Yusuf Kadel

Yusuf Kadel

Yusuf Kadel est un poète et dramaturge mauricien, né le 5 décembre 1970 à Beau-Bassin (Île Maurice). Son œuvre suggère, par des paroles épurées et empreintes d'une forte spiritualité, une vision très personnelle de la condition humaine.



À propos de Surenchairs :

(par le Dr Norbert Louis, de l'Université de Maurice)


Après quelques pièces de théâtre (Un septembre noir, 1990, Bagdad Blues, 1995...), Surenchairs, ouvrage réunissant des poèmes rédigés entre 1992 et 1997, est probablement le recueil qui marque une étape décisive dans le parcours poétique de Yusuf Kadel. Le surgissement de ce jeune dramaturge et poète dans la littérature mauricienne permet de dégager des accents particuliers. Sa pratique poétique revêt un caractère très spirituel. Surenchairs évoque tant la difficulté que le désir de vivre malgré une mort apparente : " Accrochée / à chaque battement de paupières / la mort nous fait de l'œil ". De l'exaltation des sens à la recherche éperdue d'instants de fuite heureuse, l'œuvre poétique de Y. Kadel a connu une évolution douloureuse.

Le point de départ de cette œuvre est le constat de la nuit de l'être : " Le soleil au lever / brille de bien sombres promesses / A l'aube trouble / préférons le zénith irradiant / ou la franche nostalgie du couchant ". La lumière et l'ombre se répondent dans la douleur d'un manque, d'une faute : " Heureux / Qui ne connaissant / Son Forfait / Ignore de même / Sa bien triste / Raison d'être ". Si le poème de Yusuf Kadel ne masque en rien le déchirement qu'entraîne la recherche de son être, sa voix ne cessera d'évoquer une possible réparation : " - Naissez Et expiez ! -". L'expiation ou la conversion résident dans le dépassement de la chair. Cette chair qui habite de manière audacieuse les premiers vers du recueil et dont il ne faut pas occulter le poids spécifique : " Paris en juin / Est une grâce en émoi / Et je la contemple extasié / Du haut du mamelon / En érection de son sein droit ", " Mamelon naissant me tétant les dents ". Les audaces lexicales et prosodiques du poète ne sont cependant pas gratuites. Elles contribuent à l'harmonie poétique et à stimuler l'imaginaire du lecteur. Pour Kadel, l'important c'est la mise en perspective des émotions ; Paris est une femme qu'il révère. Il appelle constamment à une poésie dont les effets passent par les sens et les sons et entend aller jusqu'au bout de sa conception.

Le vers de Yusuf Kadel frappe par sa puissance. Le poète fuit les rimes artificielles et préfère stimuler l'imaginaire du lecteur par les sonorités (ses premières émotions poétiques se rattachent à la mémoire des sourates récitées). D'où un vers dense et concis qui traduit nerveusement la sensation : " Horizon convulsé / Ciel révulsé / Astres vacillés / Reflets hallucinés … Univers grimacé de ma douleur ".

Yusuf Kadel médite volontiers sur la chair, la mort, sur l'infini, sur le temps. Ses images appartiennent aux espaces cosmiques et à la féminité.

Sa parentèle, il la situe du côté des surréalistes français. Il avoue également ce qui le rattache aux formes de pensée chères à Robert-Edward Hart et Malcom de Chazal (en particulier dans l'ironie incisive de ses aphorismes). Cependant, ce jeune poète dédaigne les influences et manifeste une grande indépendance vis-à-vis des courants littéraires en cherchant une voie personnelle. Le langage poétique de Kadel cherche à mettre à nu le mystère de l'être et du monde. Ce mystère où lui-même se heurte constamment. Mais, pour qui veut exhausser la chair et faire émerger l'espoir, l'exercice de la poésie est nécessaire.

Surenchairs demeure le lieu d'achoppement d'une recherche esthétique et existentielle.



À propos de Soluble dans l’œil :

(par Shenaz Patel)


Lire ce recueil de Yusuf Kadel, c’est s’immerger dans une expérience sensorielle particulière. Au fil des pages, comme venu de très loin, de l’autre versant de soi-même, l’écho d’une sensation, diffuse, étrange, approchée lorsqu’on en vient à poser, doucement, ses mains sur ses paupières.

Un monde, alors, se réveille.

Dans ce calme apparent, ténèbres fragmentées de lumières, qui brouillent les contours, implosent les formes, confondent ombres et lueurs, redessinent courbes, paysages.

Comme un cachet effervescent jeté dans un verre d’eau.

Comme si, oui, tout devenait soluble dans l’œil…


Dix ans exactement après son remarqué premier recueil, Surenchairs, publié à l’île Maurice en 1999, Yusuf Kadel, (qui a entre temps nourri le lien à travers la revue de création contemporaine Point barre qu’il anime avec d’autres poètes mauriciens) nous offre ce nouvel ouvrage.

On l’y reconnaît.

On l’y découvre.

La brièveté est toujours là, fidèle, efficace.

Dans une forme qui n’est pas sans rappeler ici les haïkus japonais, là les aphorismes chers à Chazal, le poète livre de petites pièces ciselées, rythmes et sonorités soigneusement polis, galets dont la scansion ricoche, accroche, retient. La densité des images notée dans Surenchairs a ici laissé place à quelque chose d’à la fois plus pointu et plus aéré. Dans l’espace ainsi ouvert, chaque caillou lancé laisse derrière lui de larges ondes concentriques, suscitant, au creux du lecteur, des vibrations contemplatives (de réminiscences et d’étonnement mêlés). De l’art de condenser, non pour figer mais au contraire révéler. Comme du bonheur la transparence.

Et si le je, dans sa maturation, est passé à un nous plus global, c’est peut-être pour mieux dire un monde à hauteur d’homme. Un monde où la verticalité du regard délaisse la tension de l’ascendance vers le divin, (omniprésente dans Surenchairs mais aussi dans Un septembre noir, prix Jean Fanchette du Théâtre en 1994) pour épouser la courbe, descendante, vers le profond de soi. Paupières relâchées, nerfs de l’œil débandés, regard assez détendu pour tenter de voir, enfin, voir vraiment, voir, autrement.

Voir, de la condition humaine, l’implacable étroitesse.

Parce que regard qui fige et fait rougir, jusqu’au sang.

Parce qu’étau de la mémoire, des souvenirs.

Parce que mirages, même, ont « sourire exigu ».

Parce que l’incontournable géométrie régissant le triangle de la vie jusqu’à la tombe.

Pas de pathos ou de pesante gravité, toutefois. Chez Yusuf Kadel aujourd’hui, l’œil intérieur n’est pas, comme chez Caïn, vecteur de jugement et de culpabilité. Loth aura beau dissuader de se retourner. Bienvenu le grain de sel qui fait cligner l’œil, l’ouvre sur le désert en lieu et place d’un tiède paradis où l’on « se cuite au tilleul ».

Avec cet autre regard, par lui, estomper les balises des chemins tout tracés, débusquer les arbres qui se cachent dans la forêt, avancer à contre-courant, à contre-soi, redécouvrir notre part liquide, mouvante. «Désériger » le monde pour mieux le reconstruire, à sa fantaisie. De la fumée retrouver la légèreté.

Alors le vent, qui traîne partout ses reins, au risque d’être laissé dehors.

Alors la mer, parce qu’en mer « nos yeux ne nous reviennent pas ».

Alors le feu et ses dents, l’été son « cou de girafe ».


Ultime fantaisie de l’auteur : c’est dans la deuxième partie de son recueil, fort à propos surnommée « En Marge des messes », qu’il fait pleinement ressortir l’enfermement de la condition humaine. Comme pour mieux nous renvoyer au début, là où se délivrent le monde et ses images.

De l’œil dessillé au regard cerné et inversement.

Dans ce mouvement, c’est la nécessité, le poids, la force du ressenti et de la parole poétiques pour recréer et animer la vie, que réaffirme Yusuf Kadel. Avec l’originalité d’une écriture qui confirme la richesse de son économie, étend sa puissance d’évocation.

Alors comme le poète, avec le poète, qui « se relit, comme d’autres retournent leurs morts », on se laisse gagner par la tentation de revenir, encore et encore, sur les pages parcourues, et des vers, sans cesse, exhumer la dense moelle.


Ce recueil de Yusuf Kadel est une expérience sensorielle d’exception. Pour la partager, attendre que la lune se vide, que la nuit soit pleine, car « la lumière écorche ce qu’elle touche ».

Puis, parce que « rien n’est vaste comme l’immobile », se caler dans un fauteuil, et sans hâte, longuement, lire comme on poserait ses mains sur ses paupières. Pour mieux se dévoiler la face. La nôtre. Celle du monde qui nous fait de l’oeil…


Bibliographie sélective

  • Un septembre noir - théâtre, Éditions le Printemps, Vacoas, 1998 (ISBN 9990323577)
    (prix Jean Fanchette)
  • Surenchairs - poésie, Éditions le Printemps, Vacoas, 1999 (ISBN 9990323852)
    (sélection, prix Radio France du Livre de l'ocean Indien)



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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Yusuf Kadel de Wikipédia en français (auteurs)

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