et une copie à Moscou ; on se rend compte qu’elle ressemble étrangement à des vélos produits alors en Angleterre vers 1880 dits « modèle araignée » (en raison de la forme des roues aux multiples rayons qui ressemblent à des toiles d’araignée), archétype du Grand-Bi alors à la mode. Ce fait est d’ailleurs corroboré par l’étude du métal du vélocipède d’Artamanov, qui n’a pu être produit, selon les spécialistes qui ont conduit l’étude, qu’à partir de 1876 (année du début de production à Nijni-Taguil d’acier Bessemer dont la pièce testée porte les marques). - Les septiques diront que la pièce de métal testée appartient a une copie tardive du vélo d’Artamanov - .

Là où le doute n’est plus permis c’est que l’histoire légendaire d’Efim Artamanov se mélange avec celle de ses maîtres. Comme le fondateur de la dynastie Demidoff, un ancien serf-paysan devenu un forgeron libre du nom de Demid Antoufieff dont le fils Nikita sera anobli par le Tsar Pierre Ier. Efim Artamanov est, selon la légende, libéré de son servage ainsi que ses descendants par l’Empereur Paul Ier après s’être rendu à vélo en 1801 à son couronnement (histoire rapportée par Belov). Les historiens rectifieront l’anachronisme a posteriori, en remplaçant Paul Ier par Alexandre Ier. Comme Paul (Piotr) et Pierre (Pavel) sont deux prénoms courts commençant par la même lettre, cela apporte un crédit supplémentaire en faveur de la version du transfert d’une histoire vraie vers une histoire inventée.

N’étant pas à un exploit près, Artamanov aurait relié la ville de Verkhotourié dans l’Oural à Moscou sur son vélo et aurait ainsi réalisé le premier cross-country (cyclisme) au monde sur une distance de plus de … 1000 vestes (1 veste russe = 1067 m). Cet exploit fut salué par l’empereur comme il se doit à son arrivée à Moscou. Une autre légende raconte qu’Artamanov aurai également relié la ville de Nijni-Taguil à Ekaterinbourg avec son vélo et durant le voyage réalisé à vive allure, il aurait effrayé tous les chevaux sur son passage.

Mais une énigme persiste . Quand et comment ce vélo a-t-il été construit à Nijni-Taguil ? Car la provenance du métal, elle, est bien confirmée.

Pour comprendre cette énigme, il suffit de faire un retour en arrière dans les différentes expositions universelles et internationales auxquelles les usines Demidov ont participé. Ainsi on peut trouver qu’en 1862, les usines Demidoff remportèrent un prix à la Grande Exposition de Londres pour la qualité de leur production de fer, d'acier et de cuivre, quelques années après avoir fourni le fer qui a servi à réaliser le toit du Parlement Britannique fraîchement reconstruit. Elles renouvellent cet exploit aux expositions de Paris en 1867 et 1878. En 1900 toujours à Paris, elles obtinrent encore une médaille d'or. À l’époque de ces grandes expositions, le vélocipède dont le premier modèle à succès, le modèle Michaux produit en 1867, a un très gros engouement auprès des foules. Il n’est pas interdit de penser qu’un employé ou un des patrons lui-même ait demandé une fois de retour en Russie qu’on construise un vélo identique à celui qu’il avait vu en Europe. Fait supplémentaire pouvant corroborer cette hypothèse, lors de l’Exposition Internationale de Paris de 1878[1], le vélo est à l’honneur après l’invention du Grand-Bi par le Français Victor Renard[2] un an plus tôt. Et comme le Grand-Bi, par sa forme, est le cousin direct du vélocipède d’Artamanov, il n’est pas impossible d’imaginer que c’est juste après cette exposition que le vélo d’Artamanov ait été forgé dans l’Oural vers 1878 en accord avec la date proposée par les experts qui ont testé le métal.

Sources

Les sources principales de cet article sont issues de sa version russe : Le Vélocipède d'Artamanov (ru:Велосипед Артамонова) mais aussi de l'article également en russe « Histoire d'une mystification »[3].

Notes et références


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Le vélocipède d'Artamanov de Wikipédia en français (auteurs)

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