Mahâbhârata

Mahâbhârata

Le Mahābhārata (sanskrit en devanāgarī : महाभारत ; littéralement « La Grande Inde »)[1] est une épopée sanskrite de la mythologie hindoue comportant quatre-vingt-dix milles strophes réparties en dix-huit livres (parvan)[1],[2]. Il est considéré comme le plus grand poème jamais composé. Il comporte pas moins de 250 000 vers — quinze fois plus que l'Iliade — généralement partagés en vers ou śloka de 32 syllabes chacun, formant deux hémistiches de 16 anustubh, partagés eux-mêmes en deux demi-hémistiches de 8 pāda. Ce qui donne, pour un hémistiche : xxxxu--u-/xxxxu--u-(x=u ou -). C'est ainsi qu'étaient composés les vers épiques de la poésie sanscrite ou classique de l'Inde.

Le Mahābhārata est un livre sacré de l'Inde, qui relate la « Grande Geste » des Bhârata, grand poème épique datant des derniers siècles avant l'ère commune. C'est une saga mythico-historique, contant des hauts faits guerriers qui se seraient déroulés environ 2 200 ans avant l'ère chrétienne, entre deux branches d'une famille royale : les Pândava et leurs cousins, les Kaurava, pour la conquête du pays des Arya, au nord du Gange. C'est l'un des deux grands poèmes épiques de l'Inde, fondateur de l'Hindouisme avec le Rāmāyana. On peut penser que la date de l'épopée primitive du Mahābhārata est bien antérieure à celle du Rāmāyana, comme les faits eux-mêmes qui sont la matière de l'un et de l'autre poème.

Combat entre Kripa et Shikhandi (Inde, vers 1670).

Sommaire

Origines et contexte historique

L'origine de ces deux grandes épopées indiennes très anciennes, légendes où s’affrontent les hommes et les dieux, est incertaine. Le Mahābhārata est censé avoir été rédigé par Ganesh sous la dictée du sage Vyâsa. En réalité on ne sait s'il s'agit d'une œuvre collective, revue et modifiée au fil des siècles (IVe siècle av. J.-C. - IVe siècle apr. J.-C.), ou celle d'un unique poète, composée dans un contexte particulièrement précis de l'histoire indienne. Ces deux points de vue opposés, parfaitement défendables en l'absence de données historiques et scientifiques sûres, conduisent à une compréhension globale de l'œuvre radicalement différente. Dans l'hypothèse d'un poète unique, renforcée par l'incroyable unicité du récit et de son intrigue subtile (peut-être beaucoup trop pour un lecteur non-initié), l'épopée constituerait en partie une réponse à la montée du bouddhisme après le règne d'Aśoka (dynastie des Maurya), vers 300 av. J.-C., dans un contexte socio-politique de crise bien identifié. Les prédications du Bouddha rejettent en bloc les enseignements védiques et la société brâhmanique, menaçant par là-même la suprématie des brâhmanes. L'épopée illustre un drame cosmique, une perturbation du dharma, de l'ordre sociocosmique, que pourrait bien incarner le bouddhisme. Les références y sont constamment implicites tout au long du récit mais les interprétations, toutefois, se tiennent et, vu sous cet angle, sont logiques.

Le Mahābhārata, dont tout Indien connaît l'histoire, reste très actuel, à tel point que les héros divins restent des exemples. Ainsi, si l’épouse de Râma, Sitâ, est le modèle de la femme fidèle, dans le Mahābhārata, les femmes sont les égales des hommes, combattent à leurs côtés et ont leur franc-parler.

Contenu

Le Mahābhārata relate l'histoire d'une guerre entre les Pândavâs (Pāndavās), les fils du roi Pându (Pāndu), et les Kauravâs (Kauravās), les fils du roi Dhritarâshtra (Dhritarāshtra), le frère aîné et aveugle de Pându, tous de la caste des guerriers, les Kshatriya, dans la région de Delhi. Le texte a probablement tout d'abord été une compilation d'histoires de dieux et de héros transmises oralement, représentées par des troupes de théâtres, contées par les prêtres et les sannyasins, les pèlerins, avant de trouver une forme écrite dans un sanskrit légèrement archaïque, dite « sanskrit épique ». Il a connu ensuite une adaptation dans les langues de l'Inde et s'est propagé dans l'Asie du Sud-Est avec l'indianisation de celle-ci.

L'événement majeur du texte est l'apparition de Krishna (Krisna), le huitième avatar de Vishnou (Vishnu).

Mais le Mahābhārata est aussi un recueil de mythes hérités de la tradition védique, insérés dans le récit sous forme de digressions interminables. À ce sujet on peut citer les récits cosmogoniques du rishi Markandeya qui préfigureront les Puranas, un résumé du Rāmāyana en 18 chapitres (le chiffre 18 occupant une place centrale dans toute l'épopée, elle-même subdivisée en dix-huit livres) et aussi les exploits du bouvier Krishna qui donneront corps à de nombreux poèmes souvent érotiques sur ses amourettes avec les gopis.

Le Mahābhārata est composé des dix-huit parva (chapitres ou livres) suivants :

  1. Adiparvan (आदिपर्वन्) - Le Livre des commencements
  2. Sabhaparvan (सभापर्वन्) - Le Livre de l'assemblée
  3. Aranyakaparvan (अरण्यकर्वन्) - Le Livre de la forêt
  4. Virataparvan (विराटपर्वन्) - Le Livre de Virata
  5. Udyogaparvan (उद्योगपर्वन्) - Le Livre des préparatifs
  6. Bhismaparvan (भीष्मपर्वन्) - Le Livre de Bhîsma
  7. Droṇaparvan (द्रोणपर्वन्) - Le Livre de Drona
  8. Karṇaparvan (कर्णपर्वन्) - Le Livre de Karna
  9. Śargarohanaparvan (शल्यपर्वन्) - Le Livre de Shalya
  10. Sauptikaparvan (सौप्तिकपर्वन्) - Le Livre de l'attaque nocturne
  11. Striparvan (स्त्रीपर्वन्) - Le Livre des femmes
  12. Śaṃtiparvan (शांतिपर्वन्) - Le Livre de l'apaisement
  13. Anuśasanaparvan (अनुशासनपर्वन्) - Le Livre de l'enseignement
  14. Aśvamedhikaparvan (अश्वमेधिकापर्वन्) - Le Livre du sacrifice royal
  15. Aśramavasikaparvan (आश्रम्वासिकापर्वन्) - Le Livre du séjour en forêt
  16. Mausalaparvan (मौसुलपर्वन्) - Le Livre des pilons
  17. Mahaprasthanikaparvan (महाप्रस्थानिकपर्वन्) - Le Livre du grand départ
  18. Svargarohaṇaparvan (स्वर्गारोहणपर्वन्) - Le Livre de la montée au ciel

Au tout début du Mahābhārata, au Livre I, « Le Livre des Commencements », dans la forêt Naimisha, un brâhmane de grande lignée, Shaunaka, réunit traditionnellement une session sacrificielle tous les douze ans. Un conteur se présente, et il va raconter pour la première fois en entier le grand récit du Mahābhārata, tel qu'il l'a entendu de la bouche même de Vaishampâyana, le disciple de Vyâsa, lors du Sacrifice des Serpents ordonné par le roi Janamejaya. Il commence par raconter l'histoire des ancêtres de son hôte : Cyavana, l'ascète farouche rajeuni par les dieux, Pramadvarâ, l'Eurydice indienne, mordue par un serpent et sauvée de la mort par son époux Ruru.

L'un des épisodes du Mahābhārata, la Bhagavad-Gîtâ (Le Chant du Seigneur), inclus dans le sixième livre, est à lui seul un traité de la « Voie de l'Action » que l'on pourrait rapprocher de nos traités de chevalerie du Moyen Âge, et qui montre que la connaissance doit précéder toute action, car sans elle, l'action ne serait que vaine agitation. Chef-d'œuvre de la pensée hindouiste, il raconte les conseils moraux donnés par Krishna à Arjuna, qui se désespère de devoir participer à une bataille où beaucoup de ses amis et parents risquent de perdre la vie. C'est un texte fondamental pour connaître la vie de l'Inde classique et c'est aussi un exposé des idéaux hindouistes. La Bhagavad-Gita est aussi essentielle dans le yoga. C'est au cœur de celle-ci que Krishna transmet à Arjuna les différentes formes du yoga.

Influence

Le Mahābhārata est une source d'inspiration inépuisable, non seulement pour l'art du spectacle indien, le théâtre et le cinéma en particulier, mais aussi pour le théâtre traditionnel en Indonésie, dans les îles de Java et Bali. Sa traduction en javanais date du règne de Dharmawangsa (règne 991 - 1016), dont le royaume était situé à Java Est.

Arjuna, le troisième des frères Pandava, dans le wayang kulit (théâtre d'ombres) javanais

Citations

  • « Telle est la somme du devoir : ne fais pas aux autres ce qui, à toi, te causerait de la peine » (Mahâbhârata, V ; 15,17)
  • « Tu pleures sur ceux sur lesquels il ne faut pas pleurer, et pourtant tu profères des paroles qui semblent sages. Les sages ne pleurent ni sur les morts, ni sur les vivants » (Mahābhārata VI, Bhagavad-Gîtâ, II ; 11)
  • « Celui qui, abandonnant tous les désirs, vit libre de toute entrave personnelle et de tout égoïsme, celui-là obtient la paix » (Mahābhārata, VI, Bhagavad-Gîtâ, II ; 71)
  • « De l'harmonie naît la Sagesse et du mouvement la cupidité ; la paresse et l'illusion naissent de l'inertie, ainsi que l'ignorance » (Mahābhārata, VI, Bhagavad-Gîtâ, XIV ; 17)
  • « Ceux qui vivent dans l'harmonie, s'élèvent ; les actifs restent dans la région intermédiaire ; les inertes descendent, enveloppés des plus viles qualités » (Mahābhārata, VI, Bhagavad-Gîtâ, XIV ; 18)
  • « Il n'y a jamais eu un temps passé où nous n'existions pas, il n'y aura jamais un futur où nous cesserons d'être » (Mahābhārata, VI,Bhagavad-Gita II:12)
  • « La viande des animaux est comme la chair de nos propres fils » .

Exégèses et débats

Georges Dumézil consacre la première partie de Mythe et épopée (I, L’idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens) à l'étude du Mahâbhârata analysé à la lumière des trois fonctions indo-européennes. Ayant reconnu derrière les cinq Pandavas, les figures de dieux fonctionnels issus de théologies védiques ou même antérieures, il étend cette recherche de correspondance héros/dieux à d'autres personnages du roman, étayant l'hypothèse d'une origine mythologique à l'épopée. Parallèlement à son intérêt du point de vue de la recherche indo-européenne ou du comparatisme, l'étude de Georges Dumézil propose une approche analytique qui permet au lecteur occidental de pénétrer une œuvre difficile d'accès, notamment par son volume.

Georges Dumézil[3] et Mircea Eliade[4] ont fait des analogies entre le Mahābhārata et l'Iliade, entre le Ramayana et l'Odyssée, entre le couple Râma-Sitâ et le couple Zeus-Hera, entre Shiva et Poséidon tous deux porteurs du trident, et même entre les figures du Mahâbhârata et les dieux du panthéon nordique (dont la mythologie s'articule autour d'une autre eschatologie : le Ragnarök) mais, s'il est possible que les mêmes "mythes indo-européens" puissent être à l'origine de ces figures, rien ne permet de démontrer cette hypothèse, ni des connexions entre les mythologies grecque, nordique et védique. C'est pourquoi la pertinence de ces analogies, ainsi que de la notion de "mythes indo-européens", est mise en doute dans le champ scientifique, mais est néanmoins utilisée dans certains champs politiques extrémistes[5], sans pour autant justifier les accusations de racisme dont Dumézil et Éliade ont été l'objet[6].

Sur la littérature gnomique et didactique du Mahābhārata, voir Guillaume Ducœur, Anthologie de proverbes sanskrits tirés des épopées indiennes, Paris, 2004.

Notes et références

  1. a et b The Sanskrit Heritage Dictionary de Gérard Huet
  2. La Mahābhārata fait trois fois celui de la Bible selon Gerhard J. Bellinger, Encyclopédie des religions, éd. Le Livre de Poche.
  3. Mythes et Dieux des Germains - Essai d'interprétation comparative, PUF, 1939
  4. Traité d’histoire des religions, préface de Georges Dumézil, traduction du roumain par Mme Carciu, Jean Gouillard, Alphonse Juilland, Mihai Sora et Jacques Soucasse, édition revue et corrigée par Georges Dumézil, Paris, Payot, « Bibliothèque scientifique », 1949 ; nouvelles éditions, 1964 ; 1974 (ISBN 2-228-50091-7) ; « Petite bibliothèque Payot », 1977 (ISBN 2-228-33120-1) ; 1983 (ISBN 2-228-13310-8) ; 1989 (ISBN 2-228-88129-5)
  5. Rapport Rousso, par Annette Becker, Philippe Burrin et Florent Brayard, dir.: Henry Rousso, Octobre 2004, chapitre III, sur: « Le rapport d'Henry Rousso rendu public »
  6. Faut-il brûler Dumézil ?, par Didier Eribon, Mythologie, Science et Politique, Paris, Flammarion, 1992, et aussi: La vie et l'œuvre de Mircea Eliade (1907-1986) par Ralph Stehly, Professeur d'histoire des religions, Université Marc Bloch, Strasbourg, l'article « Mircea Eliade » par Maurice Olender dans Encyclopædia Universalis, éd. 2007, Impostures et pseudo-science : l'œuvre de Mircea Eliade de Daniel Dubuisson par Michael Löwy, dans les Archives de sciences sociales des religions, no 132, Villeneuve-d'Ascq, Presses universitaires du Septentrion, « Savoirs mieux », 2005 (ISBN 2-85939-874-0), Le fascisme français: passé et présent par Pierre Milza, Paris, Flammarion, Champs, 1987, p. 372-373.

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