- Structuro-fonctionnalisme
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Le structuro-fonctionnalisme est un mouvement intellectuel rattaché à l'étude des organisations. En reprenant des concepts liés à la bureaucratie wéberienne, il met l'accent sur le jeu des structures informelles et les dysfonctionnements qui peuvent en résulter. La majorité des études structuro-fonctionnalistes ont pris place dans les années 50 et 60. Ce mouvement est lié aux notions de fonctionnalisme et de holisme.
Sommaire
Origines et enjeux
École des relations humaines et théorie des motivations sont toutes deux technicistes (avec une place privilégiée d'un « organisateur externe »), individualistes (soulignant l'importance de la « réalisation de soi ») et humanistes (porteuses d'une vision positive de l'homme au travail, comparativement à l'organisation scientifique du travail -OST-, par exemple). Elles ont cependant les plus grandes difficultés à résoudre les questions concernant la résistance au changement et les groupes informels. Ces phénomènes manifestent la persistance de relations particulières entre les individus, relations qui ne se superposent pas à la rationalisation organisationnelle. Laisser une plus grande autonomie au groupe n'est pas forcément un succès, car les habitudes individualistes ou l'excès d'autonomie ont tendance à briser la cohésion de groupe. Par ailleurs, l'auto-organisation fonctionne si, dans un contexte rationalisé comme celui d'une entreprise des années 1940, le groupe adhère aux objectifs qu'on lui donne. Le groupe informel se distingue du groupe auto-organisé en ce qu'il est nécessairement porté dans ses actions par un intérêt commun. Les objectifs sont donc un élément très important de l'action, qu'elle soit de groupe ou individuelle. Pour étudier l'organisation sous cet angle dynamique, il faut laisser de côté l'approche classique par stimuli/réponse, où satisfaction et intérêt sont mêlés ; il faut adopter au contraire une perspective stratégique, c'est-à-dire fondamentalement endogène.
L'analyse structuro-fonctionnaliste naît de l'étude de la survie du système capitaliste, avant et après la Seconde Guerre mondiale. Ses théoriciens souhaitent mettre l'accent sur la relation de l'individu à l'organisation, en termes de rôle, de fonction... ie. ne pas simplement s'en tenir à l'individu en tant qu'exécutant d'une tâche prédéfinie — approche qui prévalait dans l'OST, par exemple. Deux aspects oubliés par l'école des relations humaines sont plus particulièrement étudiés : les conflits d'intérêt, et la régulation et l'analyse des ajustements entre les « acteurs. » La question centrale est : comment l'organisation, qui a ses propres besoins, arrive-t-elle à imposer un modèle de relations (de rôles) à des gens pluriels (par l'intégration de fonctions), dans le but d'atteindre des objectifs par ailleurs divers ? En bref, comment une organisation (ses structures et ses intervenants) résiste-t-elle au changement ?
L'héritage de Weber
L'analyse structuro-fonctionnaliste est liée à l'étude de la bureaucratisation, donc aux travaux de Max Weber. Ce dernier avait mis en évidence trois types d'autorités, s'incarnant dans des organisations diverses (les grands types de structures qui existaient à son époque). Sur la base de ses modèles théoriques (la triptyque autorités rationnelle-légale, traditionnelle et charismatique), il a tenté de cerner les réalités empiriques des organisations. Il a qualifié de « bureaucratique » le modèle qui se développait alors dans les sociétés occidentales, et qui se rapprochait le plus de son idéal-type d'autorité rationnelle-légale : ce modèle s'articulait autour de la primauté du droit, de l'établissement de fonctions impersonnelles, du contrôle et de l'avancement par la hiérarchie, de importance des compétences, et surtout, de la prédominance de l'écrit comme vecteur de communication et décision. Weber ne s'est toutefois intéressé ni aux conséquences de cette bureaucratisation, ni aux conditions de sa légitimation face aux modèles traditionnels et charismatiques, évidemment déjà en place avant elle (il a donc laissé de côté à la fois la transition et l'impact). Ces aspects sont ceux traités dans les travaux structuro-fonctionnalistes.
Le concept de dysfonction bureaucratique
Robert K. Merton, en reprenant l'idée de l'idéal-type wéberien, réalise une étude des dysfonctionnements de la bureaucratie, là où Weber avait souligné une rationalité efficace. Par ailleurs, son étude opte pour l'échelle globale : il essaye de cerner les incidences de la bureaucratisation sur les gens qui la vivent. Merton fait remarquer que plus une bureaucratisation tend à introduire une autorité proche de l'idéal-type rationnel-légal, plus dysfonctionnements et routines en paralysent le caractère rationalisant. Il en trouve une explication dans l'appropriation du modèle bureaucratique par ses acteurs qui appliquent, sans adaptation aucune, le droit et les règles formalisés à l'écrit. L'apport principal de Merton est d'avoir introduit le côté « obscur » du concept de fonction : la dysfonction – et par là, la dualité entre des phénomènes explicites favorisant l'ajustement d'un système, et des phénomènes implicites l'entravant. Un autre apport est la distinction entre fonction manifeste et fonction latente : la première amène une conséquence attendue, la seconde une conséquence inattendue et attribuée à une autre fonction que celle initialement assigné (par exemple, via un groupe informel). Enfin, les travaux de Merton ont donné lieu à pléthore d'études empiriques de qualité, sur des organisations de toutes tailles, privées ou publiques..., études ayant affinées les questions de transition entre modèles traditionnels et bureaucratiques, de diversité des bureaucraties, de légitimation...
Par la suite, Philip Selznick insiste sur la nécessaire légitimation de l'action de l'organisation auprès de ses membres et de son environnement. Son analyse prend réellement la suite de celle de Merton : il valide le concept de dysfonctions dans ses études, mais montre qu'elles ne doivent pas leur existence qu'à la multiplication des règlements et à l'assimilation d'un schème de pensée bureaucratique. D'après Selznick, une grande part des dysfonctionnements est due à l'inévitable spécialisation des activités : les acteurs tendent à se focaliser sur les objectifs de leurs fonctions et de leurs groupes. Par ailleurs, l'environnement extérieur exerce une pression importante, notamment à travers la délégation d'activités à l'extérieur (par exemple à des sous-traitants ou à des partenaires divers) qui peuvent entraver la stratégie et l'autonomie de l'entreprise.
Une vue limitée du jeu des acteurs
Ces approches modernes partagent une même tendance à l'anthropomorphisme. L'analyse de Merton, telle que confortée par Gouldner, est critiquée par Peter Blau, qui remarque que les acteurs d'un système bureaucratique « rigide » ont la capacité, voire le réflexe, de contourner les réglementations pour mener à bien les objectifs auxquels ils adhèrent. L'importance des structures informelles est donc réaffirmée, mais l'attachement au couple formel/informel empêche de constater l'importance de l'analyse des acteurs sur le fonctionnement des organisations auxquelles ils participent – ce, même s'ils en sont maintenant considérés comme des éléments actifs et réactifs, et non plus comme de simples exécutants.
Le travail de Talcott Parsons illustre bien cet état de fait. Le théoricien décrit les organisations comme des sous-systèmes d'un système social environnant, global, chaque organisation reproduisant une structure sociale commune et se distinguant de ses voisines par les fonctions qu'elle met en œuvre. Il distingue spécifiquement quatre fonctions générales que toute organisation assure: la reproduction des normes et des valeurs (par laquelle elle guide l'action de ses membres), l'adaptation (par laquelle elle mobilise des ressources en vue d'objectifs), l'exécution (par laquelle elle mène la réalisation des objectifs) et l'intégration (par laquelle elle harmonise ses propres éléments internes). Parsons et d'autres réalisent alors une classification des organisations selon leurs fonctions, et introduisent un vocabulaire largement associé à la structure formelle. L'individu est donc encore une fois relativement délaissé, parce qu'intégré dans un système de valeurs « abstraites » dont le but est de modéliser une fois pour toutes l'entreprise en tant que structure.
Bibliographie
- Philippe Bernoux, La sociologie des organisations, (ISBN 2-02-008941-6)
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