- Stéphane Hénin
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Stéphane Hénin agronome français du XXe siècle est né à Paris le 22 septembre 1910 ; il est décédé le 4 juin 2003 à Moulins (Allier). Savant humaniste il a, grâce à son indépendance et son ouverture d'esprit, renouvelé les bases scientifiques de l'agronomie en France, par sa direction de recherche et son enseignement. Il a su allier des démarches les plus théoriques aux plus pratiques et développer des réflexions épistémologiques sur la production de connaissance. Dans des domaines très variés de la science du sol et de l'agronomie, il a formé de jeunes chercheurs leur donnant généreusement de fructueuses idées pour initier leurs recherches.
Carrière : Le parcours d'un esprit éclairé, entre théorie et pratique
Bien que citadin d'origine, Stéphane Hénin passe son adolescence dans un milieu agricole, puisqu'il fait ses études secondaires à l'école d'agriculture de Crézancy, et intègre plus tard l'École nationale d'agriculture de Grignon dont il sort en juillet 1929 avec le diplôme d'ingénieur agricole. Il se présente au concours de recrutement de l'Institut de la recherche agronomique (IRA) comme élève chercheur stagiaire en physico-chimie. Titularisé, il entre en 1931 au « laboratoire des sols » que vient de créer Albert Demolon à Versailles. Après une première note cosignée avec ce dernier sur la synthèse des agrégats de terre, Stéphane Hénin, sur les conseils de « son patron », s'attache à étudier comment les caractéristiques des agrégats déterminent le comportement des sols. Il analyse les mécanismes de destruction de ces agrégats par l'eau et soutient, en 1938, sa thèse d'ingénieur docteur intitulée « Étude physico-chimique de la stabilité structurale des terres ».
La guerre interrompt ses travaux de recherche en physique du sol, mais pas ses réflexions. En effet, affecté comme officier dans un régiment d'infanterie coloniale au début de la guerre, il est fait prisonnier et se retrouve dans un Oflag, à Münster, où, avec des co-détenus, il échange des idées de philosophie des sciences, autour de Claude Bernard notamment. Ses camarades lui conseillent de rédiger ses réflexions, puis, quand il est libéré en 1943, de prendre contact avec Gaston Bachelard. Avec les conseils de ce dernier, Stéphane Hénin soutient au début de l'année 1944 une thèse de doctorat d'université en philosophie des sciences, intitulée « Essai sur la méthode en agronomie », dans laquelle il s’interroge sur la façon scientifique de produire des connaissances dans un domaine de recherche appliquée, sur des objets complexes, en présence de résultats peu précis. Comment arriver à les interpréter ? Comment mettre en évidence l’explication fondamentale ? Comment prévoir des résultats ?
Son travail philosophique n'interrompt pas ses activités de recherche en physique des sols qu'il poursuit dans plusieurs voies. Le laboratoire des sols de Versailles ayant été détruit pendant la guerre, Stéphane Hénin est accueilli à la chaire de minéralogie du Muséum national d'histoire naturelle dirigé par Jean Orcel où il débute une longue collaboration de recherche avec Simone Caillère sur la genèse des argiles, qu'il aborde par des synthèses expérimentales. Parallèlement, il se demande comment l'étude des agrégats peut expliquer les propriétés physiques des sols dans le contexte nouveau de la modernisation de l'agriculture qui se traduit par le remplacement de la traction animale par la traction mécanique et la dissociation entre culture et élevage, avec comme corollaire l'enfouissement direct des pailles, etc. Il pose alors la question du rôle de la matière organiques sur la stabilité des agrégats.
Albert Demolon ayant pris sa retraite au début de l'année 1945, Stéphane Hénin prend la direction du labo de Versailles ; il poursuit ses recherches à la fois au Muséum sur les argiles avec Roger Guennelon et Suzanne Mériaux et à Versailles. Stéphane Hénin y rassemble, autour de lui, une équipe, constituée d'anciens du labo (René Bétremieux et Lucien Turc) et de nouveaux assistants, d'abord Georges Pédro, puis de jeunes chercheurs en provenance de l'Orstom (Gérard Monnier, Raymond Gras et, plus tard, Jean Concaret), puis Alexandre Féodoroff, rapatrié du Maroc. Tous ces chercheurs passent des thèses sous sa direction. Au cours de cette période Albert Demolon meurt, laissant une place vacante à l'Académie d'Agriculture de France à laquelle est élu Stéphane Hénin en 1955. Il y tiendra une place marquante par ses nombreuses communications empreintes souvent de réflexions épistémologiques, ainsi que l'a souligné Georges Pédro au cours de la séance de l'Académie tenue en sa mémoire le 10 décembre 2003.
La phase précédente de la carrière de Stéphane Hénin aboutit, en 1960, à la publication du « profil cultural » qui fera date en agronomie et servira beaucoup à son enseignement. C'est qu'en effet, juste avant cette publication, Roger Blais, directeur de L'Institut national agronomique, voulant renforcer l'enseignement théorique dans son établissement, ouvre un poste de professeur d'agriculture générale et incite à s'y présenter Stéphane Hénin qui réussit le concours en 1959. C'est l'occasion pour lui de faire une synthèse de ses recherches sur les techniques culturales et de développer un enseignement pour lequel l'ouvrage précédent est un outil précieux. Il recrute très vite trois assistants, Jean-Michel Clément, Michel Sebillotte et Jean-Pierre Deffontaines auxquels il confie des thèmes de recherche tout à fait novateurs.
Pendant ce temps, à Versailles, le laboratoire des sols est divisé en deux : le laboratoire des sols sensu stricto, dirigé par René Bétrémieux et « le laboratoire des techniques culturales », dont Stéphane Hénin garde toujours la direction intellectuelle et dont l'intitulé montre bien sa volonté, à partir de cette époque, de faire des ponts entre théorie et pratique.
Stéphane Hénin revient à l'Inra en 1965 avec la conviction qu'il y ferait mieux avancer l'agronomie qu'en poursuivant son enseignement à l'Institut national agronomique, enseignement que Michel Sebillotte prend alors en charge. La direction du département d'Agronomie lui est, en effet, confiée en 1966, date du XXe anniversaire de l'Inra ; c'est l'occasion pour lui de définir l'agronomie comme « une écologie appliquée à l'amélioration de la production et à l'aménagement du territoire ». Au sein de ce département, il constitue, par thèmes, des groupes de travail pour discuter des orientations à prendre. Avec Jean Mamy et Daniel Maquart, il propose une programmation de la recherche dans laquelle les travaux sur l'environnement se trouvent renforcés.
Stéphane Hénin prend sa retraite en 1974, mais n'en continue pas moins à travailler, mettant ses compétences au service du Ministère de l'Environnement et des Instituts techniques (ITCF notamment). Au sein du Ministère il préside le comité « Sol et déchets solides » et un groupe de travail « Activités agricoles et qualité des eaux » d'où sort, en 1980, un rapport qui fait date (dit "Rapport Hénin") et dont les recommandations ont été à l'origine du Corpen.
Au cours de sa carrière Stéphane Hénin a assumé la présidence de plusieurs associations : le Groupe français des argiles, le comité international pour l'étude des argiles, l’Association française de science du sol et l’Association pour la production fourragère. Au sein de l'Orstom, après avoir été membre du comité technique de pédologie depuis sa création, il crée et préside, en 1960, le Comité Technique d'Agronomie. En 1974, année de sa retraite de l'Inra, il assure la présidence de l'Académie d'Agriculture de France.
Stéphane Hénin laisse une œuvre considérable. Outre ses deux thèses, l'ouvrage écrit avec Simone Caillère sur « La minéralogie des argiles », les deux éditions du « Profil cultural » écrit avec certains de ses collaborateurs du laboratoire des techniques culturales, le « cours de physique des sols » en deux volumes (Orstom), il a produit de très nombreux articles scientifiques, communications, rapports. Mais plus encore, il a marqué les esprits de ses élèves et collaborateurs, des jeunes chercheurs qu'il a formés et des techniciens de l'agriculture. Pour s'en tenir à ce que disait Hubert Curien, alors Ministre de la recherche et de la technologie lors du jubilé de Stéphane Hénin, le 25 septembre 1990, retenons trois domaines où ce dernier a été précurseur, significatifs de l'ampleur du champ couvert : la minéralogie des argiles, l'étude des sols cultivés avec le concept de profil cultural et l'effet des activités agricoles sur les milieux, particulièrement les nappes phréatiques. En associant ainsi recherche fondamentale et finalisée, Stéphane Hénin a été à l'origine d'un renouveau de l'agronomie en France.
Bibliographie
Caillère S. et Hénin S., 1963. Minéralogie des argiles, Paris, Masson. 356 p.
Hénin S. 1976, 1977. Cours de physique du sol, Orstom en 2 tomes, 221 p.
Hénin S., 1999. De la méthode en agronomie, Paris, l'Harmattan, 191 p, édition légèrement revue de la thèse soutenue en 1944.
Hénin S., Féodoroff A., Gras R., Monnier G., 1960. Le profil cultural, principes de physique du sol. Paris, éditions SEIA, 320 p. Réédité sous une version entièrement refondue en 1969 aux éditions Masson, 332 p.
Références
Collectif 1993. Mélanges offerts à Stéphane Hénin. Sol-Agronomie-Environnement jubilé scientifique du 25 septembre 1990; éditions Orstom, Paris, 189 p.
Poupardin D., 1997 Stéphane Hénin, propos recueillis par D. Poupardin, Archorales Inra, les métiers de la recherche, témoignages, tome 1. Editions Inra.
Pédro G., 2004. Stéphane Hénin : un demi siècle au service de l'Académie. Compte-rendus de l'Académie d'Agriculture de France (séance du 10 décembre 2003).
Deffontaines J.P., 2004, Un Hommage à Stéphane Hénin. Fourrages, n°180, 568-569
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