Saint Serapion

Saint Serapion

Saint Sérapion (Zurbarán)

Saint Sérapion
Francisco de Zurbarán 026.jpg
Francisco de Zurbarán, 1628
Huile sur toile
120 × 103 cm
Wadsworth Athenaeum

Le martyre de Saint Sérapion, 1628, est un des tableaux que Francisco de Zurbarán peint pour le couvent de Notre-Dame de la Merci de Séville. Ce portrait aux genoux représente le supplice du missionnaire Sérapion, martyr de l'ordre de la Merci.

La sobriété de la représentation et sa puissance picturale rendent ce tableau emblématique de la première période de production du peintre, qui voit Zurbarán s'imposer comme le maître de l'école sévillane[1].

Il est aujourd'hui conservé au Wadsworth Athenaeum à Hartford, Connecticut (Etats-Unis).

Sommaire

Contexte

Conditions de production et d'exposition initiale[2]

Agé d'une trentaine d'année, Zurbarán signe un contrat le 29 août 1627 avec le Frère Juan de Herrera, Père supérieur du couvent[3] de Notre-Dame de la Merci Chaussée[4] . L'objet du contrat porte sur des illustrations de la vie de saint Pierre Nolasque, fondateur de l'Ordre.

Parallèlement à cette commande jamais totalement honorée, Zurbarán réalisera divers tableaux dont le "Le martyr de Saint Sérapion". Ce dernier, avec un autre portrait hagiographique lui faisant pendant et aujourd’hui disparu, se trouvait dans la salle ‘De Profundis' du couvent. Cette chapelle était appelée ainsi car les dépouilles des moines décédés étaient veillées là avant leur inhumation.

Sujet

Le sujet est tiré de l'hagiographie de Saint Sérapion[5], révéré depuis l'origine de l'Ordre. Soldat Anglais venu combattre les Sarrazins lors de la Reconquista, il devient l'un des moines de l'Ordre récemment créé par Pierre de Nolasque. En 1240, il est martyrisé à Alger : il est supplicié sur une croix de Saint André. Si les détails de ses tourments diffèrent suivant les versions (démembrement et décapitation, éviscération..) elles concordent toutes sur l'extrême violence subie par le corps du martyr.

Composition

Le premier plan[2] est occupé par le corps inerte du personnage présenté de face, très légèrement tourné vers la gauche, d'où vient la lumière éclairant la scène. Le corps est suspendu par les poignets, l'extrémité de ses liens sortant du cadre de la toile.

Le personnage porte l'ample manteau blanc et l'insigne de l'ordre de la Merci, seul ses mains et sa tête sont découvertes dans ce portrait aux genoux. Un pli du manteau laisse voir la robe également blanche du moine. Le manteau et la robe immaculée du Saint occupe ainsi la majeure partie de la toile.

La lumière vive éclaire uniquement le premier plan. Le drapé du manteau est plus éclairé que la figure inanimée du personnage. Se dessine dans l'obscurité de l'arrière plan, derrière le saint le poteau auquel ses entraves sont fixées, hors du champ du tableau.

Les teintes du tableau sont très contrastées : le costume blanc du personnage est illuminé avec une grande variété de nuances soulignant les ombres des plis. A l'inverse, le fond du tableau est sombre. Les chairs inanimées du visage et des poignets sont mats, plus ternes que le costume du personnage.

Sur la partie droite du tableau, se détachant du fond, un trompe-l'œil représentant un cartel identifie le personnage et porte la signature du peintre.

Analyse

Le contournement de la représentation de la violence

Le réalisme de la peinture est souligné par le cartel en trompe l'œil et le jeu de la lumière sur drapé du manteau[1]. Pourtant Zurbarán ne semble fournir aucun indice au spectateur pour déterminer à quel moment précis du supplice de Saint Sérapion il situe son œuvre : le personnage est inconscient, son teint est déjà cadavérique mais il ne porte aucune blessure apparente alors que son exécution est réputée avoir été particulièrement mutilante. Cet anachronisme dans l'économie du tableau est interprété par le critique Tom Lubbock[6] comme l’une des sources de sa puissance évocatrice : l'ouverture de l'ample manteau, laissant apparaitre la robe plus serrée au corps, est la métaphore des blessures déjà subies par le corps du Saint.

D'autre part, l'extrémité des liens qui maintiennent le supplicié coïncide avec les bords de la toile, comme si ces entraves étaient elles mêmes fixés au cadre du tableau : l'exécution ayant symboliquement lieu dans l'espace du tableau, et au moment où le spectateur regarde la toile.

Cette brutalité de la narration du tableau est masquée par l'absence de violence dans la représentation. Non seulement il n'y a pas une goutte de sang, mais les traits du personnage semblent apaisés. Le corps inerte et suspendu, ajouté à l'expression figée du visage aux yeux clos, confèrent au personnage une grande passivité. Ce relâchement semble un écho au consentement résigné au martyre et à l’annonce de la félicité du bienheureux après sa terrible épreuve[7]. Destiné à veiller les morts de la communauté, ce tableau exprime tout à la fois l'humilité du moine et l'éclat de la grâce.

L'absence de violence dans la représentation permet ainsi à la figure de San Sérapion de dégager une profonde sérénité qui invite le spectateur à éprouver de la compassion, sans que cette émotion ne soit troublée par la sauvagerie du supplice. Ainsi, paradoxalement, la puissance picturale se trouve accrue par la non-violence de la représentation du martyr par l’artiste.

Le manteau : Allégorie de l'ordre de la Merci[8]

Le visage et les mains du personnage occupent une surface réduite avec leur teinte intermédiaire entre l'obscurité du fond et l'éclat du costume focalise, par contraste, l'attention sur l'élément principal du tableau, le manteau. Il est animé par la lumière qui l'irradie, alors que les chairs du visage de Sérapion s’estompent dans l'ombre et la rigidité du trépas.

Le critique Paul Guinard[2], reprenant le récit du martyre par éviscération, signale que le manteau couvre littéralement l'atrocité de la scène et en détourne ainsi le regard des spectateurs comme la grâce qu'il symbolise recouvre et dépasse la douleur du supplicié. Le trompe-l'œil du cartel répond ainsi au 'trompe l'œil' du réalisme du tableau[1].

La passivité du personnage et le dépouillement sombre du tableau font ressortir le manteau immaculé. La vie terrestre que Sérapion vient de donner pour sa foi est sublimée par de la vie spirituelle symbolisé par l'éclat du manteau, allégorie de l'Ordre de la Merci, véritable personnage principal, et commanditaire, du tableau.

Sérapion est utilisé par Zurbaran comme une métonymie de l'Ordre et de son évolution. L’Ordre guerrier médiéval devenu régulier est profondément réformé en 1574, à la suite du Concile de Trente. Dans cette toile marquée par le ténébrisme tridentin du premier Zurbarán, l’artiste parvient avec une surprenante économie de moyens à faire revivre avec force une iconographie traditionnelle déjà désuète à l'époque mais appréciée de ses commanditaires, par la puissance picturale née de la qualité de métier qu'il déploie[8].

Notes et références

  1. a , b  et c (es)Notice du tableau site de la Junta de Castilla y León, [1]
  2. a , b  et c Titiana FRATI Les classiques de l'art Tout l'oeuvre peint de zurbarán, Flammarion 1975, p.88
  3. A cette occasion, Zurbarán installe son atelier et sa famille dans l'enceinte même du couvent
  4. (es)Nuestra Señora de la Merced Calzada,aujourd'hui musée des beaux arts
  5. (es)l'hagiographie de Saint Serapion
  6. (en)Tom Lubbock, Saint Serapion Francisco de Zurbaran ,The Independent's Great Art series, 22 aout 2008
  7. Attitude assez similaire à celle du Christ de la Crucifixion peinte l'année précédente (1627)
  8. a  et b Robert Maillard, Dictionnaire universel de la peinture Tome VI Ed. Robert 1975, ISBN 2850360023, p. 504


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