Le Joueur d'échecs

Le Joueur d'échecs
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Elke Rehder: Le Joueur d’échecs (gravure sur bois)

Le Joueur d’échecs (en allemand Schachnovelle) est une nouvelle de Stefan Zweig publiée à titre posthume en 1943. L'auteur l'écrivit durant les quatre derniers mois de sa vie, de novembre 1941 à son suicide, le 22 février 1942. La traduction française parut en Suisse en 1944 et fut révisée en 1981 (Jacqueline Des Gouttes).

Sur un paquebot s’opposent deux champions d’échecs que tout sépare : le champion en titre, d’une origine modeste mais tacticien redoutable, et un aristocrate qui n’a pu pratiquer que mentalement, isolé dans une geôle privée pendant la répression nazie.

Sommaire

Résumé

Cette nouvelle est écrite sur le principe du récit en abyme : durant le récit du narrateur viennent s'intercaler divers récits, généralement d'une importance assez grande pour la compréhension de l'histoire.

Le narrateur

Le narrateur, un Autrichien en partance pour l’Argentine, est informé de la présence à bord du champion mondial des échecs, Mirko Czentovic. C'est un homme intelligent, sérieux, passionné par la psychologie. Durant le récit, le narrateur essaie à plusieurs reprises de comprendre Czentovic.

Czentovic

L’enfance de Czentovic nous est détaillée : orphelin élevé par le curé du village, le jeune garçon est taciturne, apathique et ne parvient pas à apprendre ce qu’on lui enseigne. Certes lent et mou, il exécute cependant les tâches qui lui incombent. Un soir, le curé et un ami, maréchal des logis, disputent une de leurs parties d’échecs quotidiennes lorsque le prêtre est demandé d’urgence pour une mourante. Le maréchal des logis, qui se retrouve sans partenaire de jeu, demande -non sans malice- à Mirko, qui fixe l’échiquier, s’il veut achever la partie. Celui-ci accepte et, surprise, bat son adversaire en quelques coups deux fois de suite. De retour, le curé s’extasie du prodige et constate que ni lui ni son ami n’étaient en mesure de battre Mirko. Ils décident alors de le présenter à d’autres joueurs, plus forts. Le prodige finit par battre la plupart d'entre eux hormis deux ou trois adeptes. Ceci conduit les joueurs enthousiasmés et un vieil amateur d’échecs à lui procurer les moyens de continuer son apprentissage à Vienne. À vingt ans, il est champion du monde.

Intrigue

À bord, le narrateur, qui, par curiosité, disputerait bien une partie contre l’illustre maître, attire peu à peu de nombreux amateurs autour d’un échiquier. Ils finissent par attirer quelques secondes l’attention de Czentovic qui, jaugeant d’un coup d’œil la qualité de jeu, ne fait que passer, de loin. Mais un des joueurs le prie d’accepter de disputer une partie contre eux. Il accepte, moyennant rétribution, et bat bien sûr ses modestes adversaires. Mais au cours d’une revanche, un mystérieux inconnu se porte au secours de ceux qui aimeraient briser la froide arrogance du champion et, doué de remarquables capacités, il obtient le match nul. Là, maladroit et contrit de s’être immiscé au sein de la partie, il indique aussi qu’il n’a pas touché un échiquier depuis plus de vingt ans puis se retire, laissant un public incrédule mais dont la curiosité est attisée. On découvre qu’il est autrichien, comme le narrateur ; c’est donc ce dernier qui est chargé de le « cuisiner », en jouant auprès de lui le rôle de psychanalyste.

L’inconnu

L’histoire de l’inconnu, « M. B… », s’avère très troublante. Avocat en Autriche, il dissimula longtemps de fortes sommes aux nazis qui, brûlant de se les approprier, faisaient malgré tout long feu. Ils finirent donc par emprisonner le notaire, mais d’une manière particulière : en effet, il est logé dans une chambre d'un hôtel de luxe (l'hôtel Metropole de Vienne) mais il n’a aucun contact avec le monde extérieur (la fenêtre est condamnée, il n’a d’autres compagnons qu’un gardien muet, …). Il reste ainsi plusieurs jours, il subit ensuite les premiers interrogatoires de la Gestapo. Au fur et à mesure qu’il passe du temps isolé dans sa chambre, ses réponses se font moins prudentes, il perd le contrôle de lui-même car son esprit « tourne à vide » sans rien de palpable.

Mais un jour, alors qu’il attend son interrogatoire dans une antichambre, il aperçoit, dans une veste pendue à une patère, un livre. Merveille des merveilles à ses yeux, il doit s’en emparer pour vaincre la solitude et la folie qui le guette. « Vole-le ! », s’ordonne-t-il. À l’aide d’un stratagème risqué, il y parvint et, de retour dans sa cellule, il s’aperçoit dépité qu’il s’agit d’un livre d’échecs. Lui qui rêvait de la prose de Goethe ou d'une épopée d'Homère, il enrage devant des formules incompréhensibles, suites de « a1, c4, h2… » dont il ne saisit le sens. Mais il finit par comprendre ces codes : ils correspondent à la position des pièces sur un échiquier, et le livre est un recueil des plus grandes parties disputées par des maîtres internationaux. Après avoir essayé de se procurer un échiquier physique avec des boulettes de mie de pain, il renonce presque mais s’obstine, apprenant par cœur quelques parties. Il parvient en fait à se priver de ce support improvisé, jouant mentalement les parties. Il se familiarise ainsi avec les finesses du jeu, la tactique, etc. Les interrogatoires se passent mieux et il croit étonner ses geôliers dont il devine et pare les pièges.

Cependant, après quelques mois, l’attrait des 150 parties du livre disparaît puisqu’il les connaît toutes et qu’elles deviennent un automatisme sans intérêt quelconque. Il dut donc essayer autre chose : jouer des parties contre lui-même. Est-ce possible, cependant ? Il y parvient en effet. Mais au bout de peu de temps, son esprit dédoublé « perd pied ». Le gardien, qui l’a entendu crier, accourt, pensant qu’il se querelle avec une autre personne. Mais en fait, c’est contre lui-même que M. B… peste : « Joue ! Mais joue, poltron… Lâche ! … » Les blancs et les noirs s’invectivent en lui et, ayant perdu connaissance, il se réveille dans un hôpital. Le docteur, compatissant, parvient à le faire libérer, le faisant passer pour fou ou irresponsable et donc sans intérêt pour les nazis. Il lui recommande malgré tout de ne plus rejouer aux échecs, sans quoi il pourrait rechuter dans sa schizophrénie.

La fin du livre

Le récit se termine d’une manière logique quoiqu’inattendue. M. B. est sollicité à bord du paquebot pour affronter l’arrogant Czentovic. Une première partie et ce dernier capitule afin de ne pas se montrer complètement vaincu. Malgré l’avertissement du médecin, « l’inconnu » ne peut résister à la tentation d’une deuxième partie et là, il « perd pied » à nouveau : Czentovic, qui a compris que sa lenteur exaspère son rival, joue sur cette idée. Au bout de quelque temps, M. B… semble perdre le fil du jeu : sans doute a-t-il trop eu le temps d’anticiper pendant les interminables coups de Czentovic; il a en tête une partie différente de celle qu’il joue. Pressé par le narrateur, il se retire, encore une fois contrit et penaud.

« Dommage, dit Czentovic, magnanime. L’offensive n’allait pas si mal. Pour un dilettante, ce monsieur est en fait remarquablement doué. »

Le livre et l'auteur

Quand ce texte paraît à Stockholm en 1943, Stefan Zweig, desespéré par la montée et les victoires du nazisme, s'est donné la mort l'année précédente au Brésil (le 22 février 1942), en compagnie de sa seconde femme. La tragédie des années quarante en Europe lui apparaissait comme la négation de tout son travail d'homme et d'écrivain (il avait dès 1914 utilisé l'arme de la création littéraire pour dénoncer la guerre). Le Joueur d'échecs est une confession à peine déguisée de cette désespérance. Ainsi on peut comprendre l'opposition entre le champion Czentovic et Monsieur B. comme l'affrontement de la force nazie et des valeurs culturelles qui furent la raison d'être de Zweig. De même, on peut rapprocher le personnage de Monsieur B., que sa passion a divisé intérieurement et condamné à l'impuissance intellectuelle, avec les pensées de Zweig dans un moment où, désespéré par l'anéantissement de l'Europe, il sent mûrir en lui sa nécessité du suicide. Monsieur B. sera finalement sauvé mais après avoir perdu tout ce qui donnait sens à sa vie et à la condition impossible d'oublier les échecs. Stefan Zweig pouvait lui aussi choisir de survivre, mais dans un exil qu'il imaginait définitif, et frustré du rôle de "conscience lucide" qu'il avait tenu jusque-là dans le monde[1].

Adaptations

Théâtre

André Salzet a fait une adaptation théâtrale du Joueur d'échecs. Il a joué plus de 1000 fois le spectacle tiré de cette adaptation.

Film

Livres audio

  • Le Joueur d'échecs (lu par Jacques Weber ; traducteurs non nommés), éditions Thélème, Paris, 2004, 2 disques compact (durée : 1 h 54 min), (EAN 9782878622935), (notice BNF no FRBNF39296636x).
  • Le Joueur d'échecs (lu par Édouard Baer ; traduction de l'allemand par Jacqueline Des Gouttes, révisée par Brigitte Vergne-Cain et Gérard Rudent), éditions Audiolib, album 25 0286 2, Paris, 2010, 2 disques compact (durée : 1 h 53 min), (EAN 9782356412508), (notice BNF no FRBNF42285829w).

Notes et références

  1. Se référant à l'analyse du texte de l'édition "Bibliothèque Cosmopolite"

Liens externes



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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Le Joueur d'échecs de Wikipédia en français (auteurs)

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