Intelligence emotionnelle

Intelligence emotionnelle

Intelligence émotionnelle

L'intelligence émotionnelle est un concept qui a notamment été popularisé par l'écrivain et psychologue américain Daniel Goleman, qui présente ce concept dans le livre éponyme.

L'idée est de dépasser le traditionnel quotient intellectuel comme moyen de mesure de l'intelligence.

Sommaire

Introduction et définition

Les premières études sur l’Intelligence émotionnelle (IE) sont apparues au début des années 1990 avec les travaux de Salovey et Mayer. Ceux-ci définissent l’intelligence émotionnelle comme suit :

Une forme d’intelligence qui suppose la capacité à contrôler ses sentiments et émotions et ceux des autres, à faire la distinction entre eux et à utiliser cette information pour orienter ses pensées et ses gestes. [TRADUCTION] (Salovey et Mayer, 1990).

Ces auteurs ont par la suite révisé leur définition de l’intelligence émotionnelle. Selon cette nouvelle définition, qui est aussi la plus généralement acceptée, l’intelligence émotionnelle désigne :

L’habileté à percevoir et à exprimer les émotions, à les intégrer pour faciliter la pensée, à comprendre et à raisonner avec les émotions, ainsi qu’à réguler les émotions chez soi et chez les autres. [TRADUCTION] (Mayer & Salovey, 1997).

Un sujet devenu populaire

Peu après le début des travaux académiques, un livre rendait le sujet très populaire : Emotional Intelligence (Goleman, 1995a). Cet ouvrage couvrait, en l’aménageant de façon parfois peu scientifique, la plupart de la littérature de l’époque sur l’IE (Averill & Nunley, 1992 ; Salovey & Mayer, 1990 ; Mayer, DiPaolo, & Salovey, 1990 ; Mayer & Stevens, 1994) ainsi qu’un nombre considérable de recherches supplémentaires sur les émotions et leurs relations avec le cerveau et les comportements sociaux. Il mentionnait également des programmes éducatifs destinés à aider les enfants à développer leurs compétences émotionnelles et sociales. Le livre mettait en exergue des remarques déjà formulées par Mayer & Salovey suivant lesquelles les personnes pourvues d’une grande intelligence émotionnelle pouvaient être plus efficaces socialement à divers égards (Mayer & Salovey, 1990). Allant encore plus loin, Goleman n’hésitait pas à clamer haut et fort les vertus de l’intelligence émotionnelle tant sur le plan des relations avec nos proches que sur celui de la réussite professionnelle, tout en soulignant aussi ses effets positifs sur notre santé (Goleman, 1995a, p. 13).

Cette combinaison de science et de croyance optimiste dans le potentiel humain a attiré une très grande couverture médiatique, si bien qu’elle fit la couverture du célèbre magazine Time sous le titre accrocheur « What’s your EQ ? » (Quel est votre coefficient émotionnel ?). La journaliste Nancy Gibbs y déclarait entre autres :

Ce n’est pas votre QI. Ce n’est même pas un nombre. Mais l’intelligence émotionnelle peut être le meilleur prédicteur du succès dans la vie, redéfinissant ce que c’est que d’être intelligent. [TRADUCTION] (Time, 1995)

En très peu de temps, la notion générale d’intelligence émotionnelle gagna largement en popularité, apparaissant dans de nombreux magazines et articles de journaux (pour une liste détaillée voir Mayer, Salovey, & Caruso, 2000).

Pourquoi un tel intérêt pour l'intelligence émotionnelle ?

Nous identifions plusieurs raisons à ce phénomène.

Tout d'abord, la majorité des auteurs considère que l'intelligence émotionnelle peut être développée et entraînée, ouvrant de ce fait les portes d'un nouveau marché juteux (livres, formations, coaching, etc.).

Ensuite, les affirmations de Goleman (1995a) selon lesquelles l’IE pourrait prédire le succès académique et professionnel mieux que ne le fait le quotient intellectuel (QI), ont reçu un excellent accueil de la part du public américain. En effet, ce nouveau concept permettait de réduire la prédominance (exagérée) du recours aux tests de QI aux États-Unis. Il faut savoir qu'aux États-Unis les « gros QI » étaient perçus de façon assez négative par la majorité des gens (Zeiner et Matthews, 2000) et que tout ce qui pouvait diminuer la trop grande importance du quotient intellectuel était généralement perçu de façon positive (Epstein, 1998).

Enfin, le concept d'intelligence émotionnelle venait également contrer les affirmations de Richard Herrnstein et Charles Murray (1994) dans leur livre The Bell Curve où les auteurs présentaient l’intelligence comme le meilleur prédicteur de la réussite dans de nombreux domaines (école, travail, vie sociale, etc.). Ils y affirmaient également que l'intelligence dépendait fortement du milieu socio-économique et que la distribution différentielle de celle-ci selon les différents groupes socioculturels déterminait en grande partie les chances de succès scolaire ou professionnel des différents groupes sociaux.

Ce message pouvait au choix être considéré comme pessimiste pour les classes sociales moins favorisées, ou au contraire comme une incitation à un effort plus poussé envers ces dernières. L'intelligence émotionnelle, présentée par Goleman comme une compétence également distribuée à travers toutes les classes sociales et pouvant être développée, peut de son côté soit redonner un message d'espoir, soit inciter les pouvoirs publics à ne pas intervenir.

Les recherches scientifiques sur l'intelligence émotionnelle, en tant que construct clairement identifié, sont relativement éparses. Différents modèles - parfois opposés sur le plan théorique - sont en compétition et la question de savoir si l'intelligence émotionnelle représente autre chose que ce que les psychologues connaissent déjà sous d'autres appellations est discutée.

De plus, une multitude de textes et de publicités à caractère commercial ont encore ajouté à la confusion par leurs affirmations racoleuses, voire fallacieuses.

Afin de nous repérer dans ce domaine, définissons dans un premier temps les termes « émotion », « intelligence » et « intelligence émotionnelle » afin de mieux cerner celle-ci.

Emotion, intelligence et intelligence émotionnelle

Outre le fait d’avoir une bonne consistance interne et un pouvoir prédictif substantiel, toute théorie scientifique se doit d’utiliser avec pertinence et précision le langage technique (Mayer, Salovey, & Caruso, 2000). Or, un problème majeur lorsqu’on étudie l’IE, c’est que certaines théories se rapportent précisément aux émotions et à l’intelligence alors que d’autres, beaucoup plus larges, intègrent également de nombreux autres concepts comme par exemple la motivation, la « consciencieusité » ou encore la persistance.

[REMARQUE, faute de français : le mot "consciencieusité" n'existe pas. Il faudrait dire "le fait d'être consciencieux". AUTRE REMARQUE : Malgré tout, il ne s'agit pas d'être consciencieux mais d'avoir un meilleur niveau de conscience, conscience désignée aussi sous les termes de "conscience éclairée" ou "pleine conscience". Aldophe Franck utilise le mot de conscienciosité[1] dans son dictionnaire de 1845.]

Par conséquent, il est intéressant d’examiner ce que recouvrent précisément les termes « émotion », « intelligence » et leur combinaison.

Le concept d’émotion

Les émotions sont reconnues comme étant un des trois ou quatre types d’opération mentale, à savoir : la motivation, les émotions, les cognitions et (moins fréquemment) la conscience (Bain, 1855/1977 ; Izard, 1993 ; MacLean, 1973 ; Mayer, 1995a, 1995b, Plutchik, 1984 ; Tomkins, 1962 ; voir Hilgard, 1980 ; et Mayer, Chabot & Carlsmith, 1997).

Définissons rapidement ces concepts selon la plupart de ces auteurs, tels que Mayer, Salovey et Caruso (2000) en font la synthèse.

Les motivations de base surviennent en réponse à des états internes et incluent donc des « moteurs » tels que la faim, la soif, le besoin de contacts sociaux et le désir sexuel. Le rôle des motivations est de diriger l’organisme dans la réalisation d’actes simples pour satisfaire les besoins de survie et de reproduction. Dans leur forme basique, les motivations suivent un cycle temporel relativement déterminé (ex : la soif augmente jusqu'à ce qu’elle soit étanchée) et sont généralement satisfaites d’une façon spécifique (la soif est satisfaite par le fait de boire).

En ce qui concerne les émotions, il semblerait qu’elles apparaissent chez les mammifères pour signaler les changements (réels ou imaginaires) dans les relations entre un individu et son environnement afin de fournir une réponse adéquate. Par exemple, la colère apparaît en réponse à une menace ou une injustice ; la peur apparaît en réponse au danger.

Les émotions ne suivent pas un cycle temporel rigide mais répondent aux changements externes dans les relations (ou la perception interne de ceux-ci). De plus, chaque émotion organise plusieurs réponses comportementales de base à ces relations ; par exemple, la peur organise l’attaque ou la fuite. Les émotions sont par conséquent plus flexibles que les motivations, mais pas encore autant que ne le sont les cognitions.

Les cognitions, permettent à l’organisme d’apprendre de son environnement et de résoudre des problèmes dans des situations nouvelles. Ces apprentissages se font souvent dans le but de satisfaire les motivations ou afin de créer ou de maintenir des émotions positives.

La cognition comprend l’apprentissage, la mémoire et la résolution de problèmes. Elle se fait en direct et implique un traitement intentionnel de l’information basé sur l’apprentissage et la mémoire (voir Mayer et al., 1997 pour une revue détaillée de ces concepts).

Ces trois types d’opération mentale de base s’intègrent et se combinent dans une structure plus large (system framework) pour engendrer des mécanismes plus complexes pour former la personnalité d’un individu. Ces relations sont illustrées dans la figure 1.

Figure 1. La personnalité et ses principaux sous-systèmes

Le niveau intermédiaire de la figure 1 représente l’interaction entre la motivation et les émotions (à gauche) et entre les émotions et les cognitions (à droite). Selon Mayer, Salovey et Caruso (2000), c’est uniquement à ce dernier niveau émotion/cognition que doit se situer le concept d’intelligence émotionnelle dont ils peuvent légitimement revendiquer la paternité.

Dans cette optique, il était donc utile de clarifier le sens que donnent ces auteurs aux termes ici utilisés car cela nous permet de constater qu’un grand nombre d’autres modèles d’IE débordent en fait du cadre originel. Ainsi, par exemple, quand Goleman intègre la notion de self-concept à son modèle, il introduit dans l’IE un construct de personnalité beaucoup plus complexe qui implique aussi un autre niveau de traitement : celui des motivations.

L’expression intelligence émotionnelle, implique donc quelque chose qui appartient à l’intersection des émotions et des cognitions. Selon cette perspective, afin d’évaluer une théorie touchant peu ou prou à l’intelligence émotionnelle, il faut mesurer le degré auquel la théorie en question se rapporte à cette intersection.

Conceptions de l’intelligence

Différentes significations sont données au terme d'intelligence. Toutefois, que l'on parle d’intelligence artificielle, d’intelligence humaine ou d'intelligence économique, toutes impliquent le fait de rassembler de l’information, d’apprendre de celle-ci et de raisonner avec elle ; elles impliquent toutes une habilité mentale associée à des opérations cognitives.

  • Le modèle des habiletés mentales a été représenté dans sa forme pure par Terman (1921, p.128), qui affirmait que l’intelligence d’un individu était fonction de sa capacité à mener un raisonnement abstrait (voir l'article QI). En fait, les conférences académiques sur l’intelligence concluent immanquablement que le premier signe d’intelligence est un niveau élevé d’habiletés mentales tel que le raisonnement abstrait (Sternberg, 1997)
  • Bertrand Russell, dans ses Essais sceptiques, ironise sur le fait que pour le mouvement behavioriste, la seule mesure d'intelligence acceptable soit... le revenu! Il s'inscrit bien entendu en faux contre cette conception.
  • L’intelligence, conceptualisée en tant que raisonnement abstrait, s’est souvent révélée être un bon prédicteur de la réussite et plus particulièrement de la réussite académique. Mais ce pouvoir de prédiction est loin d'être parfait, laissant une grande partie de la variance inexpliquée. Ainsi, Wechsler (1944, p. 444) disait déjà que des individus aux QI similaires pouvaient différer fortement dans leur capacité à maîtriser leur environnement.

Comment envisager et contourner ce pouvoir de prédiction limité ?

Une première possibilité est de se dire que la vie humaine est naturellement complexe et sujette à la fois à la chance et à des interactions compliquées.

Une deuxième approche peut être de chercher de meilleures façons pour mesurer l’intelligence (ex : Sternberg, 1997). Une troisième manière est d’attribuer les différences de prédictions de la réussite à partir du QI à une combinaison de facteurs «non-intellectuels » tel que les traits de personnalité.

Ces approches sont toutes complémentaires et ont toutes été utilisées à différents degrés d’efficacité afin d’améliorer les prédictions psychologiques de réussite scolaire et professionnelle.

Enfin, une quatrième alternative consiste à redéfinir l’intelligence elle-même comme une combinaison d’habiletés mentales et de traits de personnalités non-intellectuels. Ainsi, Wechsler (1943, p.103) se demandait si le non-intellectuel, c'est-à-dire le conatif et l’affectif, pouvaient être admis en tant que facteurs de l’intelligence générale.

Bien que la plupart (sinon la totalité) des chercheurs dans le domaine de l’intelligence soient d’accord sur le fait que des traits autres que l’intelligence prédisent le succès, beaucoup sont opposés à l’idée que ces autres caractéristiques soient de l’intelligence à proprement parler. Comme mentionné plus haut, il existe une longue tradition théorique qui distingue les habiletés mentales (ex : la cognition) des motivations et des émotions. Selon plusieurs auteurs (Salovey & Mayer, 1994 ; Sternberg, 1997), appeler « intelligence » ces caractéristiques non-intellectuelles obscurcit leur signification. Ainsi, la bonté dans les relations humaines, les habiletés sportives (ex : habileté kinesthésique), et certains talents musicaux ou artistiques ont tous été qualifiés d’intelligence à un moment ou à un autre. Cependant, des auteurs comme Scarr (1989, p.78) attirent notre attention sur le fait que :

Qualifier ces capacités d’intelligence ne rend justice ni aux théories de l’intelligence, ni aux traits de personnalité et autres talents spécifiques qui reposent au-delà des définitions consensuelles de l’intelligence. [TRADUCTION]

Les résultats des recherches empiriques illustrent de façon répétée que les habiletés mentales ne sont généralement pas reliées (ex : absence de corrélation) aux traits de personnalité de manière simple et flagrante (bien que certaines études trouvent des liens plus complexes et plus modestes : voir par exemple, Mayer, Caruso, Zigler, & Dreyden, 1989 ; Sternberg & Ruzgis, 1994).

Certains modèles de l’intelligence émotionnelle que nous verrons plus loin définissent l’IE comme étant un mélange entre des habiletés et d’autres dispositions et traits de personnalité. La motivation principale à procéder de la sorte pour ces théories semble être le désir de faire tenir sous une même étiquette ce qui ressemble en fait à un ensemble de divers éléments qui prédisent la réussite. Cette position est fortement critiquée par Mayer Salovey et Caruso (2000) qui s’interrogent sarcastiquement sur le fait que l’on puisse qualifier la fatigue de « boisson alcoolisée » car tout comme l’alcool, elle provoque des accidents de la route.

Ces précisions faites, nous allons maintenant présenter différents paradigmes théoriques de l’intelligence émotionnelle qui se rattachent chacun à deux grands modèles. D'abord, un modèle dit des « habiletés », dans lequel l'IE apparaît comme une forme pure d’habileté mentale et, par conséquent, comme une intelligence pure. Puis, un modèle mixte, dans lequel l’intelligence émotionnelle est plutôt une combinaison de capacité mentale et de traits de personnalité (Mayer, Salovey, & Caruso, 2000).

Notes et références

  1. Dictionnaire des sciences philosophiques d'Adolphe Franck

Les différents modèles étiquetés « intelligence émotionnelle »

Les modèles de l’intelligence émotionnelle en tant qu’habileté

Peter Salovey et John Mayer qui, rappelons le, ont été les premiers à utiliser l’expression « intelligence émotionnelle » (Salovey et Mayer, 1990) et, comme nous l’avons vu précédemment situe l’IE uniquement à l’intersection des cognitions et des émotions, ont depuis continué leurs recherches sur l’importance de ce concept (Mayer, Salovey, Caruso et Sitarenios, 2003). Ces auteurs soutiennent que les êtres varient dans leur capacité à traiter l’information d’une nature émotionnelle et leur capacité à établir un lien entre ce traitement émotionnel et la cognition générale. Ils posent ensuite l’hypothèse que cette capacité se manifeste dans certains comportements d’adaptation (Mayer, Salovey et Caruso, 2000).


Selon ces auteurs, l’intelligence émotionnelle comporte deux dimensions :

- La dimension expérientielle (la capacité à percevoir et à manipuler l’information émotionnelle ainsi qu’à y réagir sans nécessairement la comprendre);

- La dimension stratégique (la capacité à comprendre et à gérer les émotions sans nécessairement bien percevoir les sentiments ou les éprouver complètement).


Chaque dimension est ensuite divisée en deux branches qui vont des processus psychologiques de base aux processus plus complexes intégrant l’émotion et la cognition. Figure 2. Le modèle à quatre branche de Mayer et Salovey (1997) :

- La première branche, celle de la perception émotionnelle, correspond à l’habilité à être conscient de ses émotions et à exprimer ses émotions et besoins émotionnels correctement aux autres. La perception émotionnelle inclut également la capacité à faire la distinction entre des expressions honnêtes et malhonnêtes des émotions.

- La seconde branche, celle de l’assimilation émotionnelle, renvoie à l’habilité à faire la distinction entre différentes émotions que l’on ressent et à reconnaître celles qui influent sur les processus de pensée.

- La troisième branche, celle de la compréhension émotionnelle, est l’habilité à comprendre des émotions complexes (comme le fait d’éprouver deux émotions en même temps) et celle de reconnaître les transitions d’une émotion à une autre.

- Enfin, la quatrième branche, celle de la gestion des émotions, correspond à l’habilité à vivre ou à abandonner une émotion selon son utilité dans une situation donnée (Mayer et Salovey, 1997).

Les modèles mixtes de l'intelligence émotionnelle

Les modèles mixtes de l'intelligence émotionnelle diffèrent de façon substantielle, des modèles des habilités mentales. En fait, dans les premiers articles académiques sur l’IE, les deux types de modèles ont été proposés (Mayer, Dipaolo, & Salovey, 1990 ; Salovey & Mayer, 1990). Ces articles présentaient une conception « habilité mentale » de l'intelligence émotionnelle mais décrivaient également librement des caractéristiques de personnalité qui pourraient accompagner une telle intelligence tel que l’authenticité, le fait d’être chaleureux, la capacité à faire des plans pour le futur, la persévérance, etc. (Salovey & Mayer, 1990, pp. 199-200). Mais très vite, les mêmes auteurs ont reconnu que leur travail théorique serait plus utile s’ils se contraignaient à envisager l'intelligence émotionnelle comme une habilité mentale et qu'ils la séparaient des traits de personnalité mentionnés précédemment. En faisant cette distinction, il serait possible d'analyser indépendamment le degré d’influence de l’IE dans la vie d’une personne. Bien que les auteurs ne négligent pas l’importance des traits de personnalité comme la chaleur ou la persistance, il vaut mieux, selon eux, s'y intéresser directement. (Mayer & Salovey, 1993, 1997).

Cependant d'autres chercheurs, continuant dans la voie initiale, ont étendu le concept d'intelligence émotionnelle en y mélangeant explicitement des traits n'appartenant pas au domaine des habilités. Nous décrirons ici les deux modèles mixtes majeurs, à savoir : le modèle de Reuven Bar-On et celui de Daniel Goleman.

Le modèle de Bar-On

Directeur de l’Institut des Intelligences Appliquées du Danemark et expert-conseil auprès de nombreuses organisations en Israël, Reuven Bar-On a mis au point une des premières mesures de l’intelligence émotionnelle en utilisant l’expression « quotient émotionnel ». Son modèle gravite autour du potentiel de rendement et de succès, plutôt que du rendement ou du succès comme tels, et est considéré comme étant orienté vers le processus plutôt que vers les résultats (Bar-On, 2002). Il est centré sur une gamme de capacités émotionnelles et sociales, comprenant les capacités à (Bar-On, 1997) :

  • être conscient de soi
  • se comprendre et s’exprimer
  • être conscient des autres, les comprendre et entretenir des rapports avec eux
  • faire face à des émotions fortes,
  • s’adapter au changement et régler des problèmes de nature sociale ou personnelle.

Bar-On justifie comme suit son utilisation du terme intelligence émotionnelle :

[TRADUCTION] L’intelligence décrit l'agrégation d'habilités, de capacités et de compétences [...] qui [...] représente une collection de connaissances utilisées pour faire face à la vie efficacement. L'adjectif émotionnel est employé pour mettre en relief que ce type spécifique d'intelligence diffère de l'intelligence cognitive (Bar-On, 1997, p.15) ».

Dans son modèle, Bar-On distingue cinq composantes de l’intelligence émotionnelle :

  • l’intrapersonnel
  • l’interpersonnel
  • l’adaptabilité
  • la gestion du stress
  • l’humeur générale

Ces composantes comportent des sous-composantes, toutes présentées au tableau 1.

Tableau 1 : Modèle de l’intelligence émotionnelle de Bar-On

Selon Bar-On, l’intelligence émotionnelle se développe avec le temps, et il est possible de l’améliorer par la formation et la thérapie (Bar-On, 2002). Bar-On pose l’hypothèse que les personnes qui ont un QE supérieur à la moyenne réussissent en général mieux à faire face aux exigences et aux pressions de l’environnement. Il ajoute qu’une déficience dans l’intelligence émotionnelle peut empêcher le succès et traduire l’existence de problèmes psychologiques. Par exemple, selon lui, des problèmes d’adaptation au milieu sont particulièrement répandus parmi les personnes qui présentent des déficiences sur les sous-échelles d’épreuve de la réalité, de résolution de problèmes, de tolérance au stress et de contrôle des impulsions.

En général, Bar-On estime que l’intelligence émotionnelle et l’intelligence cognitive contribuent autant l’une que l’autre à l’intelligence générale d’une personne, qui constitue par conséquent une indication de son potentiel de réussir dans la vie (Bar-On, 2002).

Le modèle de Goleman

Daniel Goleman, psychologue et journaliste scientifique qui a écrit des articles au sujet de la recherche sur le cerveau et le comportement pour le New York Times, a découvert les travaux de Salovey et Mayer dans les années 1990. Inspiré par leurs conclusions, il a commencé ses propres recherches dans le domaine et il a fini par écrire L’intelligence émotionnelle (Goleman, 1995a).

Le modèle de Goleman développe quatre concepts principaux.

- Le premier, la conscience de soi, est la capacité à comprendre ses émotions, à reconnaître leur influence à les utiliser pour guider nos décisions.

- Le deuxième concept, la maîtrise de soi, consiste à maîtriser ses émotions et impulsions et à s’adapter à l’évolution de la situation.

- Le troisième concept, celui de la conscience sociale, englobe la capacité à détecter et à comprendre les émotions d’autrui et à y réagir.

- Enfin, la gestion des relations, qui est le quatrième concept, correspond à la capacité à inspirer et à influencer les autres tout en favorisant leur développement et à gérer les conflits (Goleman, 1998).


Goleman inclut un ensemble de compétences émotionnelles correspondant à chacun de ces concepts. Les compétences émotionnelles ne sont pas des talents innés, mais plutôt des capacités apprises qu’il faut développer et perfectionner afin de parvenir à un rendement exceptionnel. Cependant, Goleman pose l’hypothèse selon laquelle nous naissons tous avec une intelligence émotionnelle générale qui détermine notre potentiel à acquérir des compétences à ce niveau. Ces compétences sont organisées en « grappes » ou « groupes de synergie » qui se complètent et se renforcent réciproquement (Boyatzis, Goleman et Rhee, 1999).

Tableau 2 : Compétences de l’intelligence émotionnelle de Goleman (2001)

Goleman reconnaît qu'il est passé de l'intelligence émotionnelle à quelque chose de beaucoup plus large. Il va si loin dans son livre qu'il dit que « il existe un vieux mot pour représenter l'ensemble des compétences liées à l'intelligence émotionnelle : le caractère ». (Goleman, 1995a, p. 285).

Par ailleurs Goleman (1995a, 1998a, b) n’hésite pas à clamer l’extraordinaire pouvoir prédictif de son modèle mixte. Hormis le fait qu’elle favorise la réussite professionnelle et privée, l’auteur dit que l’IE permet aux jeunes d’être moins « rustres », moins agressifs et plus populaires (Goleman, 1995a, p.192). Il va même jusqu'à affirmer qu’elle leur permet de prendre de meilleures décisions en ce qui concerne « les drogues, le tabac et le sexe » (Goleman, 1995a, p.268).

D'une façon plus générale, l'intelligence émotionnelle conférera donc, selon Goleman,

[TRADUCTION] un avantage dans tous les domaines de la vie aussi bien dans les relations affectives et intimes que dans l'appréhension des règles implicites qui régissent la réussite dans les politiques organisationnelles (Goleman, 1995a, p.36).


Voir aussi

Bibliographie

  • Goleman, Daniel. (1997). L’Intelligence émotionnelle: Comment transformer ses émotions en intelligence. Paris: R. Laffont, 421 p.
  • Elias, M.J., Hunter, L., et Kress, J.S. (2001). Emotional Intelligence and Education. Dans: J. Ciarrochi, J.P. Forgas et J.D.
  • Mayer (Eds.) Emotional Intelligence in Everyday Life: A Scientific Inquiry. Philadelphie: Psychology Press, pp. 133-149.
  • Goleman, Daniel. (2005) L'intelligence émotionnelle au travail, Paris, Village mondial
  • Gendron, Bénédicte et Louise Lafortune. (2009), Leadership et compétences émotionnelles dans l'accompagnement au changement, Québec, Presses de l'Université du Québec, 246 p.

Articles connexes

Liens internes

Liens externes

  1. Tendances et difficultés dans le domaine des ressources humaines : L'intelligence émotionnelle (IE) dans le milieu de travail, James Kierstead
  2. Leadership et compétences émotionnelles dans l'accompagnement au changement, Bénédicte Gendron et Louise Lafortune (dir.)(2009)
  3. Émotions, compétences émotionnelles et capital émotionnel, Les Cahiers du Cerfee, n°23, Presses Universitaires de la Méditerranée, ISBN 978-2-84269-796-9, Gendron Bénédicte (dir. 2007)
  4. Le capital émotionnel et genre : ce capital qui fait aussi la différence entre les filles et les garçons à l’école et au travail, Les Cahiers de la Maison des Sciences Economiques, série rouge, n° 76, Paris : Université Panthéon-Sorbonne, Centre d’Economie de la Sorbonne & CEREQ, 26 p., Gendron Bénédicte. (2006)
  5. Why Emotional Capital Matters in Education and in Labour? Toward an Optimal Exploitation of Human Capital and Knowledge Management, in Les Cahiers de la Maison des Sciences Economiques, série rouge, n° 113, Paris : Université Panthéon-Sorbonne, Gendron Bénédicte. (2004)
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