Prédation intraguilde

Prédation intraguilde

La prédation intraguilde est un type d'interaction biologique à mi-chemin entre la compétition (- -) et la prédation (+ -) dans lequel une espèce tue ou dévore une autre espèce qui consomme des ressources similaires aux siennes et souvent limitées. Cette interaction se produit entre membres dune même guilde, une guilde représentant un ensemble dorganismes qui exploitent de manière similaire les mêmes ressources environnementales (nourriture ou espace)[1].

Ce concept se distingue de la compétition par le gain énergétique immédiat que le prédateur obtient en mangeant la proie intraguilde et de la prédation classique par le fait que cet acte réduit une possible compétition. De plus, ses impacts sur la dynamique des populations sont beaucoup plus complexes que la compétition ou la prédation pris à eux seuls[1].

Sommaire

Acteurs

Dans cet exemple, le puceron est la proie extraguilde de la Coccinelle et de la Punaise. Ces deux espèces entrent également dans une interaction de type prédation intraguilde puisque la coccinelle est aussi le prédateur intraguilde de la punaise, sa proie intraguilde.

On distingue, dans la prédation intraguilde, trois acteurs importants ; le prédateur intraguilde, la proie intraguilde et la proie extraguilde. Ainsi, la prédation intraguilde se produit lorsque deux espèces prédatrices compétitionnent pour une même proie (proie extraguilde) et que lune dentre elles (prédateur intaguilde) se nourrit également de lespèce prédatrice compétitrice (proie intraguilde)[1],[2].

Relation entre les acteurs

La prédation intraguilde peut être symétrique (bidirectionnelle) ou asymétrique (unidirectionnelle). Elle est qualifiée de symétrique lorsque les deux espèces à lintérieur de la guilde peuvent jouer à la fois le rôle de prédateur ou de proie, selon les circonstances. Elle est dite asymétrique lorsque inévitablement, lune des deux espèces de la guilde a un rôle de prédateur et lautre de proie[1].

Si lespèce A est parfois le prédateur de lespèce B et quà dautres moments, lespèce B est le prédateur de lespèce A, la relation est symétrique.

Si lespèce A est toujours le prédateur de lespèce B, la relation est asymétrique.

Distribution taxonomique

La prédation intraguilde est largement répandue dans toutes les communautés et au sein de plusieurs groupes taxonomiques[1],[2]. Une étude a démontré que la prédation intraguilde atteint, dans la nature, une fréquence de 58,4% à 86,7%[3]. En plus dêtre largement répandue, elle implique des espèces de tous les groupes des différents niveaux trophiques, soit des espèces carnivores, omnivores, herbivores et détritivores de la chaîne alimentaire. Toutefois, cette interaction est répartie inégalement à travers les différents niveaux trophiques et dautres études sont nécessaires pour mieux comprendre ces modèles[3].

Il existe plusieurs restrictions qui font de sorte que ce nest pas toutes les espèces qui peuvent se livrer à ce type dinteraction. Pour être une proie intraguilde, par exemple, lespèce doit avoir au moins une proie et un prédateur, ce qui implique que seuls les organismes intermédiaires peuvent être des proies intraguildes. Dans le même ordre didées, pour être un prédateur intraguilde, un organisme doit manger plus dune seule proie parce quautrement, il ne pourrait partager une proie avec sa proie[3].

Types de prédation intraguilde

La prédation intraguilde, en plus de proposer une source alimentaire supplémentaire au prédateur intraguilde, réduit la compétition et les risques de prédation. Ainsi, le fait déliminer un compétiteur ou un prédateur potentiel fait en sorte que la consommation de la proie est parfois optionnelle[4]. Dans cette optique, Éric Lucas[5] propose quatre types de prédation intraguilde :

  1. La prédation intraguilde protectrice: Le prédateur tue la proie intraguilde en appréhension dune période plus difficile. Dans ce cas-ci la consommation de la proie est optionnelle.
  2. La prédation intraguilde compétitive: Le prédateur tue la proie intraguilde dans le but de supprimer un compétiteur. Dans ce cas-ci la consommation de la proie est optionnelle.
  3. La prédation intraguilde nutritionnelle: La proie intraguilde a une valeur nutritive supérieure à la proie extraguilde.
  4. La prédation intraguilde opportuniste: Le prédateur choisit sa proie en fonction de sa taille et non selon la guilde ou le niveau trophique à laquelle elle appartient.

Caractéristiques influençant la prédation intraguilde

La prédation intraguilde est influencée par plusieurs facteurs qui modifieront sa fréquence et sa direction. Ainsi, en plus des attributs biologiques et des caractéristiques liés aux organismes, dautres éléments viennent agir sur la prédation intraguilde et ce, même au sein dun groupe dindividus. Parmi les différents facteurs qui influencent la prédation intraguilde, il y a : « le stade de développement des organismes, leur spécialisation alimentaire, le degré de satiété et la stratégie de prédation du prédateur, la densité des acteurs, la présence dune proie extraguilde alternative ainsi que le mode de distribution et les stratégies défensives des proies extraguildes[4] ».

La spécialisation alimentaire

Pour jouer le rôle de prédateur intraguilde, lespèce doit être suffisamment polyphage pour pouvoir inclure plusieurs aliments dans sa diète. Elle implique donc des prédateurs généralistes plutôt que spécialistes.

La taille relative

Dans plusieurs cas, la taille relative de ladversaire détermine lissue de linteraction, avec les plus larges individus qui sattaquent aux plus petits. Une plus grande taille est souvent synonyme de mécanismes de défenses plus performants et de plus de vigueur[1],[2].

Les stades de développement des proies

Les différents stades de développement des proies intraguildes peuvent avoir une influence sur ce type dinteraction de deux façons. Premièrement, ils ont un rôle à jouer sur les capacités défensives des espèces. Les stades de développement peuvent influencer lexpérience, les facultés visuelles ainsi que la vitesse de réaction des espèces, ce qui pourrait les rendre plus vulnérables[6].

Deuxièmement, certains prédateurs sélectionnent leurs proies davantage selon leur taille quen fonction de leur niveau trophique. Dans cette situation, la structure dâge des proies intraguildes peut avoir un impact considérable sur la prédation intraguilde, puisquelle peut être favorisée par les changements dans la taille des individus lors de leur développement. Ainsi, lorsque certaines espèces ont des stades de développement définis, la taille des juvéniles peut, à un certain moment, être semblable à celle de la proie habituelle, ce qui favorisera ce type dinteraction[6],[4].

Labondance des proies

La prédation intraguilde peut être influencée par labondance des proies. Elle augmente parfois avec la diminution dans labondance des proies extraguildes. Cette augmentation peut être passive, soit simplement en raison dun plus grand nombre de proie intraguildes comparativement aux proies extraguildes, ou impliquer des changements actifs de comportements. Les prédateurs affamés peuvent élargir leur diète en incluant des membres de leur guilde[7].

Selon Lucas et al.[7], quatre scénarios sont envisageables en ce qui concerne le rapport entre la densité des proies et le taux de prédation intraguilde :

  1. La prédation intraguilde demeure stable, peu importe la densité de proies extraguildes.
  2. La prédation intraguilde réagit à lintroduction de proies extraguildes en diminuant de façon exponentielle.
  3. La prédation intraguilde peut diminuer de façon proportionnelle à laugmentation de la densité de proies extraguildes.
  4. La prédation intraguilde demeure invariable et importante à de faibles densités de proies extraguildes, mais diminue à de très grandes densités de ces proies.

Les caractéristiques de lenvironnement

Les caractéristiques de lenvironnement peuvent avoir un impact considérable à la fois sur le succès et sur lintensité de ce type dinteraction[4]. En laboratoire, par exemple, la taille du territoire modifie la fréquence de la prédation intraguilde ; les petits espaces engendrent un plus haut niveau dinteraction de ce type que les plus vastes. Certaines activités humaines, comme lutilisation de fertilisants, la lutte biologique ou laménagement du territoire, peuvent favoriser ou entraver les interactions de ce type entre les espèces prédatrices.

Les caractéristiques de la plante hôte peuvent aussi influencer la fréquence de la prédation intraguilde. Une plante hôte dont la structure est complexe peut freiner cette prédation en offrant un refuge idéal pour la proie intraguilde. Dautres éléments comme la densité des trichomes peuvent entraver la capacité de dispersion des organismes. Certaines études ont démontré quune végétation dont la structure est complexe favoriserait la coexistence entre les espèces dune même guilde en accroissant le nombre dabris disponibles, ce qui diminuerait la prédation intraguilde[5].

Implications écologiques et effets sur la dynamique des populations

La prédation intraguilde est importante puisquelle affecte de façon significative la distribution, labondance et lévolution de plusieurs espèces[1]. Elle a des implications multiples au niveau des individus, des populations et des communautés[1],[8].

Tout dabord, au niveau individuel, elle diminue la compétition en plus de fournir un apport énergétique au prédateur[1]. La prédation intraguilde favorise également la dispersion des espèces concernées car la proie intraguilde choisira un cadre spatio-temporel différent du prédateur intraguilde[9]. Cet endroit, bien quil soit probablement moins productif, sera plus sécuritaire pour la proie intraguilde[8].

Au niveau de la population, ce type dinteraction a des effets tant sur le prédateur intraguilde que sur la proie intraguilde ainsi que sur la proie extraguilde. Le prédateur intraguilde peut, par exemple, contribuer à la diminution de la population de la proie intraguilde et même mener à son extinction[1]. En réponse à cette interaction, la proie intraguilde peut développer différentes stratégies défensives[8].

Cette interaction biologique a aussi un impact marqué sur la structure des communautés, bien quil soit extrêmement complexe de connaître la totalité des effets directs et indirects quelle cause[2]. Selon les modèles théoriques, la prédation intraguilde peut mener à trois possibilités : la coexistence, lextinction ou des états stables alternatifs[10].

Finalement, la prédation intraguilde peut avoir des conséquences sur les phénomènes de cascades trophiques. Par exemple, dans une communauté ayant des liens verticaux plutôt étroits, l'amplification de labondance dun prédateur supérieur de 3ième niveau peut engendrer une baisse dans labondance dun prédateur de 2ième niveau ce qui, par effet de cascade trophique provoque une augmentation du consommateur de 1er niveau[8].

La prédation Intraguilde en lutte biologique

La prédation intraguilde est un élément important à considérer en lutte biologique car elle peut avoir des impacts considérables sur la pratique[6]. Elle peut générer une multitude deffets indirects sur les espèces qui laccompagnent, ce qui peut être tributaire du succès ou de léchec dun programme de lutte biologique[8].

Dans la figure, le graphique A représente la lutte biologique, qui consiste à utiliser un ou des auxiliaires pour contrôler un ravageur. Dans limage B, deux auxiliaires sont utilisés pour contrôler le ravageur, mais ces auxiliaires entrent également dans une interaction de type prédation intraguilde, ce qui peut limiter le contrôle du ravageur et par conséquent, influencer sur la réussite dun programme de lutte biologique. Limage C représente également un exemple de lutte biologique la prédation intraguilde influence la pratique, mais dans ce cas-ci, la prédation intraguilde a lieu entre les ravageurs.

Trois principaux scénarios sont à considérer lorsque des agents sont relâchés dans le cadre dun programme de lutte biologique[1] : il se peut que les agents relâchés sattaquent entre eux[8], il se peut également que lagent relâché sattaque aux ennemis naturels indigènes et finalement[2], il est possible que les ennemis naturels indigènes sattaquent à lagent relâché[11],[12],[6].

La prédation intraguilde est souvent perçue comme un élément négatif à la lutte biologique[12], mais elle peut parfois savérer utile[8],[13]. Effectivement, dans un bon programme de lutte biologique, il est préférable que linteraction entre lagent de contrôle et la proie se poursuive au fil des ans et quun équilibre sétablisse entre les deux. Si lagent de contrôle est la proie intraguilde dun prédateur intraguilde, ce prédateur peut favoriser la stabilisation de la population de lagent de contrôle. Ainsi, en contrôlant à la fois le ravageur et lagent de contrôle, cette interaction peut être la cause de la réussite dun programme de lutte biologique[8]. Toutefois, il est très complexe de définir dans quelles conditions cette interaction a un effet stabilisateur sur la structure des communautés[13].

Le cas du puceron du coton est un bon exemple pour rappeler limportance de considérer la prédation intraguilde en lutte biologique. En 1993, un programme de lutte biologique a été mis sur pied en vue de contrôler le puceron Aphis Gossypii communément appelé le puceron du coton. Cest la chrysope prédatrice Chrysoperla carnea quon relâcha massivement dans les champs de coton américain afin de contrôler le ravageur. Toutefois, malgré des expériences en laboratoire prometteuses, le programme a eu un très faible impact sur les populations de pucerons[7]. Cet insuccès a été attribué aux prédateurs indigènes des pucerons, comme les punaises et les coccinelles, qui sattaquaient à lespèce prédatrice introduite Chrysoperla carnea. Linteraction entre ces espèces est de type prédation intraguilde puisquelles ont toutes comme proie le puceron du coton, en plus de sattaquer entre elles. Dans ce cas-ci, la prédation intraguilde a empêché lennemi naturel de contrôler le ravageur[8].

Origine du concept

La relation entre les communautés naturelles a longtemps été observée selon le modèle de la pyramide trophique. Cette vision verticale de la chaîne alimentaire mettait laccent sur les interactions entre les différents niveaux trophiques, sans trop se soucier des relations à lintérieur dun même niveau trophique[8]. Cette représentation a par la suite été mise de côté pour laisser place à un modèle qui met de lavant les liens complexes, aussi bien verticaux quhorizontaux, entre les différents niveaux trophiques. Cest ce changement de représentation qui a permis de considérer certaines interactions complexes comme la prédation intraguilde[1].

Malgré le fait que ce sujet fut abordé en 1975 par Fox dans son article Cannibalism in natural populations, cest seulement en 1989, dans un document intitulé The ecology and evolution of intraguild predation : potential competitors that eat each other, publié par Polis et al. que le concept, avec ses fondements théoriques, fut élaboré[1]. Dans cet article, les auteurs ont démontré que la prédation intraguilde est une interaction taxonomique très répandue dans les communautés, quelle peut seffectuer à plusieurs niveaux trophiques et quelle a le potentiel daffecter la distribution, labondance et lévolution des espèces impliquées.

Depuis la parution de cet article, le concept a été poussé plus loin, bien que les bases reposent toujours sur la vision de Polis et al. 1989[3]. Les différentes études qui ont vu le jour depuis et qui se sont intéressées à ce type dinteraction ont apporté dautres éléments visant à mieux comprendre les enjeux liés à la prédation intraguilde. Certaines études ont également permis une meilleure application de ce concept dans les différentes pratiques en sciences biologiques.

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Notes et références

  1. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l et m Polis, G. A., Myers, C. A., Holt, R. D.(1989)., « The ecology and evolution of intraguild predation : Potential competitors that eat each other. », Annual Review of Ecology and Systematics 20: 297-330
  2. a, b, c, d et e Polis, G. A., Holt, R. D. (1992)., « Intraguild predation : the dynamics of complex trophic interactions. », Trends in Ecology and Evolution 7 : 151-154.
  3. a, b, c et d Arim, M., Marquet, A. (2004). Intraguild predation : a widespread interaction related to species biology. Ecology Letters 7 : 557-564.
  4. a, b, c et d Voynaud, L. (2008). Prédation intraguilde entre prédateurs actif et furtif au sein dune guilde aphidiphage. Mémoire présenté comme exigence partielle de la maîtrise en biologie. Université du Québec à Montréal.
  5. a et b Lucas, E. (2005). Intraguild predation among aphidophagous predators. European Journal of Entomology 102 : 351-364.
  6. a, b, c et d Rosenheim, J. A., Kaya, H. K., Ehler, L.E., Marois, J. J., Jaffee, B. A. (1995). Intraguild predation among biological control agents : theory and evidence. Biological Control 5 : 303-335.
  7. a, b et c Lucas, É., Coderre, D., Brodeur, J. (1998). Intraguild predation among aphid predators : characterization and influence of extraguild prey density. Ecology 73 : 1084-1092.
  8. a, b, c, d, e, f, g, h, i et j Lucas, E. (2001). Prédation intraguilde et lutte biologique. Vertigo Volume 2, No. 2 : 1-8.
  9. Moran, M. D., Hurd, L. E. (1994). Short-term responses to elevated predator densities : noncompetitive intraguild interactions and behavior. Oecologia 98 : 269-273.
  10. Holt, R. D., Polis, G. A. (1997). A theretical framework for intraguild predation. Am. Nat 149: 745-764.
  11. Rosenheim, J. A., Wilhoit, R. (1993). Why lacewings may fail to suppress aphids ? Predators that eat other predators disrupt cotton aphid control. California Agriculture September-October : 7-9.
  12. a et b Rosenheim, J. A., Wilhoit, R. (1993)., « Influence of intraguild predation among generalist insect predators on the suppression of an herbivore population. », Oecologia 96 : 439-449
  13. a et b Müller, C. B., Brodeur, J. (2002). Intraguild predation in biological control and conservation biology. Biological Control 25 : 216-223.

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Prédation intraguilde de Wikipédia en français (auteurs)

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