- Paul Barbe
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Paul François Barbe (4 février 1836 à Nancy en France - 29 juillet 1890 à Paris)[1] est un militaire, ingénieur, homme d'affaires et homme politique français.
Fidèle à la tradition des hommes d'affaires du XIXe siècle, qui se livraient peu par goût du secret et par peur du jugement négatif, il n'a laissé que des traces ténues, souvent de manière involontaire. Cependant, ses actions multiples, diverses et variées ont été reçues par ses contemporains de manière contrastée. Personnalité forgée par son époque, il est représentatif des pionniers de la seconde Révolution industrielle, à la fois héritier et novateur évoluant au sein de nombreux cercles[2].
Sommaire
Une formation d'ingénieur-artificier-industriel
Son père, Jean-Baptiste Charles ancien serrurier mécanicien devenu propriétaire des fonderies de Tusey près de Vaucouleurs (Meuse), fonde en 1864 une fonderie-forge à Liverdun (Meurthe et Moselle), en association avec des industriels allemands propriétaires d'une usine métallurgique (les frères Puricelli). La maison Barbe et Fils et Cie regroupe alors une concession minière, deux forges, deux fonderies, un laminoir ainsi qu'une cité ouvrière de 86 logements[3].
Brillant élève du collège de Nancy, Paul Barbe entre en 1855 à l'École Polytechnique avec un rang modeste. Il excelle dans les disciplines scientifiques et graphiques. Il suit durant deux ans un enseignement qui ne définit pas l'architecture comme l'expression du bon goût, mais comme une des branches indispensables du génie civil et militaire[4]. Lorsqu'il dresse les plans de la première dynamiterie qu'il implante en France au lieu-dit Paulilles (commune de Port-Vendres, Pyrénées-Orientales) durant les mois de novembre-décembre 1870, Paul Barbe va à l'encontre des modes architecturales en vigueurs. Fidèle à sa formation d'ingénieur, il ne subordonne pas la forme des bâtiments aux vues de l'architecture, il invente des formes architecturales nouvelles en adéquation avec l'activité que les bâtiments doivent abriter. Son approche architectonique innovante fait de la construction de la dynamiterie de Paulilles un exemple caractéristique de l'essor de l'ingénierie civile en France durant le second XIXème siècle[2].
Sorti polytechnicien avec un rang honorable, il est admis deuxième pour le service de l'Artillerie à l'École d'application de Metz. Il en sort parmi les premiers ce qui lui permet de faire un mariage avantageux avec la fille d'un négociant nancéen qui apporte une dot de 80000 F. « Officier très intelligent qui a de l'avenir », très bien noté à tous égards Paul Barbe est le type même de l'excellent officier, d'un caractère doux et studieux qui ne semble pas le destiner au commandement. Au sortir de l'école il intègre le corps des pontonniers[4]. Tout juste promu lieutenant en premier, il donne sa démission en novembre 1861 par suite du « décès imprévu du directeur d'un établissement métallurgique dans lequel la famille de M. Barbe a de grands intérêts, ce qui l'oblige à prendre la direction de cette usine »[3]. De 1861 à 1870, à la tête d'une des industries familiales il se familiarise avec les nouvelles dispositions législatives qui permettent aux sociétés d'ouvrir dès 1863, leur capital à l'épargne étrangère. Suite à la déclaration de guerre par la France à la Prusse en août 1870, Paul Barbe s'engage volontairement dans l'artillerie de la garde nationale mobile du département de la Meurthe. Il est nommé colonel, commandant l'artillerie au siège de Toul le 23 septembre 1870. Lors de la reddition de la place, le duc de Mecklembourg-Schwerin le félicite personnellement pour sa défense ; il est « décoré pour son héroïque conduite »
L'homme d'affaire opportuniste
A cause d'une législation contraignante sur les matières explosives – le monopole d'État du 13 fructidor An V (30 août 1797) renforcé par les lois de sûreté générale du 27 février, 2 mars 1858 – Alfred Nobel ne parvient pas à implanter une fabrique de dynamite en France. Pour prendre pied sur le territoire, le chimiste suédois entre en relation durant l'année 1868, avec un partenaire industriel et financier : la maison Barbe Père et Fils et Cie, implantée à Liverdun. Le courant passe immédiatement entre Alfred Nobel inventeur de la dynamite et Paul Barbe colonel d'artillerie. La maison Barbe s'engage à fournir le capital (200 000 F) et se charge de la production si elle parvient à obtenir les autorisations nécessaires ; les bénéfices devant être partagés à égalité entre Barbe et Nobel[4].
Le 28 mai 1870, une loi abrogeant le monopole d'État sur la fabrication et la vente des matières explosives est votée par l'Assemblée nationale. Le jour même Paul Barbe dépose une demande pour ériger la première fabrique de dynamite en France sur la commune de La Rochette (Meurthe), à proximité de l'industrie paternelle. Mais les relations diplomatiques tendues entre la France et la Prusse suivies par la déclaration de guerre le 1er août 1870, empêchent la parution de la nouvelle loi au Journal Officiel, la rendant ainsi inapplicable. Lorsque Léon Gambetta arrive au ministère de l'Intérieur le 4 septembre 1870, il abroge par décret le monopole d'État et aussitôt libéré du siège de Toul le 31 octobre 1870, Paul Barbe est convoqué par le nouveau ministre ; les deux hommes passent un contrat « Monsieur Barbe, François, Paul, concessionnaire des brevets Nobel en France a demandé au Gouvernement l’autorisation de construire une Fabrique de Dynamite à la Rochette près Toul (Meurthe), le Département étant occupé par l’armée Prussienne il ne peut pour l’instant être donné suite à cette demande. Considérant qu’il est important pour l’Industrie Nationale déjà fort éprouvée par la Guerre qu’une fabrique de ce produit nouveau soit installé en France au plus vite que par suite des difficultés de recouvrir les créances commerciales, Monsieur Barbe ne peut avec ses ressources du moment arriver à créer seul cette usine ; Monsieur le Ministre soussigné met à la disposition de M. Barbe et sans intérêt une somme qui ne pourra excéder soixante mille francs (60.000 frs) Elle servira à la création et au roulement d’une usine à Dynamite au point le plus convenable pour les approvisionnements en matières premières. »[2].
Devant s'éloigner de la zone des combats Paul Barbe opte pour le département des Pyrénées-Orientales. Il aurait pu être guidé dans son choix à la fois par Emmanuel Arago polytechnicien et ministre de la Justice dès septembre 1870, qui aurait pu lui assurer la fidélité républicaine du département. Mais aussi par Pierre Dorian, ministre des Travaux Public dans le Gouvernement de la Défense nationale et directeur de la Jacob Holtzer & Cie qui possède des hauts-fourneaux sur la commune de Ria (Pyrénées-Orientales)[5]. Le ministre-industriel aurait eu intérêt à voir s'installer une fabrique d'explosif à proximité (60 km) des mines de Batères qui alimentaient ses forges catalanes. Paul Barbe prend la seule voie de chemin de fer ouverte dans le département et arrive au terminus, la gare de Port-Vendres durant la première semaine du mois de novembre 1870. Aidé par l'entreprise Langlade et Laporte chargée de percer la voie ferrée, il construit la dynamiterie en trois semaines et la production, calibrée pour un volume de 500 kg/jour à livrer à l'armée à prix de revient, démarre le 3 décembre 1870. La construction de la dynamiterie est alors une des réponses que le Gouvernement de la Défense nationale met en œuvre pour lutter contre l'invasion prussienne. La ratification du traité de Francfort qui met fin au conflit (10 mai 1871) suivie par le vote d'une loi rétablissant le monopole d'État (19 juin 1871), sonnent le glas de la fabrication de matières explosives par l'industrie privée en France ; la dynamiterie de Paulilles ferme ses portes le 1er février 1872. Le parachutage d'une industrie initialement prévue en Lorraine dans le département des Pyrénées-Orientales, pourrait expliquer l'incompréhension qui s'installe puis l'affrontement judiciaire qui oppose Paul Barbe aux élites locales en particulier avec Jules Pams négociant et homme politique résidant à Port-Vendres. La dynamiterie de Paulilles qui n'est pas une initiative locale et qui de surcroit se bâtit grâce à un financement garanti par l'État, prospère en restant totalement déconnectée des réseaux tissés par la bourgeoisie roussillonnaise industrielle et financière[2].
Paul Barbe bien implanté dans les cercles politiques républicains mène une intense activité lobbyiste de 1871 à 1875 à Versailles puis à Paris ; le 8 mars 1875 est votée la loi abrogeant le monopole d'État qui libéralise la fabrication et la vente des matières explosives. Le 22 juin 1875, il vend pour « 3 millions divisés en 6 000 actions de 500 francs chacune » la dynamiterie de Paulilles à la Société Générale pour la fabrication de la Dynamite (SGD) qu'il vient de fonder avec Alfred Nobel. Durant l'année 1877 la dynamiterie de Paulilles rouvre ses portes. Selon une volonté de rationalisation, Paul Barbe administrateur de la SGD pratique une politique d'intégration horizontale afin d'obtenir de facto le monopole en France de la fabrication civile des matières explosives. La SGD intègre en 1881 la fabrique d'Ablon (Calvados) bâtie par à la Société Nationale des Poudres Dynamites, puis entre 1887 et 1893 la fabrique de Cugny (Seine-et-Marne) créée par la Société Française des Explosifs. La concurrence effacée, la SGD implante en 1894 une nouvelle unité de production à Arles (Bouches-du-Rhône). En pionnier emblématique de la seconde Révolution industrielle, Paul Barbe saisit l'opportunité que lui offre l'affaissement du système de régulation économique provoqué par la guerre et l'invasion. Il parvient à occuper un créneau encore nouveau, l'industrie chimique lourde, en lançant une nouvelle industrie, la fabrication de dynamite. Dans la dynamiterie de Paulilles, sa formation d'ingénieur lui permet de mettre en espace, afin de rationaliser la production, des procédés industriels innovants qui lui permettent de fournir la demande grandissante en matières explosives des entreprises de travaux publics, des mines et des carrières. En vingt ans il transforme une « industrie vedette » naissante en un réseau national reposant sur quatre succursales qui développent des volumes de production (4000 tonnes annuelles estimées pour 1894) ainsi qu'un chiffre d'affaires capables de rivaliser avec des « industries motrices » plus anciennement installées[2].
Alors qu'il tente de mettre en place le réseau français, Paul Barbe alerte dès 1873 Alfred Nobel sur les problèmes structurels qui fragilisent son empire industriel en Europe. Alfred Nobel, fort de la conviction qu’il « est le premier à porter ces substances du domaine de la science à celui de l’industrie », en seulement une décennie, couvre l'Europe de dynamiteries. De 1864 à 1866, il implante quatre fabriques de nitroglycérine, puis, de 1868 à 1873, sept dynamiteries. Cependant, chaque unité de fabrication est une unité de production autonome. Les dynamiteries se livrent alors une concurrence économique acharnée qui provoquent l'augmentation du prix d'achat des matières premières et la baisse du prix de vente des produits usinés. Alfred Nobel, conscient de cette fragilité structurelle, donne, durant l'année 1875, les pleins pouvoir à Paul Barbe, pour réorganiser le réseau des dynamiteries. Secondé par l’Anglais Henri de Mosenthal, Paul Barbe met en place une solution doublement innovante. D’une part, il propose de sortir du système de patries grâce au système de la multinationale, et d’autre part de créer deux compagnies financières dont le seul but est de posséder des actions afin de contrôler les affaires des entreprises industrielles. Chaque pays possède une société chargée de gérer les succursales nationales ; les sociétés nationales sont sous le contrôle d'une compagnie. La compagnie est alors chargée de coordonner l’ensemble de la production et des ventes, les investissements, et l’achat centralisé des matières premières ; elle forme ainsi un cartel général de contrôle des prix. En 1886, la Nobel Dynamite Trust Co Ltd., basée à Londres regroupe les industries allemande, autrichienne, hongroise, finlandaise, norvégienne et anglaise. Le 15 juin 1887, est créée la Société Centrale de Dynamite, au capital de seize millions de francs, qui regroupe toutes les industries des pays latins, c’est-à-dire l’Espagne, l’Italie, la Suisse, la Belgique et la France)[6].. Ces deux sociétés européennes rivalisent avec la Standard Oil créée par John Rockfeller en 1882)[5].
Durant la décennie 1880, Paul Barbe imité par plusieurs directeurs de la Société Centrale de Dynamite, spéculent à l'insu de Nobel sur le prix de la glycérine et provoquent une chute des cours boursiers ; Nobel se pense totalement ruiné. Il parvient à couvrir la perte de plusieurs millions par un emprunt et il change les membres du conseil d'administration de la société. Son affairisme spéculatif amène Nobel à un jugement contrasté « Un garçon compétent et un excellent exécutant, mais avec une conscience élastique, et c'est dommage, car on a rarement vu autant d'intelligence dans une même tête ». Le biographe de Nobel, Erik Bergengren, oppose son héros positiviste et humaniste qui n'aspirait qu'à « se cacher dans son laboratoire pour consacrer tout son temps à ses expériences » à un Paul Barbe sorte de robber baron à la française qui ne « voyait dans les trusts [que] des possibilités accrues de puissance personnelle et de gloire, de fortune rapidement acquise et de succès politique »[2].
Le politicien élu de la gauche radicale
Paul Barbe débute sa carrière politique en 1885, aux élections générales. Il est élu député en Seine-et-Oise sur la liste radicale et vote constamment avec ce groupe. Lors de la formation laborieuse du ministère Rouvier (mai 1887), il se sépare de ses amis politiques pour accepter, dans la nouvelle combinaison ministérielle le portefeuille de l'agriculture ce qui lui valut les critiques de la presse radicale. Il tomba avec le ministère en novembre suivant, lors du vote sur la proposition Colfavru (affaire Wilson), et revint à la gauche radicale. Il fut réélu député de la Seine-et-Oise (circonscription de Rambouillet) aux élections générales du 22 septembre 1889 au 1er tour de scrutin, battant ainsi le candidat boulangiste. Membre de diverses commissions, dont celle des chemins de fer, il continua à faire preuve d'une grande activité en déposant plusieurs propositions de loi)[6].
Il meurt le 29 juillet 1890. Dans son éloge funèbre qui fut prononcé à la séance du 31 juillet, Charles Floquet, Président de la Chambre, déclara « M. Barbe est mort comme il avait toujours voulu vivre, en travaillant »)[7].
Dans le livre "Alfred Nobel: A Biography" écrit par Kenne Fant,on peut lire à la page 258 : Paris august 1890....Barbe's suicide has resulted in even greater calamities than i could ever have imagined.Now it is a question of my very existence... Il s'est donc suicidé en raison du scandale financier du canal de Panama[8],[9],[10]Bibliographie
- Bret Patrice, L’Aventure de la dynamite au temps d’Alfred Nobel, Actes du colloque du centenaire de la mort d’Alfred Nobel en date du 12 octobre 1996, pages 15 à 18, In www.crhst.cnrs.fr
- Collin Simone, Fonderie dite Fonderies de Tusey, Hauts Fourneaux, Fonderies et Ateliers de Construction de Tusey, notice n° IA 00121217, service régional de l'inventaire général de Lorraine, Nancy, 1994.
- Jolly Jean (Dir. de), Dictionnaire des parlementaires français : Notices biographiques sur les ministres, sénateurs et députés français de 1889 à 1940, Paris, 1960, In www.assemblee-nationale.gouv.fr
- Lecherbonnier Yannick, Usine de produits explosifs à Ablon (14), Notice n° IA14000754, service régional de l'inventaire Basse-Normandie, Caen, 1992.
- Lecherbonnier Yannick, Usine de matières plastiques à la Rivière-Saint-Sauveur (14), Notice n° IA14000884, service régional de l'inventaire Basse-Normandie, Caen, 1992.
- Lundström Ragnhild, Som Internationell Företagare, Thèse, Université d’Upsal, Suède, 1974.
- Praca Edwige, Histoire générale de Paulilles 1870-1984. Première synthèse, Conservatoire de l’Espace Littoral et des Rivages Lacustres, région Languedoc-Roussillon, 2001, 68 pages
- Robert (A.) & COUGNY (C.), Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889, In www.assemblee-nationale.gouv.fr
- Roux J.J., A Bas les Masques !, Charles Latrobe éditeur, Perpignan, 1896
- Salles Christine, Paulilles : Le forgeage d'un territoire-outil. 1870-1911, mémoire de Master II sous les directions de MM. Cadé Michel & Castañer-Muñoz Esteban, Université de Perpignan Via -Domitia, mai 2010, 500 pages.
- Thiebaut Pascal, Mine de fer de la Croisette ; haut fourneaux ; fonderie de fonte ; grosse forge ; laminoir à Liverdun, notice n° IA 54000114, service régional de l'inventaire général de Lorraine, Nancy, 1999
- The Panama affair ,de Maron J. Simon ,Scribner, 1971, 317 pages.
Références
- sa fiche sur le site de l'Assemblée Nationale
- Salles Christine, Paulilles : le forgeage d'un territoire-outil. 1870-1911.
- THIEBAUT Pascal, Mine de fer de la Croisette ; haut fourneaux ; fonderie de fonte ; grosse forge ; laminoir à Liverdun.
- BRET Patrice, L'Aventure de la dynamiterie au temps d'Alfred Nobel.
- Praca Edwige, Histoire générale de Paulilles. 1870-1984. Première synthèse.
- LUNDSTROM Ragnhilde, Som Internationell Företagare.
- ROBERT A. et COUGNY C., Dictionnaires des parlementaires français de 1789 à 1889.
- Recherche de Robert Depardieu dans le livre "Alfred Nobel: A Biography" , Kenne Fant ,pages 251 et 252
- Gazette des mathématiciens: bulletin de liaison de la Société mathématique de France, numéros 59 à 62, page 53.
- Les Barons du fer: les maîtres de forges en Lorraine du milieu du 19e siècle aux années trente de Jean-Marie Moine,page 69/563,Editions Serpenoise, 1989.
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