- La prise de risque
-
Le champ de la prise de risque est un champ vaste et relativement récent puisqu’il apparait dans les publications à la fin du XXe siècle. Il s’agit donc d’une notion en plein essor et encore différemment comprise selon les auteurs. C'est une composante de la psychologie du risque, difficile à étudier indépendamment du champ plus général de la psychologie du travail. De plus la prise de risque est régie par différents facteurs contrôlables (comme le matériel, la formation…) ou incontrôlables (comme les facteurs humains). Il est donc nécessaire, afin de pallier, dans la mesure du possible, la prise de risque, de pouvoir bien la comprendre, la cibler, la dépister, l’analyser, etc.
Dans la Psychologie du risque[1] (Kouabenan et al.) il est dit que la prise de risque peut être consciente ou non. Ell est plus couramment définie comme intentionnelle ou non-intentionnelle même si de nombreux auteurs s'accordent sur le fait qu'une prise de risque est, par définition, un comportement conscient.
L'article présente la prise de risque selon différentes approches: une approche américaine, une approche psycho dynamique, une approche interdisciplinaire et enfin une approche dite « sociale » dans le sens où elle s’intéresse plus au groupe et moins aux particularités interindividuelles. Ces approches permettent, dans l’ordre, de comprendre ce qu’est la prise de risque et les mécanismes internes qui la régissent (approche américaine, psycho dynamique et interdisciplinaire), et elles permettent de mieux comprendre comment éviter un tel comportement grâce, notamment, à la mise en œuvre de campagnes de sensibilisation (approche "sociale").
Il est utile de définir succinctement la prise de risque comme un écart entre un comportement attendu et un comportement observé. Prendre un risque c’est sortir du prescrit ou le modifier en en supprimant ainsi les consignes de sécurité qui lui étaient attachées. Il y a mise en danger.
Sommaire
Une approche américaine
- MILLER & MULLIGAN, “Terror management: the effects of mortality salience and locus of control on risk-taking behaviors”, Personality & individual differences, vol. XXXIII, n°7, novembre 2002[2].
• Les personnes se contrôlant par renforcement interne pensent que ce qui leur arrive dépend d’elles et prennent donc moins de risques. En somme il s'agit ici de se dire que chacune de nos actions dépend de nous.
• Les personnes se contrôlant par renforcement externe pensent que ce qui leur arrive dépend du hasard, elles prennent donc des risques (afin de se prouver qu’elles ont de la chance). En somme il s'agit de dire que chacune de nos actions dépend d'une instance extérieure à nous (voir également "La psychologie du risque" par KOUABENAN et al. sur les pratiques fatalistes, mystiques et religieuses).
Critique: il s’agit là d’une étude américaine, empreinte d’un mode de fonctionnement différent. On sait en effet que le concept de risque varie d’un pays à un autre selon différents critères socio-culturaux. Cependant cette dimension-ci est intéressante dans le sens où elle apparaît également dans le résultats de certaines études françaises.
Une approche psycho dynamique
• Dans la prise de risques il y a conscience du danger. Il s’agit donc de tenir tête au travail, de s’y extraire pour se prouver qu’on peut échapper au danger. Ainsi, en prenant des risques, on devient acteur de la situation au lieu de la subir. • Notion de conduite contra-phobique (l’individu va au devant du danger, source de sa peur, et l’affronte. Il y a dénégation du danger lors de l’affrontement ⇒ "suicide inconscient"). Notion « d’idéologie défensive de métier » : lutter contre la peur engendrée par une situation dangereuse en prenant le risque inconscient de surmonter ce danger (attitude contra-phobique). Les consignes de sécurité activent la peur et sont donc inhibées (en les tournant en dérisions notamment).
Le résumé schématisé ci-dessous éclaire cette approche:
L ’« idéologie défensive de métier » (DEJOURS, C.)
D’une manière générale :Situation Dangereuse + consignes de sécurité ⇒ peur ⇒ comportement
Quand il y a prise de risque :
(Situation Dangereuse + consignes de sécurité) ⇒ peur ⇒ affrontement (= suicide inconscient)
Un exemple de mise en situation :Situation : un opérateur travaille tandis que derrière lui fonctionne une presse automatisée qui aplatit des blocs de matière qui avancent sur un tapis roulant. Situation modifiée : un des blocs qui s’apprête à passer sous la presse ne se met pas bien droit. Prise de risque : l’opérateur le voit et le remet droit pile au moment où le bloc passe sous la presse.
D’une manière générale :Situation dangereuse + consignes de sécurité : la presse peut écraser les mains + il faut arrêter la machine avant de pouvoir placer ses mains dessous. Peur : se faire mal. Comportement : arrêter la machine pour pouvoir placer ses mains dessous.
Quand il y a prise de risque :
(Situation dangereuse) + (consignes de sécurité) : (la presse peut écraser les mains) + (il faut arrêter la machine avant de pouvoir placer ses mains dessous). Peur : se faire mal. Affrontement : placer les mains sous la machine sans l’avoir arrêtée avant (= suicide inconscient).
Critique : il s’agit là d’une approche psychanalytique de la prise de risques. Comme beaucoup d’approches psychanalytiques elle n’apporte pas de préconisation particulière mais une explication générale possible du phénomène de prise de risque dans le travail. Toutes déductions étant le fruit d'un travail personnel sur la base de l'interprétation de ces données-ci.Une approche pluridisciplinaire
- Cours de « Connaissances, méthodes et pratiques du travail », Anne PIGNAULT, la charge mentale.
• Dans les caractéristiques de la charge mentale, on trouve des conséquences de cette charge sur l’opérateur (notamment de la fatigue et d’autres atteintes plus ou moins durables sur la santé) ainsi que sur la tâche (telles que des erreurs pouvant amener à des incidents, des défauts et des accidents). Il s’agit ici d’une prise de risques involontaires (inconsciente). Cela reste un critère de déduction d’observations.
Critique : ici, il ne s’agit pas de prise de risque car l’opérateur ne prend pas de risques : il est inconscient de ses actions car soumis à la fatigue, etc. Cela le pousse à avoir une vigilance moindre ou moins bonne que d’habitude.
- Cours de « Développement de l’enfant et de l’adolescent », Isabelle SAGE, l’égocentrisme piagétien.
• Dans le développement psychologique d’un individu, on trouve, à l’adolescence, deux principes de l’égocentrisme : l’audience imaginaire et la fable personnelle. Cette dernière confère à l’individu un sentiment d’immortalité et de singularité prononcée (« je suis complètement différent d’autrui ») le poussant à effectuer des actions dangereuses, pensant que ce qui arrive aux autres ne peut pas lui arriver à lui (d’où la délinquance juvénile ou la prise de substances néfastes). La question est : une telle instance cognitive peut-elle être encore présente et mise en jeu chez l’adulte ? Ainsi la fable personnelle pourrait être une des raisons pour lesquelles un individu prend des risques, ne pouvant inhiber le fait qu’il ne peut rien lui. Selon Géraldine ESPIAU, professeure en Psychologie du développement, « il est effectivement possible qu'un adulte soit encore soumis à la fable personnelle et qu'il croit effectivement que rien ne peut lui arriver à lui. Il s'agit de la surestimation de ses compétences à faire face au risque/danger ».
Pour les auteurs de « La Psychologie du Risque », on parlerait d’« illusions positives » (illusion de contrôle, biais de supériorité, sur-confiance, optimisme irréaliste ou illusion d’invulnérabilité). Il est dit que « ces différentes illusions conduisent généralement à une sous-évaluation des risques pour soi ». « Illusion de l’expérience » : tant qu’on n’a pas vécu un évènement fâcheux, on se croit à l’abri de tout.
Une approche sociale (en psychologie du travail)
- Prise de risques, « dérives » et autres imprudences, MONTEAU (chercheur en accidentologie, responsable du laboratoire de gestion de la sécurité à l’INRS), 1997.
Près de 90 % des accidents trouvent leur origine dans le comportement des gens plutôt que dans les conditions dans lesquelles ils travaillent ou dans les matériaux ou matériels qu'ils utilisent.
• La définir : On parle d’une prise de risques intentionnelle lorsqu’il y a : 1) Reconnaissance du caractère inhabituel ou modifié de la situation. 2) Perception d’une modification en termes de sécurité, de perte de confiance… 3) Existence d’alternatives mobilisables. 4) Choix d’une solution réputée plus dangereuse. Notion de dérive (comportement s’écartant de la prescription préalable)
• La situer : La prise de risque se manifeste plus fréquemment dans les tâches annexes et les situations de récupération d’un problème qu'au cours de l'activité principale. • La comprendre : Importance des caractéristiques individuelles : imprévisibilité de l’individu dans ses actes (sans sonder constamment la personne, on ne peut prévoir ses comportements). • L’anticiper : Importance de rappeler couramment les risques possibles (la prévention consiste en un rappel à la conscience).
-Importance de la façon de formuler une directive (processus d’influence plus ou moins implicite). -Importance aussi de la personne qui adresse les règles. -Importance de souligner l’inintérêt de la prise de risque et de préciser que le gain (temps/effort) n’en vaut pas la peine
Sur la règle, la consigne : on sait qu’elle a ses limites, elle ne palie pas tout car elle ne prévoit pas tout. Plus une consigne est précise, plus elle peut être respectée mais spécifier une consigne signifie en accroître le nombre (modèle du cercle vicieux).
L’information : La réception est un moment crucial dans son intégration par la personne. Par rapport aux brochures d’informations, il est important qu’elles soient validées par les principaux intéressés (importance de l’étude sur le terrain).
En contrôlant les conséquences (grâce à la prévention), la prise de risque n’en devient plus une.
Cette image montre bien qu'on a controler les conséquences d'une prise de risque si du bois venait à se coincer dans la scie et que l'opérateur était tenté, sans éteindre la machine, de tenir la scie d'une main, le bois de l'autre se mettant en danger si la scie reprenait d'un coup son activité. Grâce au capot protecteur, l'opérateur peut, en cas de blocage de la scie par un morceau de bois, tenir le capot d'une main, le bois de l'autre et tirer sans que les conséquences, en cas de reprise d'activité de la scie circulaire, ne soit préjudiciable pour l'employé. Ainsi la prise de risque n'en est plus une.
Ce qu’on sait de la campagne de prévention : - les slogans généraux (prudence, danger...) sont pratiquement sans effet. - une campagne doit avoir un objectif clair et un message spécifique. - les instructions (comment faire) sont toujours préférables aux interdictions. - il faut un endroit où le matériel nécessaire (lunettes, gants...) est exposé (photos et/ou liste). - la campagne doit être attractive… Une fois de plus, importance de réaliser de telles préventions en collaboration avec les intéressé(e)s.- Kurt Lewin (1943) : il est plus facile de modifier les habitudes d’un groupe (caractère public de l’engagement et liberté d’action : « vous êtes libre de…») que celles d’individus isolés ; cependant le groupe doit être restreint, la communication de masse ayant ses limites. Une discussion (quelque chose élaborée en commun) est plus fructueuse (modification des habitudes et réduction de la résistance au changement) qu’un simple exposé. Lorsque les décisions ont été prises en groupe, les intéressés persévèrent dans leur décision (d'où une modification de comportement) non pas à cause des raisons qui leur ont été fournies mais du fait de l'acte d'engagement lui-même.
- Jean-Léon Beauvois (1988) : ne pas chercher à persuader mais chercher des stratégies pour obtenir des actes.
Induire un changement comportemental : techniques de « soumission sans pression » (ou manipulation). Technique du « pied-dans-la-porte » (Jean-Léon Beauvois & Robert-Vincent Joule) consistant à demander beaucoup pour ensuite demander ce qu'on attendait au départ (participation à une courte réunion d'information "qui n'engage à rien", puis à un groupe de travail ayant une mission précise, par exemple). Il est à noter que de telles techniques de manipulation ne peuvent se répéter indéfiniment sur une même personne.
Références
Wikimedia Foundation. 2010.