Fission

Fission

Fission nucléaire

La fission nucléaire

La fission nucléaire est le phénomène par lequel le noyau d'un atome lourd (noyau qui contient beaucoup de nucléons, tels les noyaux d'uranium et de plutonium) est divisé en plusieurs nucléides plus légers. Cette réaction nucléaire se traduit aussi par l'émission de neutrons et un dégagement d'énergie très important (≈ 200 MeV, à comparer aux énergies des réactions chimiques qui sont de l'ordre de l'eV).

Sommaire

Découverte

Le phénomène de fission nucléaire induite fut découvert le 17 décembre 1938 par deux chimistes du Kaiser-Wilhelm-Institut für Chemie de Berlin : Otto Hahn et son jeune assistant Fritz Strassmann.

Les résultats du bombardement de noyaux d'uranium par des neutrons avait déjà paru intéressants et tout à fait intrigants. D’abord étudiés par Enrico Fermi et ses collègues en 1934, ils ne furent correctement interprétés que plusieurs années plus tard.

Le 16 janvier 1939, Niels Bohr arriva aux États-Unis pour passer plusieurs mois à l’Université de Princeton, où il avait hâte de discuter de certains problèmes théoriques avec Albert Einstein. Juste avant son départ du Danemark, deux de ses collègues, Lise Meitner et Otto Frisch, lui avaient fait part de leur hypothèse selon laquelle l’absorption d’un neutron par un noyau d’uranium provoque parfois la scission de celui-ci en deux parties approximativement égales, ainsi que la libération d’une énorme quantité d’énergie : ils appelèrent ce phénomène « fission nucléaire ». Cette hypothèse se basait sur l’importante découverte de Hahn et Strassmann (publiée dans Naturwissenschaften au début du mois de janvier 1939) qui démontrait que le bombardement de l'uranium par des neutrons produisait un isotope du baryum.

Bohr avait promis de garder secrète l’interprétation de Meitner et Frisch jusqu’à ce qu’ils publient un article afin de leur assurer la paternité de la découverte et de l'interprétation, mais à bord du bateau en route pour les États-Unis, il en parla avec Léon Rosenfeld, en oubliant de lui demander de respecter le secret.

Dès son arrivée, Rosenfeld en parla à tous les physiciens de Princeton, et la nouvelle se répandit aux autres physiciens, tel Enrico Fermi de l’Université Columbia. Les conversations entre Fermi, John R. Dunning et G. B. Pegram débouchèrent sur la recherche à Columbia des rayonnements ionisants produits par les fragments du noyau d’uranium obtenus après cette fameuse « fission ».

Le 26 janvier 1939, se tint une conférence de physique théorique à Washington DC, organisée conjointement par l’Université George Washington et la Carnegie Institution de Washington. Fermi quitta New York pour participer à cette conférence avant le lancement des expériences de fission à Columbia. Bohr et Fermi discutèrent du problème de la fission, Fermi mentionnant en particulier la possibilité que des neutrons puissent être émis durant le processus. Bien que ce ne soit qu’une hypothèse, ses conséquences c’est-à-dire la possibilité d’une réaction en chaîne étaient évidentes. De nombreux articles à sensation furent publiés dans la presse à ce sujet. Avant la fin de la conférence à Washington, plusieurs autres expériences étaient lancées pour confirmer la thèse de la fission du noyau.

Le 15 février 1939, dans la Physical Review quatre laboratoires annonçaient des résultats positifs (Université Columbia, Carnegie Institution de Washington, Université Johns-Hopkins, Université de Californie). À ce moment, Bohr savait que des expériences similaires avait été entreprises dans laboratoire de Copenhague (Danemark) vers le 15 janvier (Lettre de Frisch à la revue Nature datée du 16 janvier 1939 et parue dans le numéro du 18 février). Frédéric Joliot à Paris avait aussi publié ses premiers résultats dans les Comptes Rendus du 30 janvier 1939. À partir de ce moment-là, il y eut une publication régulière d’articles sur la fission, de telle manière que, dans la Review of Modern Physics du 6 décembre 1939, L. A. Turner de Princeton en dénombra presque une centaine !!!

Le phénomène

Il existe deux types de fissions : la fission spontanée et la fission induite.

Remarque : des noyaux atomiques pouvant fissionner sont dits "fissiles" ou "fissibles". De tels noyaux ont obligatoirement un numéro atomique supérieur ou égal à 89 : ils forment la famille des actinides.

Fission spontanée

Le phénomène de la fission spontanée fut découvert en 1940 par G. N. Flerov et K. A. Petrzak en travaillant sur des noyaux d'uranium 238.

On parle de fission nucléaire spontanée lorsque le noyau se désintègre en plusieurs fragments sans absorption préalable d'un corpuscule (particule). Ce type de fission n'est possible que pour les noyaux extrêmement lourds, car l'énergie de liaison par nucléon est alors plus petite que pour les noyaux moyennement lourds nouvellement formés.

L'uranium 235 (dans une très faible proportion cependant) et surtout le californium 254 sont par exemple des noyaux spontanément fissiles.

Fission induite

La fission nucléaire de l'uranium.

La fission induite a lieu lorsqu'un noyau lourd capture une autre particule (généralement un neutron) et que le noyau composé alors formé se désintègre en plusieurs fragments.

La fission induite de l'uranium 235 par absorption d'un neutron est la réaction de ce type la plus connue. Elle est du type :

{}^{235}_{92}\mathrm{U} + {}^1_0 n \rarr {}^{236}_{92}\mathrm{U} \rarr X + Y + k ~ {}^1_0 n

X et Y étant deux noyaux moyennnement lourds et généralement radioactifs : on les appelle des produits de fission.

Ainsi la fission induite d'un noyau d'uranium 235 peut donner deux produits de fission, le krypton et le baryum, accompagnés de trois neutrons :

{}^{235}_{92}\mathrm{U} + {}^1_0 n \rarr {}^{93}_{36}\mathrm{Kr} + {}^{140}_{56}\mathrm{Ba} + 3~ {}^1_0 n

Les fissions induites les plus couramment utilisées sont les fissions de l'uranium 235, de l'uranium 238 et du plutonium 239.

Article détaillé : Isotope fissile.

Bilan neutronique

Lors de la fission, sont tout de suite émis des neutrons, dits neutrons prompts. Puis, après l'émission de ces neutrons prompts, les produits de fission commencent à se désintégrer par désintégration β et par émission de neutrons après les désintégrations β. Comme ils sont libérés après les neutrons rapides, les neutrons libérés juste après les désintégrations β sont appelés neutrons retardés.

La probabilité pour un neutron de fissionner un noyau fissile dépend de l'énergie de ce dernier. Plus les neutrons sont rapides moins grande est leur probabilité de provoquer une fission, d'où la nécessité de baisser leur énergie cinétique (cf. modérateur). On distingue classiquement les neutrons rapides, directement issus d'une fission précédente, et les neutrons thermiques ou lents, auxquels on a fait perdre pratiquement toute leur énergie par de nombreuses collisions avec des noyaux légers, tels que l'hydrogène (dans l'eau, par exemple), le deutérium (dans l'eau lourde), ou encore le béryllium et le carbone (sous forme de graphite). Le béryllium métallique et le graphite sont des matériaux modérateurs solides également utilisés pour ralentir les neutrons dans certains types de réacteurs.

Le tableau suivant indique le nombre de neutrons libérés en moyenne et par fission par neutron thermique en fonction du noyau considéré :

Noyau considéré Nombre moyen de neutrons libérés
{}^{233}_{}\mathrm{U} 2,49
{}^{235}_{}\mathrm{U} 2,48
{}^{238}_{}\mathrm{U} — *
Uranium naturel 2,48
{}^{239}_{}\mathrm{Pu} 2,90
{}^{241}_{}\mathrm{Pu} 3,00

* L'uranium 238 n'est fissible que par des neutrons rapides.
On remarquera aussi dans ce tableau que les isotopes de U et Pu fissibles par des neutrons thermiques ont tous des masses atomiques impaires.

Répartition des masses des produits de fission

Distribution des produits de fission de l'uranium 235

La distribution en masse des produits de fission suit une courbe « en bosses de chameau ». On parle aussi de courbe bimodale : elle possède deux maximums. Plus de cent nucléides différents peuvent être libérés lors de la fission de l'uranium. Toutefois, tous ces nucléides possèdent un numéro atomique entre Z=33 et Z=59. La fission crée des noyaux de nombre de masse (nombre de nucléons) autour de A=95 (brome, krypton, zirconium) pour l'un des fragments et de A=139 (iode, xénon, baryum) pour l'autre.

Une répartition symétrique (A=118 pour l'uranium 235) des masses des produits de fission (0,1 % des fissions) ou une fission en trois fragments (fission tertiaire, 0,005 %des fissions) sont très rares.

Bilan énergétique

Chaque noyau d’uranium 235 qui subit la fission libère de l’énergie et donc de la chaleur.

L'origine de cette énergie trouve son explication dans le bilan des énergies entre le noyau initial et les deux noyaux produits : les protons d'un même noyau se repoussent vigoureusement par leurs charges électrostatiques, et ceci d'autant plus que leur nombre est élevé (énergie coulombienne), l’énergie correspondante croissant plus vite que proportionnellement au nombre de protons. La fission se traduit donc par un dégagement d'énergie, qui est principalement transmise dans les produits de fission et les neutrons sous forme d'énergie cinétique, qui se transforme rapidement en chaleur.

La chaleur produite lors de la fission de noyaux fissiles d'uranium 235 ou de plutonium 239 peut alors être utilisée pour transformer de l'eau en vapeur, permettant ainsi d'actionner une turbine pouvant produire directement de l'énergie mécanique puis par l'intermédiaire d'un alternateur, de l'électricité. C'est cette technique qui est à l'œuvre dans les réacteurs nucléaires destinés à produire de l'électricité.

La réaction en chaîne

Lors d'une réaction de fission nucléaire induite, l'absorption d'un neutron par un noyau fissile permet la libération de plusieurs neutrons, et chaque neutron émis peut à son tour casser un autre noyau fissile. La réaction se poursuit ainsi d'elle-même : c'est la réaction en chaîne. Cette réaction en chaîne n'a lieu que si un neutron au moins émis lors d'une fission est apte à provoquer une nouvelle fission.

Le tableau suivant indique le nombre de neutrons libérés en moyenne par neutron (thermique) capturé en fonction du noyau considéré:

Noyau considéré Nombre de neutrons libérés
{}^{233}_{}\mathrm{U} 2,31
{}^{235}_{}\mathrm{U} 2,08
{}^{238}_{}\mathrm{U} — *
Uranium naturel 1,32
{}^{239}_{}\mathrm{Pu} 2,03
{}^{241}_{}\mathrm{Pu} 2,22

* Voir ci-dessus.

Cette table diffère de la précédente par le fait qu'elle se rapporte à tous les neutrons entrés dans le noyau fissile, et pas seulement à ceux qui donnent lieu à une fission.

On voit ici pourquoi l'uranium naturel n'est pas utilisé directement dans les réacteurs : l'uranium 238 qu’il contient en grande proportion consomme trop de neutrons qui ne donnent pas lieu à une fission ! Pour l'utiliser, il faut l’enrichir en uranium 235.

Dans un milieu réactif, la vitesse à laquelle se déroule cette réaction en chaîne est mesurée par le facteur de multiplication.

L'énergie de fission

Un neutron qui entre en collision avec un noyau fissile peut former avec celui-ci un noyau composé excité, ou être simplement absorbé (capture neutronique). Pour l'uranium 235, la proportion de neutrons capturés est d'environ 16 % pour des neutrons thermiques (ou neutrons lents) ; 9,1 % pour des neutrons rapides.

Dans le cas de la fission induite, la durée de vie moyenne du noyau composé est de l'ordre de 10-14s. Le noyau se fissionne, et les fragments se séparent à vitesse élevée : au bout de 10−17 s, ces fragments, distants de 10-10 m, émettent, nous l'avons vu, des neutrons.

Suite aux désexcitations γ, des photons γ sont émis après 10-14 s, alors que les fragments ont franchi 10-7 m. Les fragments s'arrêtent au bout de 10-12 s environ, après avoir franchi une distance de 50 µm (ces valeurs sont données pour un matériau de densité 1, tel que l'eau ordinaire).

L'énergie cinétique des fragments et des particules émises à la suite d'une fission finit par se transformer en énergie thermique, par l'effet des collisions et des interactions avec les atomes de la matière traversée, sauf pour ce qui concerne les neutrinos, inévitablement émis dans les désintégrations β, et qui s’échappent toujours du milieu (ils peuvent traverser la Terre sans interagir).

Le tableau suivant indique comment se répartit l'énergie libérée à la suite de la fission d'un atome d'uranium 235, induite par un neutron thermique (ces données sont des moyennes calculées sur un grand nombre de fissions).

Énergie de fission de {}^{235}_{\ 92} \mathrm{U} énergie
MeV
 % énergie
totale
Commentaire
Énergie cinétique des fragments de fission 166 81,5 énergie instantanée localisée
Énergie cinétique des neutrons de fission 5 2,5 énergie instantanée délocalisée
Énergie des γ de fission 8 3,9
Énergie des neutrinos 11 5,5 énergie instantanée perdue
Total 190 93,1 énergie instantanée
Énergie de radioactivité β des produits de fission 7 3,4 énergie différée
Énergie de radioactivité γ des produits de fission 7 3,4
Total 14 6,9

Notion de masse critique

Il ne suffit pas que le facteur de multiplication des neutrons soit plus grand que 1 pour que la réaction en chaîne s'entretienne : d'une part, les neutrons sont instables et peuvent se désintégrer, mais ceci joue peu, car leur temps de vie moyen est de près d'un quart d'heure, mais surtout, ils peuvent sortir du milieu où l'on essaie de faire une réaction en chaîne. Il faut qu'ils aient une collision avant de sortir, sinon ils ne participent plus à la réaction en chaîne. L’épaisseur moyenne du milieu fissile doit donc être assez grande pour assurer une probabilité suffisante pour les neutrons de rencontrer un noyau fissile. Ceci amène à la notion de masse critique de l'élément fissile, qui est une masse en-dessous de laquelle on ne peut plus garder suffisamment de neutrons, quelle que soit la forme de la charge fissile, pour maintenir la réaction. Ceci explique pourquoi l'on ne peut pas avoir de mini-réacteurs nucléaires ou de mini-bombes atomiques.

Sources

  • Bonin (Bernard), Klein (Étienne), Cavedon (Jean-Marc) , Moi, U235, atome radioactif, Flammarion, 2001
  • Bröcker (Bernhard), Atlas de la physique atomique et nucléaire, La pochotèque, Le Livre de Poche, 1997
  • Collectif, La Physique et les Éléments, Université de tous les savoirs, Odile Jacob, 2002

Voir aussi

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