Espace vectoriel

Espace vectoriel

En algèbre linéaire, un espace vectoriel est un ensemble muni d'une structure permettant d'effectuer des combinaisons linéaires.

Étant donné un corps K, un espace vectoriel E sur K est un groupe commutatif (dont la loi est notée +) muni d'une action compatible de K (voir la définition exacte). Les éléments de E sont appelés des vecteurs, et les éléments de K des scalaires.

Pour une introduction au concept de vecteur, voir l'article introductif Vecteur.

Sommaire

Définitions

Espace vectoriel

Giuseppe Peano, qui exposa la première définition axiomatique d'un espace vectoriel en 1888

Soit K un corps. La définition des espaces vectoriels repose sur la structure de corps[SL 1],[RG 1] mais le lecteur peut lire K comme le corps des réels[Art 1] ou celui des complexes. Un espace vectoriel sur K, ou K-espace vectoriel[SL 2], est un ensemble E, dont les éléments sont appelés vecteurs, muni de deux lois :

telles que les propriétés suivantes soient vérifiées.

1. La loi « + » est commutative[1] et associative. Elle admet un élément neutre, pouvant être noté 0 ou 0E, appelé vecteur nul. Tout vecteur v a un opposé, noté -v. Autrement dit, (E,+) est un groupe abélien. Pour tous vecteurs u, v et w de E :
u+v = v+u u+(v+w) = (u+v)+w
0E +v = v u+(-u) = 0E
2. La loi « • » est distributive à gauche par rapport à la loi « + » de E, distributive à droite par rapport à l'addition du corps K, et associative à droite par rapport à la multiplication dans K. Enfin, l'élément neutre multiplicatif du corps K, noté 1, est neutre à gauche pour la loi externe « • »[2], c'est-à-dire que l'on a les identités suivantes pour tous vecteurs u, v de E, et pour tous scalaires λ, μ :
λ •( u + v ) = ( λ • u ) + ( λ •v ) ( λ + µ ) • u = ( λ • u ) + ( µ • u )
(λμ) • u = λ • ( µ • u) 1 • u = u

De l'axiome 1, il découle que E est nécessairement non vide. Les axiomes 1 et 2 impliquent que 0E est « absorbant à droite » pour la loi • (i.e. le produit de 0E par un scalaire quelconque vaut 0E) et que le produit d'un vecteur quelconque de E par le scalaire 0K (l'élément neutre additif du corps K) vaut aussi 0E. Enfin, -v (l'opposé de v) est le produit de v par le scalaire -1, ce qui résulte de la propriété précédente et de l'axiome 2. On a donc pour tout vecteur u de E et tout scalaire λ[Art 2] :

0Ku = 0E λ • 0E = 0E -1 • u = -u

Si K = \mathbb{Q}, \mathbb{R} ou \mathbb{C}, on parle respectivement d'espace vectoriel rationnel, réel ou complexe. Les vecteurs (éléments de E) ont été ici écrits avec des lettres latines italiques, mais certains auteurs les notent par des lettres en gras, ou les surmontent d'une flèche.

Les espaces vectoriels sur K sont aussi appelés espaces vectoriels à gauche sur K. Les espaces vectoriels à gauche sur le corps opposé à K (la multiplication de K étant remplacée par la multiplication * sur K définie par λ * μ = μλ) sont appelés espaces vectoriels à droite sur K. La multiplication par un scalaire étant alors notée à droite (u • λ), les espaces vectoriels à droite sur K sont alors définis comme les espaces vectoriels (à gauche), sauf que l'axiome (λμ) • u = (λ • μ)•u est remplacé par l'axiome u • (λμ) = u • (λ•μ). Si le corps K est commutatif (ce qui est le cas si K est le corps des nombres réels ou le corps des nombres complexes), les notions d'espaces vectoriels à gauche et à droite coïncident, et on peut alors noter à gauche ou à droite (au choix) la multiplication par un scalaire.

Espaces vectoriels sur un corps non commutatif

Les notions de la théorie des espaces vectoriels qui ne sont valables, avec les définitions usuelles, que lorsque le corps est commutatif sont notamment ceux liées à la multilinéarité (déterminant, trace, produits tensoriels, algèbre extérieure, algèbre sur un corps commutatif) ou aux fonctions polynomiales. Même si l'on ne se sert pas de ces notions, il faut faire attention à divers détails lorsque le corps de base n'est supposé commutatif. Par exemple, les homothéties n'existent (en tant qu'application linéaire) que si le facteur scalaire est central dans le corps, et la multiplication scalaire doit être écrite du côté opposé des applications linéaires (donc avec le scalaire à droite si les applications linéaires sont notées à gauche de leurs arguments).

Combinaison linéaire

Article détaillé : Combinaison linéaire.

Les deux opérations sur un espace vectoriel permettent de définir la combinaison linéaire, c'est-à-dire la somme finie de vecteurs affectés de coefficients (scalaires). La combinaison linéaire[NB 1] d'une famille de vecteurs (x_i)_{\,i\,\in\, I} ayant pour coefficients (\lambda_i)_{\,i\,\in\, I} est le vecteur de E donné[Art 3] par :

\sum_{\,i\,\in\, I}\lambda_i\, x_i.

Lorsque l'ensemble d'indexation \ I est infini, il est nécessaire de supposer que le support de la famille (\lambda_i)_{\,i\,\in\, I} soit fini. Rappelons que le support est l'ensemble des indices i pour lesquels λi est non nul. L'intérêt de la structure d'espace vectoriel réside en la possibilité d'effectuer des combinaisons linéaires.

Sous-espace vectoriel

Article détaillé : Sous-espace vectoriel.
Deux plans vectoriels de l'espace R3 en jaune et en vert, qui s'intersectent selon une droite vectorielle en bleu.

Un sous-espace vectoriel[RG 2] de E est une partie non vide F de E stable par addition vectorielle et multiplication par un scalaire, ou de manière équivalente, stable par combinaisons linéaires. Une telle partie F contient alors l'opposé de chacun de ses vecteurs, si bien qu'elle forme un sous-groupe de (E, +).

Muni des lois induites, F est alors un espace vectoriel. L'intersection d'une famille quelconque (finie ou infinie) de sous-espaces vectoriels est un sous-espace vectoriel[Art 4] mais l'union, même finie, n'en est pas un en général.

La somme de deux sous-espaces vectoriels F et G est la partie

\ F+G=\left\{x+y \ / \ (x,y) \in F\times G \right\},

qui est toujours un sous-espace vectoriel de E. C'est le plus petit sous-espace vectoriel (au sens de l'inclusion) de E contenant F et G. Cette construction se généralise à une famille quelconque de sous-espaces vectoriels.

Deux sous-espaces vectoriels F et G de E sont dits en somme directe lorsque leur intersection ne contient que le vecteur nul :  F\cap G=\left\{0_E\right\}. Leur somme est alors notée F \oplus G. Les sous-espaces vectoriels F et G sont dits supplémentaires (l'un de l'autre) dans E s'ils sont en somme directe et que F \oplus G = E. L'axiome du choix permet d'assurer l'existence d'un supplémentaire à tout sous-espace vectoriel, mais il n'y a jamais unicité (sauf dans le cas du sous-espace nul ou de l'espace total). Si E est la somme directe de F et G, tout vecteur de E se décompose alors de manière unique en une somme de deux vecteurs, l'un appartenant à F et l'autre à G. Plus généralement, une famille de sous-espaces vectoriels (Fi) est dite en somme directe dans E si tout vecteur de E s'écrit de manière unique comme une somme \sum x_i avec pour tout i, x_i \in F_i. Cette définition implique que les sous-espaces vectoriels Fi soient d'intersection nulle deux à deux et que leur somme soit égale à E mais la réciproque est fausse.

Exemples

Translations

Article détaillé : plan affine de Desargues.
Les translations forment un espace vectoriel sur un corps approprié.

Sans disposer d'une définition des espaces vectoriels, une approche possible de la géométrie plane se fonde sur l'étude d'un plan affine de Desargues P. Il comporte des points et des droites, avec une relation d'appartenance appelée incidence, dont les propriétés donnent un sens à l'alignement des points et au parallélisme des droites. On appelle homothétie-translation toute transformation de P préservant l'alignement et envoyant toute droite sur une droite parallèle. Hormis l'identité (considérée à la fois comme une homothétie et une translation), une telle transformation fixe au plus un point ; elle est appelée homothétie si elle fixe un point O, qui est alors son centre ; elle est appelée une translation sinon. L'ensemble des homothéties de centre fixé O forment un groupe commutatif pour la loi de composition, indépendant de O à isomorphisme près, noté K*. Il est possible d'adjoindre un élément 0 pour former un corps K, dont la loi d'addition est encore définie à partir de P. Tout scalaire non nul λ correspond à une unique homothétie de centre O, et on dit que λ est son rapport. L'ensemble des translations de P forme un K-espace vectoriel, ses lois étant les suivantes :

  • La somme vectorielle de deux translations t et t' est leur composée t\circ t'=t'\circ t qui est une translation ;
  • La multiplication d'une translation t par un scalaire non nul λ de K est la conjugaison de t par une homothétie h de centre quelconque et de rapport λ, autrement dit la transformation hth − 1, qui est une translation.

Le vecteur nul est l'identité. L'opposé d'un vecteur représenté par une translation t est le vecteur défini par t-1.

Une présentation détaillée est donnée dans plan affine de Desargues. Ces considérations permettent de faire le lien entre une approche moderne de la géométrie fondée sur l'algèbre linéaire, et une approche axiomatique.

Tout ceci se généralise aux espaces affines d'incidence (ou synthétiques) de dimensions (finies ou infinies) supérieures ou égales à 3 (ils sont alors de Desargues). Mais dans ce cas, si le nombre d'éléments des droite est égal à 2, la relation de parallélisme entre droites doit être incluse dans la définition des espaces affines. Donc, il y a intrinsèquement un espace vectoriel « sous-jacent » à tout tout plan affine de Desargue et à tout espace affine d'incidence.

Produits et sommes directes

Articles détaillés : Produit direct et Somme directe.

Soit une famille (Ei) de K-espaces vectoriels indexée par l'ensemble I. Les familles (vi) de vecteurs vi appartenant respectivement à Ei forment un ensemble, noté \prod E_i. Les lois suivantes en font un K-espace vectoriel, appelé produit[NB 2] \prodEi de la famille (Ei) :

  • Somme vectorielle[NB 3] : La somme de (vi) et (wi) est la famille (vi+wi) ;
  • Produit par un scalaire[NB 3] : Le produit de (vi) par λ est (λvi).

Le vecteur nul est la famille (0)i formée par les vecteurs nuls des espaces Ei. Cette construction est valable que I soit un ensemble fini ou non. Une famille (vi) dans \prod E_i est à support fini[NB 4] s'il y a un nombre au plus fini d'indices i pour lesquels vi est non nul. Les familles à support fini forment un sous-espace vectoriel de \prod E_i, appelé la somme directe des espaces Ei et qui se note \bigoplus E_i.

Tout corps K se présente comme un K-espace vectoriel. L'addition et la multiplication de K fournissent respectivement l'addition vectorielle et la multiplication par un scalaire. En prenant la famille Ei=K, on forme son produit KI et sa somme K(I) respectivement, tous deux étant des K-espaces vectoriels. KI est l'espace des fonctions[RG 3] de I dans K. L'intérêt des espaces K(A) repose sur les propriétés suivantes :

  • Pour tous ensembles A et B, les K-espaces vectoriels K(A) et K(B) sont isomorphes si et seulement si A et B sont en bijection.
  • Tout K-espace vectoriel E est isomorphe à K(A) pour un ensemble A. Le cardinal de A s'appelle la dimension de E.

Par exemple, pour I=\emptyset, K(\emptyset) est l'espace nul, un espace vectoriel qui ne contient qu'un seul vecteur, le vecteur nul. Un ensemble fini I={1,...,n} permet de former l'espace vectoriel[RG 4] Kn des n-uplets d'éléments de K, l'addition se fait terme à terme et la multiplication par un scalaire est distribuée sur chaque terme. Autre exemple, KN est l'espace des suites dans K, et K(N) le sous-espace des suites à support fini. Lorsque I est le produit cartésien [\![1 ; n]\!]\times[\![1 ; p]\!], alors le produit KI est noté \mathcal{M}_{n,p}(\mathbb{K}), qui est l'espace des matrices à n lignes et p colonnes à coefficients dans K.

Les fonctions RR continues forment un R-espace vectoriel, noté \mathcal C0(R, R).

Autres exemples

Article détaillé : Exemples d'espaces vectoriels.

Voici quelques exemples d'espaces vectoriels qui servent entre autres en analyse ou en géométrie :

  • L'espace nul est l'espace vectoriel sur un corps K comportant un unique élément, qui est nécessairement le vecteur nul. L'espace nul est l'objet initial et l'objet final de la catégorie des espaces vectoriels sur K.
  • Si K est commutatif, toute extension de corps de K, c'est-à-dire tout plongement de K dans un corps L, munit[RG 5] L d'une structure d'espace vectoriel sur K.
  • L'ensemble \mathcal C^0(X) des fonctions continues réelles ou complexes définies sur espace topologique X est un espace vectoriel (réel ou complexe).
  • L'ensemble des (germes de) solutions d'une équation différentielle linéaire homogène est un espace vectoriel (réel ou complexe).
  • L'ensemble des suites numériques satisfaisant une relation de récurrence linéaire est un espace vectoriel réel.

Application linéaire

Article détaillé : Application linéaire.
Les fonctions linéaires \mathbf{R}\rightarrow \mathbf{R}, rencontrées au collège, sont des exemples d'applications linéaires.

Soient E et F deux espaces vectoriels sur un même corps K. Une application f de E vers F est dite linéaire[Art 5] si elle est additive et commute à la multiplication par les scalaires[NB 5] :

\forall (x,y) \in E^2, \ f( x+y)= f(x)+f(y),
\forall \lambda\in \mathbf{K},\ f(\lambda x)=\lambda f(x).

Autrement dit, f préserve les combinaisons linéaires[NB 6],[Art 6], c'est-à-dire : pour toute famille finie (v_i)_{i\in I} de vecteurs et pour toute famille (\lambda_i)_{i\in I} de scalaires,

f\left(\sum_{i\in I}\lambda_iv_i\right)=\sum_{i\in I}\lambda_if(v_i).

L'ensemble des applications linéaires de E dans F est noté \mathcal L(E,F) dans cet article. Il peut aussi être noté[NB 7] Hom(E,F) ou encore Hom_{\mathbf{K}}(E,F). La somme de deux applications linéaires, ou, si K est commutatif, la multiplication d'une application linéaire par un scalaire, est encore une application linéaire. Donc, si K est commutatif, \mathcal L(E,F) est un sous-espace vectoriel de l'espace des fonctions de E dans F. La composée d'applications linéaires de E dans F et de F dans G est une application linéaire de E dans G. Lorsque \ F=E, ces applications sont appelées endomorphismes de E et on note leur ensemble L(E). Un isomorphisme[Art 7] d'espaces vectoriels est une application linéaire bijective. Un automorphisme est un endomorphisme bijectif. L'ensemble des automorphismes de E est le groupe linéaire noté \ GL(E).

Si K est commutatif, alors l'application naturelle de \mathcal M_{m,n}(\mathbf{K}) dans \mathcal L(\mathbf{K}^n,\mathbf{K}^m), qui à toute matrice A associe l'application linéaire X\mapsto AX, est un isomorphisme d'espaces vectoriels.

Noyau et image

Articles détaillés : Noyau, Image et Théorème du rang.
Dans R3, un plan est le noyau d'une forme linéaire.

Pour toute application linéaire f de E dans F,

  • Les vecteurs x de E tels que f(x)=0 forment un sous-espace vectoriel de E, appelé noyau de f et noté[Art 8] Ker( f ). Plus généralement[NB 8], l'image réciproque de tout sous-espace vectoriel de F par f est un sous-espace vectoriel de E.
  • Les vecteurs f(x) pour x dans E forment un sous-espace vectoriel de F, appelé l'image de f et noté[Art 8] Im( f ). Plus généralement[NB 8], l'image directe par f de tout sous-espace vectoriel de E est un sous-espace vectoriel de F. Le quotient F/Im(f) s'appelle le conoyau[NB 9] de f.

Une application linéaire est injective si et seulement si son noyau est l'espace nul (c'est une propriété générale des morphismes de groupes). Une application (linéaire ou pas) est surjective si et seulement si son image est égale à son ensemble d'arrivée tout entier.

La dimension de l'image d'une application linéaire f de E dans F est appelée le rang de f, et est reliée à la dimension du noyau et à celle de E par le théorème du rang, vrai aussi bien en dimension finie[SL 3] qu'infinie[NB 10] :

\dim (E) = \dim\ {\rm Ker}(f) + \dim \ {\rm Im}(f)~.

En particulier, le rang de f est inférieur ou égal à la dimension de E.

Le rang est aussi inférieur ou égal à la dimension de F. Si f est surjective alors son rang est égal à la dimension de F. La réciproque est vraie dès que F est de dimension finie.

Si E et F sont de dimension finie et isomorphes (i. e. s'ils ont la même dimension et si cette dimension est finie), on déduit de ce qui précède que pour toute application linéaire f de E dans F,

f est surjective \Leftrightarrow f est injective \Leftrightarrow f est un isomorphisme.

Le graphe de f est un sous-espace vectoriel de E × F, dont l'intersection avec E × {0} est Ker( f ) × {0}.

Forme linéaire

Articles détaillés : Forme linéaire et espace dual.

Une forme linéaire[NB 11] ou covecteur[RG 6] sur un K-espace vectoriel E est une application linéaire de E dans le corps K vu comme espace vectoriel. Si K est commutatif, les formes linéaires sur E forment un K-espace vectoriel appelé l'espace dual[NB 12] de E et noté E*. Le noyau d'une forme linéaire est appelé hyperplan (vectoriel).

Sur l'espace vectoriel E des applications continues de [0,1] dans R, l'intégrale de Riemann f\mapsto \int_0^1 f est une forme linéaire[RG 7].

Espace vectoriel quotient

Soit F un sous-espace vectoriel de E. L'espace quotient E/F (c'est-à-dire l'ensemble des classes d'équivalence de E pour la relation « u~v si et seulement si  u-v appartient à F», muni des opérations définies naturellement sur les classes) est un espace vectoriel tel que la projection E \rightarrow E/F (qui associe à u sa classe d'équivalence) soit linéaire de noyau F.
Un sous-espace vectoriel G de E est un supplémentaire de F si et seulement si la restriction de la projection induit un isomorphisme de G sur E/F.

Famille de vecteurs et dimension

Indépendance linéaire

Article détaillé : Indépendance linéaire.

Une famille (v_i)_{i\in I} de vecteurs de E est dite libre (sur \mathbb{K}) ou encore les vecteurs de cette famille sont dits linéairement indépendants[SL 4], si toute combinaison linéaire d'éléments de cette famille à coefficients non tous nuls est différente du vecteur nul. Cette condition équivaut à ce que la seule combinaison linéaire d'éléments de (v_i)_{i\in I} égale au vecteur nul soit celle dont tous les coefficients sont nuls. Dans le cas contraire, la famille est dite liée et les vecteurs la constituant sont dits linéairement dépendants. Comme une combinaison linéaire porte sur un nombre fini de termes, une famille infinie est libre si et seulement si toute sous-famille finie est libre[NB 13].

La famille vide est libre[SL 5]. Une famille constituée d'un seul vecteur est libre si et seulement si ce vecteur est non nul. Un couple (u1, u2) de vecteurs est lié[SL 6] si et seulement s'il existe un scalaire \ \alpha tel que \ u_2 = \alpha\, u_1 ou un scalaire \ \beta tel que \ u_1 = \beta\, u_2. Sous cette condition, les deux vecteurs u1 et u2 sont dits colinéaires. Si (u,v) est un couple de vecteurs linéairement indépendants, alors (u,v), (u+v, v) et (u,u+v) sont eux aussi des couples de vecteurs non colinéaires, mais la famille (u,v, u+v) n'est pas libre pour autant.

Sous-espace vectoriel engendré

Le sous-espace vectoriel engendré par une famille (v_i)_{i\in I}, noté[Art 9] Span(vi), est le plus petit sous-espace contenant tous les vecteurs de cette famille[Art 10]. De manière équivalente, c'est l'ensemble des combinaisons linéaires des vecteurs vi. La famille engendre E, ou encore est génératrice, si E est le sous-espace vectoriel engendré.

Une base[SL 7] de E est une famille libre maximale ou, et c'est équivalent, une famille génératrice minimale. L'existence d'une base pour tout K-espace vectoriel E se déduit du théorème de la base incomplète[NB 14],[SL 8] et est équivalente à l'axiome du choix. Néanmoins, il existe des preuves spécifiques à la dimension finie[Art 11],[RG 8]. Une famille \mathcal{B} d'éléments de E est une base si et seulement si tout élément u de E s'exprime de manière unique comme combinaison linéaire des éléments de \mathcal{B}.

Définition de la dimension

Article détaillé : Dimension d'un espace vectoriel.

Étant donné un espace vectoriel E sur un corps K, toutes les bases de E ont le même cardinal[NB 15], appelé dimension[SL 9],[Art 12] de E. Si E admet une famille génératrice finie, alors la dimension est finie, et toutes les bases de E admettent le même nombre d de vecteurs, où d est la dimension de E.

  • Le corps K est de dimension 1, une base étant donnée par l'unité 1K. Tout espace vectoriel de dimension 1 est appelé droite vectorielle. Tout espace de dimension 2 est appelé plan vectoriel.
  • À isomorphisme près, les espaces vectoriels sur K sont classifiés par leurs dimensions, ce qui rend cette notion fondamentale. La dimension de K(A) est le cardinal de A. En particulier[RG 9], la dimension de Kn est n.
  • Pour tout sous-espace vectoriel V de E, on a[SL 3] : dim E = dim V + dim E/V.
  • Si F1 et F2 sont deux sous-espaces vectoriels de E, alors[Art 13],[SL 10]
\dim (F_1 + F_2) + \dim(F_1 \cap F_2) = \dim F_1 + \dim F_2.

Cette relation est connue sous le nom de formule de Grassmann.

Propriétés des espaces vectoriels de dimension finie

Par ce qui précède, un espace vectoriel est de dimension finie ssi il est engendré par une partie finie[SL 11]. Soit E un espace vectoriel de dimension finie (non nulle) égale à n.

  • Si W est un sous-espace de E et que W et E ont même dimension[Art 14], alors E=W
  • Tous les supplémentaires d'un sous-espace vectoriel F de E ont la même dimension, qui est appelée codimension de F dans E.
  • Si K est commutatif, l'espace dual de E est également de dimension finie et de même dimension[SL 12] : \ {\rm dim}(E^{*})= {\rm dim}(E).
  • On suppose que K est commutatif et soit \ \mathcal{B}=\left(e_1,...,e_n \right) une base de E.
Il existe une unique base \ \mathcal{B}^{*}=\left(e^*_1,...,e^*_n\right) de \ E^* telle que \forall (i,j) \in {\left\{1,...,n \right\}}^2,\ e^*_i(e_j)=\delta_{ij},
\ {\delta}_{ij} est le symbole de Kronecker.
On dit alors que \ \mathcal{B}^* est la base duale associée à \ \mathcal{B}.
\rm rang(A)=\dim(\mathcal{C}(A))=\dim(\mathcal{L}(A))
  • Si E est de dimension finie, et que f est un opérateur sur E, alors f est injectif ssi f est surjectif ssi f est bijectif[RG 10].

Structures connexes

Structures relatives

  • Une paire d'espaces vectoriels est la donnée d'un espace vectoriel et d'un sous-espace vectoriel de celui-ci.
  • Plus généralement, un espace vectoriel peut être filtré par la donnée d'une famille de sous-espaces vectoriels croissante ou décroissante.
  • Un drapeau sur un espace vectoriel de dimension n est la donnée de n sous-espaces vectoriels emboîtés, de dimensions croissantes de 1 en 1.
  • Un espace vectoriel de dimension fini peut être orienté par le choix d'une orientation sur ses bases.
  • Un espace vectoriel gradué est une famille d'espaces vectoriels, généralement indexée par \mathbb{N}, \mathbb{Z} ou \mathbb{Z}/2. Un morphisme entre deux tels espaces vectoriels gradués est alors une famille d'applications linéaires qui respecte la graduation.

Structures algébriques

  • Un module M sur un anneau A est un groupe additif muni d'une loi externe sur M à coefficients dans A, compatible avec l'addition sur M et avec les opérations sur A n'est un espace vectoriel que si A est un corps. Mais il ne dispose en général ni de base ni de supplémentaires.
  • Une algèbre est un espace vectoriel muni d'une multiplication distributive par rapport à l'addition et compatible avec la loi de composition externe.
  • Une algèbre de Lie est un espace vectoriel muni d'un crochet de Lie compatible avec la loi de composition externe.

Structures topologiques et géométriques

  • Un espace affine est un ensemble muni d'une action libre et transitive d'un espace vectoriel.
  • Un espace vectoriel euclidien est un espace vectoriel réel de dimension finie muni d'un produit scalaire.
  • Un espace vectoriel réel ou complexe est dit normé lorsqu'il est muni d'une norme. Par exemple, les espaces de Banach, dont les espaces de Hilbert qui généralisent la notion d'espace vectoriel euclidien, sont des espaces vectoriels normés.
  • Si K est un corps muni d'une topologie, un espace vectoriel topologique sur K est un K-espace vectoriel muni d'une topologie compatible, c'est-à-dire que l'addition et la multiplication par un scalaire doivent être continues. C'est le cas entre autres des espaces vectoriels normés et des espaces de Fréchet.
  • Un fibré vectoriel est une surjection d'un espace topologique sur un autre, telle que la préimage de chaque point soit munie d'une structure d'espace vectoriel compatible continûment avec les structures des préimages des points voisins.

Historique

La notion d'espace vectoriel naît conceptuellement de la géométrie affine avec l'introduction des coordonnées dans un repère du plan ou de l'espace usuel. Vers 1636, les mathématiciens français Descartes et Fermat donnèrent les bases de la géométrie analytique en associant la résolution d'une équation à deux inconnues à la détermination graphique d'une courbe du plan.

Afin de parvenir à une résolution géométrique sans utiliser la notion de coordonnées, le mathématicien Bolzano introduisit en 1804 des opérations sur les points, droites et plans, lesquelles sont les précurseurs des vecteurs[E 1]. Ce travail trouve un écho dans la conception des coordonnées barycentriques[E 2] par Möbius en 1827. L'étape fondatrice de la définition des vecteurs fut la définition par Bellavitis du bipoint, qui est un segment orienté (une extrémité est une origine et l'autre un but). La relation d'équipollence, qui rend équivalents deux bipoints lorsqu'ils déterminent un parallélogramme, achève ainsi de définir les vecteurs.

La notion de vecteur est reprise avec la présentation des nombres complexes par Argand et Hamilton, puis celle des quaternions par ce dernier, comme des éléments des espaces respectifs  \mathbb{R}^2 et  \mathbb{R}^4 . Le traitement par combinaison linéaire se retrouve dans les systèmes d'équations linéaires, définis par Laguerre dès 1867.

En 1857, Cayley introduisit la notation matricielle, qui permit d'harmoniser les notations et de simplifier l'écriture des applications linéaires entre espaces vectoriels. Il ébaucha également les opérations sur ces objets.

Vers la même époque, Grassmann reprit le calcul barycentrique initié par Möbius en envisageant des ensembles d'objets abstraits munis d'opérations[E 3]. Son travail dépassait le cadre des espaces vectoriels car, en définissant aussi la multiplication, il aboutissait à la notion d'algèbre. On y retrouve néanmoins les concepts de dimension et d'indépendance linéaire, ainsi que le produit scalaire apparu en 1844. La primauté de ces découvertes est disputée à Cauchy avec la publication de Sur les clefs algébrique dans les Comptes Rendus.

Le mathématicien italien Peano, dont une contribution importante a été l'axiomatisation rigoureuse des concepts existants — notamment la construction des ensembles usuels — a été un des premiers à donner une définition contemporaine du concept d'espace vectoriel[E 4] vers la fin du XIXe siècle.

Un développement important de ce concept est dû à la construction des espaces de fonctions par Lebesgue, construction qui a été formalisée au cours du XXe siècle par Hilbert et Banach, lors de sa thèse de doctorat en 1920.

C'est à cette époque que l'interaction entre l'analyse fonctionnelle naissante et l'algèbre se fait sentir, notamment avec l'introduction de concepts clés tels que les espaces de fonctions p-intégrables ou encore les espaces de Hilbert. C'est à cette époque qu'apparaissent les premières études sur les espaces vectoriels de dimension infinie.

Références et sources

Principaux ouvrages sur l'algèbre linéaire utilisés :

  1. Définition 3, page A-II-3
  2. Les produits infinis sont définis dans la section 5
  3. a et b Equation (17), page A-II-10
  4. A support fini, défini page A-II-3, pour les familles de scalaires
  5. Définition 4, page A-II-4
  6. Equation (5), page A-II-4
  7. Notation adoptée par Nicolas Bourbaki, page A-II-6
  8. a et b Remarques page A-II-7
  9. Conoyau : terme défini page A-II-7
  10. Proposition 9, page A-II-101
  11. Forme linéaire : terme mentionné page A-II-40
  12. Paragraphe 7, section 5 pp. 102-106
  13. Proposition 18, page A-II-26
  14. Théorème 2, page A-II-95
  15. Théorème 3, page A-II-96
  1. Corps défini au chapitre II, espace vectoriel au chapitre II. La théorie des corps fait l'objet des chapitres VII à XII ; les notions d'algèbre étant présentées des chapitres XIII à XVIII.
  2. Définition donnée page 86
  3. a et b Théorème 4, page 87
  4. Linéairement indépendant, expression utilisée page 89
  5. (3.14), page 92
  6. Proposition 3.7, page 89
  7. Définition page 90
  8. Théorème 2, page 85
  9. Théorème 3, page 86
  10. Exercice 6, page 92.
  11. Proposition 3.12, page 91
  12. Théorème 5, page 89
  1. Le chapitre 8 porte sur les anneaux et corps, et le chapitre 10 sur les modules et espaces vectoriels
  2. Les sous-espaces vectoriels sont l'objet du chapitre 10, paragraphe 3, page 168
  3. Exemple 4, pages 166-167
  4. Exemple 1, pages 165-166
  5. Exemple 6, page 167
  6. Les termes forme linéaire et covecteurs sont cités dans l'exemple 3 page 189.
  7. Exemple 6, page 191
  8. Démonstration, pages 238-240
  9. Exemple 1, page 247
  10. Corollaire 1, page 250
  1. Le chapitre 3, consacré aux espaces vectoriels, présente d'abord les espaces vectoriels Rn avant de donner une définition la structure de corps.
  2. Proposition 1.7, page 81
  3. Equation 3.1, page 87
  4. Exercice 1.2, page 104
  5. Les transformations linéaires sont étudiées au chapitre 4
  6. Formule (1.2), page 109
  7. Définition 2.13, page 87
  8. a et b Formule (1.5), page 110
  9. Notation utilisée pages 88 et 100
  10. Définition page 100, pour les familles infinies
  11. Par exemple, preuve de la proposition 3.15, page 92
  12. Définition 3.18, page 93
  13. Proposition 6.9, p. 103
  14. Proposition 3.20, page 93

Autres notes :

  1. L'hypothèse de commutativité de « + » est en fait redondante : elle se déduit des autres propriétés, en développant de deux façons différentes (1+1).(u+v).
  2. Cette condition est nécessaire, comme le montre le contre-exemple suivant. Si on prend par exemple E = K, et que la loi externe est définie comme l'opération toujours nulle (λ•u = 0 pour tout λ de K et tout u de E), alors tous les autres axiomes sont satisfaits sauf celui-ci.

Autres articles et livres cités, en particulier sources historiques :

  1. B. Bolzano, Betrachtungen über einige Gegenstände der Elementargoemetrie, 1804
  2. A. Möbius, Der barycentrische Calcul, 1827
  3. H. Grassmann, Die Ausdehnungslehre
  4. G. Peano, Calcolo geometrico secondo l'Ausdehnungslehre di H. Grassmann preceduto dalle operazioni della logica deduttiva, 1888

Lectures complémentaires

  • (de) H. Boseck, Einführung in die Theorie der linearen Vektorraume, 1967
  • Jean Dieudonné, Algèbre linéaire et géométrie élémentaire, 1964
  • (en) Leonid Mirsky, An Introduction to Linear Algebra, 1990

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